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lundi 3 octobre 2016

Politique de Santé un défi français et européen- les dentistes


Des dentistes diplômés sans avoir jamais soigné de patients-scandales en série

Il y a des étudiants qui ont des idées intéressantes de thèse. C’est la cas par exemple de Marco Mazevet qui, pour sa thèse d’exercice de dentiste a eu l’idée de s’intéresser à la formation des dentistes. M. Mazevet (bravo !) est l’ancien président de l’association européenne des étudiants en chirurgie dentaire (65000 membres), et il avait été alerté par de nombreux amis étudiants qui lui signalaient que la libre circulation des travailleurs et la reconnaissance automatique des diplômes avaient eu pour effet l’explosion dans des pays peu regardants de formations payantes très chères et  de mauvaise qualité qui ne garantissent même pas une formation clinique minimale aux dentistes. La Commission Européenne l’a pris de haut, a nié le fait puis a demandé des preuves. Qu’à cela ne tienne, M. Mazevet a consacré au sujet sa thèse d’exercice et le moindre qu’on pusse dire est que le résultat dépasse tous les inquiétudes.

Au total, quelque 1 000 réponses ont été enregistrées, représentant dix-neuf pays. Une liste de trente-quatre actes cliniques – détartrage, prise d’empreintes, clichés radiographiques, prothèse provisoire, extraction d’une dent… – a été soumise aux étudiants. Il en ressort que 10 % des diplômés en odontologie formés en Europe n’ont reçu aucune formation de pratique clinique sur des patients. Autrement dit, avant d’exercer, ils n’ont effectué aucun soin. Un étudiant sur trois n’a jamais posé de couronne, près d’un sur deux n’a jamais réalisé de traitement endodontique (à l’intérieur de la dent) et près d’un sur trois n’a jamais prescrit de traitement médicamenteux. Enfin, deux tiers des actes ont été réalisés moins de cinq fois par 50 % des étudiants, et seulement un quart a été réalisé plus de dix fois par 60% des étudiants. L’Ordre national des chirurgiens dentistes jusqu’ici bien muet a réagi par une consternation un peu tardive : « Comment concevoir que de jeunes diplômés puissent s’installer sur notre territoire sans avoir jamais vu un patient… en l’état, la libre circulation représente une menace pour la qualité des soins et la sécurité des patients. »

En effet ! Mais l’ordre des chirurgiens dentistes peut difficilement s’exonérer de toutes responsabilités tant, à l’exemple de l’Ordre des médecins, il a mené une politique de numerus clausus malthusienne, censé protéger les intérêts des praticiens installés, mais qui se retourne contre eux lorsqu’ils veulent vendre leur cabinets, et qui constitue surtout un véritable scandale, une conspiration contre l’intérêt des patients.

Au delà de la formation des dentistes, rappelons le scandale Dentexia, une pseudo-chaine de dentisterie low-cost et vraie escroquerie aux conséquences dramatiques. Au moins 2.000 patients en ont été victimes et ont payé pour des soins qui n'ont jamais été réalisés. Dentexia a fait faillite, et l’Igas, qui aurait dû tout de même s’inquiéter avant, tant l’escroquerie était évidente ( mais ça arrangeait bien les caisses d’assurance maladie, ces soins à très bas coût !). En réalité,  cela finira par coûter très cher, mais l’aspect sanitaire est réellement scandaleux. Marianne, Lundi 02 Mai 2016, à propos de Dentexia : « A 54 ans, Gilles n'a plus une seule dent. Les 18 racines qui lui restaient et lui permettaient, péniblement, de faire tenir un bridge, ont été arrachées en janvier. Toutes d'un coup. Puis le cabinet dentaire où il avait commencé les soins, à Chalon-sur-Saône, a mis la clé sous la porte, laissant Gilles sans dents ».

Ajoutons au paquet l’affaire du « dentiste de l’horreur », le néerlandais Mark van Nierop, coupable d’avoir mutilé une centaine de patients à Château-Chinon entre 2008 et 2012. Le pire est qu’il avait été accueilli en sauveur dans une zone qui est un désert médical notoire, les habitants étant  obligés depuis plusieurs années de faire près de 20 km pour avoir accès à des soins dentaires.  Récit d’une patiente : « "Il m'a fait sept ou huit piqûres, arraché huit dents d'un coup et posé l'appareil à vif. Je pissais le sang. Pendant trois jours !". A cela s’ajoutait les escroqueries : sous prétexte de mettre à jour sa carte Vitale, l‘escroc en a profité pour réclamer 1 400 euros de soins à sa mutuelle.

Et les médecins ? “On ne peut rien faire, ce sont des étudiants européens”
Il n’y pas que pour les dentistes que la libre circulation et la reconnaissance mutuelle des diplômes pose problèmes.  Ainsi, cette année, huit internes en médecine générale affectés dans des hôpitaux d’Ile-de-France ont été exclus de leur service pour cause d’incompétence et ont été priés de suivre un stage de remise à niveau de six mois, comme l’a révélé Le Quotidien du médecin, mi-janvier. C’est une première.

Six d’entre eux, trois Français ayant fait leurs études en Roumanie et trois Roumains ayant commencé leur cursus dans leur pays, avaient choisi de faire leur premier stage de six mois à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Ils sont arrivés en novembre, trois étaient affectés en pneumologie, trois autres en gastro-entérologie, raconte Didier Hoeltgen, directeur de l’hôpital.

Ces huit étudiants ne seraient que la partie émergée de l’iceberg. Le coordonnateur du diplômé d’étude spécialisée (DES) de médecine générale a du mal à masquer sa colère : « A la rentrée 2014, nous avions déjà décelé ce type de problème. Nous avions été reçus au ministère de la santé et au ministère de l’enseignement supérieur, mais ils nous ont dit : “On ne peut rien faire, ce sont des étudiants européens” ! »

« C’est la première fois qu’un hôpital prend une telle décision mais c’est un phénomène que l’on dénonce depuis des années et qui risque de s’aggraver », réagit de son côté Jean-Pierre Vinel, ex-président de la Conférence des doyens, fraîchement élu président de l’université Toulouse-III-Paul-Sabatier. En effet, la particularité du système français est d’être plutôt accueillant avec les étudiants étrangers et les Français qui font leurs études de médecine à l’étranger. Certains pays exigent, au contraire, une épreuve de langue comme l’Allemagne ou imposent un concours pour intégrer l’internat, à l’instar de la Roumanie par exemple.

Au ministère de la santé, on rappelle les dispositions européennes : tout étudiant d’un pays membre de l’Union européenne engagé dans des études médicales qui a validé son deuxième cycle peut s’inscrire en troisième cycle dans un autre pays membre de l’Union. En août 2011, un décret avait interdit l’accès aux ECN aux étudiants n’ayant pas réussi à intégrer les études de médecine après la première année commune aux études de santé (Paces). Une manière de fermer la porte, de fait, à tous les étudiants qui poursuivaient leur cursus à l’étranger. Mais le Conseil d’Etat avait annulé ce décret.

L’ECN (Epreuves classantes nationales)) a ceci de spécifique qu’il ne s’agit pas d’un concours mais d’un examen où chaque étudiant est classé… même s’il a rendu copie blanche. « Il sera bon dernier mais sera interne et aura une place dans un hôpital », s’indigne Philippe Jaury. En 2014, 250 candidats de l’Union européenne ayant suivi leur cursus hors de France ont passé les ECN. En 2015, ils étaient 350, dont 50 % de Roumains.
Une des solutions serait alors d’instaurer une note éliminatoire aux ECN. Elle a les faveurs des doyens de faculté de médecine, mais les syndicats d’étudiants y sont farouchement opposés. Et puis quelle note choisir ? Une autre serait de remettre un examen de fin d’études du 2e cycle avec un oral que tous les étudiants seraient tenus de valider avant de pouvoir passer l’ECN. Enfin, la réforme du 3e cycle, qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2017, devrait aussi prévoir une année socle en début d’internat permettant de s’assurer que chaque étudiant a les compétences pour poursuivre dans sa spécialisation.
Quoi qu’il en soit, pour les professions de santé, la sévérité assez injustifiée du numerus clausus français, la reconnaissance mutuelle des diplômes et la libre circulation créent des problèmes graves d’accès aux soins, de qualité des soins et même de sécurité des patients. Cette situation devient intenable, et l’Europe ferait bien de s’en préoccuper  avant que la tentation de tout envoyer dans les poubelles de l’histoire ne finisse par saisir la majorité de nos concitoyens. Il serait assez inconvenant que ces préoccupations de santé publique soient absentes des échéances électorales à venir.
 
 

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