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samedi 27 octobre 2018

Raisons de détester l’Eurokom-14 : L’Europe de la connaissance a fait plouf !


Europe et Eurokom

Dans un de mes précédents blogs, je m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal sur « l’Europe qui nous a donné la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui sciemment mélangent l’Europe, réalité géographique, historique, culturelle et la Communauté européenne et ses institutions (notamment la Commission européenne), vouées uniquement à construire un grand marché selon le dogme d’une véritable secte libérale, je propose donc de différencier l’Europe réelle des peuples et des nations et l’Eurokom, les institutions de la Communauté Européenne.

L’agenda de Lisbonne . Plouf ! Echec complet !

De tous les sujets traités dans cette série de blogs, c’est peut(être celui qui me touche de plus prêt, et ce sera la plus simple à écrire et le plus rapide tant l’échec est patent. Souvenons-nous ! En mars 2000 était organisé un Conseil européen à Lisbonne, au cours duquel était affirmé l’ « agenda de Lisbonne », soit  l'objectif de « faire de l'économie de l'Union européenne  l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »

Une priorité des priorités était fixée, devant  permettre d’atteindre ces objectifs : celle de consacrer 3% du PIB à la recherche et au développement (R&D). Un objectif indispensable critique, qui n’avait rien de trop ambitieux ; il laisse cependant l'UE loin derrière le Japon (3,8 %) et les USA, par exemple.
Parmi les initiatives phares de l’agenda de Lisbonne figurait  l'Union de l'innovation. Présentée en octobre 2010 par la Commission, elle devait concentrer les efforts de l’Europe (et sa coopération avec les pays tiers) sur des défis tels que le changement climatique, la sécurité énergétique et alimentaire, la santé et le vieillissement de la population. Elle devait permettre  au secteur public d’intervenir pour stimuler le secteur privé et pour lever les obstacles qui empêchent les idées d'accéder au marché (manque de financement, morcellement des systèmes de recherche et du marché, sous-utilisation des marchés publics pour l’innovation…)

Ah, et aussi, pour rempli le défi de l’Europe de la connaissance, il était affirmé que l’Europe  avait  besoin d’un million de chercheurs supplémentaires…

Et aussi ceci : Le financement de la R&D par le secteur privé devra passer de 56%, valeur enregistrée en 2002, à 66% de l’investissement total dans la R&D

Où en sommes-nous ?

La Suède (3,25% du PIB) et l'Autriche (3,09% du PIB) sont les deux seuls pays parmi les 22 qui ont atteint les objectifs de Lisbonne ( lesquels, rappelons-le devaient être atteint en 2010 !!). Elles sont suivies de l'Allemagne (2,94% du PIB). A l'inverse, la Lettonie (0,44%), la Roumanie (0,48%), et Chypre (0,50%) se placent en bas de tableau. Pour la France, Eurostat indique que les dépenses ont représenté 2,22% du PIB selon des données pour 2015 ( ce qui fait que, en France, les dépenses en R&D n’ont pas augmenté depuis 1996 ( 20 ans de perdus pour la mirifique Europe de la Connaissance !) La moyenne européenne se situe à 2,03%- bien, bien loin des 3% !

Nous avons perdu vingt ans ; Pendant ce temps, quel que soit leur président les USA ont continué à nous surpasser (2.80%), le Corée et le Japon nous écrasent (respectivement 4.23% et 3.29% du PIB) et la Chine nous a dépassé (2.07%). Vous avez pas remarqué la disparition de Nokia, remplacé par Samsung et maintenant HuaWei ?

Le financement de la R&D par le secteur privé en France (et ce n‘est pas le pire !- ni le meilleur) est….toujours de 59 %, soit une augmentation d’un poil de iota en 18 ans. Et attention : il y a là dedans (et heureusement ) 5.2 milliards d’euros de crédit impot recherche (donc avancés par l’Etat)- sur 46.4 milliards de dépenses totales de recherche développement.

Autre exemple : l’agenda de Lisbonne devait permettre au secteur public d’intervenir pour stimuler le secteur privé. Fruit d’un rapport présenté en 2004 par M. Jean-Louis Beffa, la France avait mis en place une  Agence de l’innovation industrielle (AII), qui devait susciter, identifier et sélectionner des programmes susceptible de conduire à des innovations de rupture (programmes mobilisateurs pour l’innovation industrielle,PMII), pour lesquels les financements publics et privés sont défaillant,  participer à leur financement et procéder au contrôle et à l'évaluation périodique de ces programmes. C’était un pas dans la bonne voie, et que croyez-vous qu’il arriva ? Au nom de la concurrence libre et non faussée, et des « distorsions de concurrence » que ce programme pouvait, selon elle, entrainer, la Commission européenne, et tout particulièrement la Commissaire à la concurrence n’a cessé d’entraver le fonctionnement de l’AII qui a jeté l’éponge au bout de deux ans pour revenir à la vielle habitude inoffensive du saupoudrage type Oseo.

Et il n’y a aucun signe que cela va changer.

Un fonctionnement bureaucratique… Quand une présidente du Conseil Européen de la Recherche pète les plombs…

« Le travail de l'agence de financement scientifique de l'Europe a été marqué par les tensions actuelles avec la Commission et des règles bureaucratiques "stupides", ont affirmé des représentants de l'agence aux eurodéputés. Helga Nowotny, qui a été nommée présidente du Conseil européen de la recherche (CER) le mois dernier, souhaite que l'organisation naissante devienne une installation autonome et permanente dans le paysage scientifique complexe de l'UE. Elle a affirmé que le travail de l'agence avait été entravé par la bureaucratie bruxelloise. S'adressant à la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement cette semaine (7 avril), elle a affirmé que la structure du CER était défectueuse à la base. Selon ses propos, cela a conduit à une relation compliquée entre les parties scientifique et administrative de l'agence et a créé des problèmes entre le CER et la Direction Générale recherche de la Commission européenne. Elle a décrit la transition du CER en tant qu'agence exécutive de plutôt douloureuse et a blâmé l'esprit bureaucratique de la Commission européenne…

Yves Mény, auteur d‘un rapport sur le CER, parle d’ une bureaucratie fondée sur la méfiance, et a mis l'accent sur les frustrations dues aux règles "stupides" de la bureaucratie imposées aux chercheurs et aux rédacteurs. Les efforts effectués pour que le CER entre en concurrence avec le National Science Foundation (NSF) américain vont échouer à moins que le problème de la bureaucratie ne soit combattu. Si l'agence exécutive a juste pour rôle de servir une bureaucratie encore plus large, ce n'est même plus la peine d'y penser – l'agence ne deviendra pas une organisation de recherche reconnue, a-t-il prévenu.

Depuis ces critiques de 2012, il ne semble pas que le Conseil Européen de la recherche se soit, en quoi que ce soit, hissé au niveau de la NSF….

Les financements par projets- inefficace et bureaucratique

La secte libérale a depuis les années 80 progressivement imposé son idéologie et sa méthode, la nouvelle gestion publique (new public management) qui nie, ou en tous cas minimise, toute différence de nature entre gestion publique et gestion privée. Dans le domaine de la recherche, où il est particulièrement peu adapté, cela se traduit par la suppression quasi-totale des financements récurrents et le recours quasi-exclusif au financement par projets.

Alors s’enclenche une catastrophe bureaucratique  : la réduction des budgets récurrents des unités de recherche pousse de plus en plus les équipes à monter des projets ; les volumes financiers ne suivant pas – ou étant même en réduction – le taux moyen de réussite s’effondre ; un temps considérable est investi par les équipes pour monter des projets qui ont très peu de chances d’aboutir ; le mécanisme de sélection est très lourd ; le montant moyen des projets financés est en baisse. L’efficience globale s’effondre. Bien plus, le formatage des projets de recherche amène à privilégier la faisabilité opérationnelle à l’intérêt scientifique.

On oblige du coup de plus en plus de chercheurs à monter des projets institutionnellement complexes pour répondre à des appels concurrentiels pour des recherches ne nécessitant pas forcément de monter de tels projets ; et ensuite on ne donne pas à ces mécanismes de financement sur projet les moyens cohérents avec leurs ambitions. C’est un mécanisme inefficace  il a été estimé que plus de 35% des ressources sont dépensées en gestion bureaucratique avant même le début du projet…). Dès lors que l’équilibre entre financement structurel et financement par appel à projets est déséquilibré, que le rapport entre projets déposés et projets retenus est déraisonnable, que les volumes unitaires de chaque projet sont faibles et ne permettent pas de « rentabiliser » le coût de sélection sur un volume financier suffisant, c’est la recette pour l’enlisement, le gâchis  et la démotivation.

Et c’est aussi pour cela que l’Europe de la recherche s’est ensablée ! Et ce n’est pas un hasard si l’un des rares succès en matière d’Europe de la recherche, l EMBL (laboratoire européen de biologie moléculaire), a été créé en 1974 sur des principes totalement différents, voire opposés….

Une logorrhée insupportable

L’Europe de la recherche, l’Europe de la connaissance, à l’aune même des objectifs qu’elle s’était fixée à Lisbonne est un échec complet. Cela n’empêche pas les institutions européennes de produire une vérité diarrhée textuelle, une logorrhée verbale et écrite, qui devient de plus en plus insupportable tant elle s’éloigne de toute réalité. Extraits :

« Le programme Horizon 2020, doté de 80 milliards d'euros pour la période 2014-2020, s'axe par ailleurs autour de trois grands piliers : l'excellence scientifique, qui doit permettre de renforcer la position de l'UE dans le domaine scientifique, la primauté industrielle, afin de renforcer l'innovation industrielle et les défis de société. »

« L'Espace européen de la recherche définit la voie européenne vers l'excellence dans la recherche et est un moteur essentiel de la compétitivité européenne à l'ère de la mondialisation. »

« Afin d'atteindre les objectifs fixés par l'Union européenne en matière d'excellence scientifique et d'innovation, plusieurs organes ont été créés : le centre commun de recherche (JRC), le Conseil européen de la recherche, l'Agence exécutive pour la recherche, l'agence exécutive pour les PME, l'agence exécutive "Innovation et réseaux" et enfin l'Institut européen d'innovation et de technologie »

(Ah, oui, en matière de créations de machins bureaucratiques, l’ Union Européenne doit être championne du monde)

Il serait peut-être intéressant de se pencher sur ce que fait la Chine, qui nous dépasse n. Le Conseil des affaires d’Etat, principal organe administratif et politique de Chine,  qui définit la politique nationale et étrangère, prépare le plan et le budget de l’Etat et joue un rôle central dans la définition de la stratégie nationale de recherche. Au plus haut niveau. Eux croient à la recherche !

Il faut sortir de cette Europe là.


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