Quelques extraits des
déclarations de Jean Pierre Sauvage, prix Nobel de chimie 2016
Dans un blog précédent (Prix Nobel de Chimie 2016 : des artistes de
la Chimie !), j’ai tenté d’illustrer brièvement les travaux des prix Nobel de chimie de cette année, et tout particulièrement le Français Jean-Pierre
Sauvage. J’ ai souhaité reprendre ici
quelques-unes de ses déclarations récentes.
Sur ses réalisations : (sciences et avenir, 25 oct 2016)
« Nous avons fabriqué toute une
série de nouvelles molécules afin de pouvoir contrôler leurs mouvements, et cela,
à l’échelle de quelques milliardièmes de mètre. Une des principales difficultés
tenait dans le fait que, dans un milieu liquide et en raison de l’énergie
thermique, les molécules gigotent tout le temps. Elles se déforment, se
déplacent et s’entrechoquent de façon aléatoire, dans une sorte de ballet
incessant qu’on appelle « mouvement brownien ». Or nous sommes parvenus à
piloter, de manière parfaite, de nombreux édifices moléculaires : des objets
qui se déplacent ou qui s’arrêtent quand on le souhaite, sur une ligne droite
ou autour d’un axe, par exemple, tel un rotor ; des tiges et des anneaux qui
coulissent les unes dans les autres, comme des pistons ; des muscles
artificiels qui compriment ou allongent leur longueur à la demande, des
ascenseurs moléculaires, etc. »
Sur la chimie en tant que science autonome (sciences et avenir, 25 oct
2016)
« Je tiens à préciser que le prix
Nobel que nous avons reçu concerne « véritablement » les sciences chimiques, et
je peux vous dire que beaucoup de chimistes en ont été absolument ravis ! Cette
remarque peut paraître surprenante, mais la plupart des Nobel de chimie
décernés ces dernières années avaient une relation très directe avec la
biologie, la médecine, voire la physique, comme en 2014 et en 2015 par exemple,
qui ont récompensé des travaux sur la microscopie à fluorescence et la
réparation de l’ADN. Des travaux d’importance, sans nul doute, mais plutôt
éloignés et même difficiles à comprendre pour des chimistes « normaux » ! Ceux
pour lesquels nous avons été distingués se situent, cette fois, au cœur du
métier de chimiste, qui pour l’essentiel consiste à synthétiser des molécules
ou des assemblages moléculaires ayant des propriétés très spécifiques,
extraordinaires, puis chercher à les utiliser. »
Sur la recherche fondamentale entre jeu et défis (sciences et avenir,
25 oct 2016)
Tout a commencé au début des
années 1980 par un simple défi : un pur défi de « synthèse », comme ceux que
les chimistes aiment tant relever ! Je cherchais, avec mon équipe, à entrelacer
deux molécules circulaires, et personne ne voyait comment attaquer le problème
de manière raisonnable. La solution est apparue en 1983. Elle était fondée sur
l’utilisation de complexes de métaux de transition, l’ion cuivre en
particulier. Celui-ci jouait un rôle d’échafaudage, de structure transitoire
pour les réactions que voulions effectuer. L’ion interagissait d’abord avec une
molécule organique, puis avec deux fragments successifs devant former un second
anneau. En retirant l’ion cuivre, l’ensemble se réorganisait totalement. On
obtenait alors deux molécules imbriquées, comme les maillons d’une chaîne,
ensemble que nous avons baptisé « caténane ».
« Si nous ne faisons pas de recherche fondamentale, personne ne le fera
! Laissez-nous tranquille avec les applications concrètes ! » La Recherche, Novembre 2016
Des déclarations plutôt
roboratives et pertinentes, qui font espérer que Jean Pierre Sauvage (71 ans)
sera à l’avenir moins discret et fera davantage profiter la communauté
scientifique de son expérience et de ces idées. Oui, n’en déplaise à certains
organismes de recherche qi avait envisagé récemment de supprimer leur division
la chimie, la chimie est une science autonome, qui ne se réduit pas à ses
applications à la physique ou à la biologie, qui couvre un large domaine, une
science que des savants français ( Lavoisier, Berthollet (certes un peu
Suisse), Chaptal, Fourcroy, Gay-Lussac, Dumas, Pasteur, Berthelot) ont
largement contribué à fonder comme science positive. A travers Jean Marie Lehn,
Yves Chauvin et maintenant Jean–Pierre Sauvage, elle contribue toujours à la
renommée scientifique de la France.
Et en ce qui concerne les
évaluations incessantes, et les évaluations d’évaluations, les innombrables
actions ciblées pour piloter la recherche ( mais qui donc ose être le pilote
dans l’avion – ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’on invente la lampe
à incandescence – Édouard Brézin) et les centaines de dossier pour quelques
subventions, Jean Pierre Sauvage a raison de rappeler que c’est la mission
principale des chercheurs des grands organismes et des universités de faire de
la recherche fondamentale ; et il a d’autant plus de raison de le dire que sa
carrière ( serait-elle encore possible aujourd’hui) constitue un contrexemple parfait et convaincant
de ce que l’on considère aujourd’hui de
ce qui est aujourd’hui recommandé.
Et quand à la valorisation de la
recherche, elle constitue une obligation et un défi ; mais que pourrait-elle
bien valoriser si elle ne peut s’appuyer sur une recherche fondamentale forte.
D'autre part, elle doit être menée par des structures spécialisées, publiques
ou privées, par des spécialistes qui ont une expérience du privé et du développement
(les ingénieurs sont là pour ça !) ou des chercheurs qui ont en même temps une
mentalité d’entrepreneurs. D’ un système où les chercheurs sont sommés sans
cesse de défendre l’utilité de leurs recherches, de rédiger des formulaires
d’applications fantaisistes, et détournés de la recherche fondamentale pour une
recherche appliquée non applicable, il ne peut pas sortir grand-chose de bien.
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