Cash investigation m’énerve souvent, avec son ton Michael
Moore, mais sans l’humour, juste le ton inquisitorial, l’agressivité et parfois
la mauvaise fois, la volonté de dénoncer un immense scandale à chaque
reportage, même lorsqu’il n’existe pas (il faut rentabiliser les moyens de la
chaine ? même dans le service public ?) mais aussi, il faut le
reconnaître, de véritables enquêtes permettant de confronter des interlocuteurs
à leurs mensonges ou de démonter leur discours fallacieux. L’émission du 9
février dans sa partie consacrée à l’industrie pharmaceutique, était assez
exemplaire de ce point de vue, avec deux dossiers. L’un consacré au Sofosbuvir
de Gilead et à son prix, était traité de
manière caricaturale, l’autre à GSK et à sa politique sur les vaccins
pédiatriques dénonçait, en effet, un véritable scandale.
Gilead
et le Sofosbuvir
Le Sofosbuvir est un véritable miracle thérapeutique dont
tout le monde devrait se réjouir, l’antiviral qui permet de guérir l’hépatite C,
le premier médicament avec une telle efficacité. L’enquête de Cash
investigation s’est focalisée sur le prix du Sofosbuvir (Sovaldi) : E n France, le
prix d’une boite de 28 comprimés a
été fixé à 13 667 € par un accord survenu entre le comité économique des produits
de santé (CEPS) et le laboratoire Gilead. La cure de 12 semaines coûte ainsi 41
000 € par patient. L’ enquête de Cash investigation comparait le prix
français au prix américain ( nettement plus élevé d’environ 25% ?)…et au
prix du Bengladesh ( ridicule). Ridicule, aussi la comparaison !
Commentaires :
Cash investigation considérait le prix français
comme scandaleux. Avant l’époque Sofosbuvir, le traitement de l’hépatite C
était reposait sur l’interféron et la
ribavirine et nécessitait des injections hebdomadaires pendant 48 semaines,
guérissait environ la moitié des patients, mais provoquait des réactions
indésirables fréquentes entrainant l’arrêt du traitement, et parfois engageant
le pronostic vital. Ensuite, il ne restait que la greffe de foie et les
traitements immunosuppresseurs à vie. Même en laissant de côté la guérison, le
confort de vie, l’immense service médical rendu, même en se bornant aux simples
considérations économiques, le traitement par le Sofosbuvir est rentable à
terme pour la société.
D’autant que le prix par traitement devrait
baisser, en raison d’un mécanisme intelligent d’accords prix volumes. Plus de
patients sont traités, plus le prix par traitement diminue. Cela devrait
permettre de traiter plus de patients à des stades moins avancés. Les malades
et la société y gagnent, le laboratoire a une garantie sut son chiffre
d’affaire.
Enfin, le prix du Sofosbuvir se justifie aussi par
le fait qu’il s’agit de la première molécule de sa classe. La voix est
maintenant ouverte pour des concurrents qui trouvent devant aux une nouvelle
voie bien défrichée. Des molécules concurrentes, éventuellement meilleures
devraient voir le jour rapidement et feront baisser le prix du traitement. Mais
si le premier à inventer un traitement réellement innovant ne peut recevoir la
juste rémunération de ses efforts et des risques qu’il a pris, alors il n’y
aura plus de premier, ni par conséquent plus de deuxième ou troisième…
Le deuxième « scandale » révélé
par Cash investigation, c’était que les deux tiers des experts qui ont eu à
évaluer le Sofosbuvir avaient travaillé avec le laboratoire Gilead lors des
études cliniques. Vieux problème déjà mentionné cent fois : lorsque qu’une
innovation thérapeutique de cette nature apparait, c’est tout à fait normal. Il
est même étrange qu’un tiers des experts consultés n’aient pas travaillé avec
la molécule ; à la limite, leurs patients devraient les poursuivre… Encore
une fois, ce qui compte, c’est que chacun sache ce que chacun a fait et reçu (« vivre
au grand jour, exigence portée par Auguste Comte à la fonction d’expertise»).
Des progrès en ce sens étaient nécessaires, pour l’essentiel, ils ont été
faits.
« Troisième scandale », le prix au
Bengaldesh, qui, selon Cash investigation, devrait représenter une référence
pour le prix français. Alors là, les bras m’en tombent. Le Bengladesh produit
le médicament en dehors de tout respect du système international de
brevet ; il agit donc en passager clandestin, profitant des efforts de
recherche financés par l’industrie pharmaceutique et les assurés sociaux des pays occidentaux, sans y prendre sa part.
Compte-tenu de sa situation économique et sanitaire, comment le lui
reprocher ? Même la santé publique mondiale y gagne. (cf Lester Thurow et
ses commentaires sur le système de protection intellectuelle)
Seulement, ce que Cash Investigation devrait
constater, c’est que les dépenses de recherches financées par l’industrie
pharmaceutique et les assurés sociaux des
pays occidentaux constituent l’une des aides plus utiles, les plus
généreuses, les plus bénéfiques accordées aux pays en voie de développement… ce
que personne ne semble remarquer
GSK et
les vaccins pédiatriques
Depuis quelques temps, il est impossible de
trouver en France un vaccin pédiatrique autre que le vaccin hexavalent
(diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, méningite, hépatite) produit par
GSK.- alors que seuls diphtérie, tétanos, polio sont obligatoires, coqueluche
et méningite fortement recommandés et hépatite recommandée, mais plus discutée).
L’explication fournie par les producteurs de vaccins, (qui, en passant, se
mettent en infraction avec leurs obligations les plus élémentaires et le plus
fondamentales) consiste en une pénurie de vaccins contre la coqueluche
(extrêmement important, des foyers infectieux réapparaissent un peu partout en France)
provoqués par des changements de législations dans différents pays. Curieusement,
il se trouve aussi que le vaccin hexavalent coûte près de 40 euros contre près de 26 euros pour
l'Infanrix Penta, et 15 euros pour l'Infanrix Tétra ; et que les autres
vaccins sont si peu chers qu’ils ne sont plus commercialement très intéressants.
Cash investigation s’est intéressé à ce dossier.
Un scientifique de GSK justifiait la situation en affirmant que, puisque pénurie
il y a, il valait mieux privilégier le vaccin hexavalent en raison de ses
avantages en matière de santé, puisqu’il permet de préserver en une seule fois contre
coqueluche et méningite, ce qui représente effectivement un progrès réel ;
et également l’hépatite B. L’homme était surement sincère et légitimement fier
de la mise au point de ce vaccin hexavalent ; simplement, il est inadmissible
que des alternatives parfois nécessaires ne soient plus disponibles.
Mais l’équipe de Cash investigation, et c’est là
qu’elle est à son meilleur, a déniché le
discours d’un patron de GSK lors de la remise d’un prix de management ou de
stratégie, discours dans lequel il se vantait d’avoir racheté tous les brevets
concurrents de vaccin contre l’hépatite B en France, puis imposé le vaccin
hexavalent, qui puisqu’il comprenait le vaccin contre l‘hépatite B donnait à
GSK , le quasi monopole des vaccins pédiatriques en France, avec de plus
le prix le plus élevé. La stupéfaction des scientifiques de GSK devant ce
discours cynique de leur patron avait quelque chose de gênant. Il n’est peut-être pas indifférent de noter
que GSK est également en train de fermer son centre de recherches en France (aux
Ulis) et qu’il a été parmi les laboratoires les plus sanctionnés par la Chine
pour ses pratiques de quasi-corruption auprès des médecins ; il semble
décidément y avoir un problème d’éthique dans cette firme.
Le pire est encore que des comportements de ce
genre fournissent des prétextes aux adversaires des vaccinations et mettent en
danger une couverture vaccinale pourtant indispensable. Ceux qui ont vu des enfants
atteints de poliomyélites, heureusement quasiment disparue dans nos contrées et
qui sera peut-être un jour éradiquée comme la variole (nous n’en sommes pas
loin), le comprendront sans peine, et les vaccins contre la méningite
constituent aussi un progrès réel. Il faudra saisir l’occasion de la conférence
mise en place par Mme Touraine pour redéfinir la politique vaccinale française
(ce qui est obligatoire, conseillé) et pour qu’elle soit effectivement
respectée par les industriels opérant en notre pays.
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