Des dentistes diplômés sans avoir jamais soigné de patients-scandales en série
Il y a des étudiants qui ont
des idées intéressantes de thèse. C’est la cas par exemple de Marco Mazevet
qui, pour sa thèse d’exercice de dentiste a eu l’idée de s’intéresser à la
formation des dentistes. M. Mazevet (bravo !) est l’ancien président de
l’association européenne des étudiants en chirurgie dentaire (65000 membres),
et il avait été alerté par de nombreux amis étudiants qui lui signalaient que
la libre circulation des travailleurs et la reconnaissance automatique des
diplômes avaient eu pour effet l’explosion dans des pays peu regardants de
formations payantes très chères et de
mauvaise qualité qui ne garantissent même pas une formation clinique minimale
aux dentistes. La Commission Européenne l’a pris de haut, a nié le fait puis a
demandé des preuves. Qu’à cela ne tienne, M. Mazevet a consacré au sujet sa
thèse d’exercice et le moindre qu’on pusse dire est que le résultat dépasse
tous les inquiétudes.
Au total, quelque 1 000
réponses ont été enregistrées, représentant dix-neuf pays. Une liste de
trente-quatre actes cliniques – détartrage, prise d’empreintes, clichés
radiographiques, prothèse provisoire, extraction d’une dent… – a été soumise
aux étudiants. Il en ressort que 10 %
des diplômés en odontologie formés en Europe n’ont reçu aucune formation de
pratique clinique sur des patients. Autrement dit, avant d’exercer, ils
n’ont effectué aucun soin. Un étudiant
sur trois n’a jamais posé de couronne, près d’un sur deux n’a jamais réalisé de traitement endodontique (à
l’intérieur de la dent) et près d’un sur trois n’a jamais prescrit de
traitement médicamenteux. Enfin, deux tiers des actes ont été réalisés moins de
cinq fois par 50 % des étudiants, et seulement un quart a été réalisé plus de
dix fois par 60% des étudiants. L’Ordre national des chirurgiens dentistes
jusqu’ici bien muet a réagi par une consternation un peu tardive :
« Comment concevoir que de jeunes diplômés puissent s’installer sur notre
territoire sans avoir jamais vu un patient… en l’état, la libre circulation
représente une menace pour la qualité des soins et la sécurité des
patients. »
En effet ! Mais l’ordre
des chirurgiens dentistes peut difficilement s’exonérer de toutes
responsabilités tant, à l’exemple de l’Ordre des médecins, il a mené une politique
de numerus clausus malthusienne, censé protéger les intérêts des praticiens
installés, mais qui se retourne contre eux lorsqu’ils veulent vendre leur
cabinets, et qui constitue surtout un véritable scandale, une conspiration
contre l’intérêt des patients.
Au delà de la formation des
dentistes, rappelons le scandale Dentexia, une pseudo-chaine de dentisterie
low-cost et vraie escroquerie aux conséquences dramatiques. Au moins 2.000
patients en ont été victimes et ont payé pour des soins qui n'ont jamais été
réalisés. Dentexia a fait faillite, et l’Igas, qui aurait dû tout de même
s’inquiéter avant, tant l’escroquerie était évidente ( mais ça arrangeait bien
les caisses d’assurance maladie, ces soins à très bas coût !). En
réalité, cela finira par coûter très
cher, mais l’aspect sanitaire est réellement scandaleux. Marianne, Lundi 02 Mai 2016, à propos de Dentexia : « A
54 ans, Gilles n'a plus une seule dent. Les 18 racines qui lui restaient et lui
permettaient, péniblement, de faire tenir un bridge, ont été arrachées en
janvier. Toutes d'un coup. Puis le cabinet dentaire où il avait commencé les
soins, à Chalon-sur-Saône, a mis la clé sous la porte, laissant Gilles sans
dents ».
Ajoutons au paquet l’affaire du « dentiste de l’horreur », le néerlandais
Mark van Nierop, coupable d’avoir mutilé une centaine de patients à
Château-Chinon entre 2008 et 2012. Le pire est qu’il avait été accueilli en
sauveur dans une zone qui est un désert médical notoire, les habitants étant obligés depuis
plusieurs années de faire près de 20 km pour avoir accès à des soins
dentaires. Récit d’une patiente :
« "Il m'a fait sept ou huit piqûres, arraché huit dents d'un coup et
posé l'appareil à vif. Je pissais le sang. Pendant trois jours !". A cela
s’ajoutait les escroqueries : sous prétexte de mettre à jour sa carte
Vitale, l‘escroc en a profité pour réclamer 1 400 euros de soins à sa mutuelle.
Et les médecins ? “On ne peut rien faire, ce
sont des étudiants européens”
Il n’y pas que pour les
dentistes que la libre circulation et la reconnaissance mutuelle des diplômes
pose problèmes. Ainsi, cette année, huit
internes en médecine générale affectés dans des hôpitaux d’Ile-de-France ont
été exclus de leur service pour cause d’incompétence et ont été priés de suivre
un stage de remise à niveau de six mois, comme l’a révélé Le Quotidien du
médecin, mi-janvier. C’est une première.
Six d’entre eux, trois Français
ayant fait leurs études en Roumanie et trois Roumains ayant commencé leur
cursus dans leur pays, avaient choisi de faire leur premier stage de six mois à
l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Ils sont arrivés en
novembre, trois étaient affectés en pneumologie, trois autres en
gastro-entérologie, raconte Didier Hoeltgen, directeur de l’hôpital.
Ces huit étudiants ne seraient
que la partie émergée de l’iceberg. Le coordonnateur du diplômé d’étude
spécialisée (DES) de médecine générale a du mal à masquer sa colère : « A la
rentrée 2014, nous avions déjà décelé ce type de problème. Nous avions été
reçus au ministère de la santé et au ministère de l’enseignement supérieur,
mais ils nous ont dit : “On ne peut rien faire, ce sont des étudiants
européens” ! »
« C’est la première fois qu’un
hôpital prend une telle décision mais c’est un phénomène que l’on dénonce
depuis des années et qui risque de s’aggraver », réagit de son côté Jean-Pierre
Vinel, ex-président de la Conférence des doyens, fraîchement élu président de
l’université Toulouse-III-Paul-Sabatier. En effet, la particularité du système
français est d’être plutôt accueillant avec les étudiants étrangers et les
Français qui font leurs études de médecine à l’étranger. Certains pays exigent,
au contraire, une épreuve de langue comme l’Allemagne ou imposent un concours
pour intégrer l’internat, à l’instar de la Roumanie par exemple.
Au ministère de la santé, on
rappelle les dispositions européennes : tout étudiant d’un pays membre de
l’Union européenne engagé dans des études médicales qui a validé son deuxième
cycle peut s’inscrire en troisième cycle dans un autre pays membre de l’Union.
En août 2011, un décret avait interdit l’accès aux ECN aux étudiants n’ayant
pas réussi à intégrer les études de médecine après la première année commune
aux études de santé (Paces). Une manière de fermer la porte, de fait, à tous
les étudiants qui poursuivaient leur cursus à l’étranger. Mais le Conseil
d’Etat avait annulé ce décret.
L’ECN (Epreuves classantes nationales)) a ceci de spécifique qu’il ne
s’agit pas d’un concours mais d’un examen où chaque étudiant est classé… même
s’il a rendu copie blanche. « Il sera bon dernier mais sera interne et aura une
place dans un hôpital », s’indigne Philippe Jaury. En 2014, 250 candidats de l’Union
européenne ayant suivi leur cursus hors de France ont passé les ECN. En 2015,
ils étaient 350, dont 50 % de Roumains.
Une des solutions serait alors d’instaurer une note éliminatoire aux ECN. Elle
a les faveurs des doyens de faculté de médecine, mais les syndicats d’étudiants
y sont farouchement opposés. Et puis quelle note choisir ? Une autre serait de
remettre un examen de fin d’études du 2e cycle avec un oral que tous les
étudiants seraient tenus de valider avant de pouvoir passer l’ECN. Enfin, la
réforme du 3e cycle, qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2017, devrait
aussi prévoir une année socle en début d’internat permettant de s’assurer que
chaque étudiant a les compétences pour poursuivre dans sa spécialisation.
Quoi qu’il en soit, pour les
professions de santé, la sévérité assez injustifiée du numerus clausus
français, la reconnaissance mutuelle des diplômes et la libre circulation
créent des problèmes graves d’accès aux soins, de qualité des soins et même de
sécurité des patients. Cette situation devient intenable, et l’Europe ferait
bien de s’en préoccuper avant que la
tentation de tout envoyer dans les poubelles de l’histoire ne finisse par saisir
la majorité de nos concitoyens. Il serait assez inconvenant que ces
préoccupations de santé publique soient absentes des échéances électorales à
venir.
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