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samedi 23 avril 2016

Cash investigation et l’industrie pharmaceutique

Cash investigation m’énerve souvent, avec son ton Michael Moore, mais sans l’humour, juste le ton inquisitorial, l’agressivité et parfois la mauvaise fois, la volonté de dénoncer un immense scandale à chaque reportage, même lorsqu’il n’existe pas (il faut rentabiliser les moyens de la chaine ? même dans le service public ?) mais aussi, il faut le reconnaître, de véritables enquêtes permettant de confronter des interlocuteurs à leurs mensonges ou de démonter leur discours fallacieux. L’émission du 9 février dans sa partie consacrée à l’industrie pharmaceutique, était assez exemplaire de ce point de vue, avec deux dossiers. L’un consacré au Sofosbuvir de Gilead et à son prix, était  traité de manière caricaturale, l’autre à GSK et à sa politique sur les vaccins pédiatriques dénonçait, en effet, un véritable scandale.

Gilead et le Sofosbuvir

Le Sofosbuvir  est un véritable miracle thérapeutique dont tout le monde devrait se réjouir, l’antiviral qui permet de guérir l’hépatite C, le premier médicament avec une telle efficacité. L’enquête de Cash investigation s’est focalisée sur le prix du Sofosbuvir (Sovaldi) : E n France, le prix d’une boite de 28 comprimés a été fixé à 13 667 € par un accord survenu entre le comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire Gilead. La cure de 12 semaines coûte ainsi 41 000 € par patient. L’ enquête de Cash investigation comparait le prix français au prix américain ( nettement plus élevé d’environ 25% ?)…et au prix du Bengladesh ( ridicule). Ridicule, aussi la comparaison !

Commentaires :

Cash investigation considérait le prix français comme scandaleux. Avant l’époque Sofosbuvir, le traitement de l’hépatite C était  reposait sur l’interféron et la ribavirine et nécessitait des injections hebdomadaires pendant 48 semaines, guérissait environ la moitié des patients, mais provoquait des réactions indésirables fréquentes entrainant l’arrêt du traitement, et parfois engageant le pronostic vital. Ensuite, il ne restait que la greffe de foie et les traitements immunosuppresseurs à vie. Même en laissant de côté la guérison, le confort de vie, l’immense service médical rendu, même en se bornant aux simples considérations économiques, le traitement par le Sofosbuvir est rentable à terme pour la société.
D’autant que le prix par traitement devrait baisser, en raison d’un mécanisme intelligent d’accords prix volumes. Plus de patients sont traités, plus le prix par traitement diminue. Cela devrait permettre de traiter plus de patients à des stades moins avancés. Les malades et la société y gagnent, le laboratoire a une garantie sut son chiffre d’affaire.
Enfin, le prix du Sofosbuvir se justifie aussi par le fait qu’il s’agit de la première molécule de sa classe. La voix est maintenant ouverte pour des concurrents qui trouvent devant aux une nouvelle voie bien défrichée. Des molécules concurrentes, éventuellement meilleures devraient voir le jour rapidement et feront baisser le prix du traitement. Mais si le premier à inventer un traitement réellement innovant ne peut recevoir la juste rémunération de ses efforts et des risques qu’il a pris, alors il n’y aura plus de premier, ni par conséquent plus de deuxième ou troisième…
Le deuxième « scandale »  révélé par Cash investigation, c’était que les deux tiers des experts qui ont eu à évaluer le Sofosbuvir avaient travaillé avec le laboratoire Gilead lors des études cliniques. Vieux problème déjà mentionné cent fois : lorsque qu’une innovation thérapeutique de cette nature apparait, c’est tout à fait normal. Il est même étrange qu’un tiers des experts consultés n’aient pas travaillé avec la molécule ; à la limite, leurs patients devraient les poursuivre… Encore une fois, ce qui compte, c’est que chacun sache ce que chacun a fait et reçu (« vivre au grand jour, exigence portée par Auguste Comte  à la fonction d’expertise»). Des progrès en ce sens étaient nécessaires, pour l’essentiel, ils ont été faits.
« Troisième scandale », le prix au Bengaldesh, qui, selon Cash investigation, devrait représenter une référence pour le prix français. Alors là, les bras m’en tombent. Le Bengladesh produit le médicament en dehors de tout respect du système international de brevet ; il agit donc en passager clandestin, profitant des efforts de recherche financés par l’industrie pharmaceutique et les assurés sociaux des  pays occidentaux, sans y prendre sa part. Compte-tenu de sa situation économique et sanitaire, comment le lui reprocher ? Même la santé publique mondiale y gagne. (cf Lester Thurow et ses commentaires sur le système de protection intellectuelle)
Seulement, ce que Cash Investigation devrait constater, c’est que les dépenses de recherches financées par l’industrie pharmaceutique et les assurés sociaux des  pays occidentaux constituent l’une des aides plus utiles, les plus généreuses, les plus bénéfiques accordées aux pays en voie de développement… ce que personne ne semble remarquer

GSK et les vaccins pédiatriques

Depuis quelques temps, il est impossible de trouver en France un vaccin pédiatrique autre que le vaccin hexavalent (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, méningite, hépatite) produit par GSK.- alors que seuls diphtérie, tétanos, polio sont obligatoires, coqueluche et méningite fortement recommandés et hépatite recommandée, mais plus discutée). L’explication fournie par les producteurs de vaccins, (qui, en passant, se mettent en infraction avec leurs obligations les plus élémentaires et le plus fondamentales) consiste en une pénurie de vaccins contre la coqueluche (extrêmement important, des foyers infectieux réapparaissent un peu partout en France) provoqués par des changements de législations dans différents pays. Curieusement, il se trouve aussi que le vaccin hexavalent coûte près de  40 euros contre près de 26 euros pour l'Infanrix Penta, et 15 euros pour l'Infanrix Tétra ; et que les autres vaccins sont si peu chers qu’ils ne sont plus commercialement très intéressants.
Cash investigation s’est intéressé à ce dossier. Un scientifique de GSK justifiait la situation en affirmant que, puisque pénurie il y a, il valait mieux privilégier le vaccin hexavalent en raison de ses avantages en matière de santé, puisqu’il permet de préserver en une seule fois contre coqueluche et méningite, ce qui représente effectivement un progrès réel ; et également l’hépatite B. L’homme était surement sincère et légitimement fier de la mise au point de ce vaccin hexavalent ; simplement, il est inadmissible que des alternatives parfois nécessaires ne soient plus disponibles.
Mais l’équipe de Cash investigation, et c’est là qu’elle est à son meilleur,  a déniché le discours d’un patron de GSK lors de la remise d’un prix de management ou de stratégie, discours dans lequel il se vantait d’avoir racheté tous les brevets concurrents de vaccin contre l’hépatite B en France, puis imposé le vaccin hexavalent, qui puisqu’il comprenait le vaccin contre l‘hépatite B donnait à GSK , le quasi monopole des vaccins pédiatriques en France, avec de plus le prix le plus élevé. La stupéfaction des scientifiques de GSK devant ce discours cynique de leur patron avait quelque chose de gênant.  Il n’est peut-être pas indifférent de noter que GSK est également en train de fermer son centre de recherches en France (aux Ulis) et qu’il a été parmi les laboratoires les plus sanctionnés par la Chine pour ses pratiques de quasi-corruption auprès des médecins ; il semble décidément y avoir un problème d’éthique dans cette firme.

Le pire est encore que des comportements de ce genre fournissent des prétextes aux adversaires des vaccinations et mettent en danger une couverture vaccinale pourtant indispensable. Ceux qui ont vu des enfants atteints de poliomyélites, heureusement quasiment disparue dans nos contrées et qui sera peut-être un jour éradiquée comme la variole (nous n’en sommes pas loin), le comprendront sans peine, et les vaccins contre la méningite constituent aussi un progrès réel. Il faudra saisir l’occasion de la conférence mise en place par Mme Touraine pour redéfinir la politique vaccinale française (ce qui est obligatoire, conseillé) et pour qu’elle soit effectivement respectée par les industriels opérant en notre pays. 




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