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vendredi 10 février 2023

Réforme du marché européen de l’électricité : la contribution de Terra Nova

 Décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz : mission impossible ?

Note de Terra Nova et Nicolas Goldberg, Antoine Guillou

 https://tnova.fr/economie-social/finances-macro-economie/decorreler-les-prix-de-lelectricite-de-ceux-du-gaz-mission-impossible/

A) Résume : « Depuis le début de la crise énergétique, les propositions fleurissent pour détacher les prix de l’électricité de ceux du gaz. Selon Nicolas Goldberg et Antoine Guillou, l’heure n’est pas au grand retour arrière mais à cerner correctement les problèmes et à les corriger. »

Premier problème : les marchés de gros font ce pour quoi ils sont faits (assurer l’équilibre entre la production et la consommation à l’instant t) mais ils n’envoient pas les bons signaux d’investissement.

Second problème : les marchés de détail reportent sur le consommateur final la volatilité des prix de gros dont ils devraient les protéger.

Pour corriger ces défaillances, il faut donner davantage de visibilité aux opérateurs via des « contrats pour différence », généraliser les contrats de long terme (PPA) et mettre en place une régulation beaucoup plus exigeante à l’égard des fournisseurs sur les marchés de détail avec des règles prudentielles à respecter au même titre que pour les banques. »

Le problème, c’est moins les marchés de gros que les graves défauts du marché de détail

 B) Les problèmes du marché de détail

« Dans la crise actuelle, les marchés de gros ont renvoyé un signal de fort coût de l’équilibrage en raison de l’envolée des prix du gaz et des difficultés d’approvisionnement en France (notamment du fait de la baisse de disponibilité de son parc nucléaire). Soumis à ces différentes pressions, le marché de détail a révélé l’étendue de ses défauts, qui étaient déjà connus pour beaucoup mais jusqu’ici restés relativement sans conséquences tant que le prix du marché de gros était bas : »

1) Un certain nombre de fournisseurs ont été mis en faillite car ils n’avaient pas de couvertures suffisantes pour faire face à la situation: soit ils avaient misé sur un marché baissier, soit ils ne disposaient pas de la trésorerie nécessaire pour supporter la hausse des prix ou le risque auquel cela les exposait. Ces faillites de fournisseurs qui ont voulu parier inconsidérément avec le risque ont contraint leurs clients à retrouver en urgence un nouveau fournisseur qui ne pouvait leur proposer que des prix très désavantageux »

2)  « Certains fournisseurs qui étaient pourtant correctement couverts ont abusé le système en se séparant volontairement de leurs clients finaux (suspensions d’offres, non reconduction de contrat, annonces de hausses de prix parfois abusives…) pour pouvoir revendre l’énergie qu’ils avaient achetée en avance sur les marchés afin d’empocher la plus-value. Les clients ainsi abandonnés ont dû rejoindre un fournisseur de dernier ressort (EDF en France) qui a lui-même dû acheter à prix d’or l’énergie nécessaire pour fournir ces nouveaux clients (situation qu’il ne pouvait pas anticiper) » ;

3) « Les renouvellements de contrats ont très fortement exposé les clients aux variations des prix de gros de marché, les fournisseurs s’approvisionnant majoritairement sur ce marché de gros, sans autre couverture long terme que le nucléaire régulé dans le cas de la France  »

4) Pire encore, cette crise révèle en France les failles du système incomplet de régulation du nucléaire via l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH), et ses effets pervers. Consistant à ce qu’EDF vende aux fournisseurs concurrents une partie de sa production nucléaire à un prix fixe de 42€/MWh, les droits à ce nucléaire régulé, dits « droits ARENH », sont calculés pour chaque concurrent d’EDF en fonction de la taille de son portefeuille. Ces droits ARENH étant calculés uniquement sur la période d’été, certains fournisseurs avaient tout intérêt à gagner des clients pendant l’été pour les pousser vers la sortie une fois l’automne venu, par exemple en proposant des prix très compétitifs à la souscription en été avant de remonter les prix une fois l’hiver arrivé. En effet miroir, tout client particulier revenant chez EDF (environ 100 000 par mois depuis la fin de l’été 2022) oblige l’opérateur historique à lui vendre à prix régulé alors que les marchés s’envolent. La situation est tout aussi catastrophique pour les entreprises ne trouvant plus de fournisseur compte tenu du risque de crédit, devant ainsi souvent se retourner vers l’opérateur historique (qui n’est toutefois plus tenu de leur proposer un tarif règlementé depuis leur extinction pour les professionnels fin 2015).

Plus que le fonctionnement des marchés de gros, c’est d’abord cette régulation inadaptée du marché de détail, dont les objectifs sont à revoir, qui entraînent des situations inacceptables avec des consommateurs livrés à la volatilité des prix du marché de gros, suscitant du même coup des demandes d’intervention de la part des pouvoirs publics. Cette conclusion nous amènera à une série de propositions : nous avons besoin de réformes sur les marchés de détail pour nous assurer que les consommateurs soient protégés contre les échecs ou les abus de certains fournisseurs peu compétents ou peu scrupuleux

C) Principes et Propositions pour les marchés de détail

Principe : « Parallèlement, il faudra dans tous les cas renforcer la régulation du marché de détail en instaurant un système de règles prudentielles applicables aux fournisseurs d’électricité. Ces derniers présentent en effet des similitudes avec les banques dans la mesure où ils fournissent un service indispensable aux consommateurs et au fonctionnement de l’économie, et où ils sont exposés aux variations, potentiellement très importantes, des prix du marché de gros, eux-mêmes fortement corrélés aux prix du gaz fossile importé. Il convient donc de s’assurer de leur viabilité, en les obligeant à respecter un certain nombre de critères de solidité financière »

Propositions

1) « Le contrôle à intervalles réguliers du taux de couverture des fournisseurs au regard de leur portefeuille par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), à évaluer en fonction de leurs actifs disponibles. Ces couvertures chez les fournisseurs pourraient être assurées par des contrats de long terme, une trésorerie suffisante dédiée, des moyens de production détenus en propre, etc. Comme pour les banques, des « stress tests » réguliers pourraient être réalisés »

2) La réforme du système de fournisseur de dernier recours, dont le financement devrait être mutualisé entre tous les fournisseurs comme une assurance puisqu’au final, c’est bien de cela qu’il s’agit ;

3) L’assouplissement des règles sur les contrats de long terme à destination des consommateurs directs (en permettant en particulier aux clients les plus consommateurs, dits de haut de portefeuille, de s’engager au-delà de trois ans) ou de regroupements de fournisseurs pour fourniture aux clients finaux.

Remarque : on peut regretter que n’ait pas été repris une proposition plus dure parfois avancée par Nicolas Goldberg : pas de fournisseurs alternatifs sans production propre à un niveau de couverture minimal à fixer (30% ?)

D) Les Problèmes du marché de gros

Les marchés de gros de l’électricité ne donnent aucun signal d’investissement et finissent par organiser un risque de pénurie

La défaillance majeure du marché de détail n’exonère toutefois pas les marchés de gros européens de toute critique. Ces derniers sont en effet myopes : ils ne voient pas au-delà du court terme.  Il n’est aujourd’hui possible d’avoir de la visibilité sur les prix que pour trois ans au maximum. Or les moyens de production d’électricité, quels qu’ils soient, mettent plus de trois ans pour se déployer, en particulier en France au vu des fortes contraintes réglementaires (10–15 ans pour des parcs éoliens offshore ou du nucléaire, 5 ans pour des parcs photovoltaïques…).

Le marché seul n’incite donc pas à investir dans de nouvelles capacités électriques, tant les prix sont volatiles et valables uniquement sur le court terme, comme nous le dénonçons déjà depuis longtemps

Une myopie aggravée par le dogmatisme européen

« La Commission européenne, sur la base de la théorie économique qui a présidé à la création du marché dans les années 1990, a souhaité historiquement supprimer, pour le gaz comme pour l’électricité, le développement de tout contrat à long terme. Elle considérait en effet ce type de contrat comme une entrave à la concurrence et au bon fonctionnement du marché. Ainsi, tout contrat d’une durée supérieure à quatre ans est aujourd’hui soumis à une enquête pour vérifier qu’il ne constitue pas une entrave au bon fonctionnement du marché. De ce fait, des contrats d’engagement sur le long terme, comme Exeltium en France qui s’est développé sans soutien de l’Etat, ont mis plus de cinq ans à être mis en place en raison des enquêtes dont ils ont fait l’objet, même lorsque les volumes concernés étaient relativement faibles »

« La théorie qui sous-tendait la libéralisation des années 1990 et selon laquelle le lien entre le marché de détail et le marché de gros par l’intermédiaire des fournisseurs suffirait à donner les bons signaux d’investissements est en réalité très fortement mise à mal »

Remarque : Cela  revient à dire selon l’analyse présentée par le PSIRU d’Oxforde que « Le problème n’est donc pas que le marché de gros de l’électricité  fonctionne selon un modèle totalement inapproprié (marché de gros des matières premières) pour le marché de gros de l’électricité et que «les coûts supplémentaires imposés par la concurrence - duplication des fonctions, perte d’économies d’échelle - peuvent augmenter les prix »

Cf sur ce blog https://vivrelarecherche.blogspot.com/2022/12/reponse-de-la-commission-europeenne-la.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2022/12/une-nouvelle-conception-des-marches-de.html

E) Les solutions préconisées pour le marché de gros : principes et propositions

Principes

1) Des objectifs en termes de mix énergétique relèvent bien du droit communautaire et les Etats doivent accepter a minima une forme de coordination dans le cadre de l’Union, avec des convergences d’objectifs et des critères de sécurité d’approvisionnement partagés.

Remarque non, absolument non  . Il est temps d’en revenir à la fixation simplement d’objectifs de réduction de gaz à effet de serre, les Etats étant responsables de leur mix énergétique. Toute autre solution qui ignore les fortes différences de conditions géographiques et historiques des Eats expose à un très grand risque d’explosion de l’Europe, comme le montre les tensions incessantes et de plus en plus graves entretenues par l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg, occasionnellement associés à d’autres états sur la question nucléaire   

2) Les incitations publiques doivent pouvoir pleinement jouer leur rôle dans l’orientation de l’investissement de long terme dans la production décarbonée additionnelle… Seuls des soutiens publics forts et des contrats de long terme (PPA) permettront aux Etats membres d’accélérer leur transition énergétique et à l’Union européenne de se libérer de sa dépendance aux énergies fossiles, que la crise actuelle a de nouveau très fortement soulignée ;

3) Dans ce contexte, les contrats à long terme (PPA privés ou via des dispositifs de soutien public) ne doivent pas être considérés comme une entrave au bon fonctionnement du marché, mais comme un outil pour encourager l’investissement et protéger les consommateurs finaux d’une volatilité trop forte, les marchés de court terme pouvant en même temps poursuivre leur existence pour permettre l’équilibrage du réseau au meilleur coût.

Propositions

1) Capter la rentre intramarginale

Face à la situation actuelle, sous la pression des Etats, la Commission européenne a annoncé un mécanisme visant à limiter les surprofits des producteurs d’électricité : la captation des revenus de vente d’électricité au-delà de 180€/MWh…. Toutefois, ce mécanisme est trop timide et n’est prévu que pour être provisoire : fixé à 180 €/MWh, ce plafond de revenus est trop élevé. Rappelons qu’en France, le bouclier tarifaire a été mis en place en octobre 2021 dès que les prix avaient atteint 85 €/MWh sur les marchés de gros, ceux-ci ayant plutôt évolué ces dernières années autour de 50 €/MWh. Il faut d’ailleurs noter que la France a souhaité abaisser le plafond de revenus proposé par la Commission européenne pour les producteurs d’électricité à 100 €/MWh.

2) Instaurer un plancher de revenu

Pour avoir un meilleur partage des risques entre les producteurs et les consommateurs, il manque au mécanisme européen un plancher de revenus sécurisant les exploitants contre un retournement du marché à l’avenir. En effet, si les revenus des producteurs d’électricité sont plafonnés pour éviter les surprofits lorsque les prix de marchés sont élevés, il semblerait juste et logique que les producteurs soient en retour protégés avec un plancher de revenus contre les chutes des prix de marché qui entraîneraient pour eux de lourdes pertes, comme cela a été le cas entre 2015 et 2018. En miroir d’un plafond de revenus, il faudrait ainsi un plancher de revenus pour que le producteur d’électricité soit assuré de pouvoir couvrir ses coûts et conserver ainsi un système suffisamment incitatif à la réalisation des investissements dans la production d’électricité décarbonée dont nous avons besoin.

Ce principe de régulation n’est d’ailleurs pas si novateur : c’est aussi celui des « contrats pour différence » (Contracts for difference ou CfD) dont bénéficient déjà les énergies renouvelables en France et en Europe.

Notons qu’il est aussi similaire au principe de « couloir de prix » proposé en 2019 par le gouvernement français pour réguler les revenus du parc nucléaire existant à l’issue de l’expiration du dispositif ARENH, dans un projet de réforme depuis avorté.

Notre proposition consisteà étendre ce système de régulation à l’ensemble des moyens de production décarbonés

3) Protéger les consommateurs dans le cadre d’un bouclier tarifaire largement repensé, reflétant les coûts globaux du système et ciblé sur les ménages qui en ont le plus besoin, contrairement au dispositif actuel, généralisé, très coûteux et finalement peu efficace du point de vue budgétaire

4) Permettre le financement de la partie « plancher » du dispositif, c’est-à-dire les revenus versés aux producteurs lorsque les prix de marché sont inférieurs

5) Etendre la visibilité des marchés de gros au-delà de trois ans afin de permettre les échanges de couvertures à long terme.

Fig1) Le modèle actuel de marché

Ce que donnerait le modèle grec ( modèle dual) cfhttps://vivrelarecherche.blogspot.com/2023/02/la-necessite-de-faire-evoluer-le-modele.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2023/02/les-propositions-de-la-grece-pour-la.html

Remarques 1) Cette réforme minimale du marché de gros se heurte toujours au  même problème qu’il ne résout pas  : comment fixer justement les prix planchers et prix plafonds en conciliant la protection du consommateur et les nécessités d’investoissements? Est-il possible de le faire au niveau européen alors que les situations nationales en matière de mix énetgétiqe et de situations sociales sont tellement différentes ? Or un tel système ne peut fonctionner qu’au niveau européen (sinon fuites de subventions- on retombe dans les reproches justement adressés à la pseudo solution espagnole.)

Il vaudrait mieux supprimer les rentes inframarginales comme le permet la solution grecque

Remarque 2) Selon la philosophie générale de Terra Nova, le dispositif de bouclier est réservé aux seuls ménages en très grande difficultés et est complètement aveugle aux problèmes des classes  moyennes qui verraient leurs revenus considérablement amputés. Les classes moyennes se verraient ainsi financer un bouclier dont elles n’obtiendrait aucun bénéfice. C’est un choix politique extrêmement dangereux ( dans la continuité d ‘autres, telles la politique familiale)

Remarque 3) le principal problème n’est toujours pas traité : le manque d’investissement dans des productions pilotables. Aucune solution pérenne n’est possible sans que ce problème soit traité. Il faut donc que les services supérieurs rendus au système électrique et à la socitété par des production pilotables décarbonées ( nucléaire, hydraulique) soient reconnus et que les externalités négatives des ressources intermittentes soient pris en charge par les producteurs desdites ressources.

Cela peut passer par la priorité d’injection sur le réseau du nucléaire ( l’hydraulique étant plutôt réservé à la capacité) ( une solution adoptée par exemple par l’Ontario et/ou par une taxe "intermittence" sur les énergies renouvelables prenant en compte les coûts de stockage, flexibilité, système rseau et extension du réseau) selon un mécanisme similaire à la taxe carbone qui frappe les énergies fossiles

Remarque 4 Si la réforme du marché de détail est importante et intéressante, celle des marchés de gros est nettement insuffisante, pourtant on peut craindre que ce soit celle a minima adoptée par la Commission. Elle ne resoudra rien !

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