Des médicaments plus dangereux qu’utiles
Renouvelant un avis de
2011, qui renouvelait un avis de 2007, la Commission de la Transparence chargée
de l’évaluation des médicaments au sein de la Haute autorité de santé (HAS) a
conclu pour les médicaments anti-Alzheimer « à un intérêt médical
insuffisant de ces médicaments pour justifier leur prise en charge par la
solidarité nationale ». Quatre médicaments sont visés : Aricept®, Ebixa®,
Exelon®, Reminyl® et leurs génériques. A
vrai dire, ce n’est pas une surprise, car leur efficacité est contestée depuis
plus de dix ans.
Par contre, ces
médicaments ont des effets secondaires parfois graves : troubles digestifs
(diarrhées, vomissements), neurologiques (aggravation de syndromes
parkinsoniens, vertiges, tremblements, maux de tête), urinaires (incontinence),
cardiaques (syncope, troubles du rythme cardiaque, et à une déshydratation
(surtout en cas de canicule) pour ceux qui agissent sur la cholinesterase. La
mémantine expose surtout à des troubles neurologiques (hallucinations,
vertiges, maux de tête, fatigue, confusion). Tous ces médicaments exposent à de
nombreuses interactions, qui augmentent les risques d'effets indésirables et
parfois de décès. En particulier, le donépézil, la galantamine et la
rivastigmine interagissent avec des médicaments atropiniques, neuroleptiques,
bradycardisants et dépresseurs de la conduction cardiaque.
Bref ces médicaments sont
non seulement inactifs, mais ils participent à la dégradation de l’état de
santé général des victimes de la maladie d’Alzheimer, sans compter qu’ils
représentent depuis près de vingt-cinq ans plusieurs milliards d'euros de
dépenses qui seraient plus justifiées dans d’autres domaines (il y a en France plus
de 800.000 personnes touchées par la maladie d'Alzheimer ou une maladie
apparentée). Et pourtant, comme en 2011,
comme en 2007 ils ne seront pas déremboursés. (En 2007, la commission avait déjà
considéré que « ces médicaments avait un rôle important, tout en
n'apportant qu'un progrès thérapeutique mineur »). Ce n’est même pas le
cas. Il semble que la principale raison soit de ne pas désespérer les proches
des patients, et même le personnel médical, confrontés à une maladie entrainant
une terrible déchéance, pour laquelle on a aucun traitement médicamenteux. C’est
humain, mais encore une fois les médicaments actuels semblent plutôt aggraver
les choses. Cependant, il existe des prises en charges qui permettent de maintenir
plus durablement les contacts sociaux.
Etat de la recherche désespérant
Il y a un an l’association
France-Alzheimer s’enthousiasmait pour le solanezumab, un anticorps développé
par Lilly. Pour la première fois, un traitement qui
s’attaque aux causes directes ( présumées) de la pathologie, et ne se limite
pas à en contenir les symptômes, a fait la preuve de son efficacité chez des
humains», expliquait l’association en évoquant un essai mené sur deux groupes
de patients de plus de 600 patients chacun. Le solanezumab s’attaque à la
protéine bêta amyloïde qui forme les plaques séniles et les détruit ; Dans
une étude achevée en 2012, le solanezumab avait échoué à diminuer le déclin
cognitif des patients gravement attneits, mais il semblait monter un effet chez
les patients modérément affectés, ralentissant le déclin cognitif. Ce sont ces résultats préliminaires qui n’ont
pas été confirmés dans une étude de phase III menée pendant deux ans sur 2100
patients, dans plusieurs pays. La conclusion est sans appel : « Les
patients traités avec le solanezumab n’ont pas montré un ralentissement
significatif du déclin cognitif comparé aux patients ayant reçu un placebo.
(...)Le résultat n’est pas celui que
nous avions espéré et nous sommes déçus pour les millions de personnes qui
attendent un traitement capable de modifier le cours de la maladie d’Alzheimer ;
Lilly ne poursuivra pas les demandes d’autorisation du solanezumab pour le
traitement des démences modérées de la maladie d’Alzheimer», a indiqué John
Lechleiter, président des laboratoires Lilly, qu’on remerciera pour avoir pensé
aux patients avant qu’aux actionnaires. A noter que le solanezumab, contrairement
à d’autres anticorps contre les protéines beta amyloïdes, n’a montré aucun
signe de toxicité.
Auparavant, un
autre anticorps ciblant la protéine beta amyloïde, le Bapineuzumab
développé par Johnson and Johnson avait également échoué en phase III.
Un troisième
anticorps, l’adacumab, développé par Biogen, est en cours d’évaluation. Il
semble que les résultats préliminaires (165 volontaires pendant un an) montrent un effet plus
prononcé de ralentissement du déclin cérébral que les précédents, et les
examens montrent une quasi disparition des plaques amyloïdes, tout à fait spectaculaire.
Ces anticorps anti beta amyloïdes sont tout de même des médicaments différents,
qui agissent sur la même protéine, mais sur des sites distincts ; par
ailleurs les propriétés de ces molécules complexes sont difficiles à ajuster ;
même si toutes passent dans le cerveau, ce qui déjà n’était pas évident, elles
peuvent le faire plus ou moins bien. L’adacumab
va passer en phase III ; tout espoir n’est pas perdu, mais les
actions Biogen ont significativement reculé après l’échec du solanezumab. Le
doute commence à s’instiller sur ce qui a représenté l’un des espoirs les plus
sérieux en matière de traitement d’Alzheimer.
Si les
traitements anticorps anti beta amyloïdes devaient tous échouer, ce serait la dernière
piste thérapeutique sérieuse qui s’effondrerait, et, contrairement à ce qu’on
peut entendre, ce n’est pas faute pour les firmes pharmaceutiques d’avoir
essayé. Si la plupart d’entre elles réduisent leurs efforts, voire cessent leur
recherche en ce domaine, ce n’est certes pas par désintérêt, mais par manque d’hypothèses
biologiques crédibles, par manque de connaissances fondamentales. En passant, d’ailleurs,
dans le domaine du médicament, ce sont depuis longtemps les firmes
pharmaceutiques qui assurent la plus grande part de la recherche fondamentale ;
mais on ne peut pas sans arrêt baisser les prix des médicaments et leur
demander de continuer cet effort, surtout lorsqu’il est quasi désespéré.
Alors, il serait
temps que les pouvoirs publics mobilisent l’ensemble des chercheurs dans les
domaines pertinents (médecine du système nerveux central, biologie, génétique,
chimie, modélisation, biophysique…) à l’échelle continentale (ce serait un très
beau grand projet pour la Commission Européenne), et à l’échelle
internationale. Il faut un grand programme public de recherches fondamentales,
sur l’Alzheimer qui devra remettre en cause tout ce que l’on croyait acquis, et
trouver des modèles pertinents.
Les défis sont
immenses, mais qui pensait pouvoir améliorer la qualité et la durée de vie des
patients atteints d’une maladie aussi complexe que la mucoviscidose à l’aide de
molécules chimiques finalement assez simples ? Si des pistes thérapeutiques
nouvelles sont découvertes, les moyens actuels de la recherche thérapeutique permettront
de les explorer rapidement.
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