Dans
un blog précédent (Parlons énergie ! Tribunes et tweet de l’année), je
mentionnais le tweet très intéressant de Tristan Kamin
(https://threadreaderapp.com/thread/1073608820071505921.html) sur la première
vague de froid du vendredi 14 décembre 2018, une petite vaguelette, mais où
pourtant toutes les ressources nucléaires se donnaient déjà à fond et où la
rupture de l‘approvisionnement électrique (le black out, le noir complet, le
froid..) n’a été évité que grâce à l’hydraulique- ce qui ne peut se reproduire
indéfiniment, car l’hydraulique est limité par la géographie !
Conclusion :
les énergies renouvelables non pilotables (essentiellement éolien) autres que
l’hydraulique n’ayant fait qu’empirer la situation en déséquilibrant le réseau
lorsqu’on n’en a pas besoin et étant absentes lorsqu’elles seraient utiles, il nous faut plus de nucléaire, il nous
faut du nucléaire nouveau, il nous faut des EPR. Et que ça traine pas trop,
il faut un peu de temps pour les construire !
L’EPR fonctionne. le 29 juin 2018, Taishan 1, l’EPR chinois, devient
le premier EPR à produire de l’électricité. Sa mise en service commercial a été
prononcée le 13 décembre 2018, après réalisation des tests de mise en service
en puissance. Le deuxième réacteur de la centrale de Taishan devrait être mis
en service fin 2019 ; la puissance de ces réacteurs (1 750 MW chacun) leur
permettra de fournir au réseau électrique chinois jusqu'à 24 TWh d'électricité
par an, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 5 millions de Chinois.
Le site est, par ailleurs, prévu pour accueillir deux autres réacteurs. Superbe
résultat de la très ancienne collaboration entre l’industrie nucléaire
française et chinoise, sur fond de volonté gaullienne et maoïste d’indépendance
énergétique !
L’EPR est un monstre d’efficacité
et de puissance. L’EPR
a une puissance inégalée de 1 750 MW (900MW pour les réacteurs de
Fessenheim ; 3 MW pour une éolienne, mais avec un facteur de charge de 20%
contre 80% pour le nuc ; donc un
EPR, un seul EPR, mesdames et mrs, à la louche c’est 2400 éoliennes, soit
à peu près, avec un espacement minimal irréaliste, une double rangée
d’éoliennes tout le long de la côte méditerranéenne. Suis un peu fatigué, vous
laisse faire le calcul de la surface correspondante pour le solaire. Cette
forte concentration géographique, maximale, d’une énergie décarbonnée est l’un
des grands atouts écologique de l’EPR.
L’EPR
permet un gain de l’ordre de 20 % sur la
consommation d’uranium naturel par kWh électrique produit. C’est la
conséquence de l’effet gros cœur et
de la présence d’un réflecteur
lourd en acier. Le « gros cœur » de l’EPR (241 assemblages pour
205 sur le N4 et 193 sur le 1 300 MW) permet d’une part de minimiser les fuites
neutroniques (en minimisant le rapport surface /volume du cœur) ; et d’autre
part de fournir plus de puissance tout en sollicitant moins chacun des
assemblages, ce qui augmente les marges disponibles et permet d’accroître la souplesse
d’exploitation. Le réflecteur lourd en acier entoure le cœur et remplit deux
fonctions : réfléchir les neutrons rapides qui sortent du cœur en les renvoyant
(limitant donc les fuites neutroniques et conduisant à une meilleure
utilisation du combustible) ; et réduire l’irradiation de la cuve par les
neutrons de haute énergie (ce qui permet de prolonger l’exploitation du
réacteur – 60 ans ! (tiens, votre
éolienne, elle tient combien de temps ?)
L’’optimisation
de la conception neutronique de l’EPR perme tune utilisation optimale des
nouveaux combustibles à haut taux de combustion, L’EPR permet de valoriser et d’optimiser
à terme la gestion du plutonium selon les besoins. Il est ainsi dimensionné
pour un taux de recyclage de 30 % à 50 % en MOX et peut même accommoder, avec
des modifications limités, des gestions 100 % MOX (MOX : mélange d’oxyde
d’uranium et de plutonium). Permettant ainsi un taux de recyclage bien meilleur
des déchets, il autorise une réduction
de 20 % des déchets de moyenne activité à vie longue.
L’EPR
possède une dynamique de pilotage unique : ses réacteurs sont capables d’ajuster jusqu’à 80 %, à la
hausse ou à la baisse, leur puissance en 30 minutes, et ce, deux fois par
jour.
L’ EPR
possède une sécurité améliorée. Les
améliorations ont porté sur trois objectifs principaux : réduire davantage la
probabilité de fusion de cœur ; éliminer pratiquement» les situations
accidentelles pouvant aboutir à un relâchement radioactif ; et, en cas de
fusion de cœur, garantir par conception que le relâchement radioactif
n’entraîne que des mesures de protection très limitées dans le temps et dans
l’espace. La conception de l’EPR se distingue notamment par son enceinte de
confinement composée de deux parois de béton de 1,3 m d'épaisseur, la face
intérieure de la paroi interne étant totalement recouverte d'une peau
métallique (le liner), et par un nouveau dispositif appelé récupérateur de corium destiné à recueillir la partie du cœur fondu
(corium) qui est susceptible de traverser la cuve (sans cela, le corium
pourrait s'enfoncer dans la terre et contaminer l'environnement). En cas de
fusion du cœur, le combustible en fusion s’y écoule et y est refroidi par les
réserves en eau stockées dans la centrale.
Ce récupérateur de corium, que
l’EPR est le premier réacteur au monde à inclure, permet la limitation drastique des conséquences d’un accident
grave. Le réacteur EPR possède plusieurs
autres protections actives et passives contre les accidents nucléaires : quatre systèmes de refroidissement
d'urgence indépendants, chacun capable de refroidir le réacteur après son arrêt
; une enceinte de confinement faite de deux épaisseurs séparées, totalisant 2,6
m d'épaisseur; un récupérateur de corium (en cas de perforation de la cuve par
le cœur en fusion). Enfin de multiples redondances sont ajoutées, par exemple
pour les trains de fourniture d’électricité.
Le niveau
d'exposition du personnel aux radiations est réduit d'un facteur deux, et le
niveau d'activité des rejets d'un facteur dix par rapport aux installations les
plus récentes en service.
La
défense en profondeur, principe fondamental de conception du réacteur EPR, se voit
ainsi renforcée principalement par la
prise en compte des défaillances multiples, l’amélioration de la protection
contre les effets des agressions et la prise en compte des accidents graves -
Fukushima (qui n’a causé qu’un décès d’origine nucléaire) est pour plusieurs
raisons impossible avec un EPR ! L’EPR
incorpore ainsi depuis sa conception les technologies de sécurité les plus
abouties et profite de l’expérience unique d’exploitant d’EDF.
L’EPR, un succès qui devrait être
franco-allemand et qui sera un succès franco-chinois.
L’EPR,
comme son nom l’indique (European Pressurized Water Reactor), était au départ
un projet franco-européen, en fait surtout franco-allemand. En 1989, la France
et l’Allemagne décident de lancer un programme commun de recherche et développement
pour une nouvelle génération de réacteurs et Framatome et Siemens constituent une
filiale commune, NPI (Nuclear Power international. Le projet EPR est lancé en
1992 mains l’ambition allemande prend fin en 1998F,avec l’abandon criminel par
l’Allemagne de l’énergie nucléaire- choix aggravé en 2002 avec une loi interdisant la
construction de nouveaux réacteurs.
L’EPR
survivra, grâce à la France et à la Chine. Fin 1998, le design est terminé. La
matérialisation industrielle de l’EPR commence en 2003, année où le finlandais TVO
choisit le réacteur français. Le choix finlandais est suivi en 2005 par celui
de la France pour une tête de série à Flamanville. En 2007, AREVA et le chinois
CGN signent un contrat pour la construction de deux réacteurs sur le site de
Taishan, dans la province du Guangdong.
C’est
Taishan I qui devient le premier EPR à entrer en fonctionnement.
Pourquoi ? l’alliance franco-chinoise a su profiter des problèmes des
chantiers précédents (qui ne sont pas tous techniques, mais résultent parfois
de changements de spécifications et d’hésitations politiques, comme en Finlande.
Ensuite, la Chine, qui s’est lancée dans le plus massif programme d’équipement
nucléaire (50 % des réacteurs construits dans le monde dans les vingt ans le
seront en Chine), possède maintenant un excellent réseau de sous-traitants
alors qu’au contraire, la France, en raison de l’arrêt pendant de longues
années du programme nucléaire pour des raisons purement politiciennes (les
pressions des bigots écologistes), a perdu une partie de son savoir-faire.
Conséquence : les forges chinoises n’ont pas connu les problèmes des
forges françaises quant à la fabrication de la cuve et de son couvercle.
L’EPR sera un succès commercial. Après la Chine, l’Angleterre a commandé à EDF deux EPR sur le site d’Hinkley Point, dans
le Somerset. D’ores et déjà, l’EPR est le nouveau réacteur vendu dans le plus
de pays étranger, et l’(Inde, l’Arabie saoudite, la Tchèquie s’y intéresse. Des
discussions sont en cours avec l’Afrique du Sud (post-2030),la Pologne,
l’Indonésie et le Brésil.
Avec
des chantiers dans quatre pays différents, la technologie EPR a été adaptée à
différents climats : subtropical humide chaud comme à Taishan, ou encore
continental modéré comme à Olkiluoto en Finlande. Ainsi, en Chine, les
échangeurs ont été conçus pour transporter une eau de la source froide de 32°C
– contre 15-17°C au maximum en mer du Nord ou dans la Manche (Flamanville).
Le
cas de l’Angleterre est particulièrement intéressant ; cette ancienne
puissance nucléaire a tellement laissé périclité son industrie nucléaire
qu’elle en a perdu ses compétences et se trouve maintenant obligée de recourir
à la France et à la Chine pour des EPR et pour des Hualong, évolution future de
l’EPR chinois dans laquelle la France possède une participation.
Car l’EPR n’a pas dit son dernier mot, et les
difficultés des premiers chantiers ont été prises en compte. Si la Chine
prépare son Hualong, EDF prépare un EPR 2 plus facilement industrialisable ;
il s’agit par exemple de standardiser les équipements Ainsi, sur l’ilot
nucléaire, le nombre de spécifications de tuyaux a été divisé par 3. Gage de
qualité et de rapidité, la préfabrication en usine est mobilisée au maximum,
avec des pré-assemblages d’équipements et des soudures réalisées en usines. Le
bâtiment des auxiliaires électriques non nucléaire sera même entièrement
modulaire, acheminé par camion sur le site. Les estimations vont vers une
réduction de 30% des coûts.
Des EPR, vite !
Même
pour le petit de froid du vendredi 14 décembre 2018 , nous étions au
taquet du nucléaire (Non, mais vous vous imaginez sans électricité ?).
Nous avons dû importer. Et dans le futur, grâce à son génial refus du
nucléaire, l’Allemagne, dans ce genre de situation, ne sera plus exportatrice,
mais importatrice. La Belgique, à son rythme plus lent, suit la même voie.
L’Italie et l’Espagne ? Bon normalement, il y fait moins froid – et c’est
même pas sûr. Donc, le grand noir est devant nous.
Nous
avons besoin d’EPRs. Au pluriel ! Le secteur de l’énergie s’inscrit dans
des trajectoires de long terme et la France doit mener dès maintenant une
réflexion sur le renouvellement d’une partie de son parc nucléaire. Il est
essentiel que cette réflexion soit engagée d’ici 2020 ; d’après la SFEN, qu’il
est possible de réduire de 30 % les coûts de construction –grâce à la
construction en série (en particulier la construction d’une série de trois paires)
–, et de moitié les coûts liés au financement, grâce à une répartition des
risques plus efficace.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.