Europe et Eurokom : Dans un de mes précédents blogs, je
m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal sur « l’Europe qui nous a donné
la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui sciemment mélangent l’Europe,
réalité géographique, historique, culturelle et la Communauté européenne et ses
institutions (notamment la Commission européenne), vouées uniquement à
construire un grand marché selon le dogme d’une véritable secte libérale, je
propose donc de différencier l’Europe réelle des peuples et des nations et
l’Eurokom, les institutions de la Communauté Européenne
La conception française du service
public condamnée par l’Eurokom
Dès 1994, le Conseil
d’Etat, dans son rapport annuel, prenant acte que le droit français s’élabore
sous l’influence du droit communautaire, s’inquiétait et avertissait : «
l’avenir de la notion de service public est, si on y prend pas garde, compté
[…] Tout le système communautaire repose
sur le principe de la libre concurrence et peut être difficilement conciliable
avec la notion de service public à la française».
Et, en effet,
l’action constante de la Commission Européenne depuis maintenant plus de vingt
ans heurte de plein fouet ce qui a été parfois qualifié d’idéologie française
du service public, laquelle consiste notamment à associer service public et
cohésion sociale. Un exemple presque parfait en est la loi d'orientation pour
le développement et l'aménagement du territoire du 4 février 1995 qui fait du
service public l'un des instruments de
la politique d'aménagement du territoire, qui « concourt à la solidarité
et a pour but d'assurer l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire ».
Par ce texte, les gouvernants français apparaissent comme des créateurs
d'obligations de service public, avec la responsabilité de les instaurer et
d’assurer leur bon fonctionnement. Et lorsqu’en plus, cette idéologie française
lie étroitement service public et monopole d’Etat, avec des entreprises
emblématiques comme EDF et la SNCF, dont l’activité même est fortement associée
à la construction historique de la nation et à la préservation de son
indépendance (Fernand Braudel considérait « les tardives liaisons
des chemins de fer » comme l’un des facteurs important de l’unité de la
France ; en ce qui concerne EDF, l’importance du parc nucléaire conçu
comme essentiel à l’indépendance nationale constitue aussi une particularité
nationale assez unique), la collision avec le programme et l’idéologie
de la Commission Européenne sont quasi-inévitables.
Nous
connaissons actuellement une situation sociale et politique très tendue dont
l’un des nœuds est la conception du service public en France et les menaces qui
pèsent sur lui. Il y a comme un parfum de tentative de revanche de la pensée
ultralibérale au pouvoir à Bruxelles sur les peuples qui ont refusé d’approuver
le traité constitutionnel européen en 2005 (traité de Rome), le 29 mai pour les
Français, le 1er juin pour les Néerlandais. La conception
restrictive de la notion de service public par l’Union européenne avait déjà
joué un grand rôle dans le rejet de ce traité. Dans un article détaillé et
quelque peu désespérant, Philippe Herzog retrace un combat perdu pour obtenir
de la Commission Européenne en 2004 une directive cadre sur les services
publics, finalement refusée au moment même où la Confédération Européenne des Syndicats
lui faisait parvenir une pétition de plus de cinq cent mille signatures en
faveur d’une telle directive….
Le service d’intérêt général, ou l’ère de la grande hypocrisie
Alors que se
développait le procès fait à l’Union européenne de promouvoir un libéralisme
excessif et de vouloir détruire le service public « à la française »,
il devenait impossible de soutenir que la conciliation entre le respect des
règles de la concurrence et l’accomplissement des activités d’intérêt général
ne présentait pas quelques problèmes. Les autorités européennes avaient beau
déplorer une « tendance à la
sacralisation des services publics » qui « n’est pas de nature à
faciliter la discussion d’un problème aussi complexe que celui du rôle du
service public dans la construction européenne » (Ah ces Fançais
fétichistes du service public), il leur fallut bien réagir.
Dans un grand effort de conciliation, le traité d'Amsterdam de 1997 donna pour mission aux
institutions communautaires de contribuer à la promotion des services d’intérêt
général. Alors naquirent les termes de SIG (Service d’Intérêt Général) et SIEG
(Service d’Intérêt Economique Général). La nomenclature ne doit rien au
hasard : la Commission a préféré créer un nouveau vocable, qui « ne véhiculerait pas d’idéologie
particulière, contrairement à ce qu’on a pu dire du service public »,
et qui serait plus précise. En réalité, cela restait tout aussi indéfini que
« service public », mais permettait de placer la Commission en
situation de domination sur les États membres pour la définition des activités
de service dérogeant (ou non) au droit de la concurrence.
Ce sont les
institutions européennes qui décident ce qui peut être un service public ou
pas, plus les citoyens ni leur Etat ! Et suivant l’idéologie de la secte
ultra libérale au pouvoir à Bruxelles, c’est la liberté de la concurrence qui
passe en premier : « Le droit de l’Union oblige à penser
l’exercice de missions d’intérêt général sans le déconnecter du cadre
concurrentiel […]. Les services
d’intérêt économique général se sont construits en droit de l’Union
principalement sinon exclusivement en négatif ou en creux,
c’est-à-dire comme une exception ou une dérogation à l’application du droit de
la concurrence ». (Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat)
La
secte libérale agit toujours selon le même principe, la même obsession :
il s'agit de séparer les activités
relevant d'un monopole naturel (le réseau) des activités où la concurrence est
possible à organiser (les services). Que ces scissions nuisent à l'efficacité
(coûts de coordination, de négociations, bataille juridique, création d'un
rapport fournisseur/client, perte de relation avec l'usager, utilisation moins
optimale du réseau), à la qualité de service et à son progrès (les budgets de
recherche transférés à la communication et à la publicité), peu importe !
Il s’agit de démanteler les sociétés mixtes de service public françaises, si
efficaces et si bien implantées.
Nous en voyons le résultat. Car la règle
de la libre concurrence reste première, et une même activité ne saurait être régie par des règles
distinctes, selon les Etats : concurrence ici, concurrence partout !
Et c’est toujours au nom de cette primauté de la concurrence que nous assistons
au démantèlement des grands services publics français et d’entreprises comme La
Poste, Electricité de France, Gaz de France, la
SNCF… Que cela aboutisse en l’abandon d’une part du très riche réseau
ferroviaire français (le rapport Spinetta envisage la suppression de 9000
kilomètres de lignes, soit près d'un tiers du réseau) et à un report des
transport sur la route au mépris de la sécurité, de nos engagement climatiques
et de l’égalité territoriale ; que cela résulte en la privatisation
absurde des concessions hydrauliques, au mépris, là encore, de nos engagements
climatiques, du rôle local de gestion de la ressource en eau pour les
agriculteurs, les pêcheurs, les autres usagers
et de l’optimisation de l’approvisionnement électrique, peu importe
visiblement aux doctrinaires de la secte libérale.
Nous en
voyons le résultat. Au démantèlement du service public des transports
correspond la fracture territoriale, au démantèlement du service public des
télécommunications correspond la fracture numérique, au démantèlement du
service public de l’énergie correspondra la pénurie pour les plus pauvres et
même pour tous- ceux qui déjà ne peuvent se déplacer et qui pourtant doivent le
faire pour leur travail, ceux qui restreignent leur chauffage ou leurs douches.
Le service public en Suisse
Tiens,
juste à titre d’exemple, quittons l‘Eurokom pour un pays, comment dire, un pays
quasi-communiste – la Suisse. Eh bien, c’est sur l’internet gouvernemental
Suisse que l’on trouve l’éloge le plus juste, le plus ébouriffant, le plus
lyrique du service public. Extraits :
« Trains
circulant à l’heure, courrier distribué ponctuellement, télécommunications de
haut niveau: la qualité du service public sur l’ensemble du territoire
contribue à l’image de marque de la Suisse et elle est également une condition
de la qualité de vie élevée et de la prospérité de l’économie. Ces prestations
sont principalement fournies par les entreprises liées à la Confédération - la
Poste, les CFF et Swisscom.
Le
service public – c’est-à-dire l’approvisionnement
de base dans les domaines des transports publics, de la poste et des
télécommunications – occupe une
position particulière en Suisse. La population veut disposer d’un
approvisionnement de qualité dans toutes les régions du pays, y compris dans celles
où ces services ne sont pas rentables.
L’Etat veille à ce que les prestations soient de qualité et partout disponibles
à des prix raisonnables. C’est une
condition importante de la qualité de vie élevée dans toute la Suisse et de la
prospérité de notre économie. L’approvisionnement de base est
principalement assuré par Swisscom, la Poste et les CFF. La Confédération
assigne à ces entreprises des objectifs relatifs à l’offre de prestations. Elle
leur accorde en même temps une grande liberté de gestion afin qu’elles puissent
faire face à la concurrence.
La
Poste, les CFF et Swisscom sont organisés en sociétés anonymes dont la
Confédération doit détenir la majorité des actions (actuellement: Poste et CFF
100 %, Swisscom 51 %)…
La
desserte de base est un ensemble des prestations de base auxquelles la population
a droit… En Suisse, c'est à la Confédération de la garantir et de s'assurer que
l'ensemble de la population soit desservi avec les prestations importantes.
Font notamment partie de la desserte de base en Suisse, l'accès à l'eau
potable, l'élimination des eaux usées, les transports publics, la radio et la
télévision, l'électricité, les hôpitaux, l'école, la formation, la police, la
téléphonie avec connexion internet à haut débit, les services de secours, les
pompiers, les bibliothèques, le contrôle aérien, l'élimination des déchets, le
réseau routier, les prestations postales, la promotion de la culture et du
sport….
Ajoutons-encore
que ce grand pays démocratique (oui, grand par sa démocratie !) a lors
d’une votation repoussé par une marge majorité (71%) une proposition libérale
qui aurait eu pour effet la suppression du service public de la radio….
Oh.
Tiens, on va se barrer de l’Eurokom et demander à rejoindre la Confédération
Helvétique…
« L’orgueil
ancestral des cheminots, l’orgueil ancestral du respect de l’horaire, tellement
puissant et ancré au début du XXème siècle que les villageois, dans les
campagnes, réglaient leurs horloges sur le passage des trains, avait bel et
bien disparu. La SNCF était une entreprise dont j’aurais assisté, de mon
vivant, à la faillite et à la dégénérescence complète » (Michel
Houellebecq, Sérotonine)
Comme
l’illustrait Braudel, comme le montrent les racines historiques profondes de
l’idéologie du service public à la française (positivisme, républicanisme,
socialisme français, industrialisme des grands corps d’ingénieur), ce sont les
services publics qui ont fait la République Française, qui ont fait nos
champions industriels, qui ont permis le progrès et la prospérité tout en
sauvegardant l’égalité et la fraternité. Ce sont nos EPIC qui ont fait
nos grands succès et qui, en même temps (pardon !) permettaient d’assurer
la continuité (service assuré régulièrement), la mutabilité (l’adaptation à
l’évolution des besoins collectifs), l'égalité (qui interdit la discrimination
entre les usagers), la laïcité, la
neutralité…
Et c’est tout cela que veut
démanteler la secte libérale à la tête de l’Eurokom
C’est pourquoi il faut sortir de
cet Eurokom là.
aussi sur https://eurokomonaimepas.blogspot.com/2019/01/presentation-de-ce-blog-debattre-de.html
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