Les cellules souches :
des promesses tenues, beaucoup encore à venir
Dans
un blog récent, j’expliquais comment les autorités américaines avaient été
amenées à approuver un médicament inefficace, le Sarepta, dans la myopathie de
Duchenne sous la pression de malades désespérés bien manipulés par des
margoulins. Un schéma analogue, mais d’une autre ampleur, concerne les cellules
souches, marigot où s’agitent pas mal de crocodiles intéressés.
Des
cellules souches sont des cellules peu différenciées capables de se transformer
en certains (cellules souches pluripotentes) ou
en tous (cellules souches totipotentes) types de tissus. C’est le cas de
cellules embryonnaires, mais il existe dans de nombreux tissus des cellules souches
adultes – les plus anciennement connues sont les cellules souches hématopoïétiques, issues de
la moelle osseuse, capables de se différencier dans toutes les cellules du
sang. Ainsi, la greffe de moelle pour soigner les leucémies est-elle la première
thérapie cellulaire utilisant les cellules souches, pratiquée depuis les années
1970. De même, les cellules souches cutanées sont utilisées depuis les années
80 pour reconstituer les différentes couches de l’épiderme et greffer les
grands brûlés. En ce sens, la thérapie cellulaire par cellule souche est une
technique bien validée.
L’utilisation
de cellules embryonnaires, et surtout les nombreuses découvertes de cellules
souches adultes qui se sont succédé, et bien plus encore la découverte qu’il
est possible de prendre de nombreuses cellules adultes ( par exemple de
l’épiderme) pour les transformer en cellules souches par une manipulation
génétique assez simple et universelle (cellules IPS, ou pluripotentes induites)
découverte qui a valu le Prix Nobel de médecine 2012 à Shinya Yamanaka, ont provoqué une explosion
des espoirs en cette technique. Ainsi, des publications suggèrent qu’il est
possible de régénérer des cellules cardiaques après un infarctus, des neurones
après un AVC, de guérir la dégénérescence
maculaire par des cellules souches embryonnaires humaines différenciées en cellules de cornées, entre
autres. Des espoirs se font également jour dans nombre de maladies neurodégénératives.
Espoirs
oui, mais le chemin risque d’être long. Ainsi, souvent, il ne suffit d’injecter
des cellules pour qu’elles s’implantent, il semble parfois qu’il faille d’abord
les organiser en micro-tissus. Les résultats sont parfois difficiles à
reproduire. L’utilisation de cellules souches n’est pas dénuée de dangers potentiels :
problèmes de rejet si elles proviennent d’un donneur, problème de croissance
tumorale si elles sont induites, etc… L’interprétation des résultats est
souvent délicate ; ainsi, dans le cas du traitement des séquelles
d’AVC, la greffe ne semble pas agir
directement (les cellules injectées disparaissent), mais par la sécrétion de
diverses substances.
Alors je crois qu’il faut
appeler les chercheurs à l’autodiscipline et à la modération, à la précaution,
à la responsabilité ; même si c’est difficile, à l’understatement de leurs
résultats plutôt qu’à la proclamation ronflante ; car ils doivent savoir
que nombreux sont les margoulins et escrocs des cellules souches qui
n’hésiteront pas utiliser leurs publications aux dépends de patients désespérés.
Le marigot et les
crocodiles des cellules souches
Le Monde (14/11/2016)
a consacré un article à ce sujet (Cellules
souches, gare aux faux traitements). Ainsi les patients atteints de
sclérose latérale amyotrophique (SLA), maladie résultant de la dégénérescence
des neurones moteurs, qui évolue vers la mort en quelques années, face à une
médecine qui reste impuissante, sont sollicités par des cliniques privées ou
des médecins leur proposant des « traitements miracles » à base de cellules
souches. « Les patients sont prêts à rentrer dans n’importe quel protocole ou
dans n’importe quelle étude clinique, plutôt que de rester dans la passivité,
quitte à outrepasser les règles de la recherche clinique », témoigne Jean-Paul
Janssens (Genève), qui s’efforce de les alerter sur le caractère illégal des
traitements à base de cellules souches, dont ni l’efficacité ni l’innocuité
n’ont été testées chez l’homme ». Jean-Paul Janssens se souvient de l’un
d’eux qui, il y a quelques années, a cédé à l’offre d’une clinique basée à
Tel-Aviv, en Israël. Le traitement lui a coûté 35 000 francs suisses (32 460
euros). Il était prévu que ses cellules soient prélevées dans une clinique en
Suisse romande avant d’être envoyées en Israël pour y être isolées, traitées et
réinjectées, sans succès.
Toujours
dans Le Monde, Leigh Turner, de l’Université du Minnesota
constate : « Autour de 2008, on a vu apparaître des cliniques dans
des pays où les régulations sont inexistantes ou peu appliquées en raison de la
corruption, tels que la Chine, l’Inde, le Mexique ou les Caraïbes. Ce constat
aujourd’hui n’est plus valable, les cliniques se développent aussi dans les
pays industrialisés où les réglementations sont strictes, tels que l’Australie,
le Japon, la Suisse, la Floride ou la Californie. ». Ainsi l’autorité
suisse Swiss Medic s’est intéressé aux
activités de deux sociétés, Med Cell Europe et Swiss Medica (dont le nom
cherche évidemment à provoquer la confusion avec l’agence suisse de régulation,
elle- même !). Elles prétendent soigner plus de vingt maladies incluant la
Sclérose amyotrophique latérale, la sclérose en plaques, le Parkinson, le
diabète, l’infarctus…citant sur leurs sites des dizaines de publication à
l’appui de leurs prétentions. Swiss Medic
a mis fin à leurs activités … en Suisse, car Swiss Medica continue à recruter
des patients en Suisse pour les envoyer dans des cliniques en Russie et en
Serbie.
En Allemagne, Villa Medica prétend soigner à
l’aide de cellules fraiches prélevées sur des embryons de moutons. En Italie,
pendant des années, la fondation Stamina a « soigné » des patients
souffrant de maladies neurodégénératives par des injections extraites de
cellules souches – un «traitement de compassion», sans fondement
scientifique ; mais Stamina a su mobiliser l’opinion et les pouvoirs
publics et a même reçu des fonds publics en faveur de ses affaires. ”.
L‘ “inventeur” de la méthode Stamina, Davide Vannoni, est aujourd’hui accusé
par la justice italienne de fraude, d’association de malfaiteurs et
d’usurpation du titre de médecin.
Les margoulins à l’œuvre
Une
anecdote illustre bien les méthodes de ces margoulins : le Prix Nobel de
médecine 2013 Jacky Shekman a appris que les lobby pro-Stamina l’avaient cité
comme un de leurs soutiens en raison d’un article critiquant la Revue
Nature, ; indigné, ; il a répondu en ces termes virulents : “Mes
critiques à l’encontre de Nature ont été dénaturées (…), elles ne se référaient
pas à la méthode Stamina. Nous (scientifiques), nous appelons charlatans ou
vendeurs d’huile de serpent ceux qui vendent des médicaments dont l’efficacité
n’a pas été attestée par un laboratoire.... D’après ce que je sais, la méthode
Stamina n’a reçu aucune validation scientifique, elle n’a pas été soumise à des
contrôles cliniques. Ceux qui promeuvent des thérapies miraculeuses sans les
tester agissent de manière criminelle en exploitant des familles vulnérables
qui sont désespérément en recherche de traitement pour leurs proches. »
L’activité
de ces cliniques exploitant la détresse des patines commence à prendre une
telle importance qu‘elles s’organisent en lobby défendant leurs intérêts,
mettant en cause les agences officielles qui les traquent. Elles s’appuient sur
des discours libertariens et
démagogiques, expliquant par exemple que la réglementation de la FDA fait plus
de mal que de bien, que ses règles entrainent des coûts qui entravent
l’innovation, qu’elles retardent l’arrivée des innovations, que les patients
devraient être libres de décider part eux-mêmes s’ils veulent essayer tels ou
tels traitements, comme si, dans un état
grave, ils étaient libres, lucides et compétents pour distinguer l’escroquerie
de l’étude scientifique. Et, manipulant les associations de patients désespérés,
leur lobby trouve un écho inquiétant ; en Corée, au Japon, aux USA, des
projets de loi visent à rompre le cadre réglementaire d’évaluation des
médicaments mis en place dans tous les pays industrialisés depuis plus de cinquante ans et à permettre la
commercialisation de traitement à bases de cellules souches sur la base de
données préliminaires, sans qu’elles ait fait la preuve de leur efficacité et
de leur innocuité selon les bonnes pratiques en vigueur. De bons profits pour
les margoulins, le retour aux marchands d’orviétans et de thériaque !
Il en va de la
responsabilité et de l’honneur des scientifiques de mettre en échec les tentatives
de déstabilisation et de contournement des instances règlementaires, de
dénoncer les profiteurs du malheur, et les escrocs qui exploitent
criminellement les espoirs des cellule souches, de veiller à ce que leurs
publications et déclarations ne soient pas détournées et exploitées par les
charlatans, et, le cas échéant, de le dénoncer publiquement comme l’a fait le Dr
Shekman, et, au besoin, soutenus par leurs institutions, d’agir par voie
judiciaire. Il leur appartient aussi d’être plus prudent dans leurs
publications. Il leur appartient de soutenir les efforts des agences pour
interdire ces pratiques. Faute de cela, la crédibilité dans la médecine et la
recherche thérapeutique sera encore plus gravement atteinte et le progrès
impossible, car plus personne ne pourra faire la différence entre une étude
clinique menée selon les règles de la science et de l’éthique et la
charlatanerie pure et simple.
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