Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France- Commission Schellenberger
M. Arnaud Barlet (CFE Energies). Nous devons aussi
rappeler l’intérêt de l’entreprise intégrée. En effet, si un opérateur intégré
possède une centrale hydraulique, une centrale nucléaire et des énergies
renouvelables, il lui est plus aisé de chercher à les optimiser et d’arbitrer
entre leur utilisation. Au contraire, le morcellement de la production sur le
territoire met à mal l’optimisation
M. Philippe Page Le Mérour. Le
Gouvernement a garanti qu’Hercule n’était plus à l’ordre du jour dans le
document de l’OPA, mais je rappelle qu’il ne l’était pas davantage auparavant,
puisque le dossier n’a prétendument jamais existé. Nous n’obtenions des bribes
d’information que par la presse. Le montage de désintégration de l’entreprise
et de bradage au privé des parties les plus rentables à court terme a surtout
fait l’objet de discussions en coulisses entre le Président de la République,
le PDG sortant et l’autorité chargée de la concurrence au sein de la Commission
européenne à Bruxelles.
Nous considérons que nous avons emporté la victoire, mais nous restons vigilants. Un autre Hercule pourrait être dans les cartons. Cependant, il est certain que nous sommes à l’heure des choix. Les représentants de la nation ne peuvent laisser se poursuivre la désintégration de la boutique : ils doivent en refaire un service public. Tant que cela n’aura pas changé, le PDG gèrera EDF comme un boutiquier, sans vision à long terme d’un service public qui aurait la capacité à construire son parc nucléaire remboursé au fil du temps sur les factures. Il en va de même pour le parc hydraulique :
Des décisions irresponsables pour la sécurité d’approvisionnement
M. Philippe Page Le Mérour, "L’électricité est un produit de première nécessité non stockable qui doit être géré en permanence, respectant une équation simple, dans laquelle les lois de la physique prennent le dessus sur les lois du marché, et suivant laquelle la production doit être égale à la consommation. Pour couvrir la production, il faut être certain de bénéficier d’une quantité de moyens de production pilotables égale en tout temps au pic potentiel de consommation d’électricité en France – lequel n’est aujourd’hui plus couvert…
Nous avons observé la perte de 12 gigawatts de capacités pilotables ces dix dernières années, liée à la fermeture de la centrale de Fessenheim et des centrales thermiques d’Aramon, de Porcheville et du Havre, qui, certes, ne fonctionnaient pas chaque jour, mais sécurisaient le réseau à tout moment. Ces choix ont été faits à l’encontre du bon sens, dans des circonstances différentes. L’ensemble des organisations syndicales au sein du CCE avaient émis des avis négatifs à la fermeture de Fessenheim, appuyés sur diverses expertises prouvant l’aberration d’une telle mesure qui n’était pas imposée par des enjeux économiques, ni de sûreté, ni d’environnement. La fermeture des centrales thermiques, quant à elle, résulte d’une politique de boutiquiers. »
RTE prévoyait des difficultés pour les hivers 2022 et 2023 en se fondant sur le calendrier du grand carénage. Certes, des imprévus sont survenus. Toutefois, RTE ne s’est jamais opposé à la fermeture de Fessenheim ou des moyens thermiques, en préférant miser sur un taux de disponibilité des énergies renouvelables et des interconnexions de manière particulièrement optimiste.
Le nucléaire fragilisé par une politique de stop and go
M. Arnaud
Barlet, Au-delà d’EDF, la
filière a beaucoup souffert de l’image véhiculée sur le nucléaire. La
perspective de fermeture de douze tranches supplémentaires prévue par la
programmation pluriannuelle de l’énergie actuelle (PPE) pèse en outre sur
l’attractivité de l’entreprise. Malgré le nouvel élan donné par le discours de
Belfort, les viviers de recrutement restent assez faibles, compte tenu du temps
de formation des jeunes et de leur faible intérêt pour les filières techniques.
Les compétences
nucléaires s’acquièrent dans la durée : il faut plus de dix ans pour
construire une centrale nucléaire. Aussi, si les salariés quittent l’entreprise
avant d’y avoir passé une quinzaine d’années, nous ne pouvons capitaliser sur
les compétences qu’ils auront développées. C’est ce qui explique l’importance
de la préservation de notre statut et de notre système de retraite, qui a
l’avantage de fidéliser les agents puisqu’ils en bénéficient après quinze ans
d’ancienneté.
M. Julien Laplace, élu FCE-CFDT au CSE Central. Cette perte de compétences est notamment liée à la gestion en stop and go de la filière nucléaire, comme d’autres d’ailleurs.
L’idéologie Negawatt et la sous-estimation des besoins électriques
Mme Virginie Neumayer, représentante syndicale FNME-CGT au CSE Central. La consommation d’électricité a été dramatiquement sous-estimée ces dernières décennies. Nous faisons face à une pénurie d’électricité, dont les conséquences économiques sont sans commune mesure avec un dimensionnement suffisant des moyens de production pilotables. Avec l’ensemble des représentants du personnel, nous avons conduit des travaux concernant les scénarios prospectifs. Nous estimons que les besoins pour assurer une électricité décarbonée en 2050 sont de l’ordre de 850 térawattheures – soit 200 térawattheures de plus que le scénario N3 du RTE. Ce calcul est corroboré par plusieurs études européennes.
Commentaire : et par l’Académie des Sciences https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/11/les-futurs-energetiques-2050-de-rte.html
Mme Virginie Neumayer. Le président du directoire (de RTE) avait indiqué dans une conférence de presse en 2017 que nous étions passés à 1 gigawatt de mesure d’interruptibilité sur le réseau. Pour y répondre, les pouvoirs publics ont suggéré de travailler sur les contrats d’effacement. Ces derniers ont certaines limites…. Nous entrons finalement dans un cercle de récession industrielle et les usagers expérimentent un sentiment de déclassement quotidien.
L’idéologie de la libéralisation- pillage
Mme Virginie
Neumayer. Les prix de marché ne reflètent pas les coûts de
production et d’investissements futurs. Le niveau de rémunération dans
l’ensemble des activités d’EDF est bas et insuffisant. Il est aussi peu
représentatif de l’ensemble des services que nous rendons au système
électrique.
Dans la même période de libéralisation du secteur de l’énergie, nous avons
assisté à une offensive sans précédent contre EDF, ses motivations et même sa
structure, allant jusqu’à un pillage pur et simple de ses ressources avec
l’Arenh. Dans ce contexte, les affaires courantes étaient gérées comme celles
d’une autre entreprise, ce qui induisait de ne pas dépenser trop d’argent pour
les effectifs et les investissements utiles à l’avenir. Dans un domaine aussi
capitalistique que celui de l’énergie, et, a fortiori, du
nucléaire, les conséquences ne sont pas immédiatement visibles, mais elles nous
rattrapent aujourd’hui.
Mme Virginie
Neumayer. Depuis vingt-cinq ans, la libéralisation du secteur en
a fragilisé la maîtrise publique et a dégradé notre souveraineté énergétique.
Le personnel en subit les conséquences au quotidien, notamment en matière du
sens qu’il donne à son travail – dont il ne faut pas minimiser la charge
symbolique : il est différent de travailler au service de la nation ou
d’une entreprise quelconque.
Nous avons su réussir de grands projets industriels. Le plan Messmer est
toujours reconnu comme le plus grand succès industriel des quarante dernières
années, grâce, notamment, à l’électricien public national et son personnel
statutaire. Nous sommes alertés par la filialisation latente de l’ingénierie au
sein d’EDF, notamment du personnel chargé de la conception du nouveau nucléaire.
Un tel sujet soulève des questions de responsabilité en tant qu’exploitant,
mais aussi de concepteur de centrales nucléaires. ..
L’entreprise donne
par ailleurs des contre-signaux sur la réinternalisation, et notamment sur la
R&D. La R&D permet d’anticiper et de traiter les difficultés
rencontrées sur le parc nucléaire. Outre le développement d’un outil performant
de contrôle non disruptif de la corrosion sous contrainte, nous avons par
exemple pu traiter des phénomènes d’apparition des dépôts sur les crayons
combustibles. Or, après sept années consécutives de diminution des effectifs,
près de trois départements de R&D ont été supprimés. C’est inacceptable.
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