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mercredi 28 décembre 2016

Rafael Tovar y De Teresa- Porfirianisme et Positivisme

Hommage à Rafael Tovar y De Teresa

Les nombreux visiteurs de la superbe exposition Mexique 1900-1950, au Grand Palais en cette fin d’année 2016 auront une pensée pour le grand diplomate, ministre, historien, écrivain  et francophile mexicain, Rafael Tovar y de Teresa, mort le 10 décembre – il fut également à l’origine des expositions mémorables qui ont mieux fait connaître et apprécier le Mexique en France,  Mayas au Musée du Quai Branly (2014),  Frida Kahlo/ Diego Rivera : l’art en fusion » au Musée de l’Orangerie en 2013.
M. Rafael Tovar y de Teresa (1954-2016) fut le premier ministre de la culture mexicain, nommé en 2016, après avoir dirigé pendant treize ans le Conseil National pour la Culture et les Arts et créé des dizaines d’institutions culturelles, organisé un réseau dense de 1200 musées et plus de 10.000 bibliothèque et mené une politique d’Etat visant à donner accès à la culture à tous les Mexicains et à soutenir la création artistique contemporaine- on lui doit notamment une chaine publique culturelle, Canal 22. Ses liens personnels avec la France sont anciens et amicaux, puisqu’il vint étudier à la Sorbonne et à Sciences Po entre 1974 et 1978 et fut ensuite ambassadeur du Mexique en France de 1983 à 1987. Mais en fait, ses liens familiaux avec la France sont encore plus anciens, puisque son grand père s’exila en France en 1911 après la chute du président Porfirio Diaz, une histoire qu’il raconta dans son livre, Paraiso es tu memoria, non traduit en français. Une occasion de revenir sous un épisode souvent publié ou maltraité de l’histoire mexicaine (et un peu française).

Les Cientificos, disciples d’Auguste Comte : Ordre et Progrès au Mexique

En 1876, le général (souvent peu généreusement qualifié de dictateur) Porfirio Diaz (1830-1915), héros de la guerre contre les Français et compagnon d’arme de Benito Juarez, renverse Lerdo de Tejada, successeur de Juarez au terme d’une élection truquée. En tant que Président ou qu’homme fort, il restera au pouvoir 34 ans, avec une idée : moderniser le Mexique, le rendre capable d’une indépendance matérielle, intellectuelle et culturelle vis-à-vis des USA, effacer le traumatisme qu’avait été la guerre catastrophique de 1846-1848, qui voit la perte du Texas, du Nouveau-Mexique, de la Californie, de l'Utah, du Nevada, du Colorado et de l'Arizona :  (Porfirio Diaz : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si proche des USA ! »). Pour mener cette modernisation, il s’appuie sur une élite francophile, les Cientificos, brièvement évoquée sur les panneaux explicatifs de l’exposition Mexique 1900-1950. Ces Cientificos forment un groupe soudé de disciples du positivisme d’Auguste Comte, dont la doctrine avait été introduite au Mexique par Gustavo Barreda. Diaz les associe au pouvoir en 1892, sous la bannière de l’Union Libérale – je dis associer, car les relations entre Diaz et ses conseillers et ministres cientificos furent assez mouvementées. Parmi les principaux dirigeants Cientificos, citons Jose Limantour (ministre des finances), Justo Sierra (ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts), Pablo Macedo (maire de Mexico). José Yves Limantour (1854-1935), à la tête des finances mexicaines pendant 21 ans, était le fils d’un capitaine de goélette de Lorient qui s’était échoué en Californie, alors mexicaine et s’y était installé. L’action de redressement des finances et de modernisation du pays des Cientificos (développement du crédit, des mines, des moyens de communications,- ports et chemins de fer-, de l’agriculture par la confiscation et la mise en valeur des immenses domaines de l’église, l’électrification, le télégraphe, mais aussi la laïcisation de la société fut remarquable en tous points. L’élite mexicaine se forma à l’Ecole Nationale, dont le fronton arborait fièrement le slogan positiviste : Ordre et Progrès. Diego Ribera y fut élève.
Le renversement de Porfirio Diaz, depuis trop longtemps au pouvoir et qui n’admit pas de perdre sa dernière élection, une réforme agricole mal engagée et l’intervention malveillante des USA qu’un Mexique devenant puissant et moderne inquiétait, entrainèrent la fin du Porfiriat, une période d’anarchie meurtrière, et l’exil en France du général Diaz (il y mourut à Paris en 1914) et de ses principaux conseillers cientificos, dont Limantour.

C’est cette histoire que raconte dans ses livres Rafael Tovar Paraíso es tu memoria (2009); El último brindis de Don Porfirio (Le dernier toast de Don Porfirio, 2012); De la paz al olvido. Porfirio Díaz y el final de un mundo (De la paix à l’oubli. Porfirio Díaz et la fin d’un monde, 2015) ; celle d’un Mexique que les Cientificos positivistes considéraient comme une république sœur de la France.


On peut regretter que le gouvernement français n’ait pas mieux salué la vie, l‘œuvre et le rôle dans les relations entre le Mexique et la France de Rafael Tovar y De Teresa ; regretter aussi que l’histoire commune entre le Mexique et la France, avec ses hauts et ses bas, ne soit pas mieux connue ; se dire qu’il est peut être temps, après plus de cent ans, d’évaluer plus objectivement le Porfiriat – certains députés du Parti Révolutionnaire Institutionnel, au pouvoir depuis 1929 (sauf une interruption entre 2000 et 2012) sont en faveur du retour de la dépouille de Porfirio Diaz, enterré au cimetière du Montparnasse à Paris ; et que cette période où l’influence intellectuelle et politique de la France était grande peut nous inviter à relancer une politique américaine qui ne soit pas une politique US.


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