La France moyenne abandonnée
C’est
sous le titre Amertume et résistance à
Montluçon – La France abandonne ses villes moyennes que le Monde
Diplomatique de mai 2018 publie un reportage
fort intéressant sur ce qui est déjà le présent et empirera à l’avenir en
raison des réformes ultra-libérales à marche forcée de Macron et de la
Communauté Européenne et, en particulier, de la libéralisation du trafic
ferroviaire, et à vrai dire, de l’abandon même de notion de service public du transport
ferroviaire.
Donc
Montluçon, dans l’Allier et maintenant la très grande région Auvergne- Rhone Alpes;
cinq mille habitants en 1830. En 1864, Napoléon III, qui a décidé d’en faire un
nœud ferroviaire est accueilli en grande pompe dans les usines de la cité
en 1864, sous un arc de triomphe de rails et d’essieux de wagon. Profitant
du minerai de fer du Berry et du charbon voisin de Commentry, des usines
métallurgiques, des hauts-fourneaux, des forges, des verreries, des fours à
chaux s’installent, puis, entre les deux guerres, Sagem et Dunlop ( 5000 ouvriers
dans les années 50, aujourd’hui environ 500)- mais heureusement Safran s’est
installé, avec un important centre de 1,500 salariés environ. En 1960, 60,000 habitants, avec des projections à 100.000 habitants pour l‘an 2000 … en 2018,
65000 habitants et un déclin qui semble difficile à enrayer malgré le courage et
la mobilisation des habitants et des élus. Montluçon, ou comment la France
abandonne ses villes moyennes…en abandonnant le service public ferroviaire.
Un Montluçon –Paris parfois plus long qu’ un Paris
New-york !
Pour
se rendre en train à Lyon, sa nouvelle capitale régionale, située à
183 kilomètres à vol d’oiseau, un habitant de Montluçon, première commune
de l’Allier, doit compter au minimum trois heures et demie, avec un
changement impératif, voire quatre à cinq heures selon les autres options
proposées. C’est-à-dire davantage de temps qu’un Lillois, qui réside trois fois
plus loin.
Dans
les années 1980, il y avait de six à huit liaisons quotidiennes
directes entre Montluçon et Paris. Il n’y en a plus que deux. En fait, la ville
s’est sensiblement éloignée de Paris (à 281 kilomètres à vol d’oiseau).
En 1988, il fallait deux heures et cinquante-neuf minutes pour rejoindre la
capitale (et même six minutes de moins cinq ans plus tard). Il faut maintenant,
au mieux, une demi-heure de plus. Et encore, moyennant un certain effort :
le TER qui mène à l’Intercités en correspondance à Vierzon part à…
5 h 36. À défaut, une heure plus tard, un autocar SNCF assure la même
correspondance, pour un trajet total de quatre heures. Le direct de
8 h 11, lui, ne fait pas mieux : il faut changer de motrice
(diesel pour électrique) à Bourges, où l’on fait un crochet. Vingt minutes
d’arrêt.
« Évidemment, qu’un Montluçon-Paris soit parfois aussi long qu’un
Paris-New York, ça joue sur le moral !, lance M. Frédéric Rodzynek,
patron d’une jeune entreprise performante dans le secteur des biotechnologies.
Allez expliquer à des clients canadiens, japonais ou américains qu’ils vont
faire le Raid Gauloises ) avant d’arriver à destination… Cela peut prendre
une journée d’aller les chercher. »
Avec
une telle offre ferroviaire, comment s’étonner que le nombre de voyageurs
décline ? « Les grandes villes n’ont cessé de se rapprocher entre elles,
constate, amer, M. Coffin, président d’un comité d’usagers de la SNCF. Nous,
nous nous sommes éloignés ! » En cause : d’une part, le report
aux calendes du projet de ligne à grande vitesse Paris - Orléans
- Clermont-Ferrand - Lyon (POCL), destinée à désengorger l’actuelle
ligne Paris-Lyon et sur laquelle tout le monde, ici, s’était excité. Et
surtout, le défaut d’investissements sur le tronçon du Cher ces quarante
dernières années : une voie unique non électrifiée, où la vitesse est par
endroits fortement limitée. Son ballast est fragile, ses attache-rails et sa
signalisation à surveiller.
Les élus finissent par y voir une rupture dans l’égalité
de traitement entre les territoires que la Constitution est censée garantir
Alors,
c’est l’obligation de la voiture. « On
use une énergie folle, témoigne M. Jean-Claude Perot, président du groupe
Metis, spécialisé en automatisme, mécatronique et robotique et vice-président
de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). J’ai fait le calcul :
70 000 kilomètres avec mon véhicule l’an passé. En temps, c’est trois
mois de travail ! C’est monstrueux. Et, en plus, dangereux. »
« Avec la hausse des péages et la limitation de vitesse à
80 kilomètres à l’heure », qui accroît mathématiquement de
12,5 % les temps de parcours sur les départementales (on ajouterait les
nouvelles règles en matière de contrôle technique, plus strictes pour les vieux
véhicules), « c’est un peu la double ou triple peine », observe
Damien Tardieu, journaliste qui, dans ses entretiens à la radio associative
RJFM, prend chaque jour le pouls de la société locale. Les élus finissent par y
voir une rupture dans l’égalité de traitement entre les territoires que la
Constitution est censée garantir.
Il suffit que deux présidents de région ne se parlent pas
Alors,
vous vous direz peut-être, que voilà un beau cas d’école en faveur de la
régionalisation du ferroviaire, car enfin, les régions, au plus près de leurs
adminisitrés, vont pouvoir rouvrir des
lignes importantes localement. Eh ben
non, justement ! et c’est bien ignorer les égoïsmes locaux, ignorer l(‘histoire
de la France, ignorer le rôle de l’Etat dans sa construction. Échaudés par la question ferroviaire,
MM. Dugléry et Laporte ( Maire de Montluçon et Président de l’agglomération)
font le constat d’un aménagement du territoire moribond. Ils exposent le récent
découpage territorial imposé par Paris, qui les place dans la région
Auvergne-Rhône-Alpes (« Qu’a-t-on à voir avec la Maurienne ou la
Tarentaise ? »), à quinze kilomètres de la Nouvelle-Aquitaine
(« qui s’étend jusqu’à Hendaye !… »), alors que la ville est
tournée autant vers Bourges et Vierzon (Centre-Val de Loire) que vers
Clermont-Ferrand.
« Il suffit que deux présidents de région ne
se parlent pas, et rien ne bouge ! Pour le rail, ce serait
flagrant : la Nouvelle-Aquitaine a rouvert la ligne Bordeaux-Montluçon,
qu’Auvergne-Rhône-Alpes, hostile à la régionalisation des lignes, ne veut pas
étendre jusqu’à Lyon. La région Centre-Val de Loire veut bien participer, sur
la partie Cher, à la restauration du tronçon Bourges-Montluçon vétuste ;
mais Auvergne-Rhône-Alpes (dont le président, M. Laurent Wauquiez, est
pourtant du même bord politique que M. Dugléry) n’est pas chaude pour le
faire sur la partie Allier, si éloignée de Lyon…
« Le ferroviaire, c’est primordial », plaident les
édiles locaux, qui demandent que Montuçon« soit remis à moins de trois
heures de Paris » et rouvrir la liaison vers Lyon. « C’est une
catastrophe : l’État a tout sacrifié. » Le désenclavement ferroviaire
ne conditionne pas seulement la capacité d’attraction économique (« Vous
trouverez peut-être un salarié. Mais vous aurez du mal à faire venir son
conjoint ! »). Par ricochet, il a aussi une incidence sur la qualité
des missions de service public. À commencer par la santé..
Oui, le ferroviaire, c’est important, oui, l’égalité
territoriale, c’est important, oui, le rôle égalisateur et administrateur du
territoire de l’Etat, c’est important, oui, les services publics, et, en
particulier, le service public ferroviaire c’est important. Et oui, l’abandon
du service public ferroviaires, les réformes ultralibérales de la Commission
Européenne, poursuivies avec zèle et brutalité par Macron, ce sont des
centaines de villes moyennes délaissées, une province sacrifiée, une France enlaidie, déconstruite, morte.
Fernand Braudel : « les tardives liaisons des chemins de fer construisent l’unité
française »
Marcel Boiteux : Les activités de réseau sont nécessairement monopolistiques, les obligations de service public, quand elles sont
poussées à ce niveau, paraissent difficiles à marier avec la concurrence.
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