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samedi 5 juillet 2014

Méchantes bestioles, pas de médicaments-2 !


L’appel de Cameron

J’ai évoqué dans un billet précédent les dangers que font peser le développement des souches résistantes, le manque de nouveaux antibiotiques, et le scénario réaliste d’épidémie publié par la FDA à partir de salmonelle résistantes apparues dans le lait. Après les avertissements solennels lancés par les ministres de la santé américains et anglais, c’est le Premier ministre anglais David Cameron lui-même qui ont évoqué le retour à une ère  pré-antibiotique. « Ce n'est pas une menace lointaine, mais quelque chose qui se passe en ce moment a déclaré Cameron. Si nous n'agissons pas, nous allons vers une situation presque impensable où les antibiotiques ne fonctionnent plus et nous retournons dans les âges sombres de la médecine, où  infections et blessures vont tuer une fois de plus. Cela ne doit simplement pas arriver et je veux voir une réponse mondiale plus forte et plus cohérente. »

 L’ère pré-antibiotique

 Une ère préantibiotique, nous n’y sommes pas encore, et nous avons du mal à savoir ce que cela signifie. Ce sont  par exemple, les dizaines de millions de morts de l'épidémie de grippe de 1918 -  la majorité des malades ne sont pas morts à cause du virus de la grippe, mais suite à des surinfections bactériennes surtout touchant le poumon. C’est revenir au tant des grands épidémies, au tant des taux de mortalité opératoire ahurissants. C’est  ne plus pouvoir utiliser des traitements immunosuppresseurs, ne plus avoir accès à la chimiothérapie, ne plus des opérations invasives, à cause des infections. C’est risquer la mort pour un furoncle, voir un simple point noir, pour une blessure vénielle dans un jardin…

L’ére préantibiotique , nous n’ y sommes pas encore mais nous nous en rapprochons. En Angleterre, on estime à 5,000 le nombre de morts annuelles dues aux bactéries résistantes. Aux Etats-Unis, le Center for Disease Control estime que 2 millions de personnes sont infectées chaque année par des bactéries résistantes aux antibiotiques, et que, sur ces 2 millions) 23.000 vont mourir. L’ére préantibiotique, c’est aussi le retour des maladies sexuellement transmissibles non maitrisées  ; selon l’Institut de Veille Sanitaire, en France, 850 cas de syphilis résistantes aux antibiotiques ont été recensés en 2013, contre zéro en 2000. La situation est encore pire pour les gonocoques (blennorragies, chaude-pisse). L’OMS a alerté, « Si on ne cherche pas à mettre en place de nouveaux antimicrobiens,  il n’y aura peut-être plus bientôt de traitements disponibles » ; l’ère pré-antibiotique, c’est l’alimentation et la sexualité qui redeviennent à risques mortels.

 Une recherche difficile et coûteuse

David Cameron, et d’autres encore plus violemment que lui, ont mis en cause l’industrie pharmaceutique qui aurait arrêté toute recherche sur les antibiotiques. C’est partiellement vrai, mais pourquoi ? Les produits naturels produits par les champignons et les bactéries ont été assez systématiquement explorés, ils ont été à l’origine de la plus grande partie des antibiotiques actuels ; on peut imaginer, et il faut certainement le faire, étudier des souches qui ne l’ont pas été, utiliser les immenses progrès en matière d’analyse, de purification et d’élucidation des structures pour rechercher des composés nouveaux – mais encore faudrait-il qu’ils soient supérieurs à ceux que l’on connait. Les laboratoires publics spécialisés dans les substances naturelles n’ont pas obtenu de grands succès en matière d’antibiotiques. Reste aussi, et c’est sans doute plus prometteur, l’application des techniques de manipulations génétiques pour modifier de façon dirigée (ou d’ailleurs aléatoire !) les composés produits par des champignons ou bactérie productrices d’antibiotiques connus ; nous pourrons ainsi probablement obtenir des antibiotiques supérieurs sur certains points aux existants ; mais peut-être pas la révolution thérapeutique attendue.

Une autre piste également permise par les progrès de la biologie moléculaire a été l’identification de cibles thérapeutiques précises chez les bactéries, des protéines, des enzymes essentielles à la vie bactérienne, mais absentes ou complètement différentes chez les mammifères. On ne peut pas dire que les firmes pharmaceutiques ne l’aient pas tenté, et, dans une publication essentielle (drugs for bad bugs), GSK notamment a publié le résultat de dix ans de recherche, d’identification et de préparation de cibles bactériennes,  de mise au point de test et de screening de collections importantes de composés (1 million), sans  aucun résultat. Ce genre d’expérience, reproduites par d’autres pharma, a sévèrement douché l’enthousiasme pour la recherche d’antibiotiques ; au fond, si les firmes pharmaceutiques ont arrêté la recherche d’antibiotiques, c‘est qu’elle n’en trouvaient pas !

 Bref, la recherche de nouveaux antibiotiques sera difficile, coûteuse, pas très prédictible, et  conduira probablement à des substances élaborées coûteuses à produire – au moins au départ. A cela s’ajoute une contrainte économique réelle : les nouveaux antibiotiques seront probablement au début réservés au marché hospitalier, donc avec des volumes faibles. Ce seront donc des médicaments aux prix élevés, or, partout, singulièrement en Europe, et encore plus singulièrement en France, les politiques d’économies de santé visent en premier les médicaments.

Que faire ?

Et c’est pourquoi le modèle actuel selon lequel les Etats laissent une très grande part de la recherche fondamentale en matière de médicaments aux firmes pharmaceutiques quitte à les rémunérer par un marché protégé, règlementé et des prix en fonction des efforts accomplis ne peut sans doute plus suffire, au moins  dans certains axes thérapeutiques. C’est ce qu’ont bien compris les USA qui, via des contrats avec le ministère de la défense, aident massivement et systématiquement les firmes et start-up se lançant dans le domaine des antibiotiques – (ce n’est pas un hasard si Donald Rumsfeld a  longtemps été au conseil d’administration de l’une des biotechs qui ont le mieux réussi, Gilead.)

En Europe, en France rien, ou presque rien, quelques pôles de compétitivité aux moyens sans mesures avec l’ampleur du défi.

 Sur le modèle du GIEC ?

David Cameron a raison de vouloir s’emparer du sujet. Aujourd’hui, et c’est bien ainsi, rien ne pourra se faire sans une mobilisation de l’opinion publique, sans un trialogue entre les experts, l’opinion publique et les décideurs. Le GIEC, pour les phénomènes climatiques, a montré la voie, faisant collaborer dans une organisation internationale des scientifiques qui ont réuni des preuves et sont arrivés à un consensus sur le réchauffement climatique et son origine anthropique, ont saisi l’opinion publique et les décideurs et se prononcent les effets des politique suivies- ou refusées.

Eh bien, il faut sans doute faire la même chose pour les infections bactériennes résistantes : créer un groupe international d’expert qui suivront ces phénomènes, distingueront les vérités des affabulations ou des peurs, feront un rapport annuel sur leur progression. Ce serait, dira-t-on, le rôle de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ? Je n’en suis pas persuadé. Elle peut bien entendu avoir un rôle important de support, mais il me semble que seules des organisations radicalement indépendantes de tout pouvoir politique ou étatique peuvent être réellement efficaces (cf la séparation radicale des pouvoirs temporels et spirituels chez Comte pour une  gouvernance scientifique  efficace)

D’autres part, il faut que les états européens s’engagent massivement dans le financement de la recherche antibiotique, comme le font déjà les USA. Sans quoi, lors du surgissement très probables de grandes épidémies bactériennes résistantes, il ne nous restera qu’à mourir en masse ou à se procurer, en les payant très chers, des antibiotiques inventés à l’étranger- à condition même de le pouvoir.

Il serait impensable que l’Europe, que la France, pays de Pasteur, soit absente de ce défi-là. Le domaine de la santé et du médicament est tout de même aussi noble et aussi essentiel que l’énergie, le numérique ou la métallurgie, et mériterait de susciter l’intérêt du ministère de redressement productif qui l’a me semble-t-il, assez ignoré.
 


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