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dimanche 17 août 2014

Les deux cultures : réconcilier la science et les humanités (3)


L’émission de Raphaël Enthoven sur France Culture, le Gai Savoir, mérite bien son titre, tant le philosophe, avec sa comparse Paola Raiman nous fait découvrir texte philosophiques et littéraires avec clarté, enthousiasme et gaieté – espérons qu’elle sera reconduite en 2016.  C’est en réécoutant les deux émissions consacrées  à Merleau-Ponty  et à l’ Œil et l’esprit que j’ai eu envie de réagir  tant l’idée de la science développée par Merleau-Ponty et commentée par Enthoven est en opposition avec une philosophie qui m‘est chère, le Positivisme d’Auguste Comte. Merleau-Ponty  développe l’idée d’une opposition totale entre art et science : « « La peinture habite le monde contrairement à la science », « La science manipule les choses mais renonce à les habiter » « quand on donne un concept aux choses, on les squelettise ».  Et pourquoi pas aussi la vieille antienne de Chateaubriand « Les mathématiques dessèchent l’imagination »?

Science et art : La conception unitaire du Positivisme

Cette vieille scie romantique de l’opposition entre science et art  est radicalement récusée par le Positivisme. Les sciences et les arts sont deux conceptions jumelles de l’esprit humain, deux créations mentales, qui, loin de s’opposer, obéissent aux mêmes lois et se fécondent l’une l’autre.

Cette idée a notamment été développée par le positiviste allemand Dühring (E. Dühring, Appréciation d'Auguste Comte, Revue Occidentale, seconde série, tome XVIII (1898), p. 228 ) Dühring y commente l’essai de Sophie Germain (Considérations générales sur l'état des sciences et des lettres aux différentes époques de leur culture, Paris, 1833. De façon intéressante, l’œuvre principale de  Sophie Germain, mathématicienne et physicienne, hautement considérée par Comte comme précurseur du Positivisme et honorée d’une journée dans le calendrier Comtien), a été la détermination  des équations déterminant les déformations des surfaces élastiques à la suite des superbes expériences de Chladni montrant les formes géométriques fascinantes générées par des grains de sables disposés sur des plaques vibrantes excitées de diverses façons ( une belle expérience ? faut-il dire performance ? contemporaine à https://www.youtube.com/watch?v=_GRlHjC1-DE) . Son oeuvre scientifiques résulte au moins en partie d‘une émotion esthétique !
 

 
Le texte de Dühring :

« Le petit travail posthume de Sophie Germain sur l'état des sciences prouve d'une manière éclatante qu'à l'époque où surgit Comte, les analogies des méditations mathématiques influaient puissamment sur la formulation plus exacte des pensées philosophiques… Ce qu'on a trouvé dans ses papiers et ce qui a été édité sous le titre suivant : Considérations générales sur l'état des sciences et des lettres aux différentes époques de leur culture (Paris, 1833), ne comprend rien moins, malgré le peu d'étendue du travail, qu'un programme logique et esthétique des caractères fondamentaux d'une constitution précise de l'ensemble de la science, ainsi que de la production littéraire et artistique dans l'avenir. L'auteur de ce travail attaque avec raison l'hypothèse fondamentale, d'ailleurs insoutenable, du système de Kant, à savoir que la logique n'a pas une valeur absolue et que le type du savoir, représenté dans notre pensée par l'intermédiaire des formes de l'intuition mathématique (mathematische Vorstellungsform), ne s'applique pas à toute sorte d'existence en général et en soi, mais seulement à ce qu'on appelle les phénomènes. Dans la conception de Mme Germain, unitaire au plus haut degré, il n'existe qu'un principe fondamental unique, commun aux productions de l'imagination et de la raison, c'est-à-dire celui de l'ordre et de la proportion des parties, ou, comme on pourrait dire plus justement, la loi et l'harmonie… En esthétique, elle développe les conséquences d'une vue ingénieuse, à savoir les relations intimes et non pas seulement formelles qui existent entre la production esthétique d'une part et les travaux purement scientifiques de l'autre. Ses méditations profondes allaient fort au-delà des notions purement exactes et lui faisaient entrevoir une époque où le penchant artistique inné à l'Humanité, par rapport à la conception du monde et de la vie, reprendra de nouveau ses droits, et il n'aura alors d'autre objet — après s'être dépouillé des errements qui ne sont autres que les systèmes métaphysiques et religieux — que la réalité rigoureuse des choses. Cette anticipation, d'ailleurs très naturelle, d'un point de vue plus élevé en philosophie n'est chez notre auteur qu'une conséquence de sa vue fondamentale, à savoir que l'imagination et l'intelligence constituent une fonction identique et que le raisonnement ne vient qu'à la suite des imaginations, de la fantaisie…

Au savoir positif et exact incomberait le rôle de transformer les vues fictives sur le monde et la vie en vérités rigoureuses, sans flétrir la fleur de poésie qui embellit les fictions des premiers âges. Au contraire, les beautés véritables n'apparaîtraient qu'avec la vérité naturelle, dépouillée par la science rigoureuse de ses atours fictifs. La science devra prendre une tournure plus artistique, et l'art se mêler davantage d'éléments scientifiques. L'investigation scientifique et la poésie devront être reliées par un lien commun, et l'idée que ce qui, dans la réalité pleine et entière, n'apparaît que comme une divagation perturbatrice, fait place, après un temps relativement court et d'une façon constante, à une régularité plus puissante et plus élevée, finira par nous apparaître comme un accomplissement des exigences et des aspirations de nos besoins moraux et esthétiques.

E. Duhring, Appréciation d'Auguste Comte, Revue Occidentale, seconde série, tome XVIII (1898), p. 228

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