La réalité n’existe pas : c’est le titre accrocheur pour (un
de plus) très bon numéro de La Recherche
(Juillet-aout 2014) avec comme sujet le concept de réalité dans les sciences,
avec entre autre un point sur la vision actuelle des paradoxes de la physique
quantique, mais aussi des interventions de psychologues et neurobiologistes
(interview de Max Tegmark : l’essence du monde est mathématique, articles de
Bernard Romney, Matteo Smerlak, Giacomo Mauro
d’Ariano, Olivier Houdé, Serge Tisseron, Oliver Sacks et al)
Dans mon combat pour le refus de la séparation de la culture
en deux (scientifique et littéraire), je ne résiste pas au plaisir de reprendre
une de leurs infographies où La Recherche
résume les diverses conceptions du réel et de la science, avec tout de même un
oubli qui me semble important.(ci-joint, uniquement le texte)
Héraclite (VIème-Véme av. J.C.) : Le réel est un
mouvement perpétuel : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même
fleuve ». Héraclite décrit un univers chaotique dominé par l’élément du
feu.
Pythagore (Vième siécle av J.C.) : L’essence de la
réalité se trouve dans les nombres, ils définissent l’ordre du monde.
Parménide (Vème siécle av J.C.) : Derrière l’apparence
des choses, l’expérience des choses qui est singulière, il existe un Tout
universel « Rien ne change, tout est permanent »
Platon (Vème-IVéme av. J.C) : Le monde matériel est
comme une caverne sombre où nous ne voyons que des ombres projetées sur un mur.
Pour accéder au monde des idées qui constituent l’essence du réel, les homes doivent sortir de la caverne. Les
idées sont parfaites. Le monde sensible change et se dégrade. Le monde
intelligible est permanent et idéal.
Démocrite (IVème siècle av J.C ?) : l’être est la
matière. Tout est constitué d’atomes ordonnés, y compris l’âme
Pierre Abélard (1079-1142) : Le réel s’appréhende par la
raison, mais le raisonnement dépend du langage (nominalisme)
Guillaume d’Occam (1285-1349) : La manière la plus appropriée
d’expliquer le réel est toujours la plus simple. « les hypothèses
suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables »
Galilée ( 1564-1642) : La nature s’écrit en langage
mathématique. La science permet de décrire le réel et les mathématiques fournissent
les outils pour le faire
Bacon (1561-1626) : Pour connaitre la véritable nature
des choses, l’homme doit se libérer de tous les préjugés, obstacle à une vision
objective. Il doit observer les faits, émettre une hypothèse par induction, et
vérifier l’hypothèse expérimentalement
Descartes (1596-1650) : Cogito, ergo sum. C’est grâce au
doute que surgit la vérité première. La réalité se définit grâce à une
réflexion méthodique. Elle n’est pas relative à l’ëtre, mais dépend de l’esprit
pensant.
Newton
(1642-1727) : De grandes lois universelles, comme la loi de la
gravitation, régissent le monde réel.
Leibnitz ( 1646-1716) : Le réel, c’est l’indivisible, et
comme les corps sont divisibles, ils ne sont pas vraiment réels. Il existe une
unité essentielle, la monade, qui se compose d’un principe actif spirituel, et
d’un principe passif matériel.
Berkeley (1685-1703) : Aucune matière perceptible par
les sens n’existe hors d’un esprit pour la percevoir. La matière est bien
réelle, mais c’est l’esprit qui lui donne sa réalité ; en soi, la matière
n’existe pas.
Hume (1711-1776) : La science expérimentale est
principalement inductive. Elle doit se limiter à la découverte de lois, de
relations constantes. Et si notre raison ne peut accéder à leur nature ultime, elle
peut tenter de les dégager des faits par l’examen de ceux-ci.
Kant (1724-1804) : C’est le sujet qui façonne la réalité
qui l’entoure. Il construit son propre réel par l’expérience mais une part de
ce dernier lui échappe toujours (idéalisme transcendantal)
Hegel (1770-1831) : il refuse toute dissociation entre
la pensée et la réalité : « tout ce qui est rationnel est réel ;
tout ce qui est réel est rationnel »
Heidegger (1889-1976) : La science ne donne pas accès au
réel. Seule une pensée plus méditative et contemplative permet de l’approcher.
Le cercle de Vienne (début XXème siècle) : Le réel est
défini par les sciences. La philosophie est une élucidation des propositions scientifiques par l’analyse
logique ; elle se réduit à une théorie de la connaissance. Cette
conception suit la thèse principale de Ludwig Wittgenstein : la plupart
des énoncés métaphysiques seraient dénués de sens , et, lorsqu’ils ne le sont
pas, ils ne portent pas sur le monde, mais sur le langage.
Et maintenant, à mon goût le grand manquant :
Auguste Comte (1798-1857) : Il est possible d’arriver
à une connaissance « positive » du monde, c’est-à-dire certaine,
précise, relative ( ie, qui relie les phénomènes entre eux mais s’interdit la
considération des causes premières ou des fins dernières), organisatrice ( qui
s’organise en un système cohérent). Toutes nos conceptions passent d’abord par un stade
théologique, puis métaphysique, puis positif. Les sciences sont passées à l’état positif dans l’ordre
suivant : mathématique-astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie.
Ceci dit, la science reste une « synthèse subjective », c’est le
monde vu par l’homme.
Et, ceci dit, il me paraissait un peu rude de présenter le
Cercle de Vienne sans mentionner sa filiation comtienne (il se réclame d’un positivisme
logique) et sans avoir auparavant mentionné le positivisme de Comte
Depuis les Grecs, la
science et l’interrogation philosophique sur le réel marchent ensemble…
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