En juin 1972, à Pierrelatte où l’on enrichissait
l’uranium pour les besoins de la « force nationale de dissuasion », une mesure
de routine, par spectrométrie de masse, de la teneur isotopique d’un
échantillon d’hexafluorure d’uranium naturel UF6 en tête d’usine a présenté une
petite anomalie : il n’y avait que 0,7171 % de U235 au lieu de la valeur habituelle
0,7202 ! Une autre version implique une livraison du CEA à des clients
soviétiques qui auraient protesté contre une teneur insuffisante en U235
Cet uranium naturel avait donc été appauvri, tout se
passait comme si une partie avait déjà
participé à une réaction de fission nucléaire. Et c’est en fait exactement ce
qui s’est passé !
Très vite, les scientifiques ont situé l’origine du
problème dans les mines d’uranium d’Oklo au Gabon, et l’hypothèse incroyable a
été confirmée : oui, des réacteurs nucléaires naturels ont bien
fonctionné.
Et pas qu’un : seize sites ont été découverts à Oklo
et un à Bangombé, à une trentaine de kilomètres avec des traces de réactions de
fission datant de 1,95 milliard d'années !
Les réacteurs nucléaires naturels d’Oklo ont fonctionné
il y a environ 2 milliards d'années, et la réaction la réaction s’est maintenue
pendant plusieurs centaines de milliers d’années (entre 150 000 et 850 000
ans). Lorsque les réacteurs ont commencé à fonctionner, la part de l’isotope
fissile 235U dans l’uranium naturel (proportion des noyaux) était de l’ordre de
3,66 %, valeur proche de celle de l’uranium enrichi utilisé dans les réacteurs
nucléaires actuels ( en raison de la radioactivité naturelle, de tels taux
d’enrichissements n’existent plus aujourd’hui sur la Terre). Au moins 500
tonnes d'uranium auraient participé aux réactions nucléaires qui ont dégagé une
quantité d'énergie estimée à environ 100 milliards de kWh. L'intégrale du flux
neutronique a dépassé en certains points 1,5 × 1021 n/cm2 et, dans certains
échantillons, la teneur en U235 a chuté jusqu'à 0,29 % (contre 0,72 % dans
l'uranium géologique normal)
Les réactions de fission en chaîne se sont produites au ralenti
pendant près de 100 000 ans, comme un feu qui couve. Elles étaient régulées par
la présence d’eau : au fur et à mesure que la réaction s’intensifiait,
augmentant la température, l’eau s’évaporait et s’échappait, ce qui ralentissait
la réaction (plus de neutrons rapides et moins de lents), empêchant un
emballement du réacteur. Après la baisse de la température, l’eau affluait de
nouveau et la réaction réaugmentait, et ainsi de suite. On pense désormais que
les réacteurs de la zone nord d’Oklo ont fonctionné à une profondeur de
plusieurs milliers de mètres sous leurs sédiments. A ces profondeurs, les
conditions de température et de pression étaient proches de celles que l’on
rencontre dans un réacteur à eau pressurisée d’aujourd’hui (350 à 450 °C, 15 à 20
Mpa), tandis que ceux du sud ont fonctionné plutôt sous 500 m de terrain, à des
conditions (250 °C, 5 Mpa) voisines de celles des réacteurs à eau bouillante.
Pendant leur fonctionnement, les réacteurs naturels ont
produit 5,4 tonnes de produits de fission, 1,5 tonne de plutonium et d’autres
éléments transuraniens. Tous ces
éléments sont restés confinés jusqu’à leur découverte, en dépit du fait que
l’eau coule dedans et qu’ils ne se présentent pas sous des formes chimiquement
inertes.
A
Oklo, les éléments radioactifs n'ont subi
que quelques centimètres de déplacement dans la plupart des cas,
quelques mètres au plus. Lors du fonctionnement
du réacteur, l’eau chauffée sous pression a entrainé une dé-silicification des
grès environnants, qui se sont transformés
en une gangue argileuse, qui a limité la migration des eaux et gardé l’uranium
en place. Ainsi, de proche en proche, le réacteur a créé son propre
environnement, la zone de réaction se déplaçant progressivement, un peu comme
la zone fondue d’une bougie.
L'eau bouillante produite par le fonctionnement lessivait
directement les matières radioactives, provoquant parfois des effondrements. Le moins qu’on puisse dire est que ce
confinement était effectué sans grandes précautions ! Même dans le pire
des scénarios, il est difficile d'imaginer de tels lessivages dans les sites de
stockage envisagés. Or pourtant, les zones où ces réactions se sont produites
sont restées confinées sur plusieurs centaines de mètres de profondeur dans une
région qui n'a connu aucun bouleversement géologique important en deux milliards
d'années.
Donc, le confinement géologique, ça fonctionne ! Il n’y a
pas de raison de penser que ce qui s’est produit dix-sept fois au Gabon ne
s’est pas également produit ailleurs sur Terre, notamment dans les vieux
minerais riches du Canada ou d’Australie…
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