Glyphosate- études divergentes à qui faire
confiance ?
En décembre 2017,
la Commission Européenne a mis fin à deux ans de tergiversations chez les
législateurs européens en autorisant l’utilisation du glyphosate pour 5 ans.
L’autorité Européenne de sécurité des aliments (EFSA) a estimé qu’elle ne disposait d’aucune preuve
d’un éventuel caractère cancérogène. Pour davantage de sureté, la Commission
Européenne a également demandé l’avis de l’Agence Européenne des produits
chimiques (ECHA) , qui a également conclu à l’absence de preuve de danger du
glyphosate. En mai 2016, un panel d'experts de l'Organisation des Nations unies
pour l'alimentation et l'agriculture et de l'Organisation mondiale de la santé
a tranché de la même façon. L'Office fédéral suisse de la sécurité alimentaire
et des affaires vétérinaires et l'Office fédéral de l'agriculture ont observé
le 30 juillet 2015 que « le CIRC ne disposait pas de nouvelles études reconnues
au plan international pour sa décision de reclassifier le glyphosate comme
carcinogène », et réitèré qu'ils « considèrent que les résidus de glyphosate
provenant de l'utilisation de ce produit comme produit phytosanitaire sont
inoffensifs pour la population ». Même position pour les agences canadiennes,
australiennes, Etats-Uniennes…
Bref, la quasi totalité des agences de régulation
dans le monde considèrent qu’il n’y a aucune preuve de toxicité ou de caractère
cancérogène du glyphosate.
Une seule agence
notable liée à l’ONU fait exception, le CIRC. En 2015, le CIRC a considéré le
glyphosate comme « cancérigène probable, catégorie 2A)
La classification CIRC - curieuse ?
Le CIRC a tout de
même une curieuse méthode de classification. Le glyphosate se retrouve ainsi
dans le même groupe que le bromure de
vinyle et les N methyl et ethyl nitrosourées, que tout chimiste classerait sans
hésiter dans les cancérogènes certains. C’est que le CIRC estime ( et je trouve
cela en l’espèce vraiment contestable) un risque global tenant compte de
la cancérogénicité « intrinséque » et de l’exposition au produit de
la population : ainsi s’explique que des produits fortement cancérigènes
mais très peu utilisés se retrouvent dans la même catégorie qu’un produit
extrêmement utilisé mais dont la cancérogénicité intrinsèque est non démontrée-
comme le glyphosate.
Dans cette
classification du CIRC, le glyphosate se retrouve finalement assez logiquement
dans la même catégorie que la
consommation de viande rouge et le
travail de nuit. Va-t-on pour autant interdire le travail de nuit ?
Bien sûr que non ; simplement, on serait bien inspiré de mettre en place
un meilleur suivi sanitaire des travailleurs de nuit.
Eh ben, pareil pour
le glyphosate !
Une autre
différence importante est que les agences de régulation telles l’EFSA se fonde
sur les études réglementaires effectuées par les industriels que les agences
exigent avant la mise sur le marché d’un phytosanitaire. Au contraire, le CIRC
n’utilise que les publications universitaires.
Quelles études, pour faire quoi ?
Maintenant, à quoi faites-vous davantage confiance ? Aux tests
réalisés par les industriels conformément aux exigences réglementaires ou aux
tests décrit dans les publications universitaires et effectués par des
chercheurs libres de tout conflit d’intérêt ?
Eh bien, choc des
chocs, scandales des scandales,
abomination et pic et pic et colegram. Evidemment aux tests réglementaires pratiqués par les industriels !
Ils sont standardisés, calibrés, parfaitement reproductibles, leur
interprétation est immédiate, leur pertinence quant aux effets biologiques
certaine et universellement reconnue.
Les chercheurs eux
testent des protocoles, nouveaux, originaux, que seuls de petites équipes
maitrisent. Leur pertinence quant aux effets toxiques chez l’homme est
incertaine, pas encore reconnue…. Ce n‘est pas un vain mot : les instances
universitaires se trouvent confrontées à une très sérieuse crise de la reproductibilité.
Ainsi, précisément
dans le domaine de la biologie du cancer, des chercheurs de Bayer et d’Amgen
ont passé un an à tenter de reproduire des expériences critiques : pour
les premiers, 21% seulement de ces expériences ont pu être entièrement
reproduites et 11% partiellement ; pour les seconds, seulement 11
expériences sur 53. Dans cette crise de la reproductibilité, il y a là une
part intrinsèque à l’activité de recherche (surtout lorsqu‘elle utilise des
matériaux biologiques de plus en plus complexes et artificiels), il y a aussi
malheureusement une part due au publish
or perish - la pression pour publier très vite très souvent-. Et enfin une
part liée aux biais de publication, à la politique éditoriale : un article
mettant en cause Monsanto trouvera plus facilement preneur qu’un article
confirmant les résultats de ses chercheurs…
Il est donc quand même assez étrange que le CIRC ne
prenne pas en compte les tests les plus validés et les plus pertinents…
Est-ce à dire que
les tests réglementaires auxquels sont soumis les industriels sont suffisants
et que la recherche est inutile ? Bien sûr que non ! Ils fixent
l’état des connaissances certaines à un instant donné. Les résultats de la
recherche, lorsqu’ils seront certains, suffisamment reproductibles pour donner
lieu à des protocoles précis et que leur pertinence biologique sera reconnue
par consensus de la communauté des experts ont vocation à améliorer, compléter
ou remplacer les tests existants.
Dans le cas des
études de toxicité, en tout état de cause, l’affaire du glyphosate appelle
certainement à des améliorations des process actuels, notamment en ce qui
concerne la publication de toutes les études de toxicité et d’écotoxicité
menées par les industriels, soit dans des publications scientifique, soit par dépôt obligatoire auprès des agences réglementaires
des données et d’un résumé.
Il faudrait aussi
imposer des études sur les formes effectivement commercialisées et utilisées et
non simplement sur les principes actifs purs, et tenir compte aussi des conditions
réelles d’utilisation : le produit et le mode d’utilisation par un
professionnel ne sont pas les mêmes que pour un jardinier amateur. Il vaut
mieux éviter de confier une grue à un automobiliste lambda…
Reste aussi que pour le glyphosate, utilisé maintenant
depuis plus de 40 ans,, nous pouvons disposer d’études épidémiologiques,
avec, compte-tenu de sa popularité, des populations conséquentes d’utilisateurs
et des durés suffisantes pour voir apparaitre d’éventuels cancers, même
tardifs.
Les études épidémiologiques
Débutée dans les années 90, l'Agricultural Health
Study a suivi plus de 50.000 agriculteurs et épandeurs américains en Iowa et en
Caroline du Nord et dont 80% utilisaient du glyphosate. Près de 6.000 cas de
cancer ont été observés au cours de ce suivi. Verdict de l'analyse : le
glyphosate n'est pas significativement associé à une augmentation du risque de
cancer, quelle que soit sa localisation. Toutefois, parmi les épandeurs qui ont
été le plus exposés au glyphosate, les chercheurs constatent un risque accru de
leucémie aiguë myéloïde par rapport aux autres utilisateurs, qui augmente avec
la durée d'exposition et devient statistiquement significatif au-delà de 20
ans.
En 2005 déjà, les premiers résultats issus de l'étude
prospective Agricultural Health Study, incluant des hommes et des femmes suivis
sur plusieurs années, ne montraient déjà pas d'association statistiquement
significative entre l'utilisation du glyphosate et le risque de cancer à
l'exception d'un risqué augmenté mais non significatif de myélome multiple.
En 2019, une meta analyse reprenant l’étude de l’AHS (Zhang et al. 2019, Mutation Research) a sélectionné le groupe de participants avec
une exposition la plus haute (niveaux et durées d’exposition importants, temps
de latence important). Dans ces conditions, apparait une association
statistique entre une exposition cumulée élevée aux formulations à base de
glyphosate et un risque accru de +41% de lymphomes non-hodgkiniens (LNH). Il ne
s’agit pas de faits nouveaux mais d’une réanalyse soutenue par le seul Dr
Zhang, et non les autres auteurs de
l’article original qui ont travaillé sur les mêmes données. Sur la
signification exacte et l’incertitude des chiffres obtenues après une telle
sélection drastique dans l’étude originale (856 études exclues sur 866 !),
alors là, c’est vraiment une discussion de spécialistes. (cf par exemple https://quoidansmonassiette.fr/analyse-critique-meta-analyse-zhang-2019-glyphosate-risque-lymphomes-non-hodgkiniens/
Le 18 mars 2019 paraissait dans l’International
Journal of Epidemiology une étude menée sur des cohortes
d’agriculteurs de France (cohorte AGRICAN), de Norvège et des États-Unis montrant un risque accru de 36 % du
lymphome non hodgkinien le plus fréquent, à savoir le lymphome diffus à grandes
cellules B –il n’était pas significatif dans AGRICAN. Les chercheurs ont
procédé à un effort de synthèse inédit, en exploitant les informations de trois
grandes cohortes constituées en France, en Norvège et aux Etats-Unis,
rassemblant ainsi les données de plus de 315 000 agriculteurs suivis en moyenne
pendant plus de dix ans. Ils ont évalué l’exposition des fermiers à 33
pesticides différents selon une classification binaire. Trois substances sont
pointées: deux insecticides, le terbuphos et la deltamethrine, et un herbicide,
le glyphosate.
Les antiglyphosates ont relayé triomphalement ces études.
En ce qui concerne la méta-étude du Dr Zhang, elle ne convainc pas grand monde
parmi les spécialistes, et notamment n’a pas convaincu le CIRC de changer la
classification du glyphosate en cancérigène certain. Les promoteurs de la
seconde étude se sont eux-mêmes montré très prudents : comme ils n'ont pas
évalué le degré d'exposition des agriculteurs, classant ces derniers en
seulement deux catégories : «utilisateurs» et «non utilisateurs» ; ils indiquent
en conséquence qu'il « est
nécessaire de disposer de «données plus précises» sur cette question, avant de
formuler des conclusions ».
En effet, plusieurs études ont montré avec certitude une
augmentation des lymphomes non hodgkinien chez les agriculteurs (19% dans l’Agricultural Health Study (57000
agriculteurs, Iowa et Caroline du Nord entre 1993 et 1997). Elles ont abouti à
un résultat : le lymphome non hodgkinien a été ajouté en juin 2015 à
la liste des maladies professionnelles. L’implication
de plusieurs pesticides a été clairement démontrée : lindane, insecticides
carbamates, insecticides organo-phosphorés – ces derniers maintenant interdits
en France et aux USA notamment. Prouver un effet propre du glyphosate
suppose d’éliminer avec certitude l’exposition à ces molécules connues depuis
longtemps comme toxiques…Pas facile dans des études rétrospectives…
Une certitude : il est temps enfin de suivre
correctement l’état de santé des agriculteurs, et plus généralement, des
salariés – et cela ne va pas dans le sens du démantèlement progressif de la
médecine du travail sous les coups de boutoir continus des idéologues
ultra-libéraux et des dernières décisions gouvernementales
Enfin le glyphosate serait impliqué dans l’explosion de
maladies rénales chroniques observées dans les rizières, particulièrement au
Sri Lanka vers 2015. Le nom donné à cette maladie (maladie rénale chronique
d'étiologie incertaine, chronic kidney disease of uncertain etiology) montre le
degré d’incertitude et jusqu’à présent rien ne permet d’y impliquer le
glyphosate. La présence en forte concentration dans l’eau des rizières de
métaux tels que le plomb, l'arsenic et surtout au cadmium fournissent des
coupables potentiels bien plus convaincants, surtout que jusqu’à présent aucune
étude n’a laissé entrevoir un lien entre glyphosate et pathologie rénale.
Peut-être aurait-il pu jouer un rôle adjuvant en complexant ces métaux ?
En tout état de cause, cette maladie rénale chronique
d'étiologie incertaine a été signalée à de multiples endroits au cours du
siècle dernier, beaucoup de cas étant antérieurs à la découverte et à
l'utilisation du glyphosate (1974).
Après l‘avoir interdit, le gouvernement Sri Lankais a
réautorisé le glyphosate en 2019.
Les « pisseurs involontaires ». Du glyphosate dans les urines ?
Depuis la très contestable émission d’Elise Lucet sur le
glyphosate, où un certain nombre de personnalités s’étaient fait tester pour la
présence de glyphosate dans leurs urines et montraient leur affolement devant
un résultat qui ne donnait ni valeurs, ni incertitudes, (pauvre Julie Gayet, c’est honteux de la
paniquer comme ça !), le mode des pisseurs involontaires de glyphosates s’est
étendue et du glyphosate, on en trouve partout et chez tout le monde à des taux
ahurissants !
Bah c’est quand même très très très très étrange. Le glyphosate est un produit
phosphaté très simple qui se dégrade rapidement en AMPA, un phosphate omniprésent
dans la nature… et qui provient aussi des phosphates utilisés dans les
lessives. Certains esprits critiques en ont conclu un peu rapidement que
« les pisseurs de glyphosates étaient en fait des pisseurs de
lessive ».
Oui, mais non. C’était peut-être le cas avec les tests
plus anciens mesurant indifféremment la
présence de glyphosate et d’AMPA dans l’eau, et montrant une forte corrélation
avec l’introduction de certaines lessives, mais les tests urinaires utilisent
des anticorps anti glyphosate et ne sont pas sensibles à l’AMPA. Les sites de
Counterchecking se sont fait une joie de le faire remarquer, traitant les
douteurs de suppôts de Monsanto. Mais ce qu’ils n’ont pas dit, c’est que ces
tests ont été validés pour mesurer le glyphosate dans l’eau, et pas dans
l’urine, où des molécules phosphatées naturelles variées sont présentes en quantité importantes et
peuvent peut-être interférer avec le test.
C’est aussi étrange compte-tenu de la faible rémanence du
glyphosate, qui ne fait vraiment un produit miraculeux : le glyphosate fut
un des premiers herbicides permettant de semer directement après usage et sans
effet sur la culture suivante ; l'effet désherbant apparaît uniquement en cas
de pulvérisation sur les feuilles de la plante. La possibilité de planter vite
juste après un désherbage efficace était une vraie rupture à l'époque de sa
mise sur le marché.
Devant des résultats aussi étonnants, il convient
certainement de mettre d’abord en cause le test. Lorsque dans un appareil
d’optique vous voyez un ciel gris alors qu’en le regardant vous le voyez d’un
bleu superbe, il faut peut-être revoir les réglages…
Les décisions judicaires : inadmissibles procès de sorcières
Le groupe de produits phytosanitaires Bayer-Monsanto a
perdu mercredi son deuxième procès lié au Roundup aux Etats-Unis. La justice
américaine a donné raison au retraité Edwin Hardeman, estimant que Monsanto
avait mis sur le marché un produit présentant « un défaut de conception ». Le
point sur les nombreuses procédures en cours ou à venir. En août dernier, un
premier procès a conclu que les herbicides de Monsanto avaient causé le
lymphome non hodgkinien du jardinier Dewayne Johnson et n’avait pas
suffisamment averti des risques. Le groupe de produits phyto a été d’abord
condamné à verser 289 millions de dollars, une peine réduite ensuite à 78
millions.
Au terme du procès Hardeman, la condamnation s’élève à
près de 81 millions de dollars. « Le verdict rendu dans ce procès n’a aucune
conséquence sur les futurs procès et affaires, étant donné que chaque procès
repose sur des faits et des circonstances légales qui lui sont propres », a
réagi jeudi le groupe dans un communiqué. Dans les deux cas, Bayer a fait appel
de la décision.
Dans son dernier rapport annuel, Bayer disait faire face,
au 28 janvier dernier, à des procédures lancées par « approximativement 11 200
plaignants » exposés à des produits Monsanto à base de glyphosate aux Etats-Unis.
Le groupe s’attend à faire face à d’autres procédures.
Compte-tenu de ce qui précède, je crois que la conclusion
s’impose. Qu’est-ce qui permet aux juges d’aller au-delà des préconisations des
agences de régulation ? Qu’est-ce qui leur permet d’affirmer la
responsabilité du glyphosate dans les cancers des malheureux plaignants ?
D’où tiennent-ils la compétence scientifique de trancher des débats à le place
des experts ?
Oui ou non Monsanto s’est-il soumis aux législations en
vigueur ? A-t-il (comme certains constructeurs automobiles…) triché sur
ces tests ?
Non !
Disposait-il de données reconnues irréfutables pouvant
impliquer le glyphosate dans des cancers ? Les a-t-il dissimilées ?
Non !
La vérité est que Monsanto est victime d’un véritable procès de sorcières
obscurantistes et rétrogrades qui lui reprochent moins le glyphosate (de
nombreux pesticides dont la toxicité est bien prouvée ne suscitent pas autant
de réactions…) que les cultures OGM (génétiquement modifiées) résistantes au glyphosate, et d’avoir
été un véritable précurseur dans un nouveau mode d’agriculture qui risque fort d’être le seul à permettre de
nourrir une population en augmentation. Et que certains juges, par ignorance,
compassion ou lâcheté s’en sont fait les complices.
Aucune bonne justice ne peut être rendue contre les
connaissances scientifiques, en l’état où elles sont. Que l’on y prenne garde !
Demain, le procès de sorcière contre Monsanto pourra s’étendre aux vaccins, aux
médicaments, aux ondes électromagnétiques des linky par exemple….
Bonjour,
RépondreSupprimerC'est répercuté ici :
http://seppi.over-blog.com/2019/04/le-blog-viv-r-e-la-recherche-sur-le-glyphosate-et-bien-d-autres-sujets.html