Menace sur les barrages
français : mise en demeure de la Commission
On avait déjà vu les
dégâts causés par la privatisation de la production électrique en Californie,
ce sont maintenant les barrages et l’électricité hydro-électriques française
qui sont dans le collimateur des fous libéraux de la Commission Européenne. Il est vrai que la France ne peut pas faire
semblant de découvrir le problème (cf mon billet précédent : Electricité :
vers le grand noir !
Donc la Commission
Européenne veut imposer la concurrence sur l’énergie hydroélectrique, Pourtant, il
s’agit d’ un marché naturellement limité et concernant des ressources publiques
– 1) on ne peut pas construire autant de barrages que l’on veut. 2) C’est une
industrie où la sécurité est primordiale et le profit ne peut être le seul
moteur – les barrages ont tué plus que le nucléaires. 3) C’est un secteur qui a
été relativement négligé ces dernières années et qui nécessite de gros
investissements, pour la sécurité et aussi pour augmenter la productivité, et les
expériences étrangères montrent que les opérateurs privés ne les feront pas. 4)
Enfin, l’énergie hydroélectrique constitue une énergie durable et écologique au
plus haut point, et une énergie d’appoint mobilisable à volonté lorsqu’une
pénurie menace, justement ce dont nous avons le plus grand besoin !
En France,
cette politique de le Commission a trouvé un relais dévoué avec la Cour des
Comptes, qui a cru bon d’appuyer la demande européenne de mise en concurrence
des barrages hydroélectriques ; ils connaissent tellement bien le sujet
qu’il a d’ailleurs fallu leur expliquer gentiment que la concession, pour des
raisons techniques évidentes, ne pouvait se faire barrage par barrage, mais par
vallées entières. La Cour des Comptes, ce sont des comptables et pas des
stratèges industriels !
Les
Allemands ont gentiment expliqué à la Commission que leurs monopoles régionaux
équivalent à une concurrence au niveau national, et que donc, ils ne feraient
rien ; les Portugais se sont
dépêchés de faire passer leurs concessions de service public sur l’hydroélectrique
à cent ans ; l’Autriche a choisi 80 ans, ce qui laisse aussi le temps de
voir venir les prochaines Commissions. La Norvège et la Suède ont carrément
choisi de garder le contrôle public de leurs barrages – ce qui n’empêche pas
les Suédois d’être candidats à la reprise de barrages en France.
En France, nous n’avons rien fait, et nous
voilà au pied du mur puisque la Commission vient d’envoyer début novembre 2015 une mise en demeure extrêmement sèche, comme le révèle notamment Mediapart du 3 novembre 2015 :
« La Commission considère que les mesures par lesquelles les autorités
françaises ont attribué à EDF et maintenu à son bénéfice l’essentiel des
concessions hydroélectriques en France sont incompatibles avec l’article 106 du
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. ». Missive ou missile
de Margareth Vestager expédié à Laurent Fabius. La seule réaction du
gouvernement français semble être de faire semblant de n’avoir pas reçu la mise
en demeure en question, et le manque de réponse appropriée provoque
l’inquiétude.
Cette
politique de l’ignorance ayant brillamment réussi, il semble que nous ayons
décidé de la continuer. Le flou des intentions du gouvernement et du Ministère
de l’Ecologie concerné au premier chef entretient une inquiétude légitime qui
augmente, notamment à EDF. D’autant que la solution que semblait envisager
Ségolène Royal ( la constitution de société d’économie mixte impliquant les collectivités locales »)
n’est guère rassurante au vu dont sont gérées les concessions de fournitures d’eau,
guère rassurante pour la sécurité de l’approvisionnement en France, pour
l’investissement, pour la sécurité, hydraulique, mais aussi nucléaire, pour l’intérêt
du consommateur- la rente hydraulique se trouvant confisquée par des actionnaires
privés
La façon
dont la France s’est tirée une balle dans le pied est instructive : loi
Sapin de 1993 obligeant à la mise en concurrence lors du renouvellement de
concession ; abandon du statut de service public d’EDF en 2006 ;
absence de réaction en 2011 lors de la directive européenne sur les
concessions, où il aurait été encore possible d’exclure les barrages
hydroélectriques, comme l’ont fait les Allemands. Et c’est ainsi que nous nous
retrouvons les seules à passer sous la fourche caudine de la concurrence libre
et non faussée, dogme exclusif du culte de la Commission.
Tant et si
bien que la France se retrouverait la seule en Europe à ouvrir ses
barrages hydroélectriques à la
concurrence, alors qu’elle possède le deuxième réseau européen, amorti, et qui
produit l’énergie la moins chère entre 20 et 30 euros le Megawatt.heure ,
contre 50 euros pour le nucléaire et 80 euros pour l’ éolien et le solaire.
Comme Mediapart l’indique dans son article,
« cette remise en cause est lourde de conséquences, non seulement pour
EDF, mais pour l’ensemble du système électrique français. Représentant un peu
plus de 12% de la production électrique en France, les barrages constituent la
seule énergie stockable, disponible à tous moments, pour assurer la continuité
sur le réseau face aux consommations de
pointe et aux intermittences de la production, devenues de plus en plus
fréquentes avec l’émergence des autres énergies renouvelables. ( éolien et
solaire). Ce sont aussi les barrages qui soutiennent la sûreté du parc nucléaire
français, bâti au bord de l’eau, en fournissant l’eau nécessaire au
refroidissement des centrales ».
Les
spécificités du Parc Français, et notamment le lien entre l’hydraulique et la
sécurité nucléaire devraient permettre d’échapper aux mises en demeures de la
Commission, encore faudrait-il que les politiques rattrapent leurs multiples
erreurs précédentes et indiquent une volonté claire de préserver la propriété
publique de l’hydraulique français.
L’hydraulique
n’est qu’un exemple, l’un des plus inquiétant, d’une politique industrielle à
vau-l’eau…inexistante depuis qu’elle est abandonnée aux économistes et à leurs dogmes. En témoigne, d’une
certaine façon, un article du très libéral Le Boucher dans le très libéral L’Opinion : La ruine des industries
gaullo-pompidoliennes (L’Opinion, 25
Octobre 2015). Citations : « Le donjon n’en est plus un. EDF n’a pas
la force d’éclairer seul les Français. Des industries nées de la volonté du général de Gaulle et de la
pugnacité de Georges Pompidou, il ne va bientôt plus rester grand-chose. Toutes
ces puissances, adossées à l’Etat interventionniste, sont en ruines ou proche
de l’être.
Dans cet
espace hier fortifié, EDF était le donjon. Premier groupe d’énergie électrique
dans le monde, des ingénieurs les meilleurs, des employés à haut dévouement,
une image d’excellence entretenue par ces hommes en haut des pylônes dans les
tempêtes d’hiver, raccordant les populations isolées…. Mais surtout, cet aveu
de Jean-Bernard Lévy : le groupe n’aura pas la capacité financière de
construire seul ses centrales, il lui faudra trouver des partenaires.
On a bien lu
: le donjon n’en est plus un. EDF n’a pas la force d’éclairer seul les
Français. Déjà qu’il a perdu son monopole mais en plus, pour ce qui le
concerne, pour sa part de marché, il n’a pas les moyens financiers. En clair,
il faut des «partenaires» et comme EDF a dû le faire en Grande-Bretagne, les
Chinois seront sans doute parmi eux.
Se rend-on
bien compte de la situation de la France ? EDF contraint de faire comme un
vulgaire Peugeot appel aux Chinois... La France gaullo-pompidolienne n’a plus
de courant. Coupure. Sans Chinois, ou d’autres, nous devrions faire le noir
pendant des heures de la journée, comme le Venezuela.
La France
n’a plus les moyens d’être autonome pour son électricité. On cauchemarde.
Mais EDF
n’est pas seul. Faites le tour du paysage, c’est pire.. »
Ah ben oui,
très chers, dans tous les sens, économistes libéraux. Mais il était urgent, n’est-ce
pas, de briser le monopole EDF, d’ouvrir le marché électrique la concurrence,
de casser EDF en deux en cédant GDF au privé, suscitant de manière totalement
artificielle et avec d’énormes avantages un concurrent privé. La concurrence
libre et non faussée plutôt que la stratégie industrielle. Et après cela, on
s’étonne qu’EDF ne soit plus assez gros pour assurer l’approvisionnement en
électricité des Français ?
Un petit mea culpa ? L’abandon de la
priorité absolue à la concurrence libre et non faussée ? Le retour de la stratégie
industrielle ? A l’échelle
européenne ? D’autres idées ?
Le barrage de la
Rance restera-t-il français ?
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