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mardi 13 décembre 2016

Perturbateurs endocriniens : pour un GIEPC (Groupe International d’étude des produits chimiques)

Manipulation de la science et marchands de doute ?

Près de cents scientifiques, spécialistes de la biologie de développement et des hormones, ou spécialistes du climat ont écrits une tribune publié dans  Le Monde du 30 novembre sous le titre Halte à la manipulation de la science ! Ils demandent à l’Europe et à la Communauté internationale d’agir contre les perturbateurs endocriniens et dénoncent la « fabrication du doute » par les industriels qui veulent préserver leurs bénéfices, comme l’ont fait les fabricants du tabac à propos de son implication dans le cancer, ou les groupes pétroliers qui ont financé le climatoscepticisme. Extraits :

« Depuis des décennies, la science est la cible d’attaques dès lors que ses découvertes touchent de puissants intérêts commerciaux. Des individus dans le déni de la science ou financés par des intérêts industriels déforment délibérément des preuves scientifiques afin de créer une fausse impression de controverse. Cette manufacture du doute a retardé des actions préventives et eu de graves conséquences pour la santé des populations et l’environnement. Les « marchands de doute » sont à l’œuvre dans plusieurs domaines, comme les industries du tabac et de la pétrochimie ou le secteur agrochimique. »

« Une lutte comparable fait actuellement rage autour de la nécessaire réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. La Commission européenne s’apprête à mettre en place la première réglementation au monde sur le sujet. Bien que de nombreux pays aient également manifesté leur inquiétude à l’égard de ces produits chimiques, aucun n’a instauré de réglementation qui les encadrerait globalement. Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal : cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate, troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non- descente des testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la qualité spermatique. La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, dont les produits chimiques capables d’interférer avec le système hormonal. »

« La plupart de ces substances atteignent notre organisme par le biais de notre alimentation. Seule solution pour enrayer la hausse des maladies liées au système hormonal : prévenir l’exposition aux produits chimiques à l’aide une réglementation plus efficace. Or le projet d’établir une réglementation de ce type dans l’Union européenne est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique. Cette même stratégie a été utilisée par l’industrie du tabac, contaminant le débat, semant le doute dans la population et minant les initiatives des dirigeants politiques et des décideurs pour développer et adopter des réglementations plus efficaces. Les discussions sur le changement climatique et sur les perturbateurs endocriniens ont toutes deux souffert de cette déformation des preuves scientifiques par des acteurs financés par l’industrie. »

« Nous sommes cependant préoccupés par les options réglementaires que propose aujourd’hui Bruxelles, très éloignées des mesures nécessaires pour protéger notre santé et celle des générations futures. Les options proposées pour identifier les perturbateurs endocriniens requièrent un niveau de preuve bien plus élevé que pour d’autres substances dangereuses, comme celles cancérigènes »
Nous appelons au développement et à la mise en œuvre de mesures qui s’attaqueraient aux perturbateurs endocriniens et au changement climatique de façon coordonnée. Un moyen efficace pourrait être la création, sous les auspices de l’Organisation des Nations unies, d’un groupe ayant le même statut international et les mêmes prérogatives que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce groupe serait chargé d’évaluer les connaissances scientifiques destinées aux responsables politiques dans l’intérêt général et mettrait la science à l’abri de l’influence des intérêts privés.

Les perturbateurs endocriniens

Les perturbateurs endocriniens sont des molécules très simples et très communes (retardateurs de flamme présents dans les meubles et l’électronique, agents plastifiants dans les matières plastiques et les produits d’hygiène, résidus de pesticides dans notre alimentation) qui peuvent agir comme  des hormones naturelles, ceci étant particulièrement inquiétant lors de périodes critiques du développement, pendant la grossesse ou la puberté. L’un des plus courants est le bisphénol A, présent dans le plastique des biberons de bébés. L’accumulation de données démontrant des effets biologique de quasi-hormones du bisphenol A chez l’animal ou dans des cellules humaines  a conduit à son interdiction dans les biberons et tous produits utilisés dans l’alimentation des enfants Au Danemark, en France, au Canada, dans certains pays européens dès 2010, puis dans toute l’Union Européenne ; une décision qui s’imposait et qui a été prise, à juste titre,  malgré l’absence de preuves formelles d’effets chez l’homme.
Pour autant, il y a des aspects qui me paraissent assez contestables dans la fameuse tribune et ses attaques contre la Commission Européenne

Commentaires :

-          Les perturbateurs endocriniens seraient responsables  de cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate, de troubles du développement du cerveau, de diabète, d’obésité, non- descente des testicules à la naissance et autres malformation de l’appareil urogénital et du pénis, de la détérioration de la qualité spermatique… C’est tout de même peut-être un peu charger la barque, d’autant que ces effets sont bien choisis pour frapper très fort les esprits !- dans le cas de la qualité spermatiques, par exemple, il s’agit d’un phénomène mal mesuré et à cause tellement multiples qu’il est difficile d’en isoler une, pour ne pas parler du diabète, qui n'est surement pas dû qu'aux perturbateurs endocriniens etc.

-          Les mécanismes précis d’action des perturbateurs endocriniens sont mal connus, au point que l’on a parlé de mystérieuses courbes en U, montrant des effets à très faibles doses, mais pas à doses plus élevées, et d’une pharmacologie révolutionnaire mettant en cause les relations doses –effets. Tout un discours irrationnel ralliant les pires adversaires du progrès embrayait là-dessus. Il semble maintenant que l’on s’oriente de façon plus classique vers une action puissante sur des sous-types de récepteurs. La recherche fondamentale sur ce sujet doit devenir une priorité, tant en raison des menaces possibles pour la santé…que pour peut-être l’identification de nouveaux médicaments.

-          On reproche semble-t-il à la Commission européenne de ne pas vouloir prendre en compte le danger intrinsèque de ces substances, d’ailleurs mal caractérisé, mais notre exposition à ces substances.  Je ne comprends pas en quoi cela est critiquable - C’est ce qui se fait classiquement en toxicologie. Et heureusement ; c’est bien parce que l’exposition au bisphenol des biberons était avéré qu’il a pu être interdit en l’absence de certitude sur sa toxicité. Et ce sont peut-être les premières données inquiétantes d’exposition des femmes enceintes qui attireront l’intention et imposeront des mesures sérieuses.

-          On reproche également à la Commission de proposer un classement des perturbateurs endocriniens laxiste, exigeant la démonstration d’une pertinence humaine. En effet, l’Anses ( l’agence française de sécurité sanitaire) a proposé un classement à plusieurs niveaux de risques  (avérés, présumés, suspecté) similaire à celui des cancérogènes, qui a fait ses preuves, et que la France devrait promouvoir vigoureusement.

-          On reproche encore à la Commission de s’appuyer sur les études et données d’entreprises privées fabriquant ces produits.  Il y a là en effet un conflit d’intérêts évident et des précédents criminels, mais, pour autant, ignorer les études de ceux qui connaissent le mieux les produits en questions serait idiot et la mise en cause systématiques des scientifiques de l’industrie est peu acceptable. Les firmes  doivent pouvoir participer librement au débat scientifique, à condition de publier intégralement leurs méthodes d’études et leurs résultats et de les soumettre à la critique habituelle. En fait elles devraient être obligées de le faire !, mais alors elles doivent pouvoir être entendues.


-           L’idée d’un « GIEC » des produits chimiques ( l’augmentation de l’exposition de l’humanité aux produits chimiques a explosé en quantité et diversité) est une bonne idée, et même excellente pour un positiviste tant elle se rapproche de la conception du « pouvoir spirituel » d’Auguste Comte : des savants qui discutent librement entre eux, parviennent à l’établissement de connaissances positives ( certaines, précises, relatives, organisatrices, permettant la prédiction) et, en fonction des conséquences qu’ils en tirent pour l’humanité, représentent le point de vue du général et  agissent en conseillant les dirigeants temporels et aussi directement sur l’opinion publique. Mais elle suppose d’abord la construction d’un consensus entre experts, et l’on ne voit pas très bien où veulent en venir les auteurs de la tribune lorsqu’ils associent spécialistes du climat, de la chimie et de l’endocrinologie…



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