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mercredi 1 février 2023

La nécessité de faire évoluer le modèle du marché européen de l’électricité

Remarquable et déprimant article de Boris Solier, Cirad, Montpellier tant il est clair que, sous la pression notamment de l’Allemagne, ce n’est pas le modèle le plus intéressant qui va être choisi par la Commission Européenne

 

https://annales.org/re/2023/resumes/janvier/06-re-resum-FR-AN-janvier-2023.html#06FR

Extraits et commentaires

La crise actuelle

« Le secteur électrique européen traverse, depuis la mi-2021, une crise sans précédent marquée par la flambée des prix de l’électricité, une volatilité accrue des marchés et des craintes de black-out. Les prix sur les marchés de gros, qui s’établissaient traditionnellement sous la barre des 50 euros le mégawattheure (MWh) au cours des dix dernières années, ont plus que doublé en 2021 et s’élevaient en moyenne à plusieurs centaines d’euros au cours de l’année 2022. Des pics de prix à plusieurs milliers d’euros ont été observés à certaines heures, et le plafond de prix de 3 000 euros le MWh a même été atteint le 4 avril 2022 sur le marché au comptant français. C’est avant tout la très forte augmentation des cours du gaz naturel, portés par le contexte de la guerre en Ukraine, qui a provoqué celle des prix de l’électricité. Les centrales à gaz se sont en effet fréquemment retrouvées en position de déterminer le prix (price maker) sur le marché de gros. Rappelons qu’en Europe, environ 20 % de l’électricité sont produits à partir de gaz naturel. »

Commentaire : pas seulement : l’envolée des prix du gaz en Europe a précédé la guerre en Ukraine, en raison d’une manque de précipitations et baisse de l’hydraulique dans de nombreux pays, dont l’Amérique du Sud, et baisse des vents de 10% en Europe du Nord qui a entrainé une baisse de la production éolienne de 30%

Sol1) La solution espagnole : plafonner le prix du gaz , un truc de shadok, une rustine inapplicable à l’Europe

« Le prix du gaz servant à la production d’électricité y est plafonné à 40 € le MWh et la différence entre le prix de marché du gaz et le prix plafond est prise en charge par l’État. Le coût de la mesure est ensuite financé par l’ensemble des consommateurs via une taxe prélevée sur la facture d’électricité. »

Le premier enjeu concerne le choix du niveau auquel fixer le prix plafond. Un plafond trop élevé limiterait l’effet du dispositif sur le prix de gros et donc l’utilité de la mesure. Tandis qu’un plafond trop bas diminuerait fortement le coût marginal des centrales à gaz et donc les prix de l’électricité sur les marchés de gros, augmentant la consommation d’électricité et celle de gaz en Europe »

« Le second enjeu est celui du risque d’une hausse des exportations d’électricité subventionnée vers les pays voisins avec lesquels l’UE est interconnectée (principalement le Royaume-Uni et la Suisse) »

« Le subventionnement des prix du gaz au profit du secteur électrique devrait entraîner une augmentation de la demande de gaz en Europe et donc une hausse du prix payé par le secteur non électrique, notamment par les consommateurs industriels. »

Sol2) le modèle français Rémunérer les producteurs sur la base du prix offert (pay-as-bid) et non du prix d’équilibre (pay-as-clear) et acheteur unique

« Avec des enchères de type pay-as-bid, les producteurs retenus perçoivent non pas le prix d’équilibre, mais le prix de l’électricité qu’ils ont demandé… »

« Une alternative pourrait consister à opter pour une rémunération fondée sur la moyenne des coûts marginaux du marché (Percebois et Pommeret, 2022), avec un mécanisme de compensation pour les producteurs dont le coût marginal serait supérieur à la moyenne, ce qui permettrait de réduire le prix sur le marché de gros et donc le coût pour le consommateur »

Mettre en place un modèle d’acheteur unique (ou central) Dans ce cas, la concurrence est maintenue, mais seulement au niveau du marché de gros entre producteurs : la totalité de l’électricité est vendue via des contrats de long terme à un acheteur unique qui sélectionne les producteurs par appels d’offres. Le prix de l’électricité serait déterminé non plus en fonction du coût variable de court terme, mais reflèterait le coût marginal à long terme, ce qui permettrait de lisser le prix pour le consommateur.

C’était la position défendue sans succès par la France lors des négociations sur la directive de 1996 qui a conduit à une ouverture totale du secteur électrique à la concurrence. Notons que certains proposent aujourd’hui une solution assez proche de celle-ci avec un marché de gros délivrant des prix horaires calés sur les coûts marginaux et un « acheteur central » qui passerait des contrats pour différence avec l’ensemble des moyens de production d’électricité (d’origine fossile comme décarbonée) pour la revendre à des prix alignés sur les coûts de long terme (Beeker et Finon, 2022).

Avec de tels systèmes, dans lesquels la totalité de la production/consommation est couverte par des contrats de long terme, le partage du risque repose assez largement sur la puissance publique. Une option qui ne semble pas être envisagée à l’heure actuelle.

Sol3) Le modèle Grec de marché dual

Marché dual ou hybride, combinant tarification au coût marginal et contrats basés sur les coûts moyens de long terme

« Cette proposition, qui émane du gouvernement grec (Council of the European Union, 2022), consiste à segmenter le marché de gros en deux compartiments : d’un côté, les centrales à coût marginal faible, mais à coûts fixes élevés, qui produisent lorsqu’elles sont disponibles (énergies renouvelables et nucléaire) ; de l’autre, les centrales à coûts variables élevés, qui produisent à la demande et permettent d’équilibrer le marché en venant en complément de la production issue des ressources renouvelables intermittentes. Les premières seraient rémunérées non plus sur la base des coûts marginaux, mais sur la base d’un prix couvrant leur coût moyen de long terme (Levelized cost of electricity). Ce dernier pourrait être mis en place soit via des contrats pour différence (pour les nouvelles technologies), soit sous la forme d’un prix plafond appliqué à ces mêmes technologies sur le marché de gros (pour les installations existantes). Les autres producteurs continueraient, quant à eux, de percevoir, comme aujourd’hui, le prix d’équilibre du marché de gros déterminé à partir des enchères basées sur les coûts marginaux »


« Ce système présente l’avantage de pouvoir rémunérer les producteurs infra-marginaux non plus sur la base du coût des centrales fossiles, mais en fonction de leur coût réel de production, ce qui permettrait de faire baisser le coût moyen de l’électricité pour le consommateur. Il offre par ailleurs une certaine garantie aux producteurs quant au prix futur de l’électricité, ce qui permet de réduire le risque d’investissement dans les installations à forts coûts en capitaux, tout en préservant un signal-prix de marché pour les centrales pilotables, l’effacement, le stockage/déstockage, etc.

Le recours à des mécanismes de type contrats pour différence ou compléments de rémunération (avec primes variables) est déjà effectif en Europe, et ce depuis de nombreuses années. De tels mécanismes ont prouvé leur utilité en période de crise, permettant à certains États, comme la France, de récupérer des recettes fiscales importantes du fait de l’envolée des prix de gros »

« Sa mise en œuvre pourrait néanmoins s’avérer complexe compte tenu de la multiplicité des modes existants de contractualisation des énergies bas-carbone (obligations d’achat, ventes sur les marchés de gros, contrats bilatéraux, PPA, etc.) »

Commentaires 

1) Ce modèle basé sur la LCOE ne tient pas compte des différences d’utilités réelles entre énergie de base pilotable et énergies variables intermittentes. Le coût système considérable des énergies variables intermittentes n’est pas pris en compte, non plus que leurs externalités négatives sur les modes de productions pilotables (diminution du facteur de charge, contraintes techniques et économiques du suivi de charge).  Ce modèle tel qu’il est ne prend pas en compte les externalités négatives des énergies variables intermittentes, qui sont incapables de rendre au système électrique et à la société les mêmes services que les énergies pilotables et que les mécanismes de tarification actuelles ne font pas porter aux producteurs desdites ENR.

Par conséquent il doit être complété par un changement du mérit order et la priorité d’injection du nucléaire sur les Energies Variables Intermittentes.

Cf notamment https://vivrelarecherche.blogspot.com/2023/01/etude-nea-ocde-sur-le-cout-des-systemes_14.html (étude NEA/OCDE) et les scénarios RTE (https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/11/les-futurs-energetiques-2050-de-rte.html

2) Les contrats pour différence de l’éolien en France…ne rapportent de l’argent à l’Etat que lorsque le prix de l’électricité devient insupportable économiquement et socialement. Comment fixer la valeur du contrat est extrêmment délicatEt de plus, les producteurs éoliens peuvent sortir du contrat quand ça les arrange et ne s’en privent pas (résiliation anticipée en fin de contrats)

https://twitter.com/EricSartori3/status/1590463297564049408?t=8qun6YYJ64Jrg65h3A40Ng&s=09

3) Ces considérations sont d’ailleurs prises en compte par Boris Solier dans sa conclusion , qui privilégie cette solution du modèle grec :

« La seconde proposition implique une révision plus en profondeur du marché de l’électricité visant à  aligner le modèle actuel avec les objectifs de décarbonation et d’indépendance énergétique de l’Europe. Elle repose sur une refonte des mécanismes existants de soutien aux énergies renouvelables, auxquels viendraient se substituer des systèmes de type contrats pour différence qui seraient étendus au financement des nouveaux réacteurs nucléaires. La mise en œuvre d’une telle réforme pourrait néanmoins s’avérer complexe à la fois sur les plans politique, technique et opérationnel ; elle nécessitera un fort volontarisme de la part des décideurs publics qui la soutiennent »

Sol4) Retour aux monopoles nationaux

« Revenir à des monopoles nationaux avec des prix calés sur les coûts de production Dans la mesure où des différences importantes subsistent dans les mix électriques des différents pays européens, le prix sur les marchés de gros peut parfois être assez éloigné de celui qui serait obtenu uniquement à partir du coût de production des moyens nationaux. C’est la raison pour laquelle des voix se sont élevées pour demander la sortie du marché européen de l’électricité et un retour aux monopoles nationaux. Ces derniers seraient, comme avant la libéralisation, en charge d’assurer à la fois le dispatch des moyens de production à court terme et la planification des investissements à long terme. Le monopole serait de la sorte en mesure de pratiquer des prix de vente calés sur les coûts moyens de long terme, ce qui permettrait un lissage des prix pour le consommateur. Notons qu’un marché de court terme pourrait tout de même être conservé pour assurer les échanges transfrontaliers…

C’est une position qui n’est officiellement soutenue par aucun État membre. »

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