« Maintenant,
nous sommes tous des fils de putes », telle a été la réaction du physicien
américain Kenneth Bainbridge assistant au premier tir nucléaire. A l’occasion
du 70ème anniversaire d’Hiroshima, Le Monde (7 aout 2015) a posé la question à des chercheurs de
différentes disciplines : « Dans votre discipline, avez-vous le
sentiment que des chercheurs pourraient avoir le même sentiment
Robots tueurs et crash de cybersécurité
Cette thématique
est à l’ordre du jour en robotique avec une lettre ouverte signée par 18000
chercheurs demandant l’interdiction d’armes autonomes capables de sélectionner et de combattre des cibles
sans intervention humaine ; c’est l’un des signataires de cette pétition,
le Prix Nobel Frank Wilczek qui a répondu et confirmé sa peur des robots
tueurs : « Nous sommes à un moment clé où nous assistons à une
convergence de différentes technologies le big data, le machine learning, la
robotique et l’internet », et il considère que l’application de ces
technologies à des engins de guerre, alors capables de régir de façon autonome
beaucoup plus rapidement que n’importe quel humain pourrait déclencher une
nouvelle course aux armements et à une situation incontrôlable :
« lorsque des essaims de machines répondront à des algorithmes secrets,
personne ne pourra prédire l’issue d’un conflit et l’impact sur le monde
civil ».
Oui, mais
bizarrement, il me semble qu’il y a aussi dans cette campagne très médiatisée
une promotion des roboticiens : « c’est nous les plus dangereux ». Or,
cette menace est depuis longtemps identifiée puisqu’elle constituait thème du
célèbre Dr Folamour (Dr Strangelove) où la catastrophe se produit parce
que les Russes ont adopté un système de réponse automatique (la Machine
infernale) – un scénario inspiré par les mathématiciens travaillant sur la
théorie des jeux, particulièrement Von Neumann.
La cryptographe
Michele Mosca pointe le danger de cyberattaques d’un genre nouveau qui seraient
permises par les capacités de briseurs de code des ordinateurs quantiques.
« Non seulement une vaste quantité d’informations privées (santé,
situation financière) perdraient leur caractère confidentiel, mais des systèmes
globaux et critiques seraient anéantis : le système financier mondial,
pourrait être paralysé, des infrastructures énergétiques deviendraient
vulnérables, on pourrait imaginer des crash aériens et ferroviaires…Dans les
milieux de la cybersécurité, les gens disent qu’il faudrait qu’advienne un
cyberéquivalent de Pearl Harbor. » Ces dangers sont évitables, dit Mme
Mosca, mais il est essentiel que les individus expriment leur désir d’être en
cybersécurité et contraignent gouvernements, organismes publics et organisations
privées à s’en soucier.
Editions de gène, dépistage et super-virus
Curieusement les
biologistes, pour la plupart, se montrent optimistes et sans crainte pour leurs
disciplines . Le Dr François Jacquemard, qui dirige le centre de
diagnostic prénatal de l’Hôpital américain, affirme que les progrès des
technologies de l’ADN permettent des diagnostics prénatals beaucoup plus sûrs,
les rendent disponibles beaucoup plus largement pour le plus grand bénéfice des
patients et à la grande déception des cassandre ». » »Il ne faut pas
brider les moyens d’accéder aux nouvelles possibilités, au service de
l’amélioration de la santé, notre bien commun », Il suffit simplement que
les autorités de santé fassent leur travail d’évaluation et résistent aux
pressions des industriels qui voudraient que tout soit diffusé sans attendre » ;
« parier sur l’intelligence et l’humanisme et libérer les
initiatives ». Emmanuelle Charpentier co-découvreuse d’une technique
extrêmement prometteuse, précise et efficace d’édition de gênes (de manipulation
génétique, osons le mot ! (CRISPR-Cas9) se contente de signaler que
« de nouvelles découvertes sont toujours accompagnées d’une
responsabilité » , mais que les avantages de l’édition de gênes pour
la recherche scientifique et la santé humaine sont extrêmement
importants ». Cependant, l’utilisation cliniques des odifications de la
lignée germinal chez l’homme ( autrement dit le clonage pour soigner ou
améliorer de façon héréditaire le génome d’un individu) « pourrait être
très problématique, et cette question est actuellement au centre d’un débat
éthique ». Pas d’affolement donc, face au clonage ! Seul le virologue
Wayne Hobson exprime une crainte réelle : que le génie génétique soit
utilisé pour rendre des microbes ou des virus plus dangereux, plus mortels ou
plus transmissible : « le monde des microbes est suffisamment
dangereux. On n’a pas besoin d’en rajouter ». Dans certains laboratoires, ces
manipulation ont été faites, avec succès, pour rendre par exemple transmissible
à l’homme un virus de la grippe aviaire ». La communauté scientifique a
réagi en demandant que ces recherches ne soient pas publiées et qu’elles
fassent l’objet d’un moratoire, voire d’une interdiction.
Manipulations de la mémoire
Bref, une très
bonne idée que cette enquête du Monde,
et comme maintenant, trop généralement
dans la presse, une très bonne idée bien
gâchée par la précipitation et le manque de moyens. Elle méritait beaucoup
mieux que ces quelques banalités, des débats plus approfondis, davantage
d’intervenants, d’échanges, de réflexions, davantage d’espace et de temps, bref, un vrai dossier, - une occasion manquée
pour les scientifiques de dialoguer avec le public et de faire connaître leurs
espoirs et leur préoccupations.
Pour conclure,
ma propre peur : les manipulations de la mémoire. On sait maintenant
repérer dans le cerveau la trace mémorielle précise que laisse un événement, et
l’on peut manipuler cette mémoire. Ainsi, au MIT, Tonegawa et al, en réveillant
grâce à une fibre optique le souvenir d’un stimulus douloureux lié à un endroit
précis (chez la souris), ont réussi à l’associer à un autre endroit ; la
souris alors manifeste sa peur lorsqu’on la place à un endroit neutre voire
agréable, où elle n’a subi aucune
douleur. AU CNRS, Benchenane et al. ont réussi à bloquer l’enregistrement
d’un souvenir douloureux et, en
stimulant en même temps une région cérébrale liée au plaisir, ont changé le souvenir lié à un lieu : la
souris n’évitait plus l’endroit où elle avait reçu un stimulus douloureux,
mais, au contraire, s’y rendait de préférence ! Techniquement, pas
grand-chose n’empêche de passer de la souris à l’homme….
Dernière
remarque : pour un positiviste, tout changement n’est pas un
progrès ; il n’est un progrès que s’il est le développement de l’ordre,
c’est-à-dire s’il permet un accroissement de la connaissance, une maitrise plus
efficace, intelligente et morale du monde, s’il conforte l’évolution de nos
sociétés des stades théologiques et métaphysiques (militaires et
révolutionnaires) vers un âge positif, industrieux, pacifique, une coopération
meilleure et plus étendue à l’échelle humaine, contrepartie d’une spécialisation
grandissante des fonctions, une organisation républicaine. De toute évidence,
la recherche sur des super virus plus contagieux et plus mortels ne répond pas
à cette condition.
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