Le 18 août 1966
- Cinquantième anniversaire de la Révolution Culturelle, un anniversaire oublié
Des
millions de gardes rouges venant des quatre coins du pays se rassemblèrent à
Pékin. Le 18 août, du haut de Tien'anmen, Mao et Lin Biao firent de fréquentes
apparitions pour se faire acclamer par environ un million de gardes rouges. Mao
accepta et porta le brassard qui servait d'insigne à l'une des factions de
l'école moyenne dépendant de l'université de Qinghua, où les gardes rouges
avaient massacré l’une de leurs professeurs. Le brassard était rouge avec l'inscription
Hong Weibing (« Gardes rouges ») en lettres dorées. Ce brassard lui fut remis
par Song Binbin, la fille d'un des Huit immortels du Parti communiste chinois.
Mao attise la rébellion par ses discours : « on a toujours raison de se
révolter » et « nous ne voulons pas la gentillesse, nous voulons la
guerre ». Des mots d’ordre qui fascineront aussi certains actuels occidentaux.
En réalité, ce fut le déchainement d’une barbarie avec peu de précédents, du
moins à cette échelle.
La
Révolution culturelle est responsable de la mort de centaines de milliers de
personnes. Certains auteurs, comme le sinologue Jean-Luc Domenach, ou
l'historien Stéphane Courtois dans l'ouvrage collectif Le Livre noir du communisme, estiment le nombre de morts à
plusieurs millions. Intellectuels, professeurs, artistes, cadres du Parti sont
publiquement humiliés et parfois massacrés en publics par leurs élèves ou
subordonnés Gardes Rouges lors de séances de lutte ou d’autocritique. Le volet
« culturel » de cette révolution tient en particulier à éradiquer les valeurs
traditionnelles. C'est ainsi que des milliers de sculptures et de temples
(bouddhistes pour la plupart, mais aussi lieux de pèlerinage confucéens) sont
détruits. L'écrivain chinois Youqin Wang indique que la majorité des victimes
trouvèrent la mort sur leurs lieux de vie et non dans des camps. Il s'agissait
des sessions de lutte et ces assassinats permettaient d'« obtenir la soumission
de la population par la terreur ». Bien
pire, il y eut dans certaines régions autonomes des centaines de cas de
cannibalisme, non à cause de la faim, comme sous le Grand Bond, mais par pure
barbarie : « Ce jour-là, l’école secondaire de Tongling était en pleine
effervescence culinaire : dans les cuisines, on cuisait de la chair humaine ;
dans les dortoirs des professeurs, on cuisait de la chair humaine ; dans
l’internat des filles, on cuisait de la chair humaine ; sous les auvents devant
les salles de classe, on grillait de la chair humaine ; dans la cour de
l’école, on grillait de la chair humaine. » (extrait de l’enquête mené par
l’écrivain Zheng Yi dont le régime tantôt interdit, tantôt laisse filtrer les
écrits). Pour l'historien chinois Song Yongyi, qui avance le chiffre de trois
millions de morts, c'est en 1968 que les
massacres et les violences furent surtout perpétrés, après la mise en place des
comités révolutionnaires, les assassins étant pour la majorité des «
militaires, des miliciens armés et des apparatchiks du Parti ». De fait, les
exactions des Gardes Rouges furent suivies par une répression impitoyable, une
fois qu’ils eurent perdu leur utilité pour Mao. Et pour faire rentrer dans
l’ordre une jeunesse dont il se méfiait après l’avoir instrumentalisée, le
régime inventa l’envoi systématique et forcé à la campagne des jeunes urbains (près de 17 millions, entre 1968 et 1980)
La Révolution
culturelle aujourd’hui
A
l’occasion de ce tragique anniversaire, le régime a fait un service minimum,
mais clair. Le 17 mai 2016, le Quotidien du Peuple prend position contre la
révolution culturelle : « L’histoire a bien montré que, dans la pratique comme
dans la théorie, la révolution culturelle a été une erreur totale, en aucun cas
elle n’est et ne peut être vue comme une révolution ou un progrès social ».
Le régime
a laissé publier nombre de témoignages de garde rouges et censuré d‘autres.
Mais il est difficile de penser que le témoignage de Song Binbin en 2014 n’a
pas de signification politique. Song Binbin est cette jeune fille qui avait
remis à Mao le 16 aout 1966 le brassard des gardes rouges et Mao lui avait dit
« soit violente ! ». En 2014, Song Binbin, et plusieurs de ses
anciens camarades de classe ont présenté leurs excuses, exprimant regrets et
remords en présence de professeurs victimes de leurs violences. Dans une
interview aux Nouvelles de Pékin (Xinjingbao), Mme Song explique avoir
voulu présenter ses excuses, car elle avait rédigé le premier « dazibao »
(affiche en grands caractères) en juin, qui avait lancé la campagne de
critiques et de violences contre les professeurs dans l’école. Pour elle, le
temps pressait. Leurs victimes ont aujourd’hui entre 80 et 90 ans. « Je n’aurai
pas eu une nouvelle occasion de leur présenter des excuses » Et elle a
conclu : « Si nous ne comprenons pas profondément et si nous
n’examinons pas l’état d’esprit qui a permis la Révolution culturelle, de tels
incidents se reproduiront », a-t-elle dit.
Liberté d’exposition, de discussion d’appréciation
sur le maoïsme
Reste à
savoir pourquoi la condamnation de la Révolution culturelle reste si modeste,
ou pourquoi n’existe-t-il pas, me semble-t-il de Soljenitsyne chinois. 1) A
côté du Grand Bond en avant (plus de 35 millions de mort), la Révolution
culturelle reste anecdotique en terme de massacre (mais certainement pas quant
à sa résonance politique 2) Les Chinois n’ont pas le même rapport à l’histoire
que nous et entendent se consacrer au présent et au futur 3) Les Chinois ont le
même rapport à l’histoire que nous, et n’aiment pas réveiller les déchirements
des familles et multiples compromissions de cette période (dont témoignent à
l’occasion quelques romans ou films), pas plus que les Français n’aiment à
parler de l’Occupation ou de la guerre d’Algérie. 4) Le régime chinois craint qu’en
déboulonnant Mao de son statut d’idole, il perde toute légitimité ( oui mais
contrairement à l’URSS, il a su suffisamment se réformer pour me semble-t-il n’avoir
pas grand-chose à craindre 5) Chez ceux qui ont peu profité des réformes
économiques et qui voient les inégalités et la corruption exploser, une certaine
Mao nostalgie se développe – raison de plus pour que le régime autorise la
libre enquête historique, la liberté d’exposition, de discussion d’appréciation
sur le maoïsme.
Des
raisons très contradictoires que je viens d’exposer, on peut déduire que le régime
chinois agit avec beaucoup (trop) de prudence, sans avoir forcément une
doctrine précise sur le maoïsme.
Alors, y-aura-t-il
un Soljenitsyne chinois ? Il me semble qu’avec Youqin Wang (mais à
Chicago), Zheng Yi, auteur de L'Érable
(1979, réquisitoire contre la Révolution culturelle, en exil aux USA depuis
1989 –répression de Tien an Men), Song Yongyi (ancien garde rouge, auteur de
Les Massacres de la Révolution culturelle, aussi en exil aux USA depuis
1989), nous n’en sommes vraiment pas loin. Regrettons tout de même que la
communauté sinologique française, les intellectuels français et les Chinois de France
semblent absent de cette vague de fond de réflexion libre sur le passé et le
futur de la Chine. Mais peut-être, pour les intellectuels, devraient-ils
commencer par des excuses ? Parce que ce qui s’est passé en Chine ne les a
pas toujours laissé aussi silencieux !
Délires français
Ainsi,
Glucksmann, à Vincennes, criant Bas les Pattes devant la Chine Rouge,
brandissant le petit Livre Rouge et menaçant d’en bombarder les enseignants
opposés au maoïsme – il est vrai qu’il a ensuite avoué qu’il se sentait honteux
de cette période…mais tout en gardant à jamais du maïsme la même intolérance et
le même anti-russisme réflexe). Ainsi, Marie-Antoniette Machiocchi, auteur du
best seller De la Chine, publié grâce
à Sollers, déclarant sut tous les plateaux télé que la Révolution Culturelle inaugurerait
mille ans de bonheur ; ainsi, Sartre : « Mao, contrairement à Staline, n'a commis aucune faute » ; ainsi
Sollers « Mao libérait
l'humanité des valeurs bourgeoises» ; ainsi Kristeva:
«Mao a libéré les
femmes» et « résolu
la question éternelle des sexes»…
Le pire
évidemment, le dernier des derniers, Alain Badiou, qui en janvier 1979 alors
que le monde entier découvre l'ampleur des crimes de Pol Pot et de ses Khmers
rouges, ose écrire dans Le Monde une
tribune intitulée « Kampuchea vaincra ! », protestant contre l'« invasion du
Cambodge par cent vingt mille Vietnamiens » et prenant la défense de Pol Pot et des Khmers rouges «
la simple volonté de compter sur ses propres forces et de n'être vassalisé par
personne éclaire bien des aspects, y compris en ce qui concerne la mise à
l'ordre du jour de la terreur ».
Quand on
pense que l’antisarkozysme a suffit à remettre ce triste personnage en selle.
Alors, Badiou, une petite autocritique publique ?
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