Europe
et Eurokom
Dans un de mes précédents blogs, je
m’enflammais sur les propos de Macron à Epinal sur « l’Europe qui nous a donné
la Paix ». Face aux politiciens truqueurs qui sciemment mélangent l’Europe,
réalité géographique, historique, culturelle et la Communauté européenne et ses
institutions (notamment la Commission européenne), vouées uniquement à
construire un grand marché selon le dogme d’une véritable secte libérale, je
propose donc de différencier l’Europe réelle des peuples et des nations et
l’Eurokom, les institutions de la Communauté Européenne.
N.B. : l’essentiel de ce blog est une
transcription des dernières leçons du cours de 2017 d’Alain Supiot au Collège
de France ( Figures juridiques de la
démocratie). Elle peut être par moment infidèle, il ne partagerait pas
peut-être pas l’utilisation que j’en propose pour combattre les institutions
actuelles de l’Union Européenne. Si vous vous intéressez à ces sujets, écoutez,
lisez Alain Supiot, il est incontournable et passionnant !
Une
évolution inquiétante du droit européen ! la mise à l’encan des services
publics.
Le
droit européen a écarté toutes ces distinctions que le droit national peut établir
entre sphère publique ou sphère privée, à but lucratif ou désintéressé : toute entité exerçant une activité économique,
en dehors du statut juridique de cette entité ou de son mode de financement
(arrêt Höfner)
en fait, toute activité qui peut être assurée par une entité privée, quand bien même elle serait en droit
national qualifié de service public ou d’activité à but non lucratif est une entreprise.
Tel
a été spécialement le cas des organismes
publics chargés du placement des demandeurs d’emplois. (Arrêt
Höfner : à cet égard, il convient
de souligner dans le cadre du droit de la concurrence que la notion d’entreprise
comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son
statut juridique ou de son mode de financement ; l’activité de placement est une activité économique. Il y a lieu de préciser qu’un office public, qui est chargé en vertu de la législation d’un
état membre d’un servce public d’intérêt général reste soumis au droit de la concurrence
conformément à l’article 10 paragraphe 2 du traité de la Communauté, tant qu’il
n’est pas démontré que son application est incompatible avec l’exercice de sa
mission…
La
sphère économique ainsi définie s’étend sous les mêmes conditions aux organismes
à but non lucratifs. Peu importe que le
législateur national ait confié à un tel organisme, par exemple, la gestion des retraites
complémentaires pour assurer une
certain solidarité entre les salariés, il
suffit que ce régime soit facultatif et fonctionne par capitalisation pour que
ce régime soit qualifié d’entreprise et soumis à la concurrence des sociétés
d’assurance. C’est ce qu’a confirmé la Cour dans son arrêt Fédération
Française des sociétés d’assurance de 1995 : Il y a lieu de répondre à la
juridiction nationale : un organisme à but non lucratif chargé de la
gestion d’un régime complémentaire d’assurance retraite… est une entreprise au
sens du Traité.
Cette
distinction de l’économique et du social, tellement ancrée dans nos mentalités
que nous lui accordons une valeur quasi-scientifique est de nature idéologique.
Il n’est pas en effet de lien de droit qui n‘ait à la fois une dimension
économique et une dimension sociale. Si vous avez invité un ami à déjeuner à
midi, c’est une relation sociale, mais à la fin, il faut bien payer le diner.
La relation de travail est indissolublement et à la fois une relation économique et une
relation sociale dont le salarié est à la fois l’objet et le sujet.
Cette distinction de l’économique
et du social n’est pas une donnée de la science, mais une construction
dogmatique qui conduit à considérer les droits sociaux comme autant de
dérogations aux droit communs de l’économie c’est-à-dire aux quatre libertés
des traités européens, d’établissement, de circulation des capitaux , de
circulation des marchandises, de circulation des travailleurs.
Dérogatoires
à ces catégories, les droits sociaux doivent
être interprétés restrictivement, comme on peut le voir dans la jurisprudences
européenne qui traite ces droits sociaux dérivés comme des maxima et non comme des minima
susceptibles d’amélioration en droit national. C’est notamment m’orientation
qui a été prise par la Cour européenne de Justice depuis les arrêts Vicking et
Laval. (NB considérant comme illégale l’action de syndicats réclamant une
égalité de traitement pour les travailleurs détachés ou s’opposant à un passage
sous pavillon de complaisance (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2018/11/raisons-de-detester-leurokom-16-la.html)
Il
en résulte l’exclusion de la démocratie du champ de l’économie ainsi
juridiquement définie. Dès lors qu’une
activité est qualifié d’économique, elle relève des libertés garanties par les
traités, acquérant ainsi vis-à-vis des institutions élues dans les Etats membres
une intangibilité encore plus grande que les dispositions constitutionnelles ..
La dynamique juridique européenne a cette capacité de démanteler les mécanismes
de sécurité sociale assurés par les Etats sans avoir la capacité de construire
des mécanismes de solidarités à l’échelon européen.
La concentration du pouvoir
économique menace nos démocraties
Il
y a quand même au quelques économistes à rendre une musique dissonante, qui se
sont inquiétés de la concentration sans
précédent du pouvoir économique à laquelle les politique ultralibérales
conduisaient et des menaces contre la démocratie qui en résultaient. Parmi
eux, le Français Maurice Allais, (1911-2010, prix Nobel d’économie 1988) (cf La mondialisation et la destruction des emplois
et de la croissance l’évidence empirique : Le fait est que dans le
monde entier, seuls quelques petits groupe set particulièrement les dirigeants
des multinationales bénéficient des bienfaits de la mondialisation. Ces groupes
disposent d’énormes moyens financiers, et, par personnes interposées, ils
dominent tous les media, presse, radio et télévision. C’est ainsi que pour une
très large part est réalisée l’endoctrinement de l’opinion, c’est ainsi qu’on
faut croire que la mondialisation est inévitable, nécessaire et heureuse pour
tous. Allais n’a eu de cesse dénoncer le
caractère anti-démocratique du libre échangisme aveugle et le caractère
dangereux des inégalités qu’il engendrait nécessairement. Effectivement les inégalités ne cessent de
croître et même l’OCDE et le Fonds Monétaire International mettent maintenant en garde contre les dangers de cette
inexorable augmentation des inégalités. (cf https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/04/raisons-de-detester-leurokom-27.html)
La libre circulation des capitaux a
rendu possible une énorme évasion fiscale qui sape les bases financières des
Etats et les condamnent donc à réduire les dépenses publiques. ; en 2009, on estimait que
près de 10% des fonds d’action cotées étaient détenus dans des paradis fiscaux.
Maurice Allais plaidait pour la constitution de grands ensembles économiques
régionaux réunissant des pays de développement comparable et capables de réguler
les flux de marchandises et de capitaux… autorisés à se protéger de manière
raisonnable contre les écarts des coûts de production… l’essentiel du chômage
que nous subissons tient précisément à cette libéralisation inconsidérée du
commerce à l’échelle globale sans se préoccuper des niveaux de vie… Ce qui se
produit est donc autre chose qu’une bulle.
La
capture de la démocratie par l’idéologie économqiue
Capture de la régulation, capture
de l’action publique par les intérêts privés
La
notion de capture de la régulation est due aux économistes, au premier plan
desquels cet autre récipiendaire du Prix de la Banque de Suède, George Stigler,
notion a été aussi étudiée en France par deux économistes, Jean-Jacques Laffont
et Jean Tirole. Elle pose qu’une agence de régulation chargée de faire
prévaloir le bien public dans un secteur d’activité détermine tombe sous la
dépendance de groupes d’intérêts qui dominent ce secteur. Une telle capture est
rendue possible par la dissymétrie de puissance économique et d’intérêt à agir…
L’indépendance
présumée de ces instances de régulation les fait échapper de facto au contrôle
démocratique. Pour prendre un cas massif,
l’indépendance, qui est garantie par les Traités de la Commission Européenne vis-à-vis
des Etats est censé lui permettre d‘être le représentant vigilant d’un intérêt
général europée. ; mais elle a pour revers sa dépendance aux lobbies,
qui gangrènent son fonctionnement tout en assurant de confortables
reconversions à certains de ces membres.
La
porte tambour fonctionne dans les deux sens ; son fonctionnement a été récemment illustré
par les cas symétriques de la nomination
à la tête de la Banque Européenne de M. Draghi, ancien directeur du secteur Europe
de Goldmann Sachs et de l’embauche par Goldman Sachs en 2016 de l’ancien
Président de la Commission, M. Barroso. Ces relations incestueuses sont
mises à jour par des ONG comme Transparency International ou l’Observatoire Européen
des Entreprises.
Vous
trouverez par exemple sur son site la description détaillée du cas récent de
Mme Neely Kroes, qui est l’ancienne
vice présidente de la Commission Européenne, dont les Bahamas Leaks ont révélé
en septembre 2016 qu’elle avait conservé
durant son mandat la direction d’une compagnie off-shore immatriculée aux
Bahamas. Ancienne commissaire hollandaise à la concurrence entre 2004 et
2010, puis Commissaire aux nouvelles technologies entre 2010 et 2016, Mme Kroes
avait dans ses attributions violemment critiqué
la condamnation de la société Uber pop par un tribunal belge, qui en avait
interdit les activités. Elle déclara sous l’égide de sa fonction qu’il s’agissait d’une décision folle, qui n’avait pas d’autre but que de protéger
le cartel des taxis ; bien plus, elle
a appelé, dans ses fonctions de Commissaires, publiquement à une campagne de
protestation contre le minstre blege en charge des transports. – ce qui
dénote quand même une certaine ignorance de la séparation des pouvoirs,
puisqu’en principe, dans une démocratie, le juge n’est pas sous les ordres des
ministres…
Quelques mois après avoir quitté
ses fonctions à la Commission Mme Kroes
s’est mise au service de la société Uber et elle siège désormais dans le
Comité de politique publique de cette société. Parmi les sept autres membres de
ce Comité, figurent aussi l’un ancien secrétaire américain aux transports, un
ex président de l’ autorité de la concurrence australienne… La société Uber a
fait savoir que ces personnalités avaient été choisies en raison de leur expérience
en politique gouvernementales…
Malaise
dans la démocratie européenne !
La capture de la démocratie par le
marché, ou la démocratie comme marché des idées.
Si
l’analyse de la capture de la régulation peut rappeler la doctrine marxiste sur
l’impossible neutralité du droit réel, elle s’en distingue radicalement par les
remèdes proposées : étendre au
champ de la démocratie des recettes tirées des théories économiques, la théorie
de l’agence et la théories des jeux ( Laffont et Tirole sur la capture normative) :
Ainsi,
il y aurait un marché de la décision réglementaire…
C’est
donc par référence au marché et aux lois dites scientifiques de son
fonctionnement qu’il conviendrait de concevoir le bon fonctionnement de la
démocratie…La théorie de la capture normative
n’est que l’un des effets de ce changement
de base dogmatique inhérent à l’instauration du marché total et de la
gouvernance par les nombres. Le marché prend la place de la norme fondamentale
dans l’ordre juridique et le calcul des
intérêts se substitue à l’hétéronomie de la loi. La capture normative a une
portée normative beaucoup plus large que la régulation d’un domaine donné Elle
s’étend à la démocratie en tant que telle, c’est ce que montre l’évolution de la jurisprudence américaine
relative à la liberté d‘expression et au financement de la vie politique.
Jusqu’au
New deal inclusivement, la concentration des pouvoirs économiques avait été
conçue comme un péril mortel pour la démocratie. Jusqu’en 1971, la jurisprudence de la Cour
Suprême a constamment soutenu deux types
de limites : des plafonds contributifs, des plafonds de dépense.
En
1974, avec l’arrêt Buckley v. Valeo, pour la première fois la Cour Suprême est revenue sur la limitation des plafonds, la considérant
comme contraire au premier d’amendement : la liberté d’expression est en quelque sorte assimilée à la liberté de
dépenser son argent sans limite. C’est une installation en douceur du
marché comme base dogmatique de la liberté d’expression. « Restreindre la somme d’argent qu’une
personne ou un groupe peut dépenser pour la communication politique pendant une
campagne réduit nécessairement la quantité d’expression en restreignant le
nombre des sujets débattus, la profondeur de leur exploration et la taille de
l’audience atteinte. » !
« la
loi (annulée par l’arrêt Buckley) a notamment
pour objet d’égaliser la capacité relative de tous les électeurs d’influencer
les résultats du vote en fixant un plafond aux dépenses de communications
politiques des individus ou des groupes. Les
limitations de dépenses prévues par la loi représentent une restriction substantielle
et pas seulement théorique de de la quantité et de la diversité de l’expression
politique. L’idée que le
gouvernement puisse restreindre l’expression de certains éléments de notre
société afin de donner un poids relatif plus grand aux arguments des autres est
tout à fait étrangère au premier amendement qui a été conçu pour assurer la
dissémination la plus large possible des informations provenant de sources inverses
et antagonistes. Tout entrave à ces
dépenses enfreint donc le premier amendement.
Ainsi,
une équivalence est posée entre liberté d’argent et liberté d’expression (exemple
presque caricatural de la gouvernance par les nombres). Cette alchimie a été rendue possible par le paradigme auquel
Laffont, Tirole et les autres théoriciens de la capture parlementaire
attribuent une valeur scientifique, qui consiste à subsumer la démocratie sous le concept de marché, qu’il s’agisse
de marché des idées, de marché électoral, ou de marché des normes. La
législation est vendue par le législateur et achetée par les bénéficiaires de
la législation….
Après la fin de la limitation des
dépenses, la fin de la limitation des contributions : En 1978, l’arrêt First National Bank contre Belloti a
pour la première fois étendu aux entreprises la liberté d’expression garantie
aux citoyens par le premier amendement, rendant caduque la limitation des
contributions. « Si les orateurs en cause
n’étaient des entreprises, nul n’aurait prétendu que l’Etat pouvait
faire taire ce qu’ils entendaient exprimer. Cette expression est de celle qui
sont indispensables aux processus de décision dans une démocratie et ceci n’est pas moins vrai lorsqu’elles procèdent
d’une entreprise plutôt que d’un individu. «
Après
la parenthèse libérale au sens américain de la présidence Rehnquist, la Cour
Suprême retrouve sa direction ultra libérale : l’ Arrêt citizen united vient
dynamiter les timides remparts échafaudés sous la présidence du juge Rehnquist
en renversant complètement son arrêt Austin : « l’ arrêt Austin
perturbe le libre marché des idées protégé par le ¨premier amendement. Il
autorise le gouvernement à bannir l’expression politique de millions
d’associations de citoyens. La censure à laquelle nous avons aujourd’hui
affaire à a un large champ d’application. Le
gouvernement a muselé les voix qui représentent le mieux l’intérêt économique
national. (NB ceux des entreprises) Le
gouvernement cherche à user de ses pleins pouvoirs, y compris de drpit pénal
pour décider où une personne peut s’informer ou à quelles sources douteuses
elle ne doit pas accéder ; il recourt à la censure pour contrôler la
pensée. Ceci est illégal. « .
Nous
sommes là parvenus à un retournement complet des origines de la démocratie
américaine… Le levier de ce renversement a été l’assimilation
de la démocratie à un marché des idées. Depuis ses origines antiques, la
démocratie a été pensée comme une construction institutionnelle fragile qui
sépare et articule trois dimensions de la vie de la cité ayant leur lieu et
leur règle propre. Ces trois dimensions sont l’assemblée politique, sphère de la délibération de l’intérêt
public ; le marché, sphère de t la négociation des intérêts privés,
et le sacré, la religio au sens premier,
sphères d’une référence dogmatique,
source de sens et garante du crédit de la parole, qu’elle soit commerciale ou
politique ; Ainsi conçue, la démocratie exige l’institution d’un demos,
d’un peuple citoyen dont les membres réunissent trois conditions (les vertus
civiques) : une formation et une
éducation qui les rendent capables de distinguer les intérêts publics de leurs intérêts privés ; une indépendance économique par le travail en
sorte que les citoyens ne soient pas séparés par de trop grandes inégalités de
fortune, ni ne s’asservissement les uns aux autres ; une éthique de la vérité, le courage de dire ce que l’on pense et de se confronter aux autres dans des assemblées
de parole dont le but est dé décider ce qui doit être.
Dès lors que la sphère du marché absorbe
celle du politique
( c’est ce que l’on appelle le marché électoral), celle du sacré ( c’est le
marché des religions), la figure du
citoyen s’estompe au profit de cell du consommateur. Et l’éthique de la citoyenneté, qui est faite d’éducation, d’indépendance, dans et par le travail,
ainsi que de respect de la vérité perd toute espèce de sens. Le statut particulier qui était celui de la
parole politique dans toutes les expériences démocratiques, c’est-à-dire
d’une parole censée exprimer une représentation du bien public et non la
défense des intérêts privés n’a alors
plus de raison d’être. Toutes les paroles se valent a priori sur le marché des idées, et réduire la quantité d’argent
qu’on peut y investir serait réduire la liberté d’expression.
Le
sens de la démocratie dès lors se retourne, elle ne désigne plus l’assujettissement de la sphère économique aux principes
de liberté et d’égalité des citoyens, mais, au contraire l’assujettissement de
la sphère politique aux lois de l’économie
Cette
pente de la démocratie comme marché et ses conséquences, c’est celle sur
laquelle nous nous trouvons, c’est celle qui a triomphé sans vergogne aux USA,
c’est celle qui s’impose à la Commission Européenne, c’est celle qui tente
maintenant de s’imposer en France avec l’ultra libéralisme des macronistes.
C’est
elle qu’il faut combattre, à tous les niveaux où nous pouvons agir, européen ou
national ; et c’est pourquoi il faut sortir de cet Eurokom !
CF : Qu'est-ce qu'un régime de travail
réellement humain ?Alain Supiot et Pierre Musso, Hermann, 2018
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