Décoloniser Les Provinces _ un petit livre important
Michel Onfray publie beaucoup, et
je le lit aussi beaucoup, toujours avec intérêt. Je voudrais signaler – un peu
trop tard pour cette période électorale, malheureusement, mais ce sera de toute
façon utile pour la suite - un petit livre spécialement important, Décoloniser les Provinces, Editions de
l’Observatoire, 2017. Très lisible, brillamment écrit, comme d’habitude, il
me semble résumer clairement la pensée politique de Michel Onfray, à laquelle
des interventions fragmentaires dans des media qui les tronquent pour ne retenir
que ce qui peut faire du buzz ne rendent pas justice – et surtout ne facilitent
pas la compréhension. Il y a dans cet ouvrage, comme une synthèse, comme une évidence
soudaine d’unité de l’ensemble de l’œuvre de Michel Onfray- et des
considérations politiques bien utiles.
Paraphraser Michel Onfray est vain,
on est sûr de faire moins bien que l’original, aussi je ne donnerais ici qu’un
résumé vraiment succinct – surtout lisez le livre ! Décoloniser la
Province a été le titre d'un discours de Michel Rocard de 1966, qui
réclamait une décentralisation de la décision financière. Michel Onfray, qui
veut évidemment aller beaucoup plus loin, dénonce le jacobinisme généralisé :
« Depuis Philippe le Bel
jusqu’à… François Hollande, en passant par Louis XIV, Robespierre, Napoléon, de
Gaulle, Mitterrand, la France est centralisée, jacobine si vous me permettez le
néologisme pour les deux premiers noms propres. L’Etat qui décide tout d’en
haut a montré ses limites antidémocratiques: désormais, ça n’est pas le peuple
qui gouverne, mais des élus qui ont fini par constituer une caste politicienne
technocratique qui, une fois de droite, une fois de gauche, mais toujours libérale,
se partage le pouvoir »… Décoloniser les provinces est un plaidoyer pour
le girondisme, le communalisme libertaire, le pouvoir de parlements régionaux,
l’autogestion, l’autorité consentie » (interview au Journal Le Temps). Décoloniser les Provinces,
c’est une contre-histoire de France dont les héros seraient les Girondins, les
Communards, Proudhon, si diffamé par les marxistes, les héros des indépendances
communales, les autogestionnaires de Lipp, le De Gaulle du référendum sur les régions de 1969…
Pour éviter des contresens fâcheux,
précisons ceci qu’Onfray souligne bien : il ne suffit pas d’être contre le
nationalisme français pour être antijacobin. On peut être indépendantiste
Breton, ou Corse et terriblement jacobin, ou également pro-européen et partisan
d’une Europe jacobine- c’est bien le cas avec les institutions actuelles,
notamment la Commission Européenne. Le scandale du referendum européen de 2005,
où les Français (et les Néerlandais) ont refusé une constitution qui leur a été
finalement imposée par une autre voie revient souvent dans ce livre, comme
justement le symbole d’un ultra jacobinisme-
depuis, Michel Onfray ne vote plus.
Michel Onfray et Taine : a-t-il tout lu ?
Un point m’a particulièrement interpellé – oh, allez osons, touché,
l’hommage rendu à Hyppolite Taine (1828-1893) et à son Histoire de la France contemporaine. Michel Onfray le remercie de
l’avoir désintoxiqué des interprétations marxistes et pro-jacobines de la Révolution Française, dont
même Furet et Mona Ozouf, qui s’est expliquée de manière émouvante sur la
tension entre ses deux héritages maternels et paternels, n’ont pu totalement se débarrasser. D’où l’éloge du girondisme.
Il se trouve que j’étais en train de lire Taine, que j’ai interrompue pour
Onfray. Onfray a raison, il faut redécouvrir Taine, c’est une lecture
essentielle pour nous comprendre et au-delà. Il y a dans Taine, sans que le mot de totalitarisme, pas encore inventé,
soit utilisé la première analyse complète du phénomène totalitaire, des circonstances qui le font naître et le
favorisent, de son idéologie, de ses méthodes d’action, de l’élimination de
tous les corps intermédiaires, de la
psychologie de ses militants, des sentiments qu’il mobilise et détourne, dont
celui de la démocratie, et de l’escalade de l’éloge de l’émeute, du pouvoir de
la rue, à l’élimination de toute dissidence et pour finir aux massacres de
masses. Un exemple qui fait frémir : les génocidaires du Rwanda rentrant
de leurs expéditions meurtrières disaient :
« nous avons bien travaillé ». Eh bien, et Taine pointe cette
utilisation si particulière du mot : c’est exactement ce que disaient les
massacreurs de septembre 1792. En passant, lorsque certains historiens
prétendent pudiquement ne pas savoir qui ils étaient, il suffit de lire
Taine : il donne les noms, et les noms aussi de ceux qui les manipulaient.
D’où tout de même une question – il manquait certaines pages à
l’édition d’ Onfray ou il les a sautées ? Comment peut-il faire l’éloge du
contrôle continu des représentants par les représentés un des critères de la
démocratie, alors que Taine montre bien qu’il s’agit au contraire d’un des
trucs (trucages ?) favoris des totalitaires, qui aboutit inéluctablement
au contrôle du pouvoir politique par des
minorités bien organisées ? Et son éloge du Girondisme apparait bien
problématique lorsque Taine montre comment les Girondins ont utilisé la
rhétorique jacobine, ont cru utiliser et
manipuler ceux qu’il appelle la « secte » et ses méthodes violentes,
pour être au contraire manipulés et finalement éliminés par ceux dont ils
avaient cru se servir. Il faut lire les pages où Taine, non seulement grand
historien mais aussi, comme souvent, grand écrivain, décrit M. et Mme Roland,
dans leur bureau du ministère de l’intérieur, constater avec effarement le
déchainement des violences barbares dans toute la France, les traces sanglantes
des groupes jacobins qui remontent vers Paris, les rapports des autorités
locales qui demandent des instructions, leur impuissance, ou plutôt leur
résignation et leur consentement à l’impuissance. Ou ceci ?
« Parce qu’ils ont lu Rousseau et Mably,
parce qu’ils ont la langue déliée et la plume courante, parce qu’ils savent
manier des formules de livre et aligner un raisonnement abstrait, ils se
croient des hommes d’Etat. Parce qu’ils ont lu Plutarque et le Jeune
Anacharsis, parce que, sur des conceptions métaphysiques, ils veulent fonder
une société parfaite, parce qu’ils s’exaltent à propos du millenium prochain,
ils se croient de grandes âmes. Sur ces deux articles, ils n’auront jamais le
moindre doute, même après que tout aura croulé sur eux, par leur faute, même
après que leurs mains complaisantes auront été souillées par les mains sales
des bandits dont ils ont été les instigateurs, par les mains ensanglantées des
bourreaux dont ils sont les demi-complices »
Annonce : devoirs d’été sur ce
blog ?
Ah ben tiens, voilà. J’ai trouvé mes devoirs d’été. Onfray a raison, le
jacobinisme a conquis tout le spectre politique avec une droite qui a complètement abandonné sa tradition
décentralisatrice, une gauche, qui n’a jamais aimé sa tradition libertaire, une
extrême gauche plus jacobine léniniste que jamais, et maintenant même un
extrême centre extrêmement jacobin. Donc, peut-être, cet été, ce blog va se
transformer en un feuilleton, la publication d’extraits, de « bonnes
pages », de l’histoire de la France contemporaine, cette histoire d’un
historien fortement inspiré par le positivisme.
Ça devrait bien me faire une dizaine de lecteurs par blogs ; pas
grave, j’aurais fait mon travail ( car ç’est tout de même un scré blot).
De toute façon, lisez Décoloniser les Provinces, Onfray et Taine !
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