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jeudi 17 janvier 2019

Raison de détester l’Eurokom -22 : la mort industrielle à petit feu


Europe et Eurokom :Dans un de mes précédents blogs, je m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal sur « l’Europe qui nous a donné la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui sciemment mélangent l’Europe, réalité géographique, historique, culturelle et la Communauté européenne et ses institutions (notamment la Commission européenne), vouées uniquement à construire un grand marché selon le dogme d’une véritable secte libérale, je propose donc de différencier l’Europe réelle des peuples et des nations et l’Eurokom, les institutions de la Communauté Européenne.

Pechiney, Legrand, Schneider :la Commission européenne est une tueuse en série de champions industriels.

En 1860, le chimiste Henry Merle décide de diversifier les activités de son entreprise et se lance dans l'aluminium, un métal qui coûte alors plus cher que l’or ! L'aluminium est alors un métal onéreux et peu utilisé. C’est la naissance de Pechiney, puis Pechiney Ugine Khulman, qui dominera massivement  le marché de l’aluminium en France pendant près d’u, siècle. Dans les années 70, le groupe souffre de la crise pétrolière et de la concurrence asiatique. La gauche arrivée au pouvoir en 1981 décide de sauver le groupe, le nationalise en 1982 et finance sa restructuration. Bonne pioche ! Sous la présidence de Jean Gandois, une stratégie expansionniste permet l’acquisition en 1988 du géant de l'emballage américain American National Can. L'entreprise double de taille. En 1994, un nouveau PDG, Jean-Pierre Rodier, décide de recentrer le group sur son cœur de métier et de le désendetter, en vue de le privatiser. Howmet, Carbone Lorraine et l'essentiel d'American National Can sont revendus, les coûts sont réduits, et l'entreprise est privatisée en 1995.

Ainsi brillamment relancé, Pechiney voit grand, un projet de fusion à trois avec ses concurrents canadien Alcan et suisse Algroup pour constituer un vaste ensemble international de 22 milliards de dollars présent dans notamment l'automobile, la construction, les conserves alimentaires, et les emballages. En 2000, ce projet est refusé par la Commission européenne pour risque d'abus de position dominante ! Conséquence : la situation se renverse, et ce champion européen que la Commission européenne avait assassiné dans son berceau, c’est Alcan qui le réalise en reprenant seul le suisse Algroup en 2001 et en réalisant 2003 une OPA hostile sur Pechiney. En situation financière fragile, Pechiney ne peut résister et se fait absorber pour 4 milliards d'euros. Bravo et Merci les ultra libéraux de la  Commission européenne !

Début 2001, les fabricants français de matériel électrique français Legrand et Schneider annoncent un projet de fusion, qui devait créer le numéro un mondial de l'appareillage électrique de basse tension et des automatismes industriels. La Commission de la Concurrence frappe encore, et Schneider, qui avait payé Legrand 5,4 milliards d'euros, se trouve contraint de le revendre  un an plus tard aux fonds Wendel et KKR pour seulement 3,6 milliards. Schneider se rebelle et, cas assez unique, porte plainte contre la Commission de Bruxelles et obtient en 2007 l’annulation (mais trop tard) du veto de la Commission par  la Cour européenne de justice, avec des indemnités qui ont fait l’objet de nombreux recours.

Et c’est en ce moment en traine de se reproduire. Après le démantèlement scandaleux d’Alstom sous chantage du gouvernement américain, qui s’empare ainsi via General Electric d’actifs stratégiques français, en particulier pour le nucléaire) (finalisé sous les auspices du génial Macron malgré l’opposition véhémente du ministre de l’économie Montebourg), restait la possibilité d’une alliance Alstom Siemens pour créer un champion européen du ferroviaire capable de rivaliser avec la puissance montant très rapidement, le chinois capable de rivaliser avec le géant chinois CRR. Au moment où j’écris, la Commission a fait savoir que « le sentiment général était très négatif » compte-tenu d’une atteinte possible à la concurrence dans les trains à grande vitesse. Siemens et Alstom sont pressés de céder des activités, ce qui dénaturerait en profondeur le projet industriel… et risque même de ne pas suffire. Bref, c’est mal parti.

La Commission européenne est une tueuse en série de champions industriels, au berceau qui plus est. Et lorsqu’elle agit ainsi, ce ne sont pas seulement les champions industriels qui trinquent, mais tout un tissu, et des milliers de sous traitants.

L’idéologie ultra libérale de la Commission est anti-industrielle

Il est significatif que le Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ne fasse apparaître qu'au titre XVII la mention de l'Industrie, laquelle fait l'objet d'un unique article qui rappelle, au demeurant, avec force que toute action pour l'industrie ne saurait porter atteinte à la concurrence. A contrario, les règles de concurrence font l'objet de pas moins de 9 articles de ce même traité qui ont donné lieu à de multiples décisions de la Commission et de la Cour de Justice !

La mise en œuvre du « tout concurrence » et le règne des marchés ont des conséquences calamiteuses sur notre industrie dont la part dans le P.I.B est passée en une quinzaine d'années de 20 % à 12 %, , détruisant des pans entiers de notre industrie et des centaines de milliers d'emplois. Des fleurons de notre industrie ont ainsi disparu, Péchiney, Alcatel, Alstom, sans mentionner les sous-traitants.

Nous étions il y a 25 ans leader mondiaux des télécoms. Je rappelle qu’Alcatel détenait 13,5 % du marché mondial. Aujourd’hui, Alcatel a disparu et nous n’avons plus d’industrie de télécoms. Nos opérateurs de télécoms ont également reculé et se sont affaiblis par rapport à leurs concurrents.

Et les conséquences de cette politique folle de la concurrence se dont sentir. En France, le poids en valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB était de 17,6 % en 1990, de 14,1 % en 2000, de 10,9 % en 2008 et de 10,2 % en 2016. Cela se traduit également par une diminution de l’emploi salarié, qui représente aujourd’hui 2,8 millions de personnes. Parallèlement, il faut bien avoir à l’esprit que les industries assurent l’essentiel des dépenses de R&D en France. Or, lorsque le poids des industries diminue, le poids de votre recherche et développement diminue ; et c’est ce qui se passe depuis une vingtaine d’années et qui explique en partie notre décrochage.

A chaque fois qu’une entreprise passe sous pavillon étranger, elle disparaît. Lorsqu’une entreprise en rachète une autre, elle achète avant tout des parts de marché, voire des brevets. La marque de l’ancienne entreprise disparaît bien souvent. Dans le cas d’Alstom, l’américain General Electric a immédiatement fait disparaître la marque. De la même façon, Pechiney a totalement disparu à la suite de son absorption par le canadien Alcan. Il ne faut pas oublier aussi que derrière une entreprise, il y a tout un circuit de sous-traitance. Un groupe français a ses habitudes de sous-traitance sur le marché français et aussi à l’étranger ; mais lorsqu’une entreprise étrangère prend le contrôle, elle ne change pas ses propres habitudes et n’intègre pas le circuit de sous-traitance français de l’entreprise rachetée, au détriment du tissu industriel. Cela produit une perte de substance pour le patrimoine industriel national

 Ce désastre industriel, dû en grande partie au dogmatisme de la politique économique de l'Union européenne et à la démission des Gouvernements, est d'autant plus inadmissible que nombre d'Etats de la planète ont des politiques industrielles protectrices de leurs marchés et de leurs entreprises, et conduisent pour certains, de surcroît, des politiques industrielles très offensives.

Nous ne vivons pas dans le monde de bisounours de la concurrence libre et parfaite

Il n’y a que la secte libérale au pouvoir à Bruxelles pour le croire ! Le Canada exige, par exemple, d'une entreprise étrangère soumissionnaire à un marché public, de se présenter obligatoirement avec une entreprise canadienne ce qui n'est pas le cas en Europe : où est la réciprocité ?
La Chine fait de même et gère l'ensemble de son économie avec un contrôle fort de l'Etat, veillant à ce que ses entreprises ne soient pas contrôlées par des étrangers, et ce, en tous domaines (voir plus loin pour ce que l’on a appelé le colbertisme systématique chinois) !

Quant aux Etats-Unis, ils se sont dotés des mêmes règles que le Canada et la Chine mais leur politique industrielle, sous couvert de bons sentiments puritains - lutte contre la corruption - , agit de manière extraterritoriale, en violation flagrante des règles du droit international public, pour déstabiliser les entreprises étrangères ou même prendre leur contrôle. Ce sont, en une dizaine d'années, quelque 20 milliards de dollars d'amendes infligées aux entreprises françaises et européennes qui sont tombés de la sorte dans les poches du Trésor américain !

Nous sommes en guerre. Pas tellement, comme le pointe l’expert Jean-Michel Quatrepoint,  auteur de Alstom, scandale d’État (Fayard, septembre 2015) contre la Chine, (avec qui les règles sont connues, à nous de ne pas être naïfs), mais bel et bien contre les USA. «  La réforme fiscale voulue par Donald Trump devrait permettre de rapatrier aux USA près de 2000 milliards de dollars de profits réalisés à l’étranger, qui seront donc disponibles pour investir. Parallèlement, l’extraterritorialité du droit américain est une arme permettant à Washington de poursuivre des entreprises non américaines à l’étranger et ainsi affaiblir ou écarter la concurrence – certaines entreprises françaises telles qu’Alstom, Total ou Technip en ont fait les frais… La réforme fiscale de Donald Trump est une machine de guerre économique redoutable, fort habile, que les Européens ont découvert trop tardivement. C’était pourtant dans le programme du parti républicain depuis de nombreuses années. Si l’on ajoute à cela l’extraterritorialité du droit américain et tout ce qui concerne les normes, cela traduit bien une réalité : nous sommes en guerre économique. Trop longtemps, les Français n’ont pas voulu le croire. 

Dans le cas de l’extraterritorialité du droit américain, si l’Europe n’a rien à redire à cela, c’est parce que les Européens, et en particulier les Allemands, ont accepté de facto depuis des décennies la tutelle américaine. Or, ces dernières années, ils réalisent que ce n’est pas si bénéfique que cela. Les Allemands s’étaient imaginé qu’ils allaient prendre le marché automobile américain, mais l’affaire Volkswagen leur a montré qu’il n’en était pas question. Les Allemands découvrent maintenant que les Américains sont des concurrents. Mais ont-ils pour autant compris que cela impliquait de se doter dans les secteurs stratégiques d’entreprises indépendantes avec la volonté de faire une Europe indépendante ? Je n’en suis pas convaincu. » (cf https://www.areion24.news/2018/09/11/la-souverainete-industrielle-de-la-france-est-elle-en-danger/)

Un colbertisme européen est-il possible ? ben oui, c’est ce que fait la Chine !  
      
Réhabiliter la politique industrielle, qui a été l'un des moteurs majeurs de la reconstruction de la France, n'est guère aisé. Cela exige de briser certains dogmes, tels le « tout concurrence » dont le fameux concept du « level playing field » prôné par Bruxelles, qui aboutit à condamner toute intervention de l'Etat pour laisser une liberté totale aux forces du marché. Paradoxalement, pour un ex-champion national d’un pays européen, il est beaucoup plus facile de fusionner avec une entreprise extra-européenne qu’avec une autre entreprise européenne. Et c’est ainsi que nos bijoux industriels, nos emplois industriels, notre indépendance disparaissent.

Extrait de l’excellent émission de France culture : Entendez-vous l’eco et du non moins excellent Elie Cohen, dialoguant avec François d’Aubert. A la question un colbertisme européen est-il aujourd’hui possible, et devant un François d’Aubert dubitatif Elie Cohen s’enflamme :

« Progressivement, les avantages qui avaient été acquis dans le domaine du nucléaire, du spatial, de l’aéronautique,  du ferroviaire, de la grande vitesse des télécom, ont été perdus.

Il a manqué un Google, un Microsoft européen. Est-ce que c’était faisable ? La réponse, c’est oui, il suffit de regarder la Chine. Regardez comment la Chine a dupliqué sur son sol le modèle des GAFA, en étant parti après. Ils ont créé leur Google national, leur Apple national, leur Amazon national en se protégeant et en ayant une stratégie de développement par leurs moyens propres… Dans le colbertisme, il y a avait la dimension défensive (le protectionnisme), mais aussi la dimension offensive. 

C’était se protéger pour construire sur le territoire national la base industrielle… Deng Hsiao Ping  avait été qualifié par la presse américaine de Chinese Colbert. Il y a vraiment un colbertisme à la chinoise. La stratégie chinoise, c’est la copie conforme du colbertisme à la française, c’est-à-dire comment jouer de la commande publique, de la norme, du protectionnisme offensif, du transfert de technologie, d’un grand plan d’équipement national pour pouvoir rattraper puis dépasser ceux qu’on a d’abord imité. C’est un vrai plaisir de voir à quel point ils sont inscrits dans les pas de Colbert. »

Ben oui, c’est ce que fait la Chine. Et c’est ce que ne fait pas l’Europe. C’est pourquoi il faut sortir de cette Eurokom là !



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