Commission Schellenberger n°42, 39, 21 : paroles de ministres écolos : Delphine Batho, Dominique Voynet, Corinne Lepage
Delphine
Batho (42): raide dans ses bottes antinucléaires. 50% on ne conteste pas
une décision souveraine du peuple français. Il faut diversifier…
« La situation énergétique
actuelle de la France était prévisible. À la question : « Qui aurait
pu prédire ? », je répondrai : « Tout le monde ». Il
n’y a pas d’imprévu dans les principales données qui sous-tendent le choc
énergétique ; les gouvernements successifs pouvaient les anticiper »
« Prévisible,
enfin, le fait que la trop grande dépendance de la France à l’égard d’une
source de production électrique – à savoir le nucléaire – constituait une
vulnérabilité. Le risque d’une mise à l’arrêt d’une partie importante du
parc nucléaire pour raison de sûreté, à cause d’un défaut générique, avait été
énoncé clairement et fortement depuis longtemps. M. Pierre-Franck Chevet,
président de l’Autorité de sûreté nucléaire – dont j’avais proposé la nomination
–, avait lancé l’alerte à ce propos en 2013, dans le cadre du débat national
sur la transition énergétique que je présidais, et cet élément avait été pris
en compte dans la synthèse »
« Je
sais que vous interrogez l’objectif de 50 %. Il est curieux, au regard
de l’article 3 de la Constitution, qu’une réflexion portant sur la
souveraineté énergétique commence par contester une décision souveraine du
peuple français, en l’occurrence celle de changer de politique énergétique par
le mandat confié à ses représentants. L’objectif résultait du programme
présidentiel, lui-même issu d’un accord entre le Parti socialiste et les Verts.
Depuis quand faut-il s’excuser de vouloir mettre en œuvre le programme sur
lequel on a été élu ?
Sur le fond,
cet objectif est dans l’intérêt de la nation, car la trop grande dépendance de
la France à l’égard du nucléaire pour sa production d’électricité est une
vulnérabilité, comme les faits viennent de le démontrer. La diversification des
moyens de production électrique est dans l’intérêt de la France. »
« Les
études que j’avais demandées aux services montraient qu’il était réaliste
d’envisager l’atteinte de l’objectif de 50 % entre 2028 et 2030,
mais qu’il n’était pas souhaitable de retenir la date de 2025 – même si c’était
possible –, car cela obligerait à recourir aux énergies fossiles pour remplacer
le nucléaire. »
« Avec
M. Henri Proglio, nous entretenions des relations franches. Nous ne partagions
pas du tout la même vision de l’avenir de la politique énergétique, ce qui ne
signifie pas que nous n’étions pas capables de nous comprendre sur un certain
nombre de sujets, en particulier la trajectoire tarifaire d’EDF. Je ne me
suis pas cachée, toutefois, de souhaiter son remplacement, que je n’ai pas
obtenu. »
« J’avais
présenté devant une commission d’enquête sénatoriale la gestion de crise, au
sens général du terme, en matière de risque industriel. Je n’ai toutefois pas
eu à constater, comme Mme Dominique Voynet, de problème de sûreté nucléaire,
c’est-à-dire d’incident qui entraîne des conséquences en termes de
radioprotection. »
Dominique
Voynet : le premier but est bien de se passer du nucléaire !
Se passer du
nucléaire, de Superphénix et des EPR
« Je répondrai à vos questions en ayant deux
préoccupations à l’esprit. La première est la dévalorisation du politique par
rapport à la technique, laquelle est rarement contestée dans ses fondements,
comme si les choix techniques n’étaient pas dictés par des considérations
politiques. Pour ma part, je me positionne comme une politique.
La deuxième
a trait aux préventions manifestées contre les antinucléaires, forcément
suspects de peur irrationnelle, d’ignorance, d’inconséquence, voire de pulsions
antipatriotiques, alors que l’enthousiasme pronucléaire, les relations
incestueuses entre les entreprises du secteur et les services de l’État, les
moyens et méthodes des lobbyistes ne sont jamais questionnés. »
« J’espère
qu’à terme on pourra se passer du nucléaire – on le doit –
compte tenu de son coût et des risques économiques, sanitaires,
environnementaux, de prolifération, de terrorisme. C’est devenu
extraordinairement difficile. On avait beaucoup de marge il y a vingt-cinq ans.
Le fait de n’avoir rien fait pendant un quart de siècle pour desserrer la
contrainte rend les choses bien plus compliquées… Je crains que l’on ne
puisse pas réaliser des investissements aussi indispensables que les
investissements énergétiques si on continue la fuite en avant dans le nucléaire. »
« M. Antoine
Armand, rapporteur. Dans un entretien en 2018, votre conseiller au
ministère, M. Bernard Laponche, estimait comme « assez faibles »
l’influence des Verts dans le gouvernement et votre propre influence sur ses
décisions, en particulier en matière nucléaire – la semaine dernière, le
Premier ministre Lionel Jospin a qualifié celle-ci de « très faible, voire
nulle ».
M. Bernard
Laponche mentionne toutefois que vous avez eu une influence décisive dans le
respect de l’accord politique sur deux points : la fermeture de
Superphénix et la construction d’un nouvel EPR. Il émet l’idée que vous ayez pu dire au
Premier ministre qu’étant opposée à cette construction, vous quitteriez le
gouvernement si une telle décision était prise. Pouvez-vous confirmer ce propos
et le contexte politique ?
Mme Dominique
Voynet. Je peux et
je ne peux pas… Je me souviens qu’un ministre, sans doute M. Dominique
Strauss-Kahn, avait annoncé qu’EDF recommençait à parler d’EPR. J’ai alors
dit : « Vous prendrez votre décision mais ce sera sans moi ».
C’était sur le ton de conversation, non de la menace ou du chantage
Mme Dominique
Voynet. Lorsque nous
avons pris la décision d’arrêter Superphénix, les « députés
nucléaires » – issus des circonscriptions abritant une centrale ou
proches, par leur métier, des préoccupations du secteur – traînaient des
pieds. Or, je souhaitais que l’on rende impossible tout retour en arrière.
Retour
sur l’épisode européen et le sabotage du nucléaire contraire aux ordres du gouvernement
Dans une
vidéo issue d’un documentaire de 2003, la ministre de l’Environnement de Lionel
Jospin s’amuse d’avoir trahi le mandat qui lui avait été donné. La séquence,
largement décontextualisée, a suscité la colère des défenseurs du nucléaire.
« Dans
ce passage, déjà cité par Pierre Bacher, ancien du Commissariat à l’énergie
atomique et directeur technique responsable des projets à EDF, dans son
livre le Credo antinucléaire (Odile Jacob, 2012), Dominique
Voynet raconte, sourire aux lèvres : «Au moment où nous définissions
pour la première fois les technologies qui pourraient être utilisées dans le
cadre des mécanismes du développement propre, j’avais reçu mandat de tout faire
pour que le nucléaire ne soit pas exclu de cette liste. J’étais donc partie à
Bruxelles en traînant un peu les pieds et je rencontre mon homologue anglais
qui me dit avoir le même mandat. Le tour de table commence et on était les deux
seuls Etats à ne pas pouvoir se rallier à une position fermement antinucléaire.
Suspension de séance… Nous avons convenu d’appeler nos gouvernements à Londres
et à Paris. J’appelle Paris et j’explique à Matignon que je suis désolée mais
que le Britannique est en train de lâcher et que je vais me retrouver isolée,
ce que déteste la France : être isolée en Europe, c’est impossible… On est
revenus hilares l’un et l’autre, avec un grand soulagement, car nous avons eu
la consigne de tout faire pour ne pas être isolés et nous avons pu annoncer que
finalement nous pouvions nous rallier à la position commune. Je suis rentrée à
Paris très contente que le nucléaire ne fasse pas partie des technologies
retenues au titre des mécanismes du développement propre. Et le Premier
ministre ne m’a pas fait de compliments particuliers sur ce coup-là, c’est
sûr.»
Interrogée
sur ce sujet, Mme Voynet parle de « en cause de manière très
agressive » à partir d’un extrait tronqué d’un documentaire d’Arte »
consacré aux négociations internationales sur le climat. Elle confirme les
faits, mais rappelle que la réunion bruxelloise à laquelle il est fait allusion
ne concernait ni les choix énergétiques de l’Union européenne, ni la taxonomie
des énergies, …ni leur financement, mais la liste des technologies qui
pourraient être utilisées dans le cadre du mécanisme de développement propre.
Donc une simple « diplomatie d’influence » sans incidence sur le
nucléaire français, ni européen. On pourra donc retenir que Mme Voynet a
sabordé joyeusement une partie de la « diplomatie d’influence »
française sur le nucléaire.
Sur le
Somport et le réseau européen
« EDF
est arrivée avec un projet : construire une ligne à très haute tension à
travers la vallée du Somport, pour exporter de l’électricité vers l’Espagne. Je
déteste que l’on me mette le couteau sous la gorge sans m’apporter des éléments
de choix objectifs. On a demandé pour quel usage, d’où venait l’électricité
– de Golfech, je crois – et selon quelles conditions économiques
– l’accord politique sur lequel je m’étais engagée prévoyait que la
transparence devait être faite sur les contrats.
Je n’ai pas
reçu de réponse. C’était quand même un peu fort : en France, on supporte
la construction des centrales, leur démantèlement, le traitement ad
vitam aeternam des déchets nucléaires, la construction de lignes à
très haute tension qui saccagent des vallées, pour exporter des kilowattheures
excédentaires dans des conditions économiques non précisées. Le diable est dans
les détails. La question n’est pas de savoir s’il est intéressant d’exporter de
l’électricité vers l’Espagne »
Corinne
Lepage : « Je possédais des compétences d’un bon niveau »
Nucléaire
et ENR : « nous ne parviendrons pas à concilier nucléaire et
renouvelable »
« Je défends la massification du
renouvelable, car tous les scénarios prévoient entre 60 et 100 % d’énergies
renouvelables. »
« Enfin,
ma position concernant notre souveraineté nationale vous paraîtra peut-être
simpliste, mais je pense que l’eau, le vent et le soleil constituent notre
véritable indépendance. Le projet qui s’esquisse prévoit des EPR2 en 2040.
Qu’allons-nous faire d’ici là ? Le coût des énergies renouvelables
diminue, comme le montrent les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie
sur les différentes sources de production énergétique »
« Les
questions méritent d’être posées. Ainsi, il convient de s’interroger sur les
coûts relatifs du renouvelable et du nucléaire, quand l’un s’établit à
4 centimes et l’autre à 12 centimes et que l’on s’engage pour
soixante ans. Il ne s’agit pas d’une lutte religieuse. Les analyses rationnelles
amènent à une situation ou à une autre. »
« …a
priori, il n’existe pas de raison d’opposer énergies renouvelables et
nucléaires. Cependant, en réalité, l’état du parc renouvelable français atteste
de notre incapacité à les faire coexister.
Le marché de
la consommation électrique français stagne, malgré l’exportation. En augmentant
la part du renouvelable de manière trop significative, l’énergie nucléaire
devient encore plus difficile à vendre sur le marché européen, qui est organisé
pour favoriser les énergies renouvelables. Il nous est même arrivé de vendre
notre électricité nucléaire à perte sur le marché européen.
Ces
problèmes me sont apparus concrètement dans le cadre de l’opposition aux
éoliennes. J’ai écrit deux livres sur le sujet et je pense que nous ne parviendrons
pas à concilier nucléaire et renouvelable, car, financièrement, il est
impossible d’atteindre un objectif de 40 ou 50 % de renouvelable tout en
développant le programme nucléaire et le Grand Carénage, avec la question des
déchets et la dette actuelle d’EDF. Je ne pense pas que nous possédions le
montant nécessaire. »
NB : visiblement, Corinne Lepage, malgré sa
grande compétence, n’a toujours pas compris qu’il fallait comparer les coûts
d’un système complet, pas les coûts de production et ne comprend tpujours pas
la différence entre électricité de base et électricité variable intermittente
Fermeture
de centrales nucléaire et Superphenix : c’est qd même culotté de nommer
une avocate anti-nucléaire en charge de ces dossiers !
M. le
président Raphaël Schellen.berger. Quels étaient la nature et le niveau de votre connaissance
du dossier Superphénix, à votre arrivée en tant que ministre ?
Mme Corinne Lepage. Ma connaissance de ce dossier était
livresque, comme celle que je possédais concernant de nombreuses autres
centrales et installations classées sur lesquelles j’ai travaillé. Encore une
fois, je n’y avais strictement plus aucun intérêt personnel. Je possédais des
compétences d’un bon niveau, plutôt un atout qu’un inconvénient en arrivant
dans un ministère, me semble-t-il.
M. Antoine Armand,
rapporteur. En tant
qu’avocate, vous avez plaidé des dossiers nucléaires, en particulier pour la
fermeture de centrales nucléaires.
Mme Corinne Lepage. Je ne plaidais pas pour leur
fermeture, mais contre leur construction.
M. Antoine Armand,
rapporteur. Quel est
le nombre de ces dossiers ? En outre, il me semble que vous avez plaidé
pour la fermeture de Superphénix en 1989, 1991 et 1993.
Mme Corinne Lepage. J’ai plaidé pour l’annulation du
décret et j’ai gagné…
M. Antoine Armand,
rapporteur. Pouvez-vous
nous donner un ordre de grandeur du nombre de dossiers que vous avez
plaidés ?...
Mme Corinne Lepage. Je l’ignore. J’ai plaidé pour
Flamanville1 et Belleville. Mon client était Arnaud de Vogüe, maire d’une
commune à côté de Belleville. Le sujet suscitait une très forte opposition de
certaines personnalités sur le sujet.
J’ai
également plaidé le dossier Golfech, pour Évelyne Baylet, ainsi que Cruas et
Cattenom. Ces dossiers sont très médiatiques, mais leur nombre ne dépassait
sans doute pas 10, sur mes 500 ou 600 dossiers de l’époque…
M. Antoine Armand,
rapporteur. J’en
viens à mon dernier point sur Superphénix et ne voyez pas de malice de ma part
dans cette question probablement naïve d’un jeune député, mais en 1989, 1991
et 1993, vous avez combattu ardemment et avec beaucoup de passion pour que
Superphénix soit un lointain souvenir puis vous devenez notamment en charge de
la sûreté nucléaire et, par loyauté et par devoir, vous mettez votre énergie au
service du fonctionnement de Superphénix.
Mme Corinne Lepage. Un avocat défend la cause de son
client…
Lors de
l’annulation en 1997 par le Conseil d’État, je me suis opposée au redémarrage
de la centrale non dirigée vers la recherche, en accord avec les préconisations
de la commission Castaing et les choix qu’avait faits mon gouvernement.
M. Antoine Armand,
rapporteur. En
février 1997, le Conseil d’État annule ce décret au motif du décalage net
qui existe entre la production électrique et la recherche. Pouvez-vous me
décrire les événements qui se déroulent par la suite dans le cadre du trio que
vous formez avec le ministre en charge de l’industrie et le Premier ministre ?
Mme Corinne Lepage. Ma demande n’était pas de fermer
Creys-Malville, mais de mener une enquête publique. J’ai intégré au dossier que
je vais vous remettre, des coupures de presse du Monde. Dans mon
interview, vous constaterez que je demande une enquête, car sans cela, le
redémarrage n’était pas celui d’un outil de recherche, mais bien d’un outil
dont la fonction première était la production d’électricité. Je n’ai pas
débattu avec le ministre de l’industrie, mais j’ai débattu avec Alain Juppé qui
aurait souhaité court-circuiter l’enquête publique. Il voulait que je signe le
décret sans enquête publique et j’ai refusé.
Surcapacités
ou pas surcapacités ?
M. Antoine Armand,
rapporteur. Vous
avez évoqué le terme de « surcapacité », largement utilisé par les
interlocuteurs qui étaient en fonction chez EDF ou à d’autres responsabilités
durant la même période que vous et parfois un peu après. Plusieurs de nos
interlocuteurs nous ont expliqué qu’ils ne l’utiliseraient pas, d’une part car
l’énergie s’exporte et s’importe, y compris sur le continent européen et
d’autre part, en raison du débat des prévisions.
Ma question
vise à comprendre l’état d’esprit de l’époque. Vous étiez à la pointe du combat
écologiste politique et vous aviez pour ambition de faire baisser les émissions
de gaz à effet de serre.
Mme Corinne Lepage. Ce sujet faisait partie de mes
compétences…
M. Antoine Armand,
rapporteur. Vous
plaidiez pour un pays, un continent et un monde plus électrifiés.
Mme Corinne Lepage. Oui, c’est vrai.
M. Antoine Armand,
rapporteur. Je ne
comprends pas comment la surcapacité peut être utilisée comme argument pour
fermer, ne pas rouvrir ou ne pas installer des centrales…
Mme Corinne Lepage. Votre question présente un problème
d’échelle de temps. Lorsque j’étais au gouvernement, il n’était pas question de
fermer des centrales nucléaires. La question ne se posait pas…
Uranium
de retraitement : l’entêtement dogmatique !
« M. Antoine Armand,
rapporteur. Merci, madame la ministre, pour vos premières réponses.
D’abord, je souhaite vous demander de revenir sur un point qui me paraît erroné…Vous
avez indiqué que la France envoyait des déchets nucléaires en Sibérie. Vous
faites sans doute référence à l’uranium de retraitement qui est envoyé à la
Russie via un contrat avec Rosatom. Or, le Haut Comité à la
transparence sur la sûreté nucléaire a clairement précisé que les allégations
émises par Greenpeace étaient parfaitement erronées.
Comme vous
le savez, la loi française et l’ensemble de la communauté internationale
considèrent que l’uranium de retraitement n’est pas un déchet nucléaire. Ainsi,
j’imagine que vous vouliez dire que ce que vous considérez à titre personnel
comme des déchets est envoyé en Russie.
Mme Corinne Lepage. La qualification des déchets fait
l’objet d’un débat juridique. Lorsque j’étais au Parlement européen où j’ai
vice-présidé la commission environnement, nous avons débattu sur la nature d’un
déchet, car les conséquences juridiques et économiques sont extrêmement importantes :
le système des provisions n’est pas du tout le même si le produit susceptible
est réutilisable. Ainsi, il existe un débat juridique pour déterminer si ces
produits peuvent être qualifiés de déchets.
M. le
président Raphaël Schellenberger. J’entends votre position, mais il existe actuellement une
situation du droit, même si un débat prospectif a lieu.
Mme Corinne Lepage. Le débat reste tout à fait ouvert, du moins au niveau européen.
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