Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

samedi 1 avril 2023

Commission Schellenberger n°42, 39, 21 : paroles de ministres écolos : Delphine Batho, Dominique Voynet, Corinne Lepage

Commission Schellenberger n°42, 39, 21 : paroles de ministres écolos : Delphine Batho, Dominique Voynet, Corinne Lepage

Delphine Batho (42): raide dans ses bottes antinucléaires. 50% on ne conteste pas une décision souveraine du peuple français. Il faut diversifier…

« La situation énergétique actuelle de la France était prévisible. À la question : « Qui aurait pu prédire ? », je répondrai : « Tout le monde ». Il n’y a pas d’imprévu dans les principales données qui sous-tendent le choc énergétique ; les gouvernements successifs pouvaient les anticiper »

« Prévisible, enfin, le fait que la trop grande dépendance de la France à l’égard d’une source de production électrique – à savoir le nucléaire – constituait une vulnérabilité. Le risque d’une mise à l’arrêt d’une partie importante du parc nucléaire pour raison de sûreté, à cause d’un défaut générique, avait été énoncé clairement et fortement depuis longtemps. M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire – dont j’avais proposé la nomination –, avait lancé l’alerte à ce propos en 2013, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique que je présidais, et cet élément avait été pris en compte dans la synthèse »

« Je sais que vous interrogez l’objectif de 50 %. Il est curieux, au regard de l’article 3 de la Constitution, qu’une réflexion portant sur la souveraineté énergétique commence par contester une décision souveraine du peuple français, en l’occurrence celle de changer de politique énergétique par le mandat confié à ses représentants. L’objectif résultait du programme présidentiel, lui-même issu d’un accord entre le Parti socialiste et les Verts. Depuis quand faut-il s’excuser de vouloir mettre en œuvre le programme sur lequel on a été élu ?

Sur le fond, cet objectif est dans l’intérêt de la nation, car la trop grande dépendance de la France à l’égard du nucléaire pour sa production d’électricité est une vulnérabilité, comme les faits viennent de le démontrer. La diversification des moyens de production électrique est dans l’intérêt de la France. »

« Les études que j’avais demandées aux services montraient qu’il était réaliste d’envisager l’atteinte de l’objectif de 50 % entre 2028 et 2030, mais qu’il n’était pas souhaitable de retenir la date de 2025 – même si c’était possible –, car cela obligerait à recourir aux énergies fossiles pour remplacer le nucléaire. »

« Avec M. Henri Proglio, nous entretenions des relations franches. Nous ne partagions pas du tout la même vision de l’avenir de la politique énergétique, ce qui ne signifie pas que nous n’étions pas capables de nous comprendre sur un certain nombre de sujets, en particulier la trajectoire tarifaire d’EDF. Je ne me suis pas cachée, toutefois, de souhaiter son remplacement, que je n’ai pas obtenu. »

« J’avais présenté devant une commission d’enquête sénatoriale la gestion de crise, au sens général du terme, en matière de risque industriel. Je n’ai toutefois pas eu à constater, comme Mme Dominique Voynet, de problème de sûreté nucléaire, c’est-à-dire d’incident qui entraîne des conséquences en termes de radioprotection. »


Dominique Voynet : le premier but est bien de se passer du nucléaire !

Se passer du nucléaire, de Superphénix et des EPR

« Je répondrai à vos questions en ayant deux préoccupations à l’esprit. La première est la dévalorisation du politique par rapport à la technique, laquelle est rarement contestée dans ses fondements, comme si les choix techniques n’étaient pas dictés par des considérations politiques. Pour ma part, je me positionne comme une politique.

La deuxième a trait aux préventions manifestées contre les antinucléaires, forcément suspects de peur irrationnelle, d’ignorance, d’inconséquence, voire de pulsions antipatriotiques, alors que l’enthousiasme pronucléaire, les relations incestueuses entre les entreprises du secteur et les services de l’État, les moyens et méthodes des lobbyistes ne sont jamais questionnés. »

« J’espère qu’à terme on pourra se passer du nucléaire – on le doit – compte tenu de son coût et des risques économiques, sanitaires, environnementaux, de prolifération, de terrorisme. C’est devenu extraordinairement difficile. On avait beaucoup de marge il y a vingt-cinq ans. Le fait de n’avoir rien fait pendant un quart de siècle pour desserrer la contrainte rend les choses bien plus compliquées… Je crains que l’on ne puisse pas réaliser des investissements aussi indispensables que les investissements énergétiques si on continue la fuite en avant dans le nucléaire. »

« M. Antoine Armand, rapporteur. Dans un entretien en 2018, votre conseiller au ministère, M. Bernard Laponche, estimait comme « assez faibles » l’influence des Verts dans le gouvernement et votre propre influence sur ses décisions, en particulier en matière nucléaire – la semaine dernière, le Premier ministre Lionel Jospin a qualifié celle-ci de « très faible, voire nulle ».

M. Bernard Laponche mentionne toutefois que vous avez eu une influence décisive dans le respect de l’accord politique sur deux points : la fermeture de Superphénix et la construction d’un nouvel EPR. Il émet l’idée que vous ayez pu dire au Premier ministre qu’étant opposée à cette construction, vous quitteriez le gouvernement si une telle décision était prise. Pouvez-vous confirmer ce propos et le contexte politique ?

Mme Dominique Voynet. Je peux et je ne peux pas… Je me souviens qu’un ministre, sans doute M. Dominique Strauss-Kahn, avait annoncé qu’EDF recommençait à parler d’EPR. J’ai alors dit : « Vous prendrez votre décision mais ce sera sans moi ». C’était sur le ton de conversation, non de la menace ou du chantage 

Mme Dominique Voynet. Lorsque nous avons pris la décision d’arrêter Superphénix, les « députés nucléaires » – issus des circonscriptions abritant une centrale ou proches, par leur métier, des préoccupations du secteur – traînaient des pieds. Or, je souhaitais que l’on rende impossible tout retour en arrière.

Retour sur l’épisode européen et le sabotage du nucléaire contraire aux ordres du gouvernement

Dans une vidéo issue d’un documentaire de 2003, la ministre de l’Environnement de Lionel Jospin s’amuse d’avoir trahi le mandat qui lui avait été donné. La séquence, largement décontextualisée, a suscité la colère des défenseurs du nucléaire.

« Dans ce passage, déjà cité par Pierre Bacher, ancien du Commissariat à l’énergie atomique et directeur technique responsable des projets à EDF, dans son livre le Credo antinucléaire (Odile Jacob, 2012), Dominique Voynet raconte, sourire aux lèvres : «Au moment où nous définissions pour la première fois les technologies qui pourraient être utilisées dans le cadre des mécanismes du développement propre, j’avais reçu mandat de tout faire pour que le nucléaire ne soit pas exclu de cette liste. J’étais donc partie à Bruxelles en traînant un peu les pieds et je rencontre mon homologue anglais qui me dit avoir le même mandat. Le tour de table commence et on était les deux seuls Etats à ne pas pouvoir se rallier à une position fermement antinucléaire. Suspension de séance… Nous avons convenu d’appeler nos gouvernements à Londres et à Paris. J’appelle Paris et j’explique à Matignon que je suis désolée mais que le Britannique est en train de lâcher et que je vais me retrouver isolée, ce que déteste la France : être isolée en Europe, c’est impossible… On est revenus hilares l’un et l’autre, avec un grand soulagement, car nous avons eu la consigne de tout faire pour ne pas être isolés et nous avons pu annoncer que finalement nous pouvions nous rallier à la position commune. Je suis rentrée à Paris très contente que le nucléaire ne fasse pas partie des technologies retenues au titre des mécanismes du développement propre. Et le Premier ministre ne m’a pas fait de compliments particuliers sur ce coup-là, c’est sûr.»

Interrogée sur ce sujet, Mme Voynet parle de «  en cause de manière très agressive » à partir d’un extrait tronqué d’un documentaire d’Arte » consacré aux négociations internationales sur le climat. Elle confirme les faits, mais rappelle que la réunion bruxelloise à laquelle il est fait allusion ne concernait ni les choix énergétiques de l’Union européenne, ni la taxonomie des énergies, …ni leur financement, mais la liste des technologies qui pourraient être utilisées dans le cadre du mécanisme de développement propre. Donc une simple « diplomatie d’influence » sans incidence sur le nucléaire français, ni européen. On pourra donc retenir que Mme Voynet a sabordé joyeusement une partie de la « diplomatie d’influence » française sur le nucléaire.

Sur le Somport et le réseau européen

« EDF est arrivée avec un projet : construire une ligne à très haute tension à travers la vallée du Somport, pour exporter de l’électricité vers l’Espagne. Je déteste que l’on me mette le couteau sous la gorge sans m’apporter des éléments de choix objectifs. On a demandé pour quel usage, d’où venait l’électricité – de Golfech, je crois – et selon quelles conditions économiques – l’accord politique sur lequel je m’étais engagée prévoyait que la transparence devait être faite sur les contrats.

Je n’ai pas reçu de réponse. C’était quand même un peu fort : en France, on supporte la construction des centrales, leur démantèlement, le traitement ad vitam aeternam des déchets nucléaires, la construction de lignes à très haute tension qui saccagent des vallées, pour exporter des kilowattheures excédentaires dans des conditions économiques non précisées. Le diable est dans les détails. La question n’est pas de savoir s’il est intéressant d’exporter de l’électricité vers l’Espagne »

Corinne Lepage : « Je possédais des compétences d’un bon niveau »

Nucléaire et ENR : « nous ne parviendrons pas à concilier nucléaire et renouvelable »

« Je défends la massification du renouvelable, car tous les scénarios prévoient entre 60 et 100 % d’énergies renouvelables. »

« Enfin, ma position concernant notre souveraineté nationale vous paraîtra peut-être simpliste, mais je pense que l’eau, le vent et le soleil constituent notre véritable indépendance. Le projet qui s’esquisse prévoit des EPR2 en 2040. Qu’allons-nous faire d’ici là ? Le coût des énergies renouvelables diminue, comme le montrent les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie sur les différentes sources de production énergétique »

« Les questions méritent d’être posées. Ainsi, il convient de s’interroger sur les coûts relatifs du renouvelable et du nucléaire, quand l’un s’établit à 4 centimes et l’autre à 12 centimes et que l’on s’engage pour soixante ans. Il ne s’agit pas d’une lutte religieuse. Les analyses rationnelles amènent à une situation ou à une autre. »

« …a priori, il n’existe pas de raison d’opposer énergies renouvelables et nucléaires. Cependant, en réalité, l’état du parc renouvelable français atteste de notre incapacité à les faire coexister.

Le marché de la consommation électrique français stagne, malgré l’exportation. En augmentant la part du renouvelable de manière trop significative, l’énergie nucléaire devient encore plus difficile à vendre sur le marché européen, qui est organisé pour favoriser les énergies renouvelables. Il nous est même arrivé de vendre notre électricité nucléaire à perte sur le marché européen.

Ces problèmes me sont apparus concrètement dans le cadre de l’opposition aux éoliennes. J’ai écrit deux livres sur le sujet et je pense que nous ne parviendrons pas à concilier nucléaire et renouvelable, car, financièrement, il est impossible d’atteindre un objectif de 40 ou 50 % de renouvelable tout en développant le programme nucléaire et le Grand Carénage, avec la question des déchets et la dette actuelle d’EDF. Je ne pense pas que nous possédions le montant nécessaire. »

NB : visiblement, Corinne Lepage, malgré sa grande compétence, n’a toujours pas compris qu’il fallait comparer les coûts d’un système complet, pas les coûts de production et ne comprend tpujours pas la différence entre électricité de base et électricité variable intermittente

Fermeture de centrales nucléaire et Superphenix : c’est qd même culotté de nommer une avocate anti-nucléaire en charge de ces dossiers !

M. le président Raphaël Schellen.berger. Quels étaient la nature et le niveau de votre connaissance du dossier Superphénix, à votre arrivée en tant que ministre ?

Mme Corinne Lepage. Ma connaissance de ce dossier était livresque, comme celle que je possédais concernant de nombreuses autres centrales et installations classées sur lesquelles j’ai travaillé. Encore une fois, je n’y avais strictement plus aucun intérêt personnel. Je possédais des compétences d’un bon niveau, plutôt un atout qu’un inconvénient en arrivant dans un ministère, me semble-t-il.

M. Antoine Armand, rapporteur. En tant qu’avocate, vous avez plaidé des dossiers nucléaires, en particulier pour la fermeture de centrales nucléaires.

Mme Corinne Lepage. Je ne plaidais pas pour leur fermeture, mais contre leur construction.

M. Antoine Armand, rapporteur. Quel est le nombre de ces dossiers ? En outre, il me semble que vous avez plaidé pour la fermeture de Superphénix en 1989, 1991 et 1993.

Mme Corinne Lepage. J’ai plaidé pour l’annulation du décret et j’ai gagné…

M. Antoine Armand, rapporteur. Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur du nombre de dossiers que vous avez plaidés ?...

Mme Corinne Lepage. Je l’ignore. J’ai plaidé pour Flamanville1 et Belleville. Mon client était Arnaud de Vogüe, maire d’une commune à côté de Belleville. Le sujet suscitait une très forte opposition de certaines personnalités sur le sujet.

J’ai également plaidé le dossier Golfech, pour Évelyne Baylet, ainsi que Cruas et Cattenom. Ces dossiers sont très médiatiques, mais leur nombre ne dépassait sans doute pas 10, sur mes 500 ou 600 dossiers de l’époque…

M. Antoine Armand, rapporteur. J’en viens à mon dernier point sur Superphénix et ne voyez pas de malice de ma part dans cette question probablement naïve d’un jeune député, mais en 1989, 1991 et 1993, vous avez combattu ardemment et avec beaucoup de passion pour que Superphénix soit un lointain souvenir puis vous devenez notamment en charge de la sûreté nucléaire et, par loyauté et par devoir, vous mettez votre énergie au service du fonctionnement de Superphénix.

Mme Corinne Lepage. Un avocat défend la cause de son client…

Lors de l’annulation en 1997 par le Conseil d’État, je me suis opposée au redémarrage de la centrale non dirigée vers la recherche, en accord avec les préconisations de la commission Castaing et les choix qu’avait faits mon gouvernement.

M. Antoine Armand, rapporteur. En février 1997, le Conseil d’État annule ce décret au motif du décalage net qui existe entre la production électrique et la recherche. Pouvez-vous me décrire les événements qui se déroulent par la suite dans le cadre du trio que vous formez avec le ministre en charge de l’industrie et le Premier ministre ?

Mme Corinne Lepage. Ma demande n’était pas de fermer Creys-Malville, mais de mener une enquête publique. J’ai intégré au dossier que je vais vous remettre, des coupures de presse du Monde. Dans mon interview, vous constaterez que je demande une enquête, car sans cela, le redémarrage n’était pas celui d’un outil de recherche, mais bien d’un outil dont la fonction première était la production d’électricité. Je n’ai pas débattu avec le ministre de l’industrie, mais j’ai débattu avec Alain Juppé qui aurait souhaité court-circuiter l’enquête publique. Il voulait que je signe le décret sans enquête publique et j’ai refusé.

Surcapacités ou pas surcapacités ?

M. Antoine Armand, rapporteur. Vous avez évoqué le terme de « surcapacité », largement utilisé par les interlocuteurs qui étaient en fonction chez EDF ou à d’autres responsabilités durant la même période que vous et parfois un peu après. Plusieurs de nos interlocuteurs nous ont expliqué qu’ils ne l’utiliseraient pas, d’une part car l’énergie s’exporte et s’importe, y compris sur le continent européen et d’autre part, en raison du débat des prévisions.

Ma question vise à comprendre l’état d’esprit de l’époque. Vous étiez à la pointe du combat écologiste politique et vous aviez pour ambition de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre.

Mme Corinne Lepage. Ce sujet faisait partie de mes compétences…

M. Antoine Armand, rapporteur. Vous plaidiez pour un pays, un continent et un monde plus électrifiés.

Mme Corinne Lepage. Oui, c’est vrai.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je ne comprends pas comment la surcapacité peut être utilisée comme argument pour fermer, ne pas rouvrir ou ne pas installer des centrales…

Mme Corinne Lepage. Votre question présente un problème d’échelle de temps. Lorsque j’étais au gouvernement, il n’était pas question de fermer des centrales nucléaires. La question ne se posait pas…

Uranium de retraitement : l’entêtement dogmatique !

« M. Antoine Armand, rapporteur. Merci, madame la ministre, pour vos premières réponses. D’abord, je souhaite vous demander de revenir sur un point qui me paraît erroné…Vous avez indiqué que la France envoyait des déchets nucléaires en Sibérie. Vous faites sans doute référence à l’uranium de retraitement qui est envoyé à la Russie via un contrat avec Rosatom. Or, le Haut Comité à la transparence sur la sûreté nucléaire a clairement précisé que les allégations émises par Greenpeace étaient parfaitement erronées.

Comme vous le savez, la loi française et l’ensemble de la communauté internationale considèrent que l’uranium de retraitement n’est pas un déchet nucléaire. Ainsi, j’imagine que vous vouliez dire que ce que vous considérez à titre personnel comme des déchets est envoyé en Russie.

Mme Corinne Lepage. La qualification des déchets fait l’objet d’un débat juridique. Lorsque j’étais au Parlement européen où j’ai vice-présidé la commission environnement, nous avons débattu sur la nature d’un déchet, car les conséquences juridiques et économiques sont extrêmement importantes : le système des provisions n’est pas du tout le même si le produit susceptible est réutilisable. Ainsi, il existe un débat juridique pour déterminer si ces produits peuvent être qualifiés de déchets.

M. le président Raphaël Schellenberger. J’entends votre position, mais il existe actuellement une situation du droit, même si un débat prospectif a lieu.

Mme Corinne Lepage. Le débat reste tout à fait ouvert, du moins au niveau européen.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.