La politique énergétique et EDF : le grand échec
Une
fois n’est pas coutume, je vais me contenter de reproduire sur ce blog un
excellent article écrit par le non moins excellent chroniqueur économique Eric
Le Boucher, publié sur le site des Echos le
15 janvier 2016. (http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021619934278-edf-ou-laveuglement-de-letat1192733.php?kckmcdFkjXQolTVw.99
En avant propos : un simple commentaire. Eric Le Boucher
parle de l’aveuglement de l’Etat qui conduit EDF à sa perte, ou, du moins à de
graves problèmes financiers, de la perte d’un de nos grands atouts compétitifs,
d’une « effarante déchéance », « des britanniques qui ont compris
que le marché ne marche pas », de la France, « élève honteuse du libéralisme, n'ose pas imaginer
affronter Bruxelles pour défendre son EDF. » (notamment à propos de la
mise en concurrence pour les concessions hydrauliques ?).
Fort bien, quelle extraordinaire lucidité ! On s’en féliciterait sans
partage s’il y avait quand même un (petit)
mea culpa des économistes libéraux, qui malgré les catastrophes énergétiques qu’ont
été les privatisations anglaises et californiennes, n’ont cessé de plaider pour
casser le « monopole d’EDF-GDF". On en voit le résultat aujourd’hui avec deux
grandes entreprises énergétiques en capilotade financière, une indépendance
énergétique de la France menacée, un atout formidable du point de vue
indépendance et de lutte contre le réchauffement climatique qu’est le nucléaire
bien menacé, presque volontairement saboté ! Oui, vraiment quel gâchis,
pour ne pas avoir compris que les monopoles naturels existant, et que ce sont
des situations où effectivement « le marché ne marche pas ».
La solution : la taxation écologique du carbone, relancer le nucléaire,
le relèvement des prix et …la restauration du monopole, qui permettra de mener
une vraie politique énergétique.
EDF, ou l'aveuglement de l'Etat : (Eric Le Boucher)
Rien
n'illustre mieux l'incapacité de l'Etat français à voir l'avenir que le cas EDF
: bientôt, le groupe ne pourra plus garantir aux Français une électricité
indépendante et peu onéreuse. Au risque de perdre l'un de nos atouts
compétitifs.
EDF ne pourra plus garantir aux Français une
électricité indépendante et peu onéreuse à partir de 2030. Par confusion des objectifs,
par insouciance du temps long, par cécité politicienne, l'Etat français,
c'est-à-dire son gouvernement et son administration, est en train d'ôter au
pays ce qui fut l'un de ses atouts majeurs depuis les années 1980. La France,
qui aime débattre à n'en plus finir des principes qui la fondent, laisse faire
une transformation radicale des conditions d'exercice de ces principes. Rien
n'illustre mieux cette nouvelle incapacité de l'Etat français à voir l'avenir
et à le construire, cette effarante déchéance, que la perte d'indépendance
énergétique qui se profile.
L'équation d'Electricité de France est pourtant simple.
Les centrales nucléaires ont été construites après des tensions fortes au
Moyen-Orient, qui ont fait comprendre à tous les Français que la dépendance aux
hydrocarbures était dangereuse. Les gouvernements de droite puis de gauche ont
construit 58 réacteurs d'une puissance totale de 63 gigawatts. Leur
durée de vie a été, depuis, prolongée, elle le sera peut-être encore, mais il
faudra les remplacer à partir de 2030.
Leur puissance un peu agrandie (à 1,6 GW) fait qu'il
faudra en construire seulement 38. Les ingénieurs d'Areva et d'EDF devront
d'ici là trouver un moyen pour diviser par deux le coût de ces réacteurs EPR,
afin de les amener à 6 ou 7 milliards d'euros pièce. Bilan : sur une période de reconstruction du parc
de vingt ans, EDF devra investir entre 10 et 12 milliards d'euros par an.
Or, sa capacité actuelle n'est que de 2,5 milliards, très loin du compte.
L'emprunt est exclu, l'entreprise a construit son ancien
parc de cette manière, elle porte une dette de 47 milliards. Elle est pour
cette raison sanctionnée par les marchés financiers qui ont fait plonger son titre en Bourse et l'ont fait exclure du
CAC 40. Sanction sans portée mais qui en dit long. Faire des
économies ? L'entreprise va en faire pour 1 milliard d'euros. On
reste loin du compte. Que l'Etat renonce à ses dividendes, 1,8 milliard ? Cela
ne suffit pas plus et ajoute à la défiance des marchés.
La seule solution est une remontée des prix. On entre ici
dans une considération stratégique acceptée par tous, l'énergie devrait être
plus chère pour des raisons à la fois écologiques et économiques. Mais le court
terme a pris le pas sur le long terme. D'une part, la baisse des prix des
services publics par la concurrence (énergie, télécoms, transports) est devenue
le seul moyen pour les gouvernements et l'Europe de faire remonter le pouvoir
d'achat lorsque les salaires stagnent. D'autre part, la révolution des schistes
nord-américains a écroulé l'ensemble des prix énergétiques mondiaux. Un tiers
seulement des tarifs d'EDF dépendent de l'Etat, deux tiers sont décidés sur
« le marché », où ils tombent : 40 euros le mégawatt/heure
il y a un an, 33 euros aujourd'hui pour les prix « de gros ».
A 33 euros, plus aucun investissement ne peut se
financer, sauf dans les énergies renouvelables grâce aux subventions.
Il faudrait que les prix se redressent au-dessus de
50 euros pour qu'EDF retrouve une marge de manoeuvre. C'est ici que
revient l'idée de taxer le CO2 comme l'ont fait la Suède (100 euros)
ou la Grande-Bretagne (30 euros). Sans
prix du CO2, la France est incapable de se doter d'une politique
énergétique propre et de long terme. Prix du CO2 ? Le grand absent de la
COP21 à Paris…
Les Britanniques, ces
pragmatiques, ont compris que le marché ne marche pas. L'indépendance énergétique, que
leur avait assurée le pétrole de la mer du Nord, se perd, ils ont décidé de
construire des nouvelles centrales nucléaires. Pour les financer, ils ont fixé
un prix d'achat garanti du courant (93 livres le mégawatt) pendant
trente-cinq ans. La Commission de Bruxelles a accepté cette
« distorsion » de concurrence. La France, élève honteuse du
libéralisme, n'ose pas imaginer affronter Bruxelles pour défendre son EDF.
Tout cela, objectera-t-on, est au fond voulu. Priver
Electricité de France de la capacité de reconstruire un parc nucléaire et le
forcer à aller dans les renouvelables est la politique de l'Etat et de sa
tutelle, le ministère de l'Ecologie, du Developpement durable et d e
l'Energie ? Est-ce vrai ?
Si oui, c'est réussi. Sauf que c'est priver EDF de capacité d'investir tout court. Ce ne sont pas les 700 millions qu'il met dans les renouvelables tous les ans qui suffiront à remplacer les 63 gigawatts nucléaires. Et surtout, miser sur le soleil et le vent impose de doubler le réseau par d'autres centrales en cas de calme, de nuages ou de nuit. L'Allemagne l'a montré qui a dû relancer ses centrales… au charbon : un échec climatique cinglant que les écologistes refusent de voir. En France, ce seraient des centrales au gaz, énergie, fiable, peu chère et disponible. Mais, en cohérence, il faudrait alors, au minimum, autoriser l'exploration de notre sol pour savoir s'il contient ou non du gaz de schiste. Ensuite, il faut accepter que la France dépende des Russes et du Moyen-Orient. Est-ce bien cela qui est voulu ? Que les deux piliers, France et Allemagne, abandonnent toute volonté d'indépendance énergétique et s'en remettent à Moscou et au Qatar ? Et que se passera-t-il lorsque le prix des hydrocarbures remontera, voire flambera ?
L'année 2030, c'est loin. Trois quinquennats… L'Etat
juge-t-il vraiment que l'indépendance énergétique est une vieille lune et que
le mieux soit qu'EDF, après un demi-siècle de nucléaire, fasse du gaz au
prétexte de renouvelables, comme les autres énergéticiens ? La violence du
monde risque de nous faire chèrement payer ce choix. Eric Le Boucher
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