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mercredi 24 novembre 2021

Les Pays-Bas vers un programme nucléaire ? Le rapport de KPMG

En Septembre 2020, le Parlement néerlandais présentait un rapport sur « le  Rôle possible du nucléaire dans le futur mix énergétique néerlandais ». Principales conclusions :

« Le nucléaire est une énergie sûre, pilotable et à faible empreinte carbone, capable de fournir un flux continu et sécurisé d’électricité pour les générations à venir. Pendant plusieurs décennies, l’énergie nucléaire a été l’une des sources d’électricité les moins chères et  c’est bien toujours le cas pour les unités aujourd’hui  en fonctionnement. Comme le montrent de nombreuses études internationales, la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires en exploitation est  de toutes les alternative disponible celle qui  réduit les émissions de CO2 au coût le plus bas. »

«  Le cas  Chinois (EPR de Taishan) nous montrent que les problèmes de construction du nouveau nucléaire peuvent être résolus, ce qui permet réduire considérablement, voire de supprimer  les dépassements de temps et de coûts…Si un pays comme les Pays-Bas choisit une usine d’un nouveau prototype auprès d’un fournisseur expérimenté, on peut maintenant s’attendre à ce que les risques de retards majeurs dans la construction et de dépassements de coûts soient limités. »

Ce rapport n’a pas été laissé sur un coin de table. Depuis les Pays-Bas se sont lancés dans la mère de toutes les batailles pour le financement du nucléaire, en réclamant l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne.

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/10/taxonomie-les-pays-bas-poussent.html

Buts et principaux résultats de l’étude KPMG : un choix gouvernemental clair et stable, une technologie éprouvée (la GEN III)

KPMG, Nuclear Energy  market consultation, july 2021

Dans ce contexte, un rapport a été demandé au cabinet de conseil KPMG pour répondre aux question suivantes : Dans quelles conditions les acteurs nationaux et internationaux du marché sont-ils prêts à investir dans des centrales nucléaires aux Pays-Bas? - Quel soutien public est nécessaire pour cela? - Quelles régions sont intéressées par  la construction d’une centrale nucléaire? ― Comment les Pays- Bas peuvent-ils effectuer leur retour dans le  nucléaire de manière économique aussi optimale que possible.

KPGM a interrogé 41 acteurs du marché national et international, y compris des entrepreneurs, des fournisseurs de technologies de base, des opérateurs, des spécialistes du démantèlement et des financiers. Des entretiens ont également été menés avec 14 régions néerlandaises.

L’énergie nucléaire joue actuellement un rôle mineur dans l’approvisionnement en électricité des Pays-Bas, la centrale de Borssele - qui a commencé à fonctionner en 1973 - fournissant environ 3% de la production totale. L’exploitant actuel, EPZ, a appelé à une prolongation de son exploitation au-delà de 2033 et/ou à la construction de deux nouveaux grands réacteurs sur le site afin d’aider les Pays-Bas à atteindre leurs objectifs énergétiques et climatiques.

Pour KPMG, Les acteurs du marché - tels que les entrepreneurs, les opérateurs et les fournisseurs - investiraient dans la construction de nouvelles capacités de production nucléaire aux Pays-Bas à condition que le gouvernement contribue au coût et qu’il y ait un soutien public. L’étude a révélé que les acteurs du marché accordent une importance considérable à l’existence d’une politique gouvernementale stable en ce qui concerne l’énergie nucléaire et en ont une  condition préalable à la construction de toute nouvelle construction nucléaire. L’importance du financement, les risques substantiels et les délais de construction ont pour conséquence que la participation du gouvernement semble inévitable

La consultation a révélé que la plupart des entreprises potentiellement impliquées ont souligné l’importance de choisir une technologie de réacteur éprouvée qui réponde aux exigences de sûreté applicables. Les petits réacteurs modulaires (SMR) sont considérés comme une option intéressante, mais ils ne sont pas encore disponibles dans le commerce. Un SMR basé sur une conception de réacteur de génération III + devrait prendre environ 10 ans pour être autorisé et construit, et  une conception éprouvée ne sera disponible qu’en 2027-2035 au plus tôt. Ce sera encore plus long pour des design plus novateurs.

Les acteurs du marché ont déclaré que les réacteurs de génération IV (surgénérateurs comme le programme Astrid) présentent des avantages potentiels en termes de sûreté et / ou de production de déchets, mais ne devraient pas être commercialisés avant 2040, ce qui les mettra sur le marché trop tard pour atteindre l’objectif climatique de 2050.

Les acteurs du marché ont donc largement indiqué que les Pays-Bas devraient opter pour un réacteur de génération III+ maintenant et en temps voulu pour un réacteur de génération IV une fois que la technologie aurait été prouvée

Focus sur quelques  points de rapport

1a) Consensus sur une technologie éprouvée, la GENIII et des SMR dans le futur

Les investisseurs potentiels  soulignent  l’importance du choix d’une technologie éprouvée qui répond aux exigences de sûreté applicables, et il existe un large consensus selon lequel les Pays-Bas devraient opter pour un réacteur de génération III, et, bénéficiant de l’expérience des projets en cours, ils s’épargnerait les problèmes des prototypes, dépassements de coûts et retards…

Une génération II modernisée et standardisée peut  paraître une option économiquement attrayante, car moins chère et déjà éprouvée. Cependant, les investisseurs la considère comme irréaliste en termes de soutien social, car ne répondant pas aux exigences de sécurité supplémentaires requises après Fukushima.

Les réacteurs de génération IV (Surgénérateurs, Astrid) présentent un intérêt certain avec des avantages potentiels en termes  de sécurité et/ou de déchets, mais ne devraient pas entrer sur le marché avant 2040, de sorte qu’ils arriveront trop tard pour les objectifs climatiques de 2050.

Les SMR (Small Modular Reactors, entre 10 et 300 MW) sont considérés par les investisseurs potentiels comme une option intéressante. En raison de leur plus petite taille, de leur conception modulaire et de leur construction partiellement en usine, ils pourraient être construit plus rapidement, et de manière plus économique. Cependant, il existe encore trop d’incertitudes : ils en sont encore au stade du prototype avec tous les problèmes potentiels, le business model est considéré comme révolutionnaire (c’est pas un compliment !) et les délais pour respecter les objectifs climatiques de 2050 sont trop courts. Les décideurs craignent également un soutien public limité pour la constructions de plusieurs réacteurs répartis dans tout le pays.

 Le rapport recommande aux Pays-Bas d’attendre  la maturité et la preuve de concept des SMR, puis de choisir un développeur performant capable de construire des SMR  sur plusieurs sites ou de garantir vous-même la production en série.

1b) SMR : les projets en compétition

Coût de production des SMR :

1c) Vers un EPR ? Choisir des GENIII déjà construits ou en construction

Il existe donc  un large consensus parmi les investisseurs potentiels pour un réacteur de génération III+ de conception éprouvée. Afin d’éviter les problèmes liés aux prototypes et de profiter de l’expérience accumulée sur des projets en cours,  les Pays-Bas devraient  de choisir parmi les conceptions de génération III+ dont un (certain nombre de) réacteurs ont déjà été construits ou sont en construction : EDF (Olkiluoto, Flamanville, Hinkley Point C), Westinghouse (Vogtle), KEPCO (Barakah) et Rosatom (Ostrovets, Akkuyu, Hahnikivi, Paks II).

Les investisseurs potentiels indiquent que toutes les conceptions ci-dessus leur paraissent robustes. Rosatom a été mis hors champ d’application à la demande du ministère des Affaires économiques, tout comme les technologies des réacteurs chinois. Un choix final ne pourra être fait qu’en 2021-2023 lorsqu’un ou plusieurs réacteurs de toutes conceptions seront réalisés. ―

2) Coût et et financement du nouveau nucléaire

Au fur et à mesure que les conceptions de ces réacteurs de génération III+ mûrissent et que les connaissances et l’expertise se développent en Europe, les coûts devraient significativement diminuer. On estime qu’ il est possible d’économiser jusqu’à ~ 28-40% par MW  par rapport à un réacteur FOAK  (prototype)dans la construction d’une centrale nucléaire à deux réacteurs basée sur une conception éprouvée : effet prototype : -20/-30% (effets d’apprentissage sur la conception et la construction ; effet  productivité lors de construction en série 2% dans un deuxième réacteur, 8-13% dans un cinquième réacteur, sur même site, gain supplémentaire de  6-8%. S ces chiffres proviennent de situations réelles observées en France et dans les Emirats Zrabaes Unis. La NEA, quant à elle, considère  que les économies réalisées grâce à la construction en série peuvent atteindre ~ 33-45% par MW par rapport à un prototype.


2a) Les conditions de financement un cadre stable : Une politique stable et cohérente en matière d’énergie nucléaire est une condition préalable importante pour les financiers privés.

Le développement d’une nouvelle centrale nucléaire est un projet à long terme. Compte tenu des exemples récents de changements de politique, une politique stable et un soutien politique sont essentiels pour les financiers privés

La perception du risque des financiers privés est alimentée par plusieurs exemples récents de changements de politique en Europe, tels que la décision de l’Allemagne, à la suite de Fukushima, de fermer toutes les centrales nucléaires allemandes d’ici 2022. (En conséquence, six centrales nucléaires doivent fermer prématurément. Cette affaire a eu de longues conséquences (juridiques), avec un règlement de 2,4 milliards d’euros en mars 2021 ; la loi interdisant le charbon dans la production d’électricité qui a conduit à la fermeture des centrales au charbon néerlandaises, y compris certaines centrales mises en service en 2015 et 2016, d’ici 2030;  Le changement de politique de l’Espagne pour les tarifs sur l’énergie durable

Le seul soutien politique seul ne suffira pas, il faudra un  signal fort par une participation publique au projet. Par ailleurs, les financiers privés exigeront très probablement des garanties de résiliation anticipée du projet et  des  compensations financières en cas de cessation anticipée (c’est-à-dire avant l’achèvement de la construction ou trop tôt après le début de l’activité)

2b) Les modes de financement : plutôt le RAB  que le  Mankala ou le Cfd

Sur la base des projets existants et des initiatives en cours, diverses structures de financement peuvent être observées sur le marché

Dans les années soixante-dix, le modèle Mankala a été développé en Finlande, dans lequel les clients industriels locaux de l’énergie investissent dans la centrale nucléaire, souvent en combinaison avec le financement du fournisseur. Bien qu’il s’agit essentiellement d’un modèle à financement privé, dans la pratique, les autorités locales sont souvent impliquées.

Les contrats de différence (« CfD ») et  les contrat d’achat d’électricité (« PPA ») sont des modèles qui permettent d’assurer  la sécurité des revenus, mais  ne réglementent pas explicitement la répartition des autres risques. En conséquence, des garanties supplémentaires seront souvent demandées à cet effet (au gouvernement).

Le  Royaume-Uni semble se tourner modèle de base d’actifs réglementés (« modèle RAB ») qui peut être appliqué à l’énergie nucléaire, comme c’est déjà le cas pour des projets d’infrastructure à grande échelle. Le modèle RAB fournit un rendement garanti sur la valeur de l’actif réglementé, répartit les risques entre les financiers et le gouvernement et assure un flux de revenus pendant la construction.)

Les diverses stratégies de financement

De façon plus précise :

Un CfD offre une sécurité de revenus jusqu’à un certain prix d’exercice. Un CfD fonctionne sur la base d’un prix d’exercice par MWh que l’exploitant de la centrale nucléaire recevra à l’avenir pour l’énergie produite. Si le prix du marché est inférieur à ce niveau, la contrepartie (c’est-à-dire le gouvernement) compense cette différence en faveur de l’opérateur et si le prix du marché est supérieur au prix d’exercice, c’est en faveur de la contrepartie (c’est-à-dire le gouvernement). Le prix d’exercice dépend également des risques que prennent à leur charge les financiers privés  Un CfD n’offre qu’une sécurité de revenus et ne couvre pas les risques tels que le déclassement, le risque de permis et certains risques de cygne noir pendant la construction. A l’avenir, Les financiers privés demandent des garanties supplémentaires.

Un accord tel que celui de Hinkley Point C, où EDF gère l’intégralité du risque de construction et reçoit un prix d’exercice qui tient compte de ce risque d’investissement, n’est pas considéré comme réaliste par les acteurs du marché pour les projets futurs.

Un PPA est un accord volume/prix à long terme entre un fournisseur d’énergie et un client. Grâce à un achat d’énergie prédéterminé à un prix fixe, un PPA offre une sécurité (partielle) des revenus. Des accords fixes et préalables sont conclus sur l’achat et (éventuellement) le prix entre un fournisseur d’énergie et un client d’énergie pour une période de 10 à 15 ans. Comme un CfD, un PPA n’offre qu’une sécurité de revenus. La principale différence entre un CFD et un PPA est qu’un PPA comprend également une obligation de volume, en plus des accords de prix. Ce modèle a été appliqué en Turquie (Akkuyu). Aux Pays-Bas, un accord similaire est  considéré comme impossible, puisqu’il n’existe pas de  production publique

RAB (Regulated Asset Based) : Afin de répondre aux besoins des financiers privés en matière de rendements au début du projet, de nombreux acteurs du marché proposent un modèle RAB. Les principaux avantages du modèle RAB pour un investisseur : des revenus sont assurés dès la phase de construction ; un degré élevé de certitude quant au rendement en fournissant une redevance fixe à un niveau de coût raisonnable qui comprend l’amortissement des investissements, les coûts d’exploitation et les coûts de déclassement ;  la possibilité d’introduire un « plafond de financement », un maximum du montant d’investissement à apporter par les financiers au-delà duquel les augmentations de coûts supplémentaires sont supportées par le gouvernement.

C’est ce modèle qui est privilégié par les investisseurs potentiels, aux Pays-Bas comme au RU. Cependant, il n’a jamais été appliqué aux centrales nucléaires auparavant, mais à des projets d’infrastructures de long terme, mais avec un niveau de risque faible.

2c) Financement et taxonomie : l’inclusion du nucléaire dans une taxonomie verte

Les investisseurs potentiels soulignent qu’une taxonomie verte européenne incluant le nucléaire  constituerait un signal fort de stabilité politique et aurait pour conséquence  un profil de risque plus faible, et  un impact positif sur les rendements demandés

Cependant, la Commission Européenne  semble très réticente et procrastine. A la suite de la motion Eckert (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/10/taxonomie-les-pays-bas-poussent.html), le gouvernement néerlandais agit en concertation avec d’autres pays européens dont la France pour obtenir l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Si cette action n’aboutissait pas, ou trop lentement et de manière insatisfaisante, le gouvernement néerlandais pourrait envisager d’introduire lui-même une taxonomie verte, comme le Royaume-Uni a décidé de le faire en novembre 2020. On ne sait pas quelle valeur les financiers privés internationaux attacheront à une taxonomie locale.

2d) Licences et autorités de régulation

Les acteurs du marché préconisent principalement la transparence, l’harmonisation et la prévisibilité dans le processus d’octroi de licences néerlandais.

Pour une centrale nucléaire basée sur une conception éprouvée, les prévisions de délais pour l’obtention d’un permis, basées sur les trajectoires étrangère,  vont de 3 à 5 ans. Pour un réacteur de génération IV, ou un SMR, les acteurs du marché  s’attendent à un processus plus long, en l’absence d‘un cadre établi. Ils sont prudemment optimistes quant au fait que l’adhésion à d’autres autorités de délivrance de licences entraînera des économies de coûts. L’ANVS indique qu’il est aussi ouvert que possible à l’harmonisation internationale, mais qu’il ne peut exclure que des changements interviennent en cours de construction.

Dans un passé récent, les dépassements de coûts et de temps dus au processus d’octroi de permis ont été courants….

 3) Les localisations possibles

Sur la base des entretiens et des conditions préalables pertinentes, deux  Provinces ont affirmé leur intérêt pour accueillir des centrales nucléaires.

 La première est la Zelande, autour de Borssele où se situe le seul réacteur nucléaire des Pays-Bas, un REP de 485MW. Cet emplacement bénéficie d’un soutien local, semble être le plus prometteur du point de vue du refroidissement et bénéficie de bonnes  connexions au réseau. Il y aurait à Borssele de la place pour deux  grandes centrales nucléaires (1 200-1 500 MW) en raison de l’expansion déjà prévue du réseau de 380 kV (ligne pointillée rouge). L’électrification possible de l’industrie locale pourrait  renforcer l’intérêt de l’implantation. Selon l’enquête, la province a une expériences positive avec la centrale nucléaire actuelle et est en faveur de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans le bouquet énergétique. Il existe un large soutien politique en faveur de la réalisation d’une nouvelle centrale nucléaire et un large soutien social. Les habitants sont habitués à vivre près d’une centrale nucléaire et aucun problème important n’est rencontré avec elle. Beaucoup de connaissances et d’expertise locales en matière d’énergie nucléaire sont déjà présentes, et il y a un désir de maintenir cette expertise et la chaîne de valeur existante.

L’autre province clairement intéressée est le Brabant Septentrional La province indique qu’elle s’attend à ce que l’énergie nucléaire joue un rôle dans le bouquet énergétique après 2030, pour atteindre la cible de décarbonation en 2050. La capacité de transport est adaptée, mais la Province est assez densément peuplée. Elle est assez dynamique dans le domaine de la recherche nucléaire, et se déclaré intéressée par des SMR ou des GenIV surgénérateurs (en particulier filière thorium)

Trois autres provinces ont déclaré n’avoir avoir aucune oppostion et considèrent que la décision est de la responsabilité  nationale :  Overijssel, Utrecht,  Zuid-Holland

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