L’été étant propice à quelques relectures, à mon programme
figurait Le renard et le Hérisson de
Stephen Jay Gould, ouvrage intégralement passionnant, recueil de chroniques
toujours brillantes et d’une intelligence rare , dont le sous-titre est « réconcilier
la science et les humanités » ; vaste programme, aussi actuel que
jamais, qui correspond si bien à mes
préoccupations de scientifique, d’historien des sciences et de positivistes.
Il cite notamment, dans le chapitre intitulé l’ère de la dichotomie le
texte-conférence de Charles Percy Snow ( physicien et romancier !) de
1959 tenu à Cambridge pour la traditionnelle conférence Rede , Les deux cultures .
Extraits :
«Combien de fois n’ai-je pas assisté à des réunions où des
personnes, considérées comme hautement cultivées selon les standards de la
culture traditionnelle m’ont fait part,
avec grand mépris, de leur incrédulité devant l’inculture des
scientifiques. Une ou deux fois, provoqué sur ce terrain, j’ai demandé à la
compagnie combien d’entre eux pouvaient décrire la deuxième loi de la
thermodynamique. La réponse a été froide
autant que négative. Pourtant, ce que je demandais était a pu près l’équivalent
scientifique de « Avez-vous lu une pièce de Shakespeare ?..
Je crois que la vie intellectuelle de l’ensemble de la société
occidentale tend de plus en plus à se scinder en deux groupes distincts ayant chacun leur pôle d’attraction….
A un pôle, nous avons les intellectuels littéraires qui se sont mis un jour en
catimini à se qualifier d’intellectuels tout court, comme s’ils étaient les
seuls à avoir droit à cette appellation. Je me rappelle avoir entendu le
mathématicien G.H Hardy – c’était durant les années 1930- me demander d’un ton
légèrement perplexe : « Avez-vous remarqué l’emploi qu’on fait
aujourd’hui du mot « intellectuel » ? Il me semble en tous cas
correspondre à une définition nouvelle qui ne s’applique en tout cas ni à
Rutherford, ni à Eddington, ni à Dirac, ni à moi … C’est assez curieux, vous ne trouvez pas ? »
Des intellectuels littéraires à un pôle-
à l’autre des scientifiques dont les plus représentatifs sont les physiciens.
Entre les deux, un abîme d’incompréhension mutuelle,- incompréhension parfois
teintée, notamment chez les jeunes, d’hostilité
ou d’antipathie. les membres de ces deux groupes ont les uns des autres une
image singulièrement déformée. Leur état d’esprit est si différent que, même au
niveau de l’affectivité, ils ne parviennent pratiquement pas à trouver de terrain
d’entente. »
Avec optimisme, S.J Gould note que cette dichotomie qui s’est
instaurée lui parait assez typique de la
culture littéraire anglaise de l’upper class type Oxbridge : qu’il n’existe
pas deux cultures, mais déjà au moins une troisième (celle des sciences
sociales) et sans doute beaucoup d’autres, et qu’en évitant un usage provocateur
de la dichotomie et de l’affrontement, - qui rendent le débat plus
spectaculaire mais moins juste-il existe des terrains d’entente. Ainsi, s’il
existe des relativistes extrémistes et provocateurs, tel Lepenies (La science
ne doit plus donner l’impression qu’elle donne une image fidèle de la réalité.
Ce qu’elle est en fait, c’est un système culturel, et l’image qu’elle nous
donne de la réalité est spécifique d’un lieu et d’une époque » ), et des
scientifiques qui leur répondent sur le même ton, voir par des canulars (Sokal),
il existe entre les deux une gamme d’opinion nuancées ( Popper, Kuhn..)
D’accord, mais il me semble que l’ignorance scientifique des
littéraires et des décideurs scientifiques et économiques ne régresse pas, bien
au contraire - peut-être parce que la science leur est mal enseignée, sous une forme
dogmatique alors qu’une forme historique présentant les grandes méthodes, les
grands résultats, leur enchainement et leur liaison avec le mouvement des
sociétés conviendrait mieux.
Pour terminer
provisoirement sur ce sujet… Comte évidemment : « Homère, Virgile, tous les
grands poètes de l’Antiquité étaient intimement familiarisés avec toutes les
conceptions contemporaines. Dante, Arioste, Shakespeare, étaient au niveau
général des connaissances humaines correspondantes, aussi bien que Corneille,
Milton, Molière… C’est une aberration réservée à notre siècle que celle de
prétendus poètes se glorifiant systématiquement de leur ignorance scientifique
et philosophique, qu’ils tentent vainement d’établir en garantie d’originalité
» (Cours de philosophie Positive, leçon 52)
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