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lundi 14 juillet 2014

Les sept plaies de la recherche scientifique


C’est le titre d’un article du Monde –supplément Science du 2 juillet 2014, rédigé  par Yehezkel Ben-Ari, neurobiologiste et grand prix de l’Inserm 2012. Résumé et commentaire des sept plaies


Mode court-terme : M. Ben-Ari dénonce la mode des big projets, du « big is beautiful »,  comme le Human Brain Project « dont rien ne permet d’étayer les promesses » ; et, « en l’absence de chercheurs parmi les décideurs politiques, l’action de la pléthore d’énarques, d’HEC et d’avocats souhaitant rentabiliser la recherche » qui pissent au court terme. ( C’est « poussent » bien entendu, mais la faute de frappe était trop belle !)

Commentaire : oui, bien sûr. Souvent cité par Edouard Brézin, cette phrase : ce n’est pas en perfectionnant la bougie que l’on invente la lampe à incandescence. Mais les grands projets sont importants pour fixer des caps, mobiliser des énergies, établir des collaborations transdisciplinaires, expliquer au public – qui nous finance-  les buts et les enjeux des recherches. Le tout est de pas trop prendre ses désirs pour des promesses. Le déchiffrage du génome humain a été un immense projet et succès – il fallait le faire, et les connaissances qu’il permet sont cruciales pour les progrès en médecine des années à venir ; pour le Human Brain Project, cela a plutôt l’air de tourner à la pétaudière…mais c’est un programme européen !

Planification et recherche sur projet : « nous sommes financés sur projet et passons donc l’essentiel de notre temps  à écrire des programmes. La réflexion est devenue un luxe interdit. Du coup, notre temps de recherche est plus restreint que celui de nos collègues anglo-saxons

Commentaire : encore plus oui, bien sûr. En 2012, des Assises de la recherche fort intéressantes ont aussi dénoncé cette situation et formulé 120 propositions : « La situation serait sans doute tenable si l'ANR constituait un guichet unique pour les appels à projet, mais c'est loin d'être le cas. Tous les « ex » créés dans le sillage du grand emprunt (Initiatives d'Excellence, Laboratoires d'Excellence, Equipements d'Excellence...) sont autant de micro-agences de financement, sans parler de l'argent apporté - au compte-gouttes - par les collectivités locales, la Commission européenne, etc »

Administrativite chronique : « avoir un financement, c’est dur, mais le gérer, c’est une tâche herculéenne. Une commande passe par une vingtaine de mains avant d’être honorée »

Commentaire : ça n’a cessé d’empirer. Pour l’anecdote, je connais un labo Inserm où un fournisseur de pipettes n’étant pas référencé, les chercheurs se livrent à un troc avec le labo CNRS voisin

Evaluationite maladive : « Quand les finances ne sont pas au rendez-vous, on évalue. le chercheur passe sa vie à évaluer ou à être évalué. Lister les sigles des structures d’évaluation dépasse  l’espace dévolu à cette tribune »

Commentaire : toujours selon les assises de la Recherche, « en 2011, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) a mobilisé 4.700 experts pour évaluer notamment 855 unités de recherche et 73 établissements »

Multiplication des guichets : « chaque organisme ou fondation veut avoir ses commission, ses sources de financement et la paternité des résultats. De plus chaque organisme a ses propres structures de valorisation »

Commentaire : toujours les Assises de la recherche de 2012 : « Atip, Cifre, CIR, PRES, RTRA, RTRS, SATT, IdEx, LabEx et autres EquipEx... Plus personne - les chercheurs pas plus que les autres - n'est capable de s'y retrouver dans la jungle de sigles et d'acronymes qu'est devenue au fil des ans et des lois le paysage français de la recherche »

Précarité et salaires répulsifs, Horizon bloqué et fuite des cerveaux :

 : « Chercheurs comme techniciens sont fréquemment recrutés pour des CCD de quelques mois. Leur nombre explose : plusieurs dizaines de milliers. Les chercheurs sont des intermittents comme les travailleurs du spectacle, sans en avoir le statut »

Commentaire : le traitement des doctorants, des Phd, des chercheurs est en effet indécent. Enchainer les contrats précaires à la merci de mandarins jusqu’à trente ou trente-cinq ans pour obtenir (ou pas, c’est sans garantie !) un poste permanent à 2,200 euros… Pas de recherches sans chercheurs, et où les trouvera-t-on ? Personne de sensé ne peut recommander à un jeune une orientation vers la recherche publique. L’idée d’une manifestation pour réclamer le statut d’intermittent du spectacle ne me  parait pas mauvaise…

En conclusion, M. Ben-Ari propose que toute demande de financement inférieure à 400.000 euros soit limitée à dix pages. C’est un bon début, et cela évitera l’inflation chronophage et malsaine  des dossiers, et même le recours à des organismes pour rédiger ces dossiers. Mais on peut peut-être faire  mieux. Des assises de la recherche ont eu lieu en 2012, des chercheurs se sont réunis, discuté, émis des propositions (121), l’idée principale étant que le financement sur projet redevienne un plus incitatif, mais pas l’essentiel du financement.

Le Ministère de la recherche n’en a rien fait ; peut-être serait-il temps qu’il fasse un pêu confiance aux chercheurs eux-mêmes ; après tout, ce sont des bacs plus douze, treize, quatorze, quinze…

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