La
Commission européenne, telle qu’en elle-même !
Le CETA (Comprehensive Economic and
Trade Agreement) Europe Canada qui est en cours d’adoption est l’aboutissement
d’un long processus lancé depuis 2004 visant à favoriser les échanges entre
l’Union Européenne et le Canada. De façon classique, le CETA implique la suppression des droits de douane
pour presque tous les produits, soit près de 98 % des droits de douanes entre
les deux régions ; de façon moins classique, plus novatrice, il vise aussi à lever assez largement les
barrières normatives et à favoriser intensivement la convergence des normes entre les deux
régions, et il constitue de ce point de vue un nouveau type de traité, qui
pose de nouvelles questions.
Comme d’habitude la Commission
Européenne a brillé par sa suffisance. Ainsi l’on nous explique qu’il faut être
idiot pour s’opposer au libre échange ; c’est pourtant par des traités de
libre échange que l’Angleterre au XIXème siècle a liquidé les concurrences
indiennes, turques et égyptiennes dans le coton et éliminé leurs industrie -
sans parler de ces traités que les Chinois ont eu l’intelligence de qualifier
de « traités inégaux » ; et c’est au contraire par une politique
protectionniste que les jeunes USA ont permis la naissance de leur industrie.
Il y a eu ensuite le feuilleton de l’opposition wallonne au traité et le
mépris, la fureur, les pressions envers le premier ministre wallon, le très
digne Paul Magnette (diplomé de
Cambridge et spécialiste de Tocqueville, pas un boute-feu marxiste), qui
a formulé des critiques pertinentes et obtenu des améliorations significatives
sur le processus d’arbitrage (Juncker : « L'interlocuteur
de la Commission n'est pas la Région wallonne, c'est le gouvernement fédéral.
Non, je ne suis pas nerveux, j'explique la Belgique aux Belges »).
Le même Juncker, décidément en forme, prétendant ensuite qu’il ne comprenait
pourquoi un accord commercial avec une des dictatures en stan était passé sans problème alors qu’un accord avec une
démocratie comme le Canada soulevait tant d’interrogations - ce qui est nous
prendre pour des idiots, car enfin ce ne sont pas du tout les mêmes
enjeux. Et la meilleure : Juncker
annonçant froidement, dans un grand bluff : « la Commission est
arrivée à la conclusion en raison d'une analyse juridique que ce n'est pas un
accord mixte", entendons par là, qu’il n’avait pas à être ratifié par les
Parlements Européens. Eh bien, non seulement il sera ratifié par les Parlements,
mais il semble qu’une initiative populaire au Pays-Bas imposera au moins dans
ce pays un referendum.
Et en effet pourquoi pas un referendum
européen ? Car ou bien nos grands dirigeants européens sont capables de
nous expliquer de manière claire et convaincante des bienfaits du CETA, ou bien
pas. Et si oui, nous pourrons l’approuver et voguer de conserve vers une
nouvelle ère du commerce international, et si non, nous en resterons pour un
temps encore à la situation existante. C’est pas dramatique.
Ceci
dit, le comble est que je suis convaincu que le CETA est un bon traité, amorce
d’un commerce international mieux régulé. Mais décidément, la Commission européenne a le don
de se faire détester, même lorsqu’elle travaille plutôt bien !
CETA
ou pas ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le
problème mérite réflexion. Ce nouveau type de traité vise à supprimer les
barrières des normes en assurant leurs convergences. D’une part, il est évident
qu’il existe des normes purement protectionnistes (sur les phares des
voitures…) qui visent simplement à dissuader une concurrence utile ;
d’autre part, il existe des normes environnementales, sanitaires. etc. qui sont
justifiées, d’autre barrières aussi, disons plus culturelles : si j’achète
du roquefort, du camembert, du lonzo, des calissons, du champagne, du Nuits
Saint Georges, du chocolat, je tiens légitimement à être sûr que ce que j’achète correspond à
ce que depuis quelques siècles on consomme sous ce nom dans mon pays. Un traité
comme le CETA peut favoriser la diffusion des normes vraiment utiles et
renforcer la protection internationale des appellations – ou le contraire. La
libéralisation des échanges est économiquement théoriquement souhaitable, mais
des économistes (Piketty notamment) soutiennent que des traités tels que le CETA
ne devraient plus être signés sans un accord préalable sur certaines conditions
environnementales (et notamment le traité de Paris sur la réduction des gaz à
effet de serre), sanitaires évidemment, sociales (droit du travail) et
fiscales, (tels un taux minimal d’imposition sur les entreprises). C’était
d’ailleurs en gros la conviction de Maurice Allais, l’autre et premier
polytechnicien « Prix Nobel »- qui n’en est pas vraiment un-
d’économie). Enfin, comme d’hab, les procédés et le langage de la Commission
Européenne sont détestables, idiots,
contre productifs –ce qui ne signifie pas forcément qu’elle ait tort en en
défendant le CETA. Pour une fois, Le
Monde, associé à un site allemand Correctiv.org, en dépouillant et
discutant les deux mille pages du traité a fait un vrai travail d’information…
dont le résultat est que même les experts s’interrogent sur les interprétations
et conséquences de ce qui a été signé.
Je renvoie à la série d’articles du Monde Au Cœur du CETA, (qui mériterait d’être éditée à part). Je
m’efforce de donner une idée des principaux sujets traités dans le paragraphe
suivant, mais je donne tout de suite ici ma conclusion (provisoire- elle a
besoin d’être étayée par des éclaircissements sur les points soulevés) :
oui, ce traité, qui constituera une véritable innovation, comporte des risques, mais, parce que certains
d’entre eux ont été identifiés et pris en compte, et surtout parce que le Canada et l’Union Européenne ont
une vision générale de la société assez proche, il me semble, sous réserve
d’une information plus complète, d’un débat plus approfondi, que les bénéfices l’emportent sur les risques.
Les
points soulevés dans les articles du Monde
et de correctiv.org, (Au coeur du CETA).
Les
tribunaux d’arbitrages : les adversaires du CETA semblent parfois découvrir que tout accord
international de commerce et d’investissement établit un système
d’arbitrage – et il y en a plus de 3000 en vigueur actuellement. Si un Etat vote une loi qui réduit les profits
d’une entreprise de façon discriminatrice,
celle-ci peut le poursuivre en justice devant un tribunal arbitral.
Les entreprises n’ont pas attendus ce
type d’accord pour se livrer à des intimidations afin de protéger leurs
intérêts cf. Mac Donald qui demande 20 millions de dollar à la ville de
Florence pour avoir refusé l’ouverture d’une restaurant sur la Piazza del
duomo.
Une entreprise pourra-t-elle comme on
l’a dit attaquer un Etat qui prendrait par exemple des mesures sociales ou
environnementales qui diminueraient ses bénéfices ? Les entreprises
doivent « bénéficier d’un traitement juste et équitable, être protégées
contre toute discrimination fondée sur leur nationalité et contre toute
expropriation de la part d’un Etat ». L’interprétation peut-être
large ; par exemple en 2012, la suédoise Vattenfall a recouru à un
tribunal arbitral pour réclamer 4,7 milliards
de dollars au gouvernement allemand, en compensation de la fermeture de ses
deux centrales nucléaires, consécutive à la décision d’Angela Merkel
d’abandonner l’énergie nucléaire. L’affaire
n’est toujours pas tranchée, mais il faut dire que Vattenfall venait d’investir
des sommes considérables dans le remise à niveau de ces centrales, se fiant à
des déclarations du gouvernement allemand favorables à la continuation de
l’exploitation…avant Fukushima… Autre exemple, les cabaretiers américains
tentent d’attaquer l’ Australie qui les aurait dépouillé de la propriété de
leur marque en imposant le paquet neutre
( ce que vient de faire la France).
Le CETA présente un certain nombre de garde fous
contre ces excès. La mesure attaquée
doit être discriminatrice. l’Europe
et le Canada ont introduit des clauses pour garantir « leur droit
de réglementer […] en
vue de réaliser des
objectifs légitimes en matière de politique, tels que
la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement ou
de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la
promotion et la protection de la diversité culturelle ». Enfin,
sous la pression très utile de la Wallonie et de Paul Magnette, l’Europe
a obtenu un tribunal d'arbitrage particulier, qui exclut les arbitres
habituels (souvent avocats d'affaires aux multiples conflits d'intérêts
désignés ad hoc pour chaque cas), et est un tribunal
"permanent" et "transparent" (mandats de 5 à 10 ans et
arbitres désignés par les Etats).
Donc au niveau de la procédure d’arbitrage, le CETA
semble bien plus satisfaisant que la plupart des traités existants
.L’agriculture :
En matière agricole, le CETA étend considérablement les quota d’importation
canadiens en Europe (Bœuf : 60 788 contre 7 640, Porc 75 000 contre
12 500, Blé tendre : 100 000 tonnes contre 38 853, Maïs doux : 8 000
tonnes contre 1 333). Pour autant, ces taux restent très faibles (0.6% du
marché européen, mais peut-être plus en valeur ?) l’augmentation sera
progressive, et en cas de déséquilibre soudain du marché, des clauses de
sauvegarde peuvent être activées. Les normes européennes restent : pas de
bœuf aux hormones, de poulets lavés à l’eau de Javel, ni d’OGM
(pourquoi ?) Par contre, l’utilisation d’antibiotique dans les élevages
(quantité et nature des antibiotiques) ne semble pas avoir été évoquée. Or,
elle a une implication évidente sur la santé humaine (dissémination des
résistances) ; il faudrait corriger ce point, qui devrait d’ailleurs faire
l’objet d’une action vigoureuse de l’Organisation Mondiale de la Santé. Par
contre, le traité sera extrêmement favorable pour la protection des indications
géographiques protégées, un grand atout de l’agriculture française.
Le traité
sur le climat : Le CETA a été
attaqué comme pouvant entrainer des importations plus importantes de gaz de
schistes, contraires aux engagements de l’Europe dans la réduction des gaz à
effets de serre. En effet, contractuellement l’Europe ne peut empêcher
l’importation de produits canadiens à haut effets de serre, mais les prix
actuels des produits pétroliers ne favorisent pas du tout cette hypothèse. Et dans
le futur, ou la politique climatique sera un succès international, ou elle ne
sera pas. Une firme ne pourra contester des réglementations environnementales
et favorisant la lutte contre le réchauffement climatique que si elles sont
discriminatoires.
Les services
publics : Le CETA introduit un
système de listes négatives, c’est-à-dire de secteurs dans lesquels les
services peuvent être assurés par un monopole public et non soumis à la
concurrence. L’Union a fait inscrire dans
le CETA une clause protégeant tous les « services
reconnus d’utilité publique au niveau national ou local » ce qui
laisse à la France comme à la Mairie de Tulle toute latitude pour définir ce
qu’est un service public à ses yeux. SNCF Réseau pourra conserver son monopole
sur le réseau ferroviaire français, et Enedis (ex-ERDF) son quasi-monopole sur
la distribution de l’électricité. Les régies municipales pourront aussi
continuer à distribuer l’eau dans leur commune. L’UE a ajouté des garanties
spécifiques pour protéger l’éducation, la santé et les services sociaux.
Finalement, les services publics sont mieux protégés
par le CETA que par les traités européens !
De plus, si un pays ou une collectivité locale veulent
replacer dans le service public des activités concédées au privé ou
nationaliser de nouvelles activités, eh bien le CETA permet de le faire, encore
une fois grâce à la Wallonie. Bruxelles et Ottawa ont écrit une déclaration
interprétative du CETA qui assure que l’accord « n’empêchera pas les gouvernements de fournir des services publics
précédemment assurés par des fournisseurs privés ni de ramener sous le contrôle
public des services qu’ils avaient choisi de privatiser ».
Le CETA une
porte ouverte sans contrôle : Une
autre inquiétude s’est fait jour ; le CETA pourrait servir de cheval de
troie pour notamment de nombreuses multinationales américaine qui pourraient
passer par leur filiale canadienne pour en bénéficier. Tirant les leçons de
précédents traités d’arbitrage et de leur détournement, une disposition a été prise pour exiger qu’une entreprise
lançant une procédure d’arbitrage contre un Etat européen ait des « activités
commerciales substantielles » au Canada, ou soit la filiale d’une
entreprise canadienne.
Donc, oui, plutôt un bon traité, sans doute l’un des
meilleurs traités de libéralisation des échanges qui ait été signé. Il
permettra notamment aux entreprises européennes de répondre aux appels d’offre
canadiens… alors que l’inverse était déjà possible depuis longtemps ; donc
une avancée positive, mais convenons tout de même que c‘était encore, de la
part des institutions européennes, une curieuse position de départ pour une
négociation ; soyez gentils, accordez-nous ce que nous vous avons déjà
accordé !