Hommage
à Rafael Tovar y De Teresa
Les
nombreux visiteurs de la superbe exposition Mexique
1900-1950, au Grand Palais en cette fin d’année 2016 auront une pensée pour
le grand diplomate, ministre, historien, écrivain et francophile mexicain, Rafael Tovar y de
Teresa, mort le 10 décembre – il fut également à l’origine des expositions
mémorables qui ont mieux fait connaître et apprécier le Mexique en France, Mayas
au Musée du Quai Branly (2014), Frida
Kahlo/ Diego Rivera : l’art en fusion » au Musée de l’Orangerie
en 2013.
M.
Rafael Tovar y de Teresa (1954-2016) fut le premier ministre de la culture
mexicain, nommé en 2016, après avoir dirigé pendant treize ans le Conseil
National pour la Culture et les Arts et créé des dizaines d’institutions culturelles,
organisé un réseau dense de 1200 musées et plus de 10.000 bibliothèque et mené
une politique d’Etat visant à donner accès à la culture à tous les Mexicains et
à soutenir la création artistique contemporaine- on lui doit notamment une
chaine publique culturelle, Canal 22. Ses liens personnels avec la France sont
anciens et amicaux, puisqu’il vint étudier à la Sorbonne et à Sciences Po entre
1974 et 1978 et fut ensuite ambassadeur du Mexique en France de 1983 à 1987.
Mais en fait, ses liens familiaux avec la France sont encore plus anciens,
puisque son grand père s’exila en France en 1911 après la chute du président
Porfirio Diaz, une histoire qu’il raconta dans son livre, Paraiso es tu memoria, non traduit en français. Une occasion de
revenir sous un épisode souvent publié ou maltraité de l’histoire mexicaine (et
un peu française).
Les Cientificos, disciples d’Auguste Comte : Ordre et Progrès au Mexique
En
1876, le général (souvent peu généreusement qualifié de dictateur) Porfirio
Diaz (1830-1915), héros de la guerre contre les Français et compagnon d’arme de
Benito Juarez, renverse Lerdo de Tejada, successeur de Juarez au terme d’une
élection truquée. En tant que Président ou qu’homme fort, il restera au pouvoir
34 ans, avec une idée : moderniser le Mexique, le rendre capable d’une
indépendance matérielle, intellectuelle et culturelle vis-à-vis des USA, effacer le
traumatisme qu’avait été la guerre catastrophique de 1846-1848, qui voit la
perte du Texas, du Nouveau-Mexique, de la Californie, de l'Utah, du Nevada, du
Colorado et de l'Arizona : (Porfirio
Diaz : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si proche des USA ! »).
Pour mener cette modernisation, il s’appuie sur une élite francophile, les Cientificos, brièvement évoquée sur les
panneaux explicatifs de l’exposition Mexique
1900-1950. Ces Cientificos
forment un groupe soudé de disciples du positivisme d’Auguste Comte, dont la
doctrine avait été introduite au Mexique par Gustavo Barreda. Diaz les associe au
pouvoir en 1892, sous la bannière de l’Union Libérale – je dis associer,
car les relations entre Diaz et ses conseillers et ministres cientificos furent assez mouvementées. Parmi
les principaux dirigeants Cientificos,
citons Jose Limantour (ministre des finances), Justo Sierra (ministre de
l’Instruction Publique et des Beaux-Arts), Pablo Macedo (maire de Mexico). José
Yves Limantour (1854-1935), à la tête des finances mexicaines pendant 21 ans, était
le fils d’un capitaine de goélette de Lorient qui s’était échoué en Californie,
alors mexicaine et s’y était installé. L’action de redressement des finances et
de modernisation du pays des Cientificos (développement du crédit, des mines,
des moyens de communications,- ports et chemins de fer-, de l’agriculture par
la confiscation et la mise en valeur des immenses domaines de l’église, l’électrification,
le télégraphe, mais aussi la laïcisation de la société fut remarquable en tous
points. L’élite mexicaine se forma à l’Ecole Nationale, dont le fronton arborait
fièrement le slogan positiviste : Ordre et Progrès. Diego Ribera y fut
élève.
Le
renversement de Porfirio Diaz, depuis trop longtemps au pouvoir et qui n’admit
pas de perdre sa dernière élection, une réforme agricole mal engagée et l’intervention
malveillante des USA qu’un Mexique devenant puissant et moderne inquiétait, entrainèrent
la fin du Porfiriat, une période d’anarchie meurtrière, et l’exil en France du
général Diaz (il y mourut à Paris en 1914) et de ses principaux conseillers
cientificos, dont Limantour.
C’est
cette histoire que raconte dans ses livres Rafael Tovar Paraíso
es tu memoria (2009); El último brindis de Don Porfirio (Le dernier
toast de Don Porfirio, 2012); De la paz al olvido. Porfirio Díaz y
el final de un mundo (De la paix à
l’oubli. Porfirio Díaz et la fin d’un monde, 2015) ; celle d’un Mexique
que les Cientificos positivistes
considéraient comme une république sœur de la France.
On
peut regretter que le gouvernement français n’ait pas mieux salué la vie, l‘œuvre
et le rôle dans les relations entre le Mexique et la France de Rafael Tovar y
De Teresa ; regretter aussi que l’histoire commune entre le Mexique et la
France, avec ses hauts et ses bas, ne soit pas mieux connue ; se dire qu’il
est peut être temps, après plus de cent ans, d’évaluer plus objectivement le
Porfiriat – certains députés du Parti Révolutionnaire Institutionnel, au
pouvoir depuis 1929 (sauf une interruption entre 2000 et 2012) sont en faveur
du retour de la dépouille de Porfirio Diaz, enterré au cimetière du
Montparnasse à Paris ; et que cette période où l’influence intellectuelle et
politique de la France était grande peut nous inviter à relancer une politique
américaine qui ne soit pas une politique US.
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