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mardi 2 avril 2019

Le glyphosate et les procès de sorcières (2)


Glyphosate- études divergentes à qui faire confiance ?

En décembre 2017, la Commission Européenne a mis fin à deux ans de tergiversations chez les législateurs européens en autorisant l’utilisation du glyphosate pour 5 ans. L’autorité Européenne de sécurité des aliments (EFSA)  a estimé qu’elle ne disposait d’aucune preuve d’un éventuel caractère cancérogène. Pour davantage de sureté, la Commission Européenne a également demandé l’avis de l’Agence Européenne des produits chimiques (ECHA) , qui a également conclu à l’absence de preuve de danger du glyphosate. En mai 2016, un panel d'experts de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et de l'Organisation mondiale de la santé a tranché de la même façon. L'Office fédéral suisse de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires et l'Office fédéral de l'agriculture ont observé le 30 juillet 2015 que « le CIRC ne disposait pas de nouvelles études reconnues au plan international pour sa décision de reclassifier le glyphosate comme carcinogène », et réitèré qu'ils « considèrent que les résidus de glyphosate provenant de l'utilisation de ce produit comme produit phytosanitaire sont inoffensifs pour la population ». Même position pour les agences canadiennes, australiennes, Etats-Uniennes…

Bref, la quasi totalité des agences de régulation dans le monde considèrent qu’il n’y a aucune preuve de toxicité ou de caractère cancérogène du glyphosate.

Une seule agence notable liée à l’ONU fait exception, le CIRC. En 2015, le CIRC a considéré le glyphosate comme « cancérigène probable, catégorie 2A)

La classification CIRC  - curieuse ?

Le CIRC a tout de même une curieuse méthode de classification. Le glyphosate se retrouve ainsi dans le même groupe  que le bromure de vinyle et les N methyl et ethyl nitrosourées, que tout chimiste classerait sans hésiter dans les cancérogènes certains. C’est que le CIRC estime ( et je trouve cela en l’espèce vraiment contestable) un risque global tenant compte de la cancérogénicité « intrinséque » et de l’exposition au produit de la population : ainsi s’explique que des produits fortement cancérigènes mais très peu utilisés se retrouvent dans la même catégorie qu’un produit extrêmement utilisé mais dont la cancérogénicité intrinsèque est non démontrée- comme le glyphosate.

Dans cette classification du CIRC, le glyphosate se retrouve finalement assez logiquement dans la même catégorie que la consommation de viande rouge  et le travail de nuit. Va-t-on pour autant interdire le travail de nuit ? Bien sûr que non ; simplement, on serait bien inspiré de mettre en place un meilleur suivi sanitaire des travailleurs de nuit.

Eh ben, pareil pour le glyphosate !

Une autre différence importante est que les agences de régulation telles l’EFSA se fonde sur les études réglementaires effectuées par les industriels que les agences exigent avant la mise sur le marché d’un phytosanitaire. Au contraire, le CIRC n’utilise que les publications universitaires.

Quelles études, pour faire quoi ?

Maintenant, à quoi faites-vous davantage confiance ? Aux tests réalisés par les industriels conformément aux exigences réglementaires ou aux tests décrit dans les publications universitaires et effectués par des chercheurs libres de tout conflit d’intérêt ?
Eh bien, choc des chocs, scandales des scandales,  abomination et pic et pic et colegram. Evidemment aux tests réglementaires pratiqués par les industriels ! Ils sont standardisés, calibrés, parfaitement reproductibles, leur interprétation est immédiate, leur pertinence quant aux effets biologiques certaine et universellement reconnue.
Les chercheurs eux testent des protocoles, nouveaux, originaux, que seuls de petites équipes maitrisent. Leur pertinence quant aux effets toxiques chez l’homme est incertaine, pas encore reconnue…. Ce n‘est pas un vain mot : les instances universitaires se trouvent confrontées à une très sérieuse crise de la reproductibilité.

Ainsi, précisément dans le domaine de la biologie du cancer, des chercheurs de Bayer et d’Amgen ont passé un an à tenter de reproduire des expériences critiques : pour les premiers, 21% seulement  de ces expériences ont pu être entièrement reproduites et 11% partiellement ; pour les seconds, seulement 11 expériences sur 53. Dans cette crise de la reproductibilité, il y a là une part intrinsèque à l’activité de recherche (surtout lorsqu‘elle utilise des matériaux biologiques de plus en plus complexes et artificiels), il y a aussi malheureusement une part due au publish or perish - la pression pour publier très vite très souvent-. Et enfin une part liée aux biais de publication, à la politique éditoriale : un article mettant en cause Monsanto trouvera plus facilement preneur qu’un article confirmant les résultats de ses chercheurs…

Il est donc quand même assez étrange que le CIRC ne prenne pas en compte les tests les plus validés  et les plus pertinents…

Est-ce à dire que les tests réglementaires auxquels sont soumis les industriels sont suffisants et que la recherche est inutile ? Bien sûr que non ! Ils fixent l’état des connaissances certaines à un instant donné. Les résultats de la recherche, lorsqu’ils seront certains, suffisamment reproductibles pour donner lieu à des protocoles précis et que leur pertinence biologique sera reconnue par consensus de la communauté des experts ont vocation à améliorer, compléter ou remplacer les tests existants.

Dans le cas des études de toxicité, en tout état de cause, l’affaire du glyphosate appelle certainement à des améliorations des process actuels, notamment en ce qui concerne la publication de toutes les études de toxicité et d’écotoxicité menées par les industriels, soit dans des publications scientifique, soit par dépôt  obligatoire auprès des agences réglementaires des données et d’un résumé.

Il faudrait aussi imposer des études sur les formes effectivement commercialisées et utilisées et non simplement sur les principes actifs purs, et tenir compte aussi des conditions réelles d’utilisation : le produit et le mode d’utilisation par un professionnel ne sont pas les mêmes que pour un jardinier amateur. Il vaut mieux éviter de confier une grue à un automobiliste lambda…

Reste aussi que pour le glyphosate, utilisé maintenant depuis plus de 40 ans,, nous pouvons disposer d’études épidémiologiques, avec, compte-tenu de sa popularité, des populations conséquentes d’utilisateurs et des durés suffisantes pour voir apparaitre d’éventuels cancers, même tardifs.

Les études épidémiologiques 

Débutée dans les années 90, l'Agricultural Health Study a suivi plus de 50.000 agriculteurs et épandeurs américains en Iowa et en Caroline du Nord et dont 80% utilisaient du glyphosate. Près de 6.000 cas de cancer ont été observés au cours de ce suivi. Verdict de l'analyse : le glyphosate n'est pas significativement associé à une augmentation du risque de cancer, quelle que soit sa localisation. Toutefois, parmi les épandeurs qui ont été le plus exposés au glyphosate, les chercheurs constatent un risque accru de leucémie aiguë myéloïde par rapport aux autres utilisateurs, qui augmente avec la durée d'exposition et devient statistiquement significatif au-delà de 20 ans.
En 2005 déjà, les premiers résultats issus de l'étude prospective Agricultural Health Study, incluant des hommes et des femmes suivis sur plusieurs années, ne montraient déjà pas d'association statistiquement significative entre l'utilisation du glyphosate et le risque de cancer à l'exception d'un risqué augmenté mais non significatif de myélome multiple.

En 2019, une meta analyse reprenant l’étude de l’AHS (Zhang et al. 2019, Mutation Research) a  sélectionné le groupe de participants avec une exposition la plus haute (niveaux et durées d’exposition importants, temps de latence important). Dans ces conditions, apparait une association statistique entre une exposition cumulée élevée aux formulations à base de glyphosate et un risque accru de +41% de lymphomes non-hodgkiniens (LNH). Il ne s’agit pas de faits nouveaux mais d’une réanalyse soutenue par le seul Dr Zhang, et non les autres  auteurs de l’article original qui ont travaillé sur les mêmes données. Sur la signification exacte et l’incertitude des chiffres obtenues après une telle sélection drastique dans l’étude originale (856 études exclues sur 866 !), alors là, c’est vraiment une discussion de spécialistes. (cf par exemple https://quoidansmonassiette.fr/analyse-critique-meta-analyse-zhang-2019-glyphosate-risque-lymphomes-non-hodgkiniens/

Le 18 mars 2019 paraissait dans l’International Journal of Epidemiology une étude menée sur des cohortes d’agriculteurs de France (cohorte AGRICAN), de Norvège et des États-Unis  montrant un risque accru de 36 % du lymphome non hodgkinien le plus fréquent, à savoir le lymphome diffus à grandes cellules B –il n’était pas significatif dans AGRICAN. Les chercheurs ont procédé à un effort de synthèse inédit, en exploitant les informations de trois grandes cohortes constituées en France, en Norvège et aux Etats-Unis, rassemblant ainsi les données de plus de 315 000 agriculteurs suivis en moyenne pendant plus de dix ans. Ils ont évalué l’exposition des fermiers à 33 pesticides différents selon une classification binaire. Trois substances sont pointées: deux insecticides, le terbuphos et la deltamethrine, et un herbicide, le glyphosate.

Les antiglyphosates ont relayé triomphalement ces études. En ce qui concerne la méta-étude du Dr Zhang, elle ne convainc pas grand monde parmi les spécialistes, et notamment n’a pas convaincu le CIRC de changer la classification du glyphosate en cancérigène certain. Les promoteurs de la seconde étude se sont eux-mêmes montré très prudents : comme ils n'ont pas évalué le degré d'exposition des agriculteurs, classant ces derniers en seulement deux catégories : «utilisateurs» et «non utilisateurs» ; ils indiquent en conséquence qu'il « est nécessaire de disposer de «données plus précises» sur cette question, avant de formuler des conclusions ».

En effet, plusieurs études ont montré avec certitude une augmentation des lymphomes non hodgkinien chez les agriculteurs (19% dans l’Agricultural Health Study (57000 agriculteurs, Iowa et Caroline du Nord entre 1993 et 1997). Elles ont abouti à un résultat : le lymphome non hodgkinien a été ajouté en juin 2015 à la liste des maladies professionnelles. L’implication de plusieurs pesticides a été clairement démontrée : lindane, insecticides carbamates, insecticides organo-phosphorés – ces derniers maintenant interdits en France et aux USA notamment. Prouver un effet propre du glyphosate suppose d’éliminer avec certitude l’exposition à ces molécules connues depuis longtemps comme toxiques…Pas facile dans des études rétrospectives…

Une certitude : il est temps enfin de suivre correctement l’état de santé des agriculteurs, et plus généralement, des salariés – et cela ne va pas dans le sens du démantèlement progressif de la médecine du travail sous les coups de boutoir continus des idéologues ultra-libéraux et des dernières décisions gouvernementales

Enfin le glyphosate serait impliqué dans l’explosion de maladies rénales chroniques observées dans les rizières, particulièrement au Sri Lanka vers 2015. Le nom donné à cette maladie (maladie rénale chronique d'étiologie incertaine, chronic kidney disease of uncertain etiology) montre le degré d’incertitude et jusqu’à présent rien ne permet d’y impliquer le glyphosate. La présence en forte concentration dans l’eau des rizières de métaux tels que le plomb, l'arsenic et surtout au cadmium fournissent des coupables potentiels bien plus convaincants, surtout que jusqu’à présent aucune étude n’a laissé entrevoir un lien entre glyphosate et pathologie rénale. Peut-être aurait-il pu jouer un rôle adjuvant en complexant ces métaux ?

En tout état de cause, cette maladie rénale chronique d'étiologie incertaine a été signalée à de multiples endroits au cours du siècle dernier, beaucoup de cas étant antérieurs à la découverte et à l'utilisation du glyphosate (1974).

Après l‘avoir interdit, le gouvernement Sri Lankais a réautorisé le glyphosate en 2019.

Les « pisseurs involontaires ». Du glyphosate dans les urines ?

Depuis la très contestable émission d’Elise Lucet sur le glyphosate, où un certain nombre de personnalités s’étaient fait tester pour la présence de glyphosate dans leurs urines et montraient leur affolement devant un résultat qui ne donnait ni valeurs, ni incertitudes,  (pauvre Julie Gayet, c’est honteux de la paniquer comme ça !), le mode des pisseurs involontaires de glyphosates s’est étendue et du glyphosate, on en trouve partout et chez tout le monde à des taux ahurissants !

Bah c’est quand même très très très très  étrange. Le glyphosate est un produit phosphaté très simple qui se dégrade rapidement en AMPA, un phosphate omniprésent dans la nature… et qui provient aussi des phosphates utilisés dans les lessives. Certains esprits critiques en ont conclu un peu rapidement que « les pisseurs de glyphosates étaient en fait des pisseurs de lessive ».

Oui, mais non. C’était peut-être le cas avec les tests plus anciens mesurant indifféremment  la présence de glyphosate et d’AMPA dans l’eau, et montrant une forte corrélation avec l’introduction de certaines lessives, mais les tests urinaires utilisent des anticorps anti glyphosate et ne sont pas sensibles à l’AMPA. Les sites de Counterchecking se sont fait une joie de le faire remarquer, traitant les douteurs de suppôts de Monsanto. Mais ce qu’ils n’ont pas dit, c’est que ces tests ont été validés pour mesurer le glyphosate dans l’eau, et pas dans l’urine, où des molécules phosphatées naturelles variées  sont présentes en quantité importantes et peuvent peut-être interférer avec le test.

C’est aussi étrange compte-tenu de la faible rémanence du glyphosate, qui ne fait vraiment un produit miraculeux : le glyphosate fut un des premiers herbicides permettant de semer directement après usage et sans effet sur la culture suivante ; l'effet désherbant apparaît uniquement en cas de pulvérisation sur les feuilles de la plante. La possibilité de planter vite juste après un désherbage efficace était une vraie rupture à l'époque de sa mise sur le marché.

Devant des résultats aussi étonnants, il convient certainement de mettre d’abord en cause le test. Lorsque dans un appareil d’optique vous voyez un ciel gris alors qu’en le regardant vous le voyez d’un bleu superbe, il faut peut-être revoir les réglages…

Les décisions judicaires : inadmissibles procès de sorcières

Le groupe de produits phytosanitaires Bayer-Monsanto a perdu mercredi son deuxième procès lié au Roundup aux Etats-Unis. La justice américaine a donné raison au retraité Edwin Hardeman, estimant que Monsanto avait mis sur le marché un produit présentant « un défaut de conception ». Le point sur les nombreuses procédures en cours ou à venir. En août dernier, un premier procès a conclu que les herbicides de Monsanto avaient causé le lymphome non hodgkinien du jardinier Dewayne Johnson et n’avait pas suffisamment averti des risques. Le groupe de produits phyto a été d’abord condamné à verser 289 millions de dollars, une peine réduite ensuite à 78 millions.
Au terme du procès Hardeman, la condamnation s’élève à près de 81 millions de dollars. « Le verdict rendu dans ce procès n’a aucune conséquence sur les futurs procès et affaires, étant donné que chaque procès repose sur des faits et des circonstances légales qui lui sont propres », a réagi jeudi le groupe dans un communiqué. Dans les deux cas, Bayer a fait appel de la décision.
Dans son dernier rapport annuel, Bayer disait faire face, au 28 janvier dernier, à des procédures lancées par « approximativement 11 200 plaignants » exposés à des produits Monsanto à base de glyphosate aux Etats-Unis. Le groupe s’attend à faire face à d’autres procédures.

Compte-tenu de ce qui précède, je crois que la conclusion s’impose. Qu’est-ce qui permet aux juges d’aller au-delà des préconisations des agences de régulation ? Qu’est-ce qui leur permet d’affirmer la responsabilité du glyphosate dans les cancers des malheureux plaignants ? D’où tiennent-ils la compétence scientifique de trancher des débats à le place des experts ?
Oui ou non Monsanto s’est-il soumis aux législations en vigueur ? A-t-il (comme certains constructeurs automobiles…) triché sur ces tests ?
Non !
Disposait-il de données reconnues irréfutables pouvant impliquer le glyphosate dans des cancers ? Les a-t-il dissimilées ? Non !

La vérité est que Monsanto est victime d’un véritable procès de sorcières obscurantistes et rétrogrades qui lui reprochent moins le glyphosate (de nombreux pesticides dont la toxicité est bien prouvée ne suscitent pas autant de réactions…) que les cultures OGM (génétiquement modifiées)  résistantes au glyphosate, et d’avoir été un véritable précurseur dans un nouveau mode d’agriculture  qui risque fort d’être le seul à permettre de nourrir une population en augmentation. Et que certains juges, par ignorance, compassion ou lâcheté s’en sont fait les complices.

Aucune bonne justice ne peut être rendue contre les connaissances scientifiques, en l’état où elles sont. Que l’on y prenne garde ! Demain, le procès de sorcière contre Monsanto pourra s’étendre aux vaccins, aux médicaments, aux ondes électromagnétiques des linky par exemple….


1 commentaire:

  1. Bonjour,

    C'est répercuté ici :

    http://seppi.over-blog.com/2019/04/le-blog-viv-r-e-la-recherche-sur-le-glyphosate-et-bien-d-autres-sujets.html

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Commentaires

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