Dans le dernier mois, au moins deux tribunes libres
consacrées à la transition énergétique insistent sur la nécessité d’un Etat
Stratège pour répondre aux immenses défis climatiques et énergétiques qui
s’annoncent.
Le premier est consacré à Astrid, et lorsque des gens du
calibre d’Yves Bréchet prennent la parole
, et au surplus sur un tel ton, il bon qu’ils soient
entendus. ( Yves Bréchet est membre de l’Académie des sciences, ancien haut-commissaire à l'Énergie atomique de 2012
à 2018, Polytechnicien, Chercheur en physique des solides et également diplomé
en Histoire des sciences Diplôme d'études )
Yves
Bréchet : L’arrêt du programme ASTRID : une étude de cas de disparition de
l’État stratège
Revue Progressisteshttps://revue-progressistes.org/2019/09/22/larret-du-programme-astrid-une-etude-de-cas-de-disparition-de-letat-stratege/ allez voir le texte complet !
Extraits :
« L’électricité joue un rôle fondamental dans nos
sociétés depuis un siècle, et donner accès à ses bénéfices est une signature du
développement industriel et sociétal d’un pays. Il s’ensuit naturellement
qu’elle ne peut être considérée comme une marchandise parmi d’autres, aussi
bien parce qu’elle est difficilement stockable que parce qu’elle nécessite des
investissements lourds pour la produire, la transporter, la distribuer. C’est
pour cela que dans l’après-guerre, la République française a décidé d’en faire
une mission régalienne. Cette décision a permis l’électrification du pays, le
développement de l’hydroélectricité et, pour répondre à la crise pétrolière des
années 1970, le déploiement du programme électronucléaire Français. Grâce à des
serviteurs de l’État exemplaires comme Marcel Boiteux, nous avons hérité d’un parc
électrogène et d’un réseau de distribution exceptionnel qui de surcroît
positionne la France au meilleur niveau de la lutte contre le réchauffement
climatique. Une certaine idéologie a voulu sortir de cette dynamique, qui était
issue de la nécessité d’un bien commun, et soumettre l’ensemble aux lois du
marché selon le dogme que le marché conduit nécessairement à des solutions
optimisées. »
« Il faudra un jour faire un bilan de cette
injonction doctrinaire mais une caractéristique des idéologies, quelles que
soient leurs couleurs, est qu’elles sont rétives à la comparaison aux faits. Le
découplage de la production et de la distribution pour cause de concurrence
européenne, la nécessité de donner accès au parc hydroélectrique lors même
qu’il est indispensable et tout juste suffisant pour stabiliser le réseau
électrique mis à mal par la pénétration à marche forcée des énergies
intermittentes, et plus récemment le
choix ahurissant de se séparer de notre industrie des turbines, dans un pays ou
l’énergie électrique est à 90 % nucléaire ou hydraulique, devraient suffire
pour démontrer à quel point l’État a cessé d’être un État stratège pour devenir
un bouchon flottant au fil de l’eau, » ….
« La
récente décision du gouvernement d’arrêter le projet ASTRID de réacteur à
neutrons rapides est un cas d’école de démission de l’État, dans une vision
court-termiste dont on peut raisonnablement se demander ce qui l’emporte du
désintérêt pour l’intérêt commun ou de l’ignorance patente des aspects
scientifiques et industriels de la question. »
« Dans le tournant du millénaire, nos prédécesseurs
nous ont laissé un système électrique de grande qualité. La France dispose d’un
parc électronucléaire de 58 réacteurs qui contribue pour 75 % à sa production
d’électricité – un cas exemplaire d’électricité à 90 % décarbonée ! – et qui en
fait du pays un des meilleurs élèves de la planète en matière de lutte contre
le réchauffement climatique. Ayant une énergie électrique à 90 % déjà
décarbonée, on pourrait penser qu’une véritable politique environnementale pour
lutter contre le réchauffement climatique pourrait utiliser les moyens de
l’État autrement qu’en essayant de décarboner une électricité déjà décarbonée ! »...
« Actuellement,
et contrairement à ce que la doxa verte affirme, personne n’est capable de dire
quelle proportion d’énergies décarbonées non nucléaires est compatible avec nos
sociétés industrielles. Ce n’est pas une question du coût des
renouvelables, qui baisse constamment, c’est une question de physique. On ne
sait pas quelles sont les capacités de stockage réalistes, on ne sait pas les
modifications indispensables du réseau de distribution, on ne sait pas quelle
part de production et de consommation localisées est compatible avec un mix
énergétique donné, et enfin la production à partir d’énergies fossiles d’une
électricité décarbonée rendue possible par un stockage de masse du CO2 est à ce
jour un vœu pieux. Dans cette situation, faire le pari qu’on pourra se passer
du nucléaire relève plus de la méthode Coué que de la saine gestion politique.
La France devrait rester, au moins pour les décennies à venir, un pays à forte
composante nucléaire, et c’est d’ailleurs ce qui avait été maintes fois répété
par le président Emmanuel Macron. Mais il ne semble pas évident, au moins au vu
des dernières décisions, que la cohérence soit une vertu majeure de l’actuelle
politique énergétique »…
« La
politique de « fermeture du cycle des matières nucléaires », clé de voûte de la
politique électronucléaire responsable depuis presque cinquante ans, vise à
éviter l’accumulation des déchets nucléaires, dont le déchet majeur est le
plutonium alors que c’est un excellent combustible fissile, et à tirer le
maximum d’énergie des matières premières issues du minerai d’uranium. Cette clé
de voûte a été pensée par un État stratège soucieux d’assurer au pays, dans le
sillage de la crise pétrolière des années 1970, une indépendance énergétique. C’est aussi une condition pour un nucléaire
durable et responsable, et c’est bien là le problème… D’aucuns aimeraient bien
que le nucléaire ne soit pas durable, ce qui serait une excellente raison
pour en sortir, et ils ont parfaitement compris le point dur que les
gouvernants actuels semblent avoir quelques difficultés à comprendre. Il se
trouve que les réacteurs à neutrons rapides (RNR) sont capables de brûler tous
les isotopes du plutonium, et donc de transformer ce déchet en ressource. Ils
peuvent également brûler l’uranium naturel et l’uranium appauvri. Les RNR
peuvent donc transformer les déchets, en particulier le plutonium, en
ressource, et consommer toutes les matières fissiles issues de la mine. Ce
faisant, de facto, les RNR permettent une gestion rationnelle de la ressource «
site de stockage profond ». Parmi les différentes possibilités techniques pour
réaliser la fermeture du cycle, le RNR à caloporteur sodium est l’option
technologique la plus mature.
Arrêter
le programme des RNR en arguant de solutions de remplacement est au mieux
aventureux, au pis malhonnête. »….
PENDANT
CE TEMPS, AILLEURS DANS LE MONDE… Au prix d’une pirouette
rhétorique, la fermeture du cycle du combustible demeure la politique officielle
de la France. Pour faire bonne mesure,
on s’offrira quelques études sur des solutions technologiquement moins matures
(pour être bien certains qu’elles ne passent jamais à l’étape
d’industrialisation), on prétendra faire du multirecyclage en REP (alors que
les problèmes de redressement isotopiques du plutonium sont largement non
triviaux et que les décideurs industriels le savent… ou devraient le savoir),
et par une admirable tartufferie on renoncera à la fermeture du cycle tout en
prétendant le conserver. On peut être admiratif de la manœuvre en termes de
communication politique sans pour autant considérer qu’elle soit digne d’hommes
d’État.
Entre-temps, le monde continue à tourner… et les grandes
puissances engagées dans le domaine du nucléaire, et qui ont choisi la
fermeture du cycle du combustible comme politique (suivant en cela l’exemple de
la France), s’engagent sur la voie de la réalisation concrète de réacteurs à
neutrons rapides refroidis au sodium (suivant la France dans ce choix, mais ne
l’imitant pas dans ses hésitations et ses inconséquences)….
Le premier béton du réacteur RNR-Na chinois CDFR-600
(China Demonstration Fast Reactor de 600 MWe) a été coulé le 29 décembre 2017 à
Xiapu, dans la province de Fuijan. Ce réacteur est conçu et construit par CNNC
(China National Nuclear Corporation). Le planning actuel prévoit sa mise en
service en 2023. Cette construction se déroule dans la prolongation du
programme sur les RNR refroidis au sodium qui se déroulait au CIAE (China
Institute of Atomic Energy), près de Beijing. CNNC annonce que les RNR-Na seront la principale technologie déployée
en Chine au milieu de ce siècle….Toutes ces informations étaient connues du
gouvernement français au moment de sa décision d’arrêter le projet ASTRID…..
Mais
il semble que, toujours créatifs dans notre capacité à manquer les rendez-vous
de l’histoire, la France s’apprêter à descendre d’un train que nous avons
contribué à construire, au moment même où il va partir !
COMMENT
DE TELLES DECISIONS SONT-ELLES POSSIBLES ? Regardons
les choses en face et appelons un chat un chat : l’arrêt d’ASTRID est une
ânerie historique, le gâchis de soixante-dix années d’investissement de la
République, presque 1 milliard d’euros partis en fumée… Mais ce n’est qu’un révélateur parmi d’autres de la déliquescence du
tissu industriel de notre pays et la décrépitude du service de l’État.
Si on peut pardonner au politique de manquer cette
vision, et de sacrifier une stratégie a des visées électorales, au moins
ont-ils l’excuse de ne pas savoir. Mais
quand ils sont servis par des hauts fonctionnaires qui, faute d’avoir jamais
pratiqué la science et la technique, allient une incompétence encyclopédique
sur les aspects scientifiques et industriels à une mentalité de courtisans qui
s’imaginent qu’obéir aux princes est synonyme de servir l’État, les
derniers remparts contre les décisions techniquement absurdes cèdent.
L’État
stratège, qui dans les années 1970 a pensé une politique énergétique qui
assurait l’indépendance du pays par un usage optimal des ressources, a cédé la
place à un État caméléon, qui rend le pays dépendant de la Chine pour le
photovoltaïque et le met entre les mains de la Russie pour l’approvisionnement
en gaz…, tout en s’autorisant de la lutte contre le réchauffement climatique
alors que rien dans cette lutte ne justifie la décroissance de l’énergie
nucléaire.
Cette accumulation de contresens donne aux dirigeants
actuels, par cette décision d’arrêter le projet ASTRID, le douteux privilège de
rentrer dans l’histoire non pas par la grandeur des projets qu’ils pourraient
lancer mais par l’incapacité à comprendre la valeur des projets dont ils ont
hérité et dont ils décrètent l’arrêt avec une légèreté confondante.
Par charité, on peut mettre cela sur le compte de
l’inexpérience, mais alors rappelons-nous la parole de l’Ecclésiaste : «
Malheur à la ville dont le prince est un enfant. »
Commentaire pas mieux, rien à dire de plus.
Si ceci : 1) Le choix, c’est le nucléaire, ou l’effondrement
énergétique, climatique, économique et social (cf. blog précédent http://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/10/politique-energetique-nucleaire-ou.html)
2) Compte-tenu de
l’ampleur des défis énergétique, il serait peut-être bon d’avoir un ministre de
l’énergie de plein exercice ?
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