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dimanche 27 novembre 2016

Le CETA : Plutôt oui pour un bon traité


La Commission européenne, telle qu’en elle-même !

Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) Europe Canada qui est en cours d’adoption est l’aboutissement d’un long processus lancé depuis 2004 visant à favoriser les échanges entre l’Union Européenne et le Canada. De façon classique, le CETA  implique la suppression des droits de douane pour presque tous les produits, soit près de 98 % des droits de douanes entre les deux régions ; de façon moins classique, plus novatrice, il vise aussi à lever assez largement les barrières normatives et à favoriser intensivement  la convergence des normes entre les deux régions, et il constitue de ce point de vue un nouveau type de traité, qui pose de nouvelles questions.
Comme d’habitude la Commission Européenne a brillé par sa suffisance. Ainsi l’on nous explique qu’il faut être idiot pour s’opposer au libre échange ; c’est pourtant par des traités de libre échange que l’Angleterre au XIXème siècle a liquidé les concurrences indiennes, turques et égyptiennes dans le coton et éliminé leurs industrie - sans parler de ces traités que les Chinois ont eu l’intelligence de qualifier de « traités inégaux » ; et c’est au contraire par une politique protectionniste que les jeunes USA ont permis la naissance de leur industrie. Il y a eu ensuite le feuilleton de l’opposition wallonne au traité et le mépris, la fureur, les pressions envers le premier ministre wallon, le très digne Paul Magnette (diplomé de Cambridge et spécialiste de Tocqueville, pas un boute-feu marxiste), qui a formulé des critiques pertinentes et obtenu des améliorations significatives sur le processus d’arbitrage (Juncker : « L'interlocuteur de la Commission n'est pas la Région wallonne, c'est le gouvernement fédéral. Non, je ne suis pas nerveux, j'explique la Belgique aux Belges »). Le même Juncker, décidément en forme, prétendant ensuite qu’il ne comprenait pourquoi un accord commercial avec une des dictatures en stan était passé  sans problème alors qu’un accord avec une démocratie comme le Canada soulevait tant d’interrogations - ce qui est nous prendre pour des idiots, car enfin ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux.  Et la meilleure : Juncker annonçant froidement, dans un grand bluff : « la Commission est arrivée à la conclusion en raison d'une analyse juridique que ce n'est pas un accord mixte", entendons par là, qu’il n’avait pas à être ratifié par les Parlements Européens. Eh bien, non seulement il sera ratifié par les Parlements, mais il semble qu’une initiative populaire au Pays-Bas imposera au moins dans ce pays un referendum.

Et en effet pourquoi pas un referendum européen ? Car ou bien nos grands dirigeants européens sont capables de nous expliquer de manière claire et convaincante des bienfaits du CETA, ou bien pas. Et si oui, nous pourrons l’approuver et voguer de conserve vers une nouvelle ère du commerce international, et si non, nous en resterons pour un temps encore à la situation existante. C’est pas dramatique.

Ceci dit, le comble est que je suis convaincu que le CETA est un bon traité, amorce d’un commerce international mieux régulé. Mais  décidément, la Commission européenne a le don de se faire détester, même lorsqu’elle travaille plutôt bien !

CETA ou pas ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le problème mérite réflexion. Ce nouveau type de traité vise à supprimer les barrières des normes en assurant leurs convergences. D’une part, il est évident qu’il existe des normes purement protectionnistes (sur les phares des voitures…) qui visent simplement à dissuader une concurrence utile ; d’autre part, il existe des normes environnementales, sanitaires. etc. qui sont justifiées, d’autre barrières aussi, disons plus culturelles : si j’achète du roquefort, du camembert, du lonzo, des calissons, du champagne, du Nuits Saint Georges,  du chocolat,  je tiens légitimement  à être sûr que ce que j’achète correspond à ce que depuis quelques siècles on consomme sous ce nom dans mon pays. Un traité comme le CETA peut favoriser la diffusion des normes vraiment utiles et renforcer la protection internationale des appellations – ou le contraire. La libéralisation des échanges est économiquement théoriquement souhaitable, mais des économistes (Piketty notamment) soutiennent que des traités tels que le CETA ne devraient plus être signés sans un accord préalable sur certaines conditions environnementales (et notamment le traité de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre), sanitaires évidemment, sociales (droit du travail) et fiscales, (tels un taux minimal d’imposition sur les entreprises). C’était d’ailleurs en gros la conviction de Maurice Allais, l’autre et premier polytechnicien « Prix Nobel »- qui n’en est pas vraiment un- d’économie). Enfin, comme d’hab, les procédés et le langage de la Commission Européenne  sont détestables, idiots, contre productifs –ce qui ne signifie pas forcément qu’elle ait tort en en défendant le CETA. Pour une fois, Le Monde, associé à un site allemand Correctiv.org, en dépouillant et discutant les deux mille pages du traité a fait un vrai travail d’information… dont le résultat est que même les experts s’interrogent sur les interprétations et conséquences de ce qui a été signé.

Je renvoie à la série d’articles du Monde Au Cœur du CETA, (qui mériterait d’être éditée à part). Je m’efforce de donner une idée des principaux sujets traités dans le paragraphe suivant, mais je donne tout de suite ici ma conclusion (provisoire- elle a besoin d’être étayée par des éclaircissements sur les points soulevés) : oui, ce traité, qui constituera une véritable innovation,  comporte des risques, mais, parce que certains d’entre eux ont été identifiés et pris en compte, et surtout  parce que le Canada et l’Union Européenne ont une vision générale de la société assez proche, il me semble, sous réserve d’une information plus complète, d’un débat plus approfondi, que les bénéfices l’emportent sur les risques.

Les points soulevés dans les articles du Monde et de correctiv.org, (Au coeur du CETA).  

Les tribunaux d’arbitrages : les adversaires du CETA  semblent parfois découvrir que tout accord international de commerce et d’investissement établit un système d’arbitrage – et il y en a plus de 3000 en vigueur actuellement.  Si un Etat vote une loi qui réduit les profits d’une entreprise de façon discriminatrice, celle-ci peut le poursuivre en justice devant un tribunal arbitral.
Les entreprises n’ont pas attendus ce type d’accord pour se livrer à des intimidations afin de protéger leurs intérêts cf. Mac Donald qui demande 20 millions de dollar à la ville de Florence pour avoir refusé l’ouverture d’une restaurant sur la Piazza del duomo.
Une entreprise pourra-t-elle comme on l’a dit attaquer un Etat qui prendrait par exemple des mesures sociales ou environnementales qui diminueraient ses bénéfices ? Les entreprises doivent « bénéficier d’un traitement juste et équitable, être protégées contre toute discrimination fondée sur leur nationalité et contre toute expropriation de la part d’un Etat ». L’interprétation peut-être large ; par exemple en 2012, la suédoise Vattenfall a recouru à un tribunal arbitral pour réclamer 4,7 milliards de dollars au gouvernement allemand, en compensation de la fermeture de ses deux centrales nucléaires, consécutive à la décision d’Angela Merkel d’abandonner l’énergie nucléaire. L’affaire n’est toujours pas tranchée, mais il faut dire que Vattenfall venait d’investir des sommes considérables dans le remise à niveau de ces centrales, se fiant à des déclarations du gouvernement allemand favorables à la continuation de l’exploitation…avant Fukushima… Autre exemple, les cabaretiers américains tentent d’attaquer l’ Australie qui les aurait dépouillé de la propriété de leur marque en  imposant le paquet neutre ( ce que vient de faire la France).
Le CETA  présente un certain nombre de garde fous contre ces excès. La mesure attaquée doit être discriminatrice. l’Europe et le Canada ont introduit des clauses pour garantir « leur droit de réglementer […] en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement ou de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité culturelle ». Enfin, sous la pression très utile de la Wallonie et de Paul Magnette, l’Europe a obtenu un tribunal d'arbitrage particulier, qui exclut les arbitres habituels (souvent avocats d'affaires aux multiples conflits d'intérêts désignés ad hoc pour chaque cas),   et est un tribunal "permanent" et "transparent" (mandats de 5 à 10 ans et arbitres désignés par les Etats).
Donc au niveau de la procédure d’arbitrage, le CETA semble bien plus satisfaisant que la plupart des traités existants
.L’agriculture : En matière agricole, le CETA étend considérablement les quota d’importation canadiens en Europe (Bœuf : 60 788 contre 7 640, Porc 75 000 contre 12 500, Blé tendre : 100 000 tonnes contre 38 853, Maïs doux : 8 000 tonnes contre 1 333). Pour autant, ces taux restent très faibles (0.6% du marché européen, mais peut-être plus en valeur ?) l’augmentation sera progressive, et en cas de déséquilibre soudain du marché, des clauses de sauvegarde peuvent être activées. Les normes européennes restent : pas de bœuf aux hormones, de poulets lavés à l’eau de Javel, ni d’OGM (pourquoi ?) Par contre, l’utilisation d’antibiotique dans les élevages (quantité et nature des antibiotiques) ne semble pas avoir été évoquée. Or, elle a une implication évidente sur la santé humaine (dissémination des résistances) ; il faudrait corriger ce point, qui devrait d’ailleurs faire l’objet d’une action vigoureuse de l’Organisation Mondiale de la Santé. Par contre, le traité sera extrêmement favorable pour la protection des indications géographiques protégées, un grand atout de l’agriculture française.
Le traité sur le climat : Le CETA a été attaqué comme pouvant entrainer des importations plus importantes de gaz de schistes, contraires aux engagements de l’Europe dans la réduction des gaz à effets de serre. En effet, contractuellement l’Europe ne peut empêcher l’importation de produits canadiens à haut effets de serre, mais les prix actuels des produits pétroliers ne favorisent pas du tout cette hypothèse. Et dans le futur, ou la politique climatique sera un succès international, ou elle ne sera pas. Une firme ne pourra contester des réglementations environnementales et favorisant la lutte contre le réchauffement climatique que si elles sont discriminatoires.
Les services publics : Le CETA introduit un système de listes négatives, c’est-à-dire de secteurs dans lesquels les services peuvent être assurés par un monopole public et non soumis à la concurrence. L’Union a fait inscrire dans le CETA une clause protégeant tous les « services reconnus d’utilité publique au niveau national ou local » ce qui laisse à la France comme à la Mairie de Tulle toute latitude pour définir ce qu’est un service public à ses yeux. SNCF Réseau pourra conserver son monopole sur le réseau ferroviaire français, et Enedis (ex-ERDF) son quasi-monopole sur la distribution de l’électricité. Les régies municipales pourront aussi continuer à distribuer l’eau dans leur commune. L’UE a ajouté des garanties spécifiques pour protéger l’éducation, la santé et les services sociaux.
Finalement, les services publics sont mieux protégés par le CETA que par les traités européens !
De plus, si un pays ou une collectivité locale veulent replacer dans le service public des activités concédées au privé ou nationaliser de nouvelles activités, eh bien le CETA permet de le faire,  encore une fois grâce à la Wallonie. Bruxelles et Ottawa ont écrit une déclaration interprétative du CETA qui assure que l’accord « n’empêchera pas les gouvernements de fournir des services publics précédemment assurés par des fournisseurs privés ni de ramener sous le contrôle public des services qu’ils avaient choisi de privatiser ».
Le CETA une porte ouverte sans contrôle : Une autre inquiétude s’est fait jour ; le CETA pourrait servir de cheval de troie pour notamment de nombreuses multinationales américaine qui pourraient passer par leur filiale canadienne pour en bénéficier. Tirant les leçons de précédents traités d’arbitrage et de leur détournement,  une disposition  a été prise pour exiger qu’une entreprise lançant une procédure d’arbitrage contre un Etat européen ait des « activités commerciales substantielles » au Canada, ou soit la filiale d’une entreprise canadienne.


Donc, oui, plutôt un bon traité, sans doute l’un des meilleurs traités de libéralisation des échanges qui ait été signé. Il permettra notamment aux entreprises européennes de répondre aux appels d’offre canadiens… alors que l’inverse était déjà possible depuis longtemps ; donc une avancée positive, mais convenons tout de même que c‘était encore, de la part des institutions européennes, une curieuse position de départ pour une négociation ; soyez gentils, accordez-nous ce que nous vous avons déjà accordé !




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