Manipulation de la
science et marchands de doute ?
Près
de cents scientifiques, spécialistes de la biologie de développement et des
hormones, ou spécialistes du climat ont écrits une tribune publié dans Le
Monde du 30 novembre sous le titre Halte
à la manipulation de la science ! Ils demandent à l’Europe et à la
Communauté internationale d’agir contre les perturbateurs endocriniens et
dénoncent la « fabrication du doute » par les industriels qui veulent
préserver leurs bénéfices, comme l’ont fait les fabricants du tabac à propos de
son implication dans le cancer, ou les groupes pétroliers qui ont financé le
climatoscepticisme. Extraits :
« Depuis
des décennies, la science est la cible d’attaques dès lors que ses découvertes
touchent de puissants intérêts commerciaux. Des individus dans le déni de la
science ou financés par des intérêts industriels déforment délibérément des
preuves scientifiques afin de créer une fausse impression de controverse. Cette
manufacture du doute a retardé des actions préventives et eu de graves
conséquences pour la santé des populations et l’environnement. Les « marchands
de doute » sont à l’œuvre dans plusieurs domaines, comme les industries du
tabac et de la pétrochimie ou le secteur agrochimique. »
« Une
lutte comparable fait actuellement rage autour de la nécessaire réduction de
l’exposition aux perturbateurs endocriniens. La Commission européenne s’apprête
à mettre en place la première réglementation au monde sur le sujet. Bien que de
nombreux pays aient également manifesté leur inquiétude à l’égard de ces
produits chimiques, aucun n’a instauré de réglementation qui les encadrerait
globalement. Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important
de maladies en lien avec le système hormonal Jamais l’humanité n’a été
confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système
hormonal : cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate,
troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non- descente des
testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la
qualité spermatique. La très grande majorité des scientifiques activement
engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes
s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, dont les produits
chimiques capables d’interférer avec le système hormonal. »
« La
plupart de ces substances atteignent notre organisme par le biais de notre
alimentation. Seule solution pour enrayer la hausse des maladies liées au
système hormonal : prévenir l’exposition aux produits chimiques à l’aide une
réglementation plus efficace. Or le projet d’établir une réglementation de ce
type dans l’Union européenne est activement combattu par des scientifiques
fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une
absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique.
Cette même stratégie a été utilisée par l’industrie du tabac, contaminant le
débat, semant le doute dans la population et minant les initiatives des
dirigeants politiques et des décideurs pour développer et adopter des
réglementations plus efficaces. Les discussions sur le changement climatique et
sur les perturbateurs endocriniens ont toutes deux souffert de cette
déformation des preuves scientifiques par des acteurs financés par
l’industrie. »
« Nous
sommes cependant préoccupés par les options réglementaires que propose
aujourd’hui Bruxelles, très éloignées des mesures nécessaires pour protéger
notre santé et celle des générations futures. Les options proposées pour
identifier les perturbateurs endocriniens requièrent un niveau de preuve bien
plus élevé que pour d’autres substances dangereuses, comme celles
cancérigènes »
Nous
appelons au développement et à la mise en œuvre de mesures qui s’attaqueraient
aux perturbateurs endocriniens et au changement climatique de façon coordonnée.
Un moyen efficace pourrait être la création, sous les auspices de
l’Organisation des Nations unies, d’un groupe ayant le même statut
international et les mêmes prérogatives que le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce groupe serait chargé
d’évaluer les connaissances scientifiques destinées aux responsables politiques
dans l’intérêt général et mettrait la science à l’abri de l’influence des
intérêts privés.
Les perturbateurs
endocriniens
Les perturbateurs endocriniens sont des molécules
très simples et très communes (retardateurs de flamme présents dans les meubles
et l’électronique, agents plastifiants dans les matières plastiques et les
produits d’hygiène, résidus de pesticides dans notre alimentation) qui peuvent
agir comme des hormones naturelles, ceci
étant particulièrement inquiétant lors de périodes critiques du développement,
pendant la grossesse ou la puberté. L’un des plus courants est le bisphénol A,
présent dans le plastique des biberons de bébés. L’accumulation de données
démontrant des effets biologique de quasi-hormones du bisphenol A chez l’animal
ou dans des cellules humaines a conduit
à son interdiction dans les biberons et tous produits utilisés dans
l’alimentation des enfants Au Danemark, en France, au Canada, dans certains pays
européens dès 2010, puis dans toute l’Union Européenne ; une décision qui
s’imposait et qui a été prise, à juste titre,
malgré l’absence de preuves formelles d’effets chez l’homme.
Pour autant, il y a des aspects qui me paraissent
assez contestables dans la fameuse tribune et ses attaques contre la Commission
Européenne
Commentaires :
-
Les
perturbateurs endocriniens seraient responsables de cancers du sein, du testicule, de l’ovaire
ou de la prostate, de troubles du développement du cerveau, de diabète, d’obésité,
non- descente des testicules à la naissance et autres malformation de
l’appareil urogénital et du pénis, de la détérioration de la qualité
spermatique… C’est tout de même peut-être un peu charger la barque, d’autant
que ces effets sont bien choisis pour frapper très fort les esprits !-
dans le cas de la qualité spermatiques, par exemple, il s’agit d’un phénomène
mal mesuré et à cause tellement multiples qu’il est difficile d’en isoler une,
pour ne pas parler du diabète, qui n'est surement pas dû qu'aux perturbateurs endocriniens etc.
-
Les
mécanismes précis d’action des perturbateurs endocriniens sont mal connus, au
point que l’on a parlé de mystérieuses courbes en U, montrant des effets à très
faibles doses, mais pas à doses plus élevées, et d’une pharmacologie
révolutionnaire mettant en cause les relations doses –effets. Tout un discours
irrationnel ralliant les pires adversaires du progrès embrayait là-dessus. Il
semble maintenant que l’on s’oriente de façon plus classique vers une action
puissante sur des sous-types de récepteurs. La recherche fondamentale sur ce
sujet doit devenir une priorité, tant en raison des menaces possibles pour la
santé…que pour peut-être l’identification de nouveaux médicaments.
-
On
reproche semble-t-il à la Commission européenne de ne pas vouloir prendre en
compte le danger intrinsèque de ces substances, d’ailleurs mal caractérisé,
mais notre exposition à ces substances.
Je ne comprends pas en quoi cela est critiquable - C’est ce qui se fait
classiquement en toxicologie. Et heureusement ; c’est bien parce que
l’exposition au bisphenol des biberons était avéré qu’il a pu être interdit en
l’absence de certitude sur sa toxicité. Et ce sont peut-être les premières
données inquiétantes d’exposition des femmes enceintes qui attireront l’intention et imposeront des mesures sérieuses.
-
On
reproche également à la Commission de proposer un classement des perturbateurs
endocriniens laxiste, exigeant la démonstration d’une pertinence humaine. En
effet, l’Anses ( l’agence française de sécurité sanitaire) a proposé un
classement à plusieurs niveaux de risques (avérés, présumés, suspecté) similaire à
celui des cancérogènes, qui a fait ses preuves, et que la France devrait
promouvoir vigoureusement.
-
On
reproche encore à la Commission de s’appuyer sur les études et données
d’entreprises privées fabriquant ces produits.
Il y a là en effet un conflit d’intérêts évident et des précédents
criminels, mais, pour autant, ignorer les études de ceux qui connaissent le
mieux les produits en questions serait idiot et la mise en cause systématiques
des scientifiques de l’industrie est peu acceptable. Les firmes doivent pouvoir participer librement au débat
scientifique, à condition de publier intégralement leurs méthodes d’études et
leurs résultats et de les soumettre à la critique habituelle. En fait elles
devraient être obligées de le faire !, mais alors elles doivent pouvoir
être entendues.
-
L’idée d’un « GIEC » des produits
chimiques ( l’augmentation de l’exposition de l’humanité aux produits chimiques
a explosé en quantité et diversité) est une bonne idée, et même excellente pour
un positiviste tant elle se rapproche de la conception du « pouvoir
spirituel » d’Auguste Comte : des savants qui discutent librement
entre eux, parviennent à l’établissement de connaissances positives (
certaines, précises, relatives, organisatrices, permettant la prédiction) et,
en fonction des conséquences qu’ils en tirent pour l’humanité, représentent le
point de vue du général et agissent en
conseillant les dirigeants temporels et aussi directement sur l’opinion
publique. Mais elle suppose d’abord la construction d’un consensus entre
experts, et l’on ne voit pas très bien où veulent en venir les auteurs de la
tribune lorsqu’ils associent spécialistes du climat, de la chimie et de
l’endocrinologie…
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