Les mauvais contrats de travail chassent
les bons
Ces gens de la secte libérale, de qui se
moquent-ils ? Ils connaissent par cœur la loi de Gresham selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne » et
ignoreraient sa transcription sociale : « le mauvais contrat de
ravail chasse le bon ». Alors vivent les CDD de cinq ans, vivent les CDI d’opération
qui peuvent s’arrêter à tout moment, vivent les accords d’entreprise conclus
sans syndicats pour supprimer les treizièmes mois et baisser les salaires au
niveau conventionnel, vivent les indemnités minimales de licenciement…
Un article remarquable de Luc Peillon de
Libération, ou les excellentes raisons de s’opposer aux ordonnances du docteur
Macron : Le salarié du futur
Luc Peillon (http://www.liberation.fr/auteur/1973-luc-peillon)
Primes renégociées, CDI
de chantier… «Libération imagine la trajectoire d’un employé une fois les ordonnances
sur le code du travail appliquées.
CDD
de cinq ans, CDI de chantier
Dominique est chanceux. A
28 ans, il vient de décrocher un CDD dans la PME située à deux pas de chez lui.
Une boîte de fabrication de pièces pour automobiles où il peut exercer ses
talents de fraiseur. Un CDD… de cinq ans, qu’il s’est empressé de signer. Fini,
la durée maximale de 18 ou 24 mois pour les contrats à durée déterminée : la branche
de la métallurgie a décidé de profiter à fond de la nouvelle loi réformant le
code du travail, et de choisir la durée maximale autorisée par la jurisprudence
européenne, dernier rempart, désormais, dans ce domaine.
Son patron a aussi
indiqué à Dominique que son CDD pourrait éventuellement être renouvelé
plusieurs fois, avec un délai de carence réduit au minimum. Et tant pis si la
banque lui a refusé son prêt immobilier pour manque de visibilité sur son
avenir professionnel. Deux ans plus tard, comme Dominique travaille bien, son
employeur leconvainc de rompre d’un commun accord son CDD et d’accepter un CDI.
Un CDI «d’opération». Car là aussi, la branche a utilisé pleinement la nouvelle
législation en instaurant des CDI «de chantier ou d’opération», dont la rupture
intervient avec la fin des tâches prédéfinies dans le contrat. Pour Dominique,
il s’agit de la mise en place des trois nouveaux robots fraîchement arrivés
d’Allemagne. Une fois ceux-ci installés, le CDI s’éteindra de plein droit. Dominique
est un peu déçu mais la rémunération continue de le motiver : il touche une
prime de vacances et un 13 mois - les partenaires sociaux de la branche de la
métallurgie viennent de l’adopter.
Avec
la nouvelle loi, plus besoin de syndicat dans les boîtes de moins de 50
salariés pour signer un accord
Sauf que les temps sont
durs. Peugeot menace de faire une croix sur les commandes, et les comptes
risquent de virer au rouge. Pas très difficile, dans ces conditions, de
persuader les élus du personnel de signer un accord supprimant à la fois le 13
mois et la prime. Une pratique permise par le nouveau code du travail, qui a
exclu du domaine de la branche la plupart des thématiques qu’elle pouvait
traiter et imposer à toutes les entreprises de son champ, avant la réforme.
Dont les primes (hors travaux dangereux) et le 13ème mois.
Dominique est quand même
heureux. Son salaire, 1 400 euros net par mois, est bien au-dessus du smic. Son
secteur industriel paie toujours mieux que le bâtiment ou les services. Sauf
que cette fois, c’est presque sûr, l’a prévenu son patron, ses concurrents sont
allés plus loin dans les souplesses accordées par la nouvelle législation :
Peugeot est à deux doigts de rompre son contrat avec la PME, qui représente
presque 30 % du chiffre d’affaires. Pas le choix, il faut s’aligner sur les
autres, au risque, sinon, de perdre un des plus gros clients.
Fini
les garanties de l’ancien monde qui prévoyaient notamment que le salaire ne pouvait
pas baisser
Mais le chef d’entreprise
se rassure vite : la nouvelle loi permet de négocier de nouveaux accords de
compétitivité, où tout ou presque est permis. Fini les garanties de l’ancien
monde qui prévoyaient notamment que le salaire ne pouvait pas baisser. Pour
«répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise», ou (au
choix) pour «préserver ou développer l’emploi», son patron a proposé aux
salariés un accord qui réduira la rémunération de Dominique au niveau du
minimum conventionnel, soit 230 euros de baisse mensuelle. Et qui l’oblige
également à travailler en horaires décalés. L’accord a convaincu d’autant plus
facilement les salariés que c’est Philippe, le délégué du personnel, proche du
patron c’est vrai, qui a négocié. Les choses ont bien changé depuis le dernier
accord, quand la CGT avait mandaté un salarié et suivi de près les
négociations, comme l’imposait l’ancien code du travail. Avec la nouvelle loi,
plus besoin de syndicat dans les entreprises de moins de 50 salariés pour
négocier et signer un accord.
Dominique reste néanmoins
(encore un peu) optimiste. Il a toujours son boulot. Et depuis huit mois qu’il
bosse en CDI («d’opération»), il a déjà installé deux robots. Ne reste plus que
le troisième à mettre en place. Sauf que… Dominique ne comprend pas, il vient
de recevoir une lettre qui lui annonce la fin de son contrat. «Et le troisième
robot ?» s’insurge-t-il. Il se plaint auprès de son collègue Antoine, dans les
vestiaires : «C’est totalement injustifié !» Antoine est sympa et lui livre les
dernières rumeurs qui circulent : le patron aimerait bien embaucher son
petit-neveu. Et il a les compétences parfaites pour le poste… de Dominique.
«Mais chut, tu ne dis rien», lui demande Antoine. Cette fois-ci, c’en est trop
pour Dominique : «Un CDD de cinq ans puis un CDI d’opération, la prime de
vacances et le 13 mois supprimés puis la baisse de salaire de 230 euros par
mois. Et maintenant un licenciement injustifié ?» Comme Dominique n’est pas du
genre à se laisser faire, il va saisir les prud’hommes. Sûr, il va arracher un
beau pactole à son patron pour cette injustice.
Nouveau
barème aux prud’hommes
Quelques mois plus tard,
quand les juges des prud’hommes lui expliquent, il ne veut pas y croire : oui,
ils savent que c’est le petit-neveu qui a été embauché. Et oui, ils auraient
voulu sanctionner le patron. Mais Dominique ne pourra pas toucher plus de trois
mois de salaire en compensation. C’est le nouveau barème qui veut cela : avec
trente-deux mois de présence dans la boîte, et même si le licenciement est
irrégulier, il ne peut pas toucher plus de trois mois de salaire brut d’indemnités.
Quelques mois plus tard, Dominique n’est plus seul : le patron a licencié un tiers
des salariés de la boîte. L’entreprise allait mal, paraît-il. «Même si elle faisait
partie d’un groupe international qui pétait le feu ?» demande Dominique à
Antoine, au chômage lui aussi. Antoine ne sait pas trop quoi répondre. Mais en
allant aux prud’hommes, les juges leur disent qu’ils n’ont plus le pouvoir,
avec la nouvelle loi, de juger des difficultés économiques au niveau du groupe.
Seulement de la France. Dominique et Antoine attendent désormais avec
impatience la réforme à venir de l’assurance chômage, prochain dossier social
au menu du gouvernement.
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