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samedi 16 août 2014

Les deux cultures : réconcilier la science et les humanités




L’été étant propice à quelques relectures, à mon programme figurait Le renard et le Hérisson de Stephen Jay Gould, ouvrage intégralement passionnant, recueil de chroniques toujours brillantes et d’une intelligence rare , dont le sous-titre est « réconcilier la science et les humanités » ; vaste programme, aussi actuel que jamais,  qui correspond si bien à mes préoccupations de scientifique, d’historien des sciences et de positivistes.

Il cite notamment, dans le chapitre intitulé l’ère de la dichotomie le texte-conférence de  Charles  Percy Snow ( physicien et romancier !) de 1959 tenu à Cambridge pour la traditionnelle conférence Rede , Les deux cultures . Extraits :

«Combien de fois n’ai-je pas assisté à des réunions où des personnes, considérées comme hautement cultivées selon les standards de la culture traditionnelle m’ont fait part,  avec grand mépris, de leur incrédulité devant l’inculture des scientifiques. Une ou deux fois, provoqué sur ce terrain, j’ai demandé à la compagnie combien d’entre eux pouvaient décrire la deuxième loi de la thermodynamique. La réponse  a été froide autant que négative. Pourtant, ce que je demandais était a pu près l’équivalent scientifique de « Avez-vous lu une pièce de Shakespeare ?..

Je crois que la vie intellectuelle de l’ensemble de la société occidentale tend de plus en plus à se scinder en deux  groupes distincts ayant chacun leur pôle d’attraction…. A un pôle, nous avons les intellectuels littéraires qui se sont mis un jour en catimini à se qualifier d’intellectuels tout court, comme s’ils étaient les seuls à avoir droit à cette appellation. Je me rappelle avoir entendu le mathématicien G.H Hardy – c’était durant les années 1930- me demander d’un ton légèrement perplexe : «  Avez-vous remarqué l’emploi qu’on fait aujourd’hui du mot « intellectuel » ? Il me semble en tous cas correspondre à une définition nouvelle qui ne s’applique en tout cas ni à Rutherford, ni à Eddington, ni à Dirac, ni à moi …  C’est assez curieux, vous ne trouvez pas ? »  Des intellectuels littéraires à un pôle- à l’autre des scientifiques dont les plus représentatifs sont les physiciens. Entre les deux, un abîme d’incompréhension mutuelle,- incompréhension parfois teintée, notamment chez les jeunes,  d’hostilité ou d’antipathie. les membres de ces deux groupes ont les uns des autres une image singulièrement déformée. Leur état d’esprit est si différent que, même au niveau de l’affectivité, ils ne parviennent pratiquement pas à trouver de terrain d’entente. »

Avec optimisme, S.J Gould note que cette dichotomie qui s’est instaurée lui parait assez  typique de la culture littéraire anglaise de l’upper class type Oxbridge : qu’il n’existe pas deux cultures, mais déjà au moins une troisième (celle des sciences sociales) et sans doute beaucoup d’autres, et qu’en évitant un usage provocateur de la dichotomie et de l’affrontement, - qui rendent le débat plus spectaculaire mais moins juste-il existe des terrains d’entente. Ainsi, s’il existe des relativistes extrémistes et provocateurs, tel Lepenies (La science ne doit plus donner l’impression qu’elle donne une image fidèle de la réalité. Ce qu’elle est en fait, c’est un système culturel, et l’image qu’elle nous donne de la réalité est spécifique d’un lieu et d’une époque » ), et des scientifiques qui leur répondent sur le même ton, voir par des canulars (Sokal), il existe entre les deux une gamme d’opinion nuancées ( Popper, Kuhn..)

D’accord, mais il me semble que l’ignorance scientifique des littéraires et des décideurs scientifiques et économiques ne régresse pas, bien au contraire - peut-être parce que la science leur est mal enseignée, sous une forme dogmatique alors qu’une forme historique présentant les grandes méthodes, les grands résultats, leur enchainement et leur liaison avec le mouvement des sociétés conviendrait mieux.

 Pour terminer provisoirement sur ce sujet… Comte évidemment : « Homère, Virgile, tous les grands poètes de l’Antiquité étaient intimement familiarisés avec toutes les conceptions contemporaines. Dante, Arioste, Shakespeare, étaient au niveau général des connaissances humaines correspondantes, aussi bien que Corneille, Milton, Molière… C’est une aberration réservée à notre siècle que celle de prétendus poètes se glorifiant systématiquement de leur ignorance scientifique et philosophique, qu’ils tentent vainement d’établir en garantie d’originalité » (Cours de philosophie Positive, leçon 52)

 

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