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vendredi 19 juin 2020

Les Institutions Européennes et le nucléaire : de l'hostilité au sabotage

Le nucléaire en Europe : essentiel pour réussir le défi climatique, maintenir notre économie !

Le nucléaire fournit actuellement plus de 47 % de la production d’électricité à faible émission de carbone (mais 12% de la consommation finale d’énergie) dans l’UE grâce à plus de 100 réacteurs nucléaires actuellement en service.

Sans nucléaire, il y aura un demi-milliard de tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires chaque année en Europe, soit plus que les émissions du Royaume-Uni ou de la France.  Les émissions du cycle de vie produites par le nucléaire se comparent favorablement à celles des technologies renouvelables.

Selon les chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), avec 12 g CO2/KWh, les émissions du cycle de vie nucléaire sont égales à celles de l’énergie éolienne et sont quatre fois inférieures à celles de l’énergie solaire (cette analyse comprenant  l’ensemble du cycle de vie, y compris l’extraction de l’uranium, l’enrichissement et la fabrication de combustible, la construction d’usines, l’utilisation, le déclassement et la gestion à long terme des déchets). En France, même l’Ademe a reconnu une valeur plus basse (6g CO2/KWh), en raison des performances des particulièrement bonnes de l’enrichissement)

A de multiples reprises, le GIEC a rappelé que le nucléaire constituait une part indispensable de la solution au défi climatique.

En outre de son très fort intérêt climatique et économique, le nucléaire présente la qualité essentielle d’être pilotable et de fournir une alimentation stable et fiable. La production d’énergie nucléaire ne dépend pas des conditions météorologiques et fournit quand elles en ont besoin  une énergie fiable à l’industrie, aux transports, aux hôpitaux, aux foyers et aux entreprises 24 heures sur 24, 365 jours par an. L’électricité nucléaire est cruciale pour la stabilité des systèmes énergétiques.

Cette qualité essentielle, nous l’oublions trop, et elle a failli se rappeler à nous : Le 23 avril 2020, en plein crise COVID, la France a échappé  de justesse à un black out avec une fréquence descendue à  49, 8801 Hz à 10 heures et 10 secondes ! En cause, exactement ce qui était annoncé, la priorité sur le réseau des ENR et leur brusque variation.

Enfin, l’industrie nucléaire européenne représente actuellement un total de 1,1 million d’emplois, généralement hautement qualifiés, bien payés et non délocalisables. Avec 2500 entreprises et 220 000 salariés, la filière nucléaire est la troisième filière industrielle français. Plus, elle assure de plus une certaine autonomie énergétique aux Etat-Membres, notamment vis-àvis des fournisseurs gaziers

Et pourtant, l’option nucléaire que maintiennent et même veulent développer plus d’une dizaine d’États-membres, dont la France, fait l’objet de l’hostilité rampante des institutions européennes. Sous la pression des antinucléaires, des ONG écologistes et activistes,  de Khmers verts fondamentalistes et sourds à toute rationalité scientifique et technique, et d’Etats comme l’Allemagne et l’Autriche, les institutions européennes ont adopté des règlements qui  dissuadent les investissements de long terme et discriminent le nucléaire.

1) Attaques sur le financement : la taxonomie

Parmi les évolutions inquiétantes des cadres institutionnels européen, mentionnons en ce qui concerne la Commission, l’exclusion à ce stade du nucléaire de la taxonomie verte,

Cette taxonomie, une fois mise en œuvre, devrait fournir aux investisseurs des informations fiables sur les activités et les technologies qui contribuent aux objectifs de durabilité. Or, si le groupe d’expert a bien reconnu le caractère décarboné de la production nucléaire, il lui a refusé l’accès à des financements verts au titre d’un critère  DNSH (Do Not Significantly Harm, nuisible) concernant la gestion des déchets nucléaires.

Ceci ignore tout simplement le consensus international (USA, Japon, Canada, Russie, Chine, Finlande, Suède, France) sur la solution d’élimination géologique et les projets déjà avancés qui, après des décennies de recherches scientifiques, ont fait la preuve de leur sécurité (Cigéo en France, Onkalo en Finlande, Forsmark en Suède)

Cette exclusion de la taxonomie aurait des effets graves : elle impacterait non seulement fortement  les industries nucléaires mais  aussi toutes les industries utilisatrices qui se verraient refuser l’accès à des financements  privilégiés pour optimiser leurs process dans le sens de la transition énergétique –

Elle fragiliserait considérablement tout nouveau projet nucléaire, et ceci est d’autant plus critique que le coût du financement représente une part importante du coût final des projets nucléaires, jusqu’à 75%. Et qu’il peut être considérablement réduit simplement par une visibilité politique sur les projets !

 C’est une décision grave qui ne respecte pas le critère important de neutralité technologique, censé s’appliquer à toutes les initiatives de transition énergétique !

Il existe cependant une porte laissée ouverte par le Comité d’Experts- rappelons-le, essentiellement composés de financiers et de représentants des ONG, dont les habituels fanatiques anti-nucléaires. Celui-ci reconnaissant tout de même son peu de compétence sur le sujet des déchets nucléaires a ouvert la  possibilité d’une expertise ad hoc pour évaluer la gestion des déchets nucléaires selon les critères DSNH et de durabilité.

Un certain nombre de pays et d’organisations se sont mobilisées ( bravo à la Tchéquie, très allant sur le sujet) pour obtenir la mise en place de cette expertise.

Par contre, il est quand même hallucinant que cet appel à l’expertise scientifique soit remis en cause par un certain nombre de députés européens. Ainsi,  Bas Eickhout co-rapporteur taxonomy regulation, Greens/EFA, Sirpa Pietikainen co-rapporteur taxonomy regulation, EPP,  Paul Tang, shadow rapporteur taxonomy regulation, S&D

« En créant une structure distincte en dehors de la Plate-forme sur les finances durables ou de l’expertise interne de la Commission, il y a un risque élevé que les avis sur cette question délicate soient pris en compte par d’autres intérêts que l’intérêt général.

En outre, nous sommes préoccupés par le fait que la création de nouvelles procédures spécifiques sur la question de l’énergie nucléaire risque de retarder le processus d’adoption rapide de la loi déléguée. La crise climatique et les initiatives de relance de Covid-19 ont besoin d’urgence des deux premiers objectifs environnementaux de la taxonomie pour être opérationnels.

Nous vous demandons donc instamment de veiller à ce que l’évaluation sur la question particulière de l’énergie nucléaire soit effectuée par la Plate-forme de financement durable et la Commission elle-même, sans la création d’un groupe d’experts ad hoc et sans sous-traiter les avis sur cette question à une troisième partie. »

Autrement dit, le groupe d’expert TEG, essentiellement financier plus qqs  ONG antinucléaires a reconnu son manque d’expertise sur la question des déchets nucléaires et laissé la porte ouverte à une expertise scientifique dédiée..et la réaction des rapporteurs sur la taxonomie est de dire : non, on ne veut pas d’expertise scientifique. Scandaleux !

Décidément, le lobby éolien est très fort !



Rappelons quand même que le volume des déchets de forte activité, après retraitement, représente en France 3 % des déchets radioactifs, soit l’équivalent d’une piscine olympique pour l’ensemble du parc français depuis sa création. Pour ces déchets ultimes, l’enfouissement profond dans des dépôts géologiques (de stabilité supérieure à 150 millions d’années contre une radioactivité détectable de 15.000 ans pour les déchets retraités) constitue une solution validée par les autorités de sûreté de nombreux pays (France, Finlande, Suisse pour l’Europe, mais aussi USA, Japon, Canada, Russie, Chine).

Ca va donc être chaud, et tout va se jouer dans la constitution du ou des groupes d’experts. Le fonctionnement de l’Europe est tout de même assez déprimant : un sujet aussi important que l’investissement dans le nucléaire pour répondre au défi climatique  y est traité de manière opaque et non rationnelle

Cf. sur ce blog : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/09/urgence-nucleaire-et-climatique-alerte.html

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/04/taxonomie-verte-consultation-europeenne.html

2) Le jour où le Parlement européen a failli imposer à toute l’Europe de sortir du nucléaire !

Le Parlement Européen, lors du vote d’une Résolution sur la COP 25, le 28 novembre 2019, a dû se prononcer sur un amendement proposé par le SPD allemand et adopté par la Commission ENVI (« amendement 56 ») estimant «  que l’énergie nucléaire n’est ni sûre ni durable sur le plan environnemental ou économique » et  proposant «  par conséquent, de mettre au point une stratégie de transition juste visant à supprimer progressivement la production d’énergie nucléaire dans l’Union, en proposant de nouveaux emplois aux personnes qui travaillent dans le secteur du nucléaire ».

Il s’en est fallu de peu que passe ce nucléaire « phase out » : 322 contre 298 ! A 322 voix contre 298, le Parlement européen a décidé que, non, les Institutions européennes ne devaient pas forcer les Etats à sortir complètement du nucléaire ! 322 contre 298 ! Et encore à cette période, les députés britanniques, généralement favorables au nucléaires, travaillistes comme conservateurs, participaient encore au vote)

A noter que Pascal Canfin, président de la Commission Envi s’est opposé en vain en commission  à l’amendement anti-nucléaire du SPD. A noter qu’il est tout de même président de cette commission et qu’il a été mis en minorité ! Et que au moment du vote plénier, il n’a pas voté en faveur du maintien du nucléaire. C’est assez inquiétant pour le futur et la composition de la commission Envi laisse présager une prise en main par la démagogie et les écolos bigots.

Le vote pour contrer l’amendement de bannissement du nucléaire a été le suivant :

ECR : 51  (une grande partie de Polonais), GUE : 3 (Irlande, Tchèquie, Espagne),ID : 60,NI : 10, PPE : 109 ( la plupart des français, 40% des Allemands…tiens, tiens, ça commencerait à bouger dans la droite Allemande, vivement que Merkel s’en aille), Renaissance : 47, SD : 31 

 A noter que Renaissance ( où sont les députés français LREM) s’est divisé sur le sujet, 35 députés, dont Canfin et Durand ) votant contre l’amendement 38 ( qui annulait l’amendement ani-nucléaire du SPD). Mentionnons tout de même que Christophe Grudler ( Renaissance, ex- Modem, implanté à Belfort) a joué un rôle important dans la rédaction de l’amendement 38 et donc cette réaction salutaire.

Cf. sur ce blog : https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/12/le-parlement-europeen-et-la-politique.html

L’action de sape de certains Etats

L’Autriche et le Luxembourg ont porté plainte en 2015 devant le Tribunal de l’Union Européenne contre les subventions accordées par Londres pour la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point.

Ils ont été déboutés une première fois  en 2016, le Tribunal considérant qu'un Etat membre a le droit de "définir son bouquet énergétique", et de "définir le développement de l'énergie nucléaire comme l'objectif d'intérêt public poursuivi par les mesures d'aide", mais ont fait appel devant la Cour Européenne de Justice.

Celle-ci , le 7 mai 2020, a rendu un premier avis consultatif concluant que la production d’énergie nucléaire relève des intérêts économiques de l’UE.

Peu dissuadée, l’Autriche a ensuite déposé plainte auprès de la Commission européenne au sujet de l’approbation des subventions de l’État hongrois pour la construction de deux réacteurs à la centrale nucléaire de Paks…

Ces actions juridiques, même si finalement elles n’aboutissent pas, créent un climat d’insécurité peu propice aux investissements et à des projets industriels inscrits dans la durée. Elles participent d’un véritable agenda multiforme d’étranglement du nucléaire, agissant au niveau financier, politique et juridique, mené par des groupes militants très organisés qui ont une stratégie très efficace d’influence à différents niveaux des Institutions Européennes. Les critères de rationalité scientifique et technique sont bafoués, des décisions critiques sont indéfiniment retardées, le secteur nucléaire et ses clients et fournisseurs s’en trouvent déstabilisés, nos salariés découragés et finalement, notre industrie est en danger.

L’Europe se déchire  sur le nucléaire

En Europe, la Grande Bretagne a un plan ambitieux de développement du nucléaire  avec deux EPR en construction, deux autres prévus et en tout Un plan de 16000 MW de nouvelles centrales nucléaires (soit l’équivalent de 10 EPR). La Pologne a également un plan ambitieux : 6 à 9 GW de nucléaire (on part de 0) d'ici 2040, avec un premier réacteur souhaité en service pour 2033. La Finlande a investi dans un EPR et  projette deux nouveaux réacteurs nucléaires (type de réacteur non encore choisi), dont un sur le site de Loviisa). Le gouvernement tchèque a décidé en juillet 2019 la construction d’un nouveau réacteur nucléaire dans la centrale de Dukovany, dans le sud du pays. Avec déjà 57% de part de nucléaire dans son mix électrique, la Slovaquie souhaite capitaliser sur ce point fort pour sortir de sa dépendance aux hydrocarbures et réduire ses importations ; elle compte mettre en service deux nouveaux réacteurs dans sa centrale nucléaire de Mochovce. La Hongrie prévoit deux nouvelles tranches dans  la centrale nucléaire de Paks. La Rpumanie prévoit deux réacteurs de plus sur le site de Cernovoda et étudie des projets pour 4 réacteurs supplémentaires. La Suède, l’autre grand pays du nucléaire ( certaines années, elle dépasse la France en pourcentage d’électricité nucléaire) prévoit de remplacer ses centrales historiques par de plus modernes lorsqu’elles seront arrêtées. En mai 2019, la Bulgarie a lancé un appel à projets pour relancer la construction d’une deuxième centrale nucléaire à Béléné, devant accueillir deux réacteurs russes La France aussi a un programme de nécessaire de remplacement de certaines centrales par 6 EPR.

Rappelons que  conformément au traité de Lisbonne, c’est la seule prérogative des États Membres de décider de leur mix énergétique. Ceux-ci ont à faire face à des contextes géographiques et économiques très différents et doivent pouvoir choisir leur palette d’outils bas carbone et faire leurs propres choix technologiques pour réussir leur transition énergétique. Le respect du principe de neutralité technologique est essentiel et a d’ailleurs été entérine lors des Conseils Européens des 12 et 13 décembre 2019, qui reconnaissait aux Etats Membres la légitimité de recourir au nucléaire pour remplir leurs objectifs climatiques :

« Le Conseil Européen est conscient de la nécessité d’assurer la sécurité énergétique et de respecter le droit des Etats Membres de décider de leur bouquet et de choisir les technologies les plus appropriées. Certains Etats Membres ont indiqué qu’ils recourent à l’énergie nucléaire dans le cadre de leur bouquet énergétique national »

 Si, malgré cette décision du Conseil, des Etats se voyaient interdire l’accès à des financements verts pour des projets importants et structurants selon des critères technologiquement injustifiés (par exemple dans le cas des projets nucléaires en Finlande, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Hongrie), cela créerait des tensions politiques fortes en Europe à un moment où celle-ci va devoir faire face à une crise économique sans précédent.


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