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dimanche 19 mars 2023

Commission Schellenberger- Paroles de syndicalistes -3) CFE-CGC, CGT, CFDT

 Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France -réunion 30, 25 janvier 2023

M. Julien Lambert, CGT (FNME-CGT).

Le rôle néfaste de l’Union Européenne : dérégulation , ARENH, réduction des pilotables, manque de soutien au nucléaire

« L’Union européenne a livré le secteur de l’énergie aux intérêts privés, dégradant par là même la capacité du système énergétique à répondre aux besoins. Ces derniers risquent d’ailleurs d’évoluer avec le développement de l’électrification et de la décarbonation dans le secteur du transport et de l’industrie, en termes d’infrastructures, de production d’énergie et d’approvisionnement en métaux »..

« La déréglementation européenne du secteur doit également être mentionnée. Alors que la France disposait d’un système énergétique bâti à la Libération sur le choix de la nationalité de l’électricité et du gaz, le tournant engagé dans les années 1990 a fait la part belle au marché. Les acquis de notre politique énergétique ont été remis en cause par étapes : la privatisation, la séparation des activités verticalement intégrées, la tarification et la régulation favorables au développement d’une concurrence factice ont fait augmenter les tarifs tout en dégradant la sécurité d’approvisionnement et le service public. »

« Ces choix politiques ont été aggravés par une succession de compromis avec la Commission européenne qui a accentué la pression sur la France, jugeant les acteurs historiques trop puissants. Le troisième paquet de directives a imposé la séparation des activités de production, transport et distribution, contribuant à détruire les synergies permises par la nationalisation et l’intégration verticale qui a fait le succès d’EDF et de GDF. »

« La Commission a ensuite obtenu l’extinction des tarifs réglementés de l’électricité et du gaz, effective en 2016, ainsi que la mise en place du mécanisme de l’ARENH cette régulation asymétrique qui conduit à une tarification favorable aux négociants sans moyens de production. Les concurrents d’EDF ont réalisé peu d’investissements dans des moyens de production pilotables et ont intenté plusieurs recours pour obtenir la fin des tarifs réglementés afin de pouvoir augmenter leurs prix. Il est urgent de revenir sur ce dispositif. »

« Bruno Le Maire vient d’affirmer que le marché européen unique de l’électricité est devenu obsolète et qu’il faut que le consommateur paye son électricité à un prix qui reflète le coût de production de son mix national. Il reconnaît ce faisant implicitement l’inefficacité de la construction tarifaire qui découle de la loi NOME.

La réduction des moyens de production pilotables au profit du solaire et de l’éolien doit également être mentionnée. À travers les paquets européens adoptés en 2008 et révisés en 2014, l’Union européenne a orienté les investissements vers l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables intermittentes pour réduire les gaz à effet de serre, faute de consensus sur le mix énergétique. Le marché a conduit à la mise au placard de 12 000 mégawatts de moyens de production pilotables, essentiellement sur le thermique classique, mais aussi sur le nucléaire. Or ces moyens auraient pu nous prémunir contre le risque de coupure ou de délestage cet hiver.

La FNME-CGT estime que ces choix sont particulièrement problématiques pour la France, qui ne peut pas réduire ses émissions de gaz à effet de serre par le développement du solaire et de l’éolien. Pour nous, la production hydraulique demeure la production de renouvelable la plus importante en France et présente l’avantage d’être pilotable.

Le remplacement du nucléaire par le solaire ne peut pas non plus représenter un arbitrage climatique -puisque quasiment toutes les EnR émettent plus de CO2 que le nucléaire, ni un choix d’indépendance industrielle. La situation est également défavorable à l’industrie éolienne française, très dépendante en terres rares. Il est certes théoriquement possible de constituer des filières françaises ou européennes, comme l’éolien mer, mais encore faudrait-il que la Commission lève son véto sur les critères pouvant être pris en compte dans les appels d’offres publics. »

Alexandre Grillat, CFE-CGC : souveraineté, dogmatisme vert et libéral européen, un Etat défecteux,  l’énergie sous la coupe des ONG militantes

La souveraineté énergétique n’est plus une option mais redevient une nécessité vitale

" Le contexte géopolitique démontre que la mondialisation est loin d’être heureuse et qu’elle est marquée par le retour des rapports de force et la primauté de la guerre économique. Ainsi, certains n’hésitent pas à dire que dans un monde de carnivores, se comporter en herbivore est suicidaire.

 

Dans ce contexte, la souveraineté, l’autonomie, le refus de la dépendance à des pays tiers n’est plus une option pour maîtriser son destin, mais une nécessité vitale, une condition de survie pour nos sociétés et nos économies. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que les dirigeants politiques embrassent désormais la notion de souveraineté, après vingt années où les mots de souveraineté et de défense de nos intérêts pouvaient apparaître comme suspects. Encore faut-il que nous passions des discours en faveur de la souveraineté à des actes réellement souverains.

 

Puisque l’énergie est bien le sang de notre économie et de la vie de notre société, la souveraineté énergétique est la clef de la souveraineté tout court, et de la résilience face aux crises. Cette souveraineté doit tout autant être industrielle, technologique, scientifique, économique que numérique. Compte tenu de la compétition pour l’accès aux terres rares, métaux et matériaux critiques, cette souveraineté peut également être minérale, comme en atteste la création de la nouvelle délégation interministérielle dédiée à cet impératif.

 

L’énergie, au-delà d’être une question climatique, n’est pas qu’une question environnementale comme certains le défendent. Elle est aussi et surtout une question industrielle, de maîtrise des technologies, et désormais, une question numérique. La question énergétique est enfin une question par essence géopolitique, et donc bien souvent de défense des intérêts nationaux.

 

Nous vivons une compétition économique : cette guerre économique est une guerre énergétique, celle de l’accès à l’énergie à des prix qui assurent la compétitivité économique. À cet égard, comment peut-on parler de souveraineté énergétique sans maîtrise de l’ensemble des écosystèmes industriels des technologies retenues par les choix de politique énergétique ?

 

Si l’Union européenne et la France en particulier maîtrisent l’ensemble de l’écosystème industriel du nucléaire, de l’amont à l’aval, tel n’est pas le cas des énergies renouvelables, dont bon nombre d’équipements installés en Europe sont conçus et fabriqués en Chine. De même, si la stratégie européenne en matière d’hydrogène repose sur une prédominance des importations d’hydrogène dit vert et fabriqué hors d’Europe, l’Union européenne risque fort de remplacer sa dépendance au gaz russe par une dépendance à l’hydrogène non européen. En résumé, les choix énergétiques réalisés à Paris ou à Bruxelles ne peuvent en aucun cas faire l’impasse sur cette question de souveraineté industrielle et de maîtrise des écosystèmes industriels. »

La vertueuse politique allemande de la Commission et le double dogmatisme : dogmatisme vert et dogmatisme du marché

La France a déployé depuis plus de cinquante ans un bouquet énergétique équilibré fait de nucléaire, d’hydroélectricité, de gaz et progressivement d’énergies renouvelables, et une stratégie gazière fondée sur la diversité des pays producteurs et des points d’entrée  ̶  gazoducs mais aussi terminaux méthaniers. Tel n’a pas été le cas de l’Allemagne qui mise tout sur les énergies renouvelables avec son Energiewende, tout en cachant son addiction au charbon et surtout au gaz russe, sans avoir alors développé de terminal méthanier.

 

De son côté, la Commission européenne a jusqu’à présent fait preuve de dogmatisme, en bafouant la stratégie qu’elle avait elle-même édictée en 2000. La bataille sur la taxonomie, de 2020 à 2022, comme celle aujourd’hui sur l’hydrogène vert ou bas carbone mais encore les principes du Green Deal, le démontrent : la stratégie énergétique européenne n’a plus pour priorité la sécurité énergétique, mais d’être vertueuse et donc verte, guidée par le développement des seules énergies renouvelables. Cette stratégie se révèle être dogmatique au lieu d’être pragmatique, à la différence de celles États-Unis, par exemple.

 

L’influence allemande défend ardemment ses intérêts et ceux de son industrie à Bruxelles, non sans un certain succès. Nous devons de notre côté en faire de même. La Commission européenne elle-même se met en contradiction avec le traité Euratom, pourtant un des traités fondateurs de l’Union. Celui-ci stipule clairement que l’UE doit favoriser les investissements nucléaires en Europe.

 

En outre, elle n’hésite pas à reléguer au second plan le principe de subsidiarité en matière de mix énergétique, validé par le traité de Lisbonne de 2008. La CFE-CGC Énergies considère à l’inverse que la sécurité énergétique, la neutralité technologique bas carbone et le respect du principe de subsidiarité doivent être au cœur de l’Europe de l’énergie.

 

Au-delà de cette idéologie verte contraire à l’impératif de souveraineté, l’Europe de l’énergie s’est construite sur un autre dogme, celui de la main invisible du marché. La crise des prix de l’énergie à laquelle nous faisons aujourd’hui face le démontre : les défaillances d’un marché roi imposent une réforme de fond pour éviter un suicide industriel européen par perte de compétitivité énergétique et une paupérisation énergétique des Européens.

 

La Commission a en effet réduit l’Europe de l’énergie à un marché intérieur régi par les seules règles du marché et de la concurrence, tout en donnant aux énergies renouvelables des règles privilégiées  ̶ subventions et accès prioritaire au réseau  ̶  au détriment d’autres énergies. Ces dernières sont pourtant pilotables et donc essentielles à la sécurité d’approvisionnement de l’Europe.

 

Il s’agit bien là d’une question de souveraineté, qui impose de revoir la primauté du tout marché. Si la concurrence peut avoir une utilité, il faut la cantonner là où elle est utile, mais ne pas l’imposer de manière uniforme. Je me souviens ainsi d’un échange avec un représentant de la DG Énergie qui défendait l’idée selon laquelle l’intérêt général consistait à ne priver aucun des consommateurs européens des opportunités qu’offre le marché, grâce aux obligations faites à tous les États-membres d’imposer des offres de tarification dynamique.

 

Il est donc essentiel de faire un bilan de l’ouverture des marchés et de corriger le tir. Si la Commission européenne semble faire un premier pas avec les contrats long terme envisagés dans les pistes de projet de réforme et en les ouvrant au nucléaire, rien n’est gagné face aux partisans du statu quo, convaincus de la supériorité du tout marché.

Les fautes de l’Etat, mauvais stratège, mauvais actionnaire

« Durant les années 1960-1970, l’État avait fait preuve de clairvoyance stratégique et industrielle en choisissant une technologie nucléaire préconisée par EDF. Depuis 2001, en revanche, l’État s’est montré incapable de trancher la rivalité croissante entre AREVA et EDF, quand bien même il en était l’actionnaire majoritaire

Nous sommes enfin en droit de nous interroger sur la vision stratégique de l’État en matière de politique industrielle de l’énergie. L’État a, par ses atermoiements, laissé croire aux salariés de la filière que la sortie à terme du nucléaire était engagée. En engageant la fermeture de capacités nucléaires sans débuter la construction de nouvelles, il a profondément fragilisé une filière industrielle qui exige vision de long terme, constance et cohérence. Si la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de 2009 envisageait la construction d’un second EPR sans fermer la moindre capacité existante, tel n’a plus été le cas par la suite…

Sans industrialisation, les choix de politique énergétique ne peuvent répondre aux enjeux de souveraineté. À ce titre, la CFE-CGC Énergies préconise une diversification de la stratégie française d’énergies renouvelables. Il est aujourd’hui nécessaire de délaisser la logique du tout ENR électriques intermittentes  ̶ qui s’effectue bien souvent avec des équipements importés  ̶  pour favoriser davantage les énergies renouvelables souveraines que sont les ENR thermiques, gazières et hydroélectriques. Les dernières annonces de Mme Pannier-Runacher et de M. Lescure sur les filières industrielles du nucléaire et des EnR vont dans le bon sens, mais ne seront opérantes que si elles sont réellement suivies d’effet.

 

Au-delà de l’État stratège, l’État actionnaire a également failli. Après avoir livré Gaz de France à Suez en 2007 en refusant d’étudier un rapprochement EDF-GDF qui était défendable auprès de Bruxelles, l’État a agi comme le pire actionnaire possible. L’État a en outre agi tel un prédateur s’agissant des dividendes exigés d’EDF de 2005 à 2015, alors que le modèle économique de l’entreprise n’avait pas été adapté à ces exigences de « création de valeur actionnariale ».

 

À partir de 2005, près de 2 milliards d’euros de dividendes supplémentaires ont été distribués chaque année. Cumulés sur dix ans, 20 milliards manquent à l’appel des capacités d’investissement d’EDF dans des outils indispensables à la souveraineté énergétique du pays. Une gestion prudente et prévoyante aurait au contraire dû conduire l’État à renforcer les fonds propres de l’électricien pour qu’il soit en mesure de financer un mur d’investissements connu de tous depuis 1980. »

 L’énergie oubliée au profit de l‘environnement, le rôle néfaste des ONG militantes antinucléaires

« Je terminerai mon propos par les conséquences de l’arrimage, en 2007, de l’énergie au ministère de l’environnement. Ce faisant, il a éloigné les décisions de politique énergétique des impératifs industriels et économiques, mais il a surtout fait dépendre ces décisions d’un dialogue environnemental dès lors biaisé sur les questions énergétiques.

 

En 2015, dans le cadre des travaux de la plateforme nationale d’actions pour la responsabilité sociétale des entreprises ( plateforme RSE), nous avons, avec le responsable RSE du MEDEF, alerté sur l’asymétrie, dans le dialogue environnemental, entre d’une part les organisations syndicales et patronales  ̶  qui doivent faire la preuve de l’effectivité de leur représentativité par le biais d’élections régulières  ̶ et d’autre part, les ONG environnementales qui prétendent représenter la société civile sans avoir à faire la preuve de leur représentativité.

 

Cette asymétrie a conduit à biaiser le débat sur la politique énergétique de 2013 et au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), en les focalisant sur les seules questions environnementales, parfois dans une logique militante assumée, et non sur les impératifs industriels, de sécurité et de souveraineté. La reconfiguration du dialogue environnemental dédié aux questions énergétiques n’en est donc que plus essentielle si l’on veut, à l’avenir, mieux prendre en considération les enjeux de souveraineté énergétique. »

 

« Lorsque le Conseil national de la transition écologique (CNTE) a rendu un avis fin 2022 sur le projet de loi d’accélération du nucléaire, je vous confirme que l’essentiel des participants s’inscrivaient dans une logique militante anti-nucléaire, alors même qu’il ne s’agissait pas de l’objet du projet. La composition de cette instance est donc largement questionnable si l’on veut la rendre réellement représentative. (M. Jacky Chorin. Je partage ce point de vue : il est impossible de mesurer la représentativité de telle ou telle ONG)

 

M. Christophe Béguinet (CFDT) Je participe aux travaux de la stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC). À cette occasion, j’ai pu constater le déficit de prise en compte des faits scientifiques, et je rejoins ici des remarques effectuées par M. Jean-Marc Jancovici sur le sujet. Les opinions et idéologies des uns et des autres prennent trop souvent le pas sur les éléments factuels.

 

M. Jacky Chorin. « En 2010, l’énergie s’est vue rattachée au ministère de l’environnement. Dès lors, certains ministres n’ont jamais reçu les syndicats, à l’inverse des ONG. Ce fut notamment le cas de Ségolène Royal.

De fait, les questions énergétiques sont absorbées par des personnes qui défendent des points de vue partisans sans se préoccuper des conséquences sociales ni des réseaux. Je suis favorable à un retour vers une séparation, afin que chacun défende ses intérêts, avant que le Premier ministre ne tranche en interministériel »

 

M. Alexandre Grillat. « Cette asymétrie dans le dialogue environnemental a conduit à des positions caricaturales depuis 2012 : parce que les ENR seraient vertes, elles seraient miraculeuses et donc pourvoyeuses d’emplois. L’histoire des industries électriques et gazières témoigne réellement d’emplois durables et qualifiés : la construction de deux réacteurs nucléaires nécessite 3 000 personnes pendant huit ans, puis 800 personnes travaillent sur site pendant quarante ans et encore plusieurs centaines d’autres lors du démantèlement. Sur la durée de vie de l’actif, des dizaines de milliers d’emplois très qualifiés sont donc ancrés dans le territoire.

À l’inverse, combien d’emplois sont-ils engagés pour construire, exploiter et déconstruire un parc éolien ? Où sont-ils situés ? Ce débat pourtant essentiel sur les emplois n’a pas été possible depuis 2012, car il a été biaisé par la dimension environnementale et donc la primauté des énergies renouvelables »

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