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vendredi 25 septembre 2015

Expertise et démocratie : vivre au grand jour !


Chercheurs et lobbys
 
Le toujours intéressant Stéphane Foucart, l’un des plus pertinents journalistes à traiter d’écologie et de science  a été récemment réduit à la portion congrue d’une tribune toutes les deux semaines, une sorte de demi-tribune qui ne devrait pas le conduire à écrire des demi- vérités. Or, dans le Monde du 15 septembre 2015, sous le titre « Dis moi qui te paie », et sous-titrés : « Des mails divulgués dans la presse révèlent les liens incestueux entre chercheurs et firmes chimiques », il rapporte une enquête du New-York Times du 5 Septembre où l’on voit effectivement « des biologistes intervenant comme scientifiques indépendant dans le débat public, écoutés comme tels par les responsables politiques et les médias, agir en lobbyistes et en conseillers en relations publiques au service des industriels, devisant avec eux sur les meilleures stratégies de communication à adopter pour défendre leurs intérêts ».
L’enquête a été menée par une organisation  civique (US right to know) qui a demandé à 43 universités publiques, selon une procédure permise par la loi américaine, la publication de tous documents, mels compris , contenant les termes Monsanto, cultures OGM, Ketchum etc. Un cas emblématique est Kelvin Folta biologiste de l’Université de Floride ; l’enquête le montre très mobilisé à lutter contre la volonté de certains états de promouvoir une législation visant à imposer l’étiquetage des OGM. Recevant de Monsanto 25.000 dollars pour son travail de lobbyiste, il remercie en promettant « un solide retour sur investissement ». M. Folta a répondu  en affirmant que sa défense des biotechnologies végétales est antérieure à tout contact avec l’industrie, et qu’il « n’a jamais rien dit ou écrit qui ne soit fondé sur des preuves scientifiques ».
Bon, un chercheur croit en l’utilité des OGM, même ceux de Monsanto, et fait partager sa conviction.  OK, le fait qu’il ait reçu de l’argent de Monsanto devait être mentionné ! Mais qu’on me permette de dire que ce que je trouve le plus scandaleux est .. la faiblesse de ce qu’il a reçu. A côté de ce que demande une agence de communication !
M. Chassy, professeur de nutrition à l’Université d’Illinois disposait d’une subvention de Monsanto  pour promouvoir les biotechnologies végétales. Il réagit ainsi dans Le Monde du 9 septembre, dans un excellent article consacré à l‘affaire… par le même Stéphane Foucart : « ils explorent nos relations avec les industriels, car ils ne peuvent pas contester la vériét de nos arguments » Estimant que ce type d’enquête est un dévoiement de la procédure américaine,  il dit dans le cas présent, c’est le soutien  de l’industrie à mon université qui m’a permis d’exprimer ma vérité académique ».
Et il a sans doute raison…et beaucoup d’autres chercheurs, dans beaucoup d’autres domaines pourraient dire la même chose.
Lobbies biotechno contre lobbies bio
Et ce que révèle Stéphane Foucart dans son article  du 9 septembre, mais qu’il ne reprend pas dans sa chronique  bimensuelle, c’est que US right to know est un lobby financé par l’industrie de l’agriculture biologique ! Alors évidemment, l’association dénonciatrice ne s’est pas intéressée aux potentiels conflits d’intérêts entre chercheurs et lobbys agrobiologiques. Qu’à cela ne tienne, le New-York times, qui donne une belle leçon de journalisme, l’a fait dans le même article où il publiait l’enquête de US right to know, et il est aussi tombé sur quelques cas intéressants, par exemple un agronome de l’Université de l’Etat de Washington, M. Benbrook, qui a plaidé auprès des décideurs et du public pour l’étiquetage des OGM et pour l’interdiction de cultures transgéniques résistantes à des herbicides sans mentionner ses liens avec les industriels de l’agriculture biologiques. Même si leurs dépenses de lobbying ne représentent qu’une faible partie de celles des firmes de biotechnologies, le problème existe aussi.
Et M. Foucart aurait du y être d’autant plus sensible que nous avons connu en France l‘emblématique affaire Séralini et ses photos en gros plans de rats rendus difformes par de gigantesques tumeurs, prétendument provoquées par le maïs transgénique résistant au round-up – glyphosate – en réalité un vieillissement habituel chez cette souche. 3 millions d’euros dépensés en vain dans une étude mal conçue dès le départ et qui n’a apporté, et ne pouvait apporter aucun résultat scientifiquement fondé. Mais il fallait que Carrefour, Auchan, Biocoop, Naturalia et le CRIIGEN de Corinne Lepage en aient pour leur argent et l’aveu final de Séralini (Marianne, 9 février 2013): « Aucune équipe de biologistes ne peut dépenser autant que nous… Nous devions absolument publier, sous peine de devoir rembourser les crédits alloués par nos partenaires »
Veut-on que les firmes se privent de l’expertise des universitaires et chercheurs publics ? Que ceux-ci se maintiennent à l’écart des problèmes rencontrés dans leurs domaines ? Que les experts ne connaissent rien aux applications de leurs sciences ? Qu’ils n’aient pas droit de faire part au public et aux décideurs de leurs savoirs et de leurs convictions ?
 
Curieusement, Stéphane Foucart rappelle le problème de la démocratie et de l’expertise n’est pas nouveau, et que la démocratie athénienne du III ème siècle avait son corps d’experts, qui étaient des esclaves au service de la cité. Merci pour les chercheurs ! On peut penser que leur intervention dans les problèmes industriels et dans le débat public est utile et légitime, à condition que la liberté d’expression, de discussion, d’appréciation soit totale. Mais la crédibilité des chercheurs et de la science sera de plus en plus atteinte en absence de transparence sur leurs intérêts et collaborations ; les lois, règlements et pratiques existantes sont sans doute insuffisantes.  Pour le dire autrement, pour un positiviste, les chercheurs et experts exercent une forme de pouvoir spirituel et doivent donc se plier à l’injonction d’Auguste Comte : « Vivre au grand jour »- au moins professionnellement.


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