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lundi 15 décembre 2014

Le principe de précaution : raisonnable ?


Un principe raisonnable appliqué raisonnablement ?
Dans deux articles du Monde, (Mardi 7 octobre 2014 et la semaine précédente), Stéphane Foucart revient sur le principe de précaution, et en propose un bilan. Le propos de M. Foucart consiste en fait dans une critique bien argumentée des thèses avancées souvent légèrement par les adversaires du fameux principe pur aboutir à la conclusion : « le principe de précaution est un principe raisonnable appliqué raisonnablement ».
M. Foucart s’appuie notamment sur un rapport de la Fabrique de l’Industrie, organisme patronal qui a demandé à un groupe d’experts une analyse du principe et de son application, et notamment de ses supposés ravages économiques. Le rapport, publié aux Presses des Mines ( Précaution et compétitivité, deux exigences incompatibles ?, Alain Grangé Cabannes, Brice Laurent) arrive à la conclusion développée par M. Foucart, mais constate : «  Ce n’est pas le principe de précaution  au sens juridique du terme qui est en cause, mais l’inquiétude exprimée par des citoyens ou des consommateurs devant certaines technologies qui poussent les politiques ou l’administration à produire des règles qui sont pour les industriels une source de contraintes et de coûts ». Les auteurs pointent « un manque de confiance dans les institutions  chargées de la protection des consommateurs ».
Et ajouterais-je : dans l’expertise scientifique, et plus grave, dans l’autorité scientifique en général. Et là, ce n’est pas seulement une source de contraintes et de coûts, mais de la compétitivité, donc de l’existence même de l’industrie et de l’innovation en Europe qui est en cause. En sortir passera notamment par une transparence totale (ou « vivre au grand jour » comme exigence pour le pouvoir spirituel d’expertise pour le Comtien que je suis), mais aussi par une meilleure éducation générale à la science, par des systèmes de conférences de citoyens et de confrontation avec les experts, etc. Mais d’accord, il ne s’agit plus là du Principe de Précaution.
L’autre document sur lequel s’appuie M. Foucart provient de l’Agence Européenne de l’Environnement : « Signaux précoces et leçons tardives ». Il analyse quatre-vingt huit cas que certains commentateurs ont considéré comme de fausses alertes où des mesures coûteuses et justifiées auraient été prises. Avec le recul historique, sur les quatre-vingt huit exemples, seuls quatre correspondent nettement à des décisions inadéquates, parmi lesquels la vaccination de masse en 1976 contre la grippe porcine, ou l’obligation d’étiquetage de la saccharine
Evaluer précautionneusement le Principe de Précaution
Donc un principe raisonnable appliqué raisonnablement sans problèmes ? Eh bien, pas tout à fait d’accord : sans ignorer les arguments de M. Foucart, sans tomber dans les excès de la soi-disant incorrection politique », non-conformisme devenu pensée dominante qui condamne le principe de précaution au nom de l’utopie de la société sans risque et le rend responsable du déclin de l‘industrie et de l’innovation en Europe, il me semble qu’il faille adopter une position plus équilibrée, une appréciation plus précautionneuse.
Un premier problème est celui de la définition du Principe de Précaution que Stéphane Foucart… prend la précaution de rappeler : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait accepter de manière rave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du Principe de Précaution, et dans leur domaine d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Parfait, et sous cette forme avouons-le, peu contestable. Le seul problème est que victime de son succès, il a connu une extension fulgurante et de véritables détournements de sens. Pour le dernier exemple de ce jour ( Le Figaro, 15 décembre 2014), une tribune signée par rien moins que la Commissaire Européenne en charge du Commerce (Cecilia Malstrom) : «  Nous continuerons à baser nos décisions sur le principe de précaution selon lequel un produit ne peut être mis en vente tant qu’il subsistera un doute sur son innocuité »…
Alors là, on n’y est plus du tout, dans le Principe de Précaution , et venant d’une haute autorité européenne, c’est très inquiétant. L’extension devenue habituelle du Principe de Précaution en dehors du domaine des « dommages graves et irréversibles à l’environnement » est réellement problématique. Notamment dans le domaine de la santé, et Stéphane Foucart lui-même n’est pas toujours indemne  de ces dérives - ainsi, dans l’article que je viens de citer, sur l’épidémie de grippe porcine. En matière de santé, ce n’est pas le principe de précaution qui doit s’appliquer, mais celui de l’estimation du bénéfice-risque. Un médicament, un traitement chirurgical ne sont  jamais dépourvu de risques. C’est au nom de principe de précautions que les sectaires anti-vaccination voudraient nous ramener à l’ère des épidémies de  tuberculose, de poliomyélite, de variole ? C’est contre le principe de précaution mal employé que se battaient les associations de lutte contre le Sida pour forcer la FDA à accorder la mise sur le marché des premiers antirétroviraux.
Au nom du principe de précaution, l’Europe a mis en place la directive Reach d’enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques. Reach fait porter à l'industrie chimique la responsabilité d'évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs, risques environnementaux et sanitaires. Compte-tenu de l’explosion du nombre de substances chimiques dans l’environnement, et du manque d’évaluation, Reach, malgré sa lourdeur, est utile, indispensable, et peut même devenir un atout compétitif. Oui, mais à condition, à la grosse condition, que les traités de commerce internationaux, notamment le traité transatlantique, n’induisent pas des distorsions de compétitivité qui balaieraient la chimie européenne, que les industries concurrentes étrangères n’agissent pas en passagers clandestins de Reach, profitant sans charge des données générées par les firmes européennes.
Enfin, Stéphane Foucart reste muet sur les inquiétantes origines intellectuelles heideggériennes, (Heidegger et disciples - Hans Jonas, Anders…) qui les conduit bel et bien à une remise en cause de la démocratie et à l’éloge de dictatures écologiques…( pour une mise au point cf la dernière saison de l’Université populaire de Miche Onfray sur France Culture)
Entre célébrations élogieuses et critiques tous azimuts, le Principe de Précaution premier effort d’organisation scientifique à l’échelle de l’Humanité mérite d’abord de vraies réflexions et un vrai débat.

mardi 9 décembre 2014

Ne pas prendre ses médicaments coûte cher


L’inobservance un problème de santé publique et un problème d’économie majeure
La vulgate diffusée par les gouvernements veut que les Français prennent trop de médicaments, ce qui est bien commode lorsqu’on veut faire des économies de santé sans fâcher les généralistes, les spécialistes, les stations thermales, les homéopathes… Or la réalité que révèle une étude d’IMS Heath révèle que 40 % des patients français seulement  suivent leur ordonnance et arrêtent précocement leur traitement. En somme, ils ne prennent pas assez de médicament, et surtout les prennent mal. (cf notamment Le Monde Economie, 12.11.2014)
L’étude, de grande ampleur, a été menée sur une cohorte d’environ 170 000 patients, atteints par une des six pathologies observées : Diabète de type 2, Hypertension artérielle, Asthme, Hypercholestérolémie, Ostéoporose, Insuffisance cardiaque. le taux d’observance varie fortement : 13 % pour l’asthme, 36% pour l’insuffisance cardiaque et le diabète de type 2, 40% pour l’hypertension artérielle, 44% pour l’hypercholestérolémie, 52% pour l’ostéoporose. Les complications causées par le manque d’observance peuvent être graves : infarctus du myocarde pour l’hypercholestérolémie, œdème pulmonaire pour l’insuffisance cardiaque, fractures ostéoporotiques, Accident vasculaire cérébral (AVC) pour l’Hypertension Artérielle, maladies coronariennes pour le Diabète de type 2, état de mal asthmatique pour l’Asthme.
L’inobservance a non seulement des conséquences majeures sur l’état de santé, c’est aussi un problème économique majeur. En estimant le nombre de non répondeurs par pathologie, en le multipliant par le facteur de risque entrainé par l’inobservance du traitement pour la complication principale et le coût du traitement, généralement chirurgical, les auteurs de l’étude arrivent à un coût de 207 millions d’euros par an pour l’état de mal asthmatique sévère, de 281 millions d’euros pour les fractures ostéoporotiques, à 1,4 milliard d’euros pour les maladies coronariennes liées au diabète de type 2 et pour l’infarctus du myocarde, 1,6 milliard d’euros pour l’œdème pulmonaire… et jusqu’à 4,4 milliards d’euros pour les AVC ! Ce qui fait, pour ces six pathologies, un coût faramineux  de huit milliards !
Le chiffrage exact peut être contesté, mais il ne s’agit de pathologies qui ne  représentent qu’un quart des dépenses de médicaments en ville, et le coût d’une seule complication a été considéré. Si l’on ajoute à cela, par exemple, le coût des infections et des résistances causées par des traitements antibiotiques mal suivis, le coût est encore plus considérable. Et cela, bien sûr, sans tenir compte des vies brisées.
Ceci n’est pas une spécificité française. L’Organisation Mondiale de la Santé estime que près de 50 % des traitements prescrits dans le monde sont peu ou mal suivis par les patients concernés.
De meilleurs médicaments sont nécessaires
Les causes d’inobservance peuvent être variées. Pour l’asthme, « de nombreux malades sous-estiment l’impact et la gravité de la maladie, il y a une forme de déni, parfois de révolte, qui n’aide pas à accepter la situation. La plupart mènent une simple stratégie d’ajustement de leur traitement afin de s’adapter à leur état respiratoire. Le traitement de fond est difficile à suivre, car il est astreignant et ne produit des effets que sur le long terme. Par ailleurs, en dehors des phases de crise, chacun peut mener une vie apparemment normale, ce qui ne facilite pas l’adhésion thérapeutique » (Christine Rolland). Pour l’hypertension artérielle,      au fait que l’hypertension peut être sans effets visibles ( mais mener à un accident vasculaire, infarctus, insuffisance rénale…), s’ajoute le fait souligné par le Pr. Jean-Michel Halimi, que la prise en charge au titre d’affection de longue durée          a été supprimée- bel exemple d’économie à courte vue…
Parmi les pistes suggérées pour améliorer l’observance, l’information des patients, la formation des professionnels de santé à la communication sur les traitements, la création outils simples d’usage en consultation et à distance (si les firmes pharmaceutiques ne s’en occupent pas,  google ou microsoft le feront…), la mobilisation des  associations et entourage des malades…
Un point cependant semble négligé : « Bon nombre de patients sortent de chez leur médecin sans comprendre ni leur pathologie, ni leur ordonnance. (Face à un médicamet, ils voient bien ses effets indésirables, mais pas toujours son bénéfice » (G. Vergez, PDG d’Observia, cité dans Le Monde Economie, 12.11.2014).
Non, il n’y a pas assez de médicaments, nous manquons souvent de médicaments mieux tolérés, mieux ciblés, nous manquons même souvent de la compréhension du fait que certains tolèrent parfaitement tel médicament, et d’autres pas. Par exemple, pour ceux qui ne supportaient pas la toux comme effet secondaire des inhibiteurs de l’enzyme de conversion, l’introduction des antagonistes de l’angiotensine a représenté un progrès majeur dans le traitement de l’hypertension – malgré tous ceux qui prétendaient que nous avons assez d’antihypertenseurs.
Il y a là place pour de nombreux progrès thérapeutiques que la pharmacogénétique (la connaissance des relations du génome avec les effets des médicaments) devrait rendre possibles.
 

dimanche 7 décembre 2014

Fin de vie : le CCNE en retrait sur les demandes des Français


Un rapport intéressant, utile, révélateur
Le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) a récemment rendu et publié en ligne son rapport sur la fin de vie. Ce rapport est consultable librement, riche en informations, en interrogations et en débats, et, à ce titre, il est un élément bien utile pour le débat et les propositions de lois en cours.  Il reflète  semble-t-il fidèlement les opinions divergentes qui se sont exprimées au sein du Conseil.  Reste que ce qui se passe au sein du Conseil semble en décalage important avec ce qui se passe dans la société, et que cela pose problème. Et d’autant plus que le législateur semble vouloir davantage écouter un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des religions théocratiques que celles des citoyens d’une société laïque.
Le rapport se base sur les travaux de la Commission Sicard (Penser solidairement la fin de vie, 2012), issu déjà de nombreuses auditions, de débats publics dans neuf villes  et de missions en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et dans l’Etat d’Oregon aux Etats-Unis. A cela, le CCNE a ajouté une conférence de citoyens, qui s’est déroulée durant quatre week-ends à l’automne 2013, et a impliqué un dialogue des citoyens avec une vingtaine d’intervenants de tous horizons et de nombreux débats en région.
Il y a eu accord général sur « le scandale que constitue, depuis 15 ans, le non accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens ». Et pour que, au moins,  la loi Léonetti soit appliquée, le CCNE a appelé à une action vigoureuse  pour «  faire connaître et appliquer les dispositions légales actuelles garantissant les droits des personnes en fin de vie, ( notamment la rédaction de directives anticipées), d’accéder à des soins palliatifs, à un véritable accompagnement humain et à un soulagement de la douleur et de la souffrance » et également à « mettre en place un accompagnement au domicile, qui corresponde à la demande de l’immense majorité de nos concitoyens ».
 
Directives anticipées, sédation finale

Mais déjà en ce qui concerne l’application de la Loi Léonetti, le CCNE se fait l’écho de débats et de positions en retrait avec les souhaits des associations de patients. C’est le cas pour les directives anticipées : doivent-elles rester un souhait du patient, ce qui est le cas actuel ou devenir contraignantes comme le souhaitent la plupart des associations de patients ? Ou encore en ce qui concerne la sédation finale. Le CCNE pose la question : « La sédation profonde, en phase terminale, jusqu’au décès doit-elle accompagner la personne, en soulageant sa douleur et sa souffrance, mais sans accélérer la venue de la mort ? Ou peut-elle accélérer intentionnellement la venue de la mort, à la demande de la personne ? », se fait loyalement  l’écho de la position de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France : « la décision d’un geste létal dans les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie peut correspondre, aux yeux de la commission, aux circonstances réelles d’une sédation profonde telle qu’elle est inscrite dans la loi Léonetti » ; mais il tend à conclure en sens inverse : « le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable. » Ou encore « il existe une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit létal à une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration n’est pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge déraisonnables ». Traduisons :  laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie est aux yeux du CCNE, ou du moins de certains de ses membres,  une pratique civilisée et éthique.
Suicide assisté et Euthanasie : un combat à continuer
Le fossé est plus important encore en ce qui le suicide assisté et l’ euthanasie. L’opinion majoritaire du CCNE et clairement affichée : ni dépénalisation, ni a fortiori légalisation, même si le rapport mentionne loyalement des opinions minoritaires en faveur de l’une ou l’autre de ces pratiques. La majorité du CCNE considère qu’il existe une différence radicale entre suicide assisté et euthanasie, ce qui n’est pas l’avis des Conférences de citoyens puisque dans les deux cas, il s’agit, de la part de la personne malade, d’une demande d’assistance dans le but de mettre un terme à son existence. Certains membres du CCNE semblent en faveur de dépénaliser le suicide assisté, mais pas l’euthanasie. Le rapport rappelle que les situations internationales sont assez variées :  la Belgique a légalisé l’euthanasie, la Suisse, et les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont aux Etats-Unis, ont dépénalisé ou autorisé l’assistance au suicide, mais continuent d’ interdire l’euthanasie ; les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé (sous conditions) les deux pratiques.

En ce qui concerne le suicide assisté, le rapport CCNE présente les solutions retenues en Suisse et aux USA. Après plusieurs vérifications de la libre volonté du patient. La Suisse permet   l’assistance à la réalisation effective du suicide : la personne fixe la date, et doit s’y tenir. En effet, l’une des conditions pour obtenir une assistance au suicide est l’expression d’une volonté ferme et répétée. Si la personne décide de surseoir, et de repousser la date, le caractère ferme de sa volonté sera remis en cause.

Aux USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana), les personnes atteintes d’une maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir la prescription par un médecin d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait.  Seule la moitié des personnes qui se procurent le produit l’utilisent effectivement. La loi n’a pas entraîné une explosion de suicides : ces suicides assistés correspondant à 0.2% des décès.

Sur un point au moins, le CCNE se montre favorable à une évolution du droit, à propos de la non –assistance à personne en danger qui punit l’omission de porter secours à une personne ne péril de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Le CCNE note qu’ « il en résulte que la personne qui souhaite se suicider est contrainte à une totale solitude, ce qui soulève une question au plan de l’éthique et conduit à s’interroger sur la possibilité que le droit prenne en compte la particularité de cette situation précise. »

Le CCNE s’affirme donc majoritairement contre les  dépénalisations et légalisations du suicide assisté et de l’euthanasie, en soulignant « les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble. ». Il reprend aussi partiellement les considérations de la Commission Sicard. Parmi les arguments contre l’euthanasie, la Commission Sicard mentionnait le risque d’en « arriver à demander l’euthanasie par culpabilité de vivre. Près de 50 % des personnes malades et personnes âgées craignent d’être un fardeau pour leur entourage » et « de mettre la médecine en situation impossible en raison d’une culture médicale très radicalement opposée à celle-ci ». Elle se multipliait en avertissements prétendument moraux,  « mettant en garde sur l’importance symbolique du changement de cet interdit car l’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait du rôle et des valeurs de la médecine » et que « tout déplacement d’un interdit crée nécessairement de nouvelles situations limites, suscitant une demande indéfinie de nouvelles lois » ; soulignant avec force dans sa conclusion « qu’il serait illusoire de penser que l’avenir de l’humanité se résume à l’affirmation sans limite d’une liberté individuelle, en oubliant que la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à autrui et dépendante d’autrui » ; critiquant les partisans de l’euthanasie qui « tiennent un discours répétitif, fondé sur la revendication de la liberté inaliénable à exprimer des choix personnels » et risquent « d’être source d’une inflation des droits libertaires qui risquent de diminuer, voire de nier, les devoirs collectifs de solidarité ». Pourtant, cette même commission soulignait que « les expériences étrangères, dans leur diversité, ont suscité une bonne adhésion populaire, n’ont pas conduit à une destruction du système de santé, à des « hécatombes » de citoyens ou à la réalité de la pente glissante, au moins visible »

On le voit, nous sommes loin des demandes des citoyens français qui sont plutôt reflétées par le point de vue de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de 90% à cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins, favorables à 60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de l’Ordre des médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis Néerlandais depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en conscience et librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »

C’est bien de cela qu’il s’agit, d’une nouvelle liberté à conquérir, celle de choisir sa mort, sa façon de mourir. Mon corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient. Le fait que  la moitié de ceux qui peuvent disposer librement d’un produit létal, selon la législation de certains Etats américains, ne l’utilisant pas n’a pas d’autre signification : ne pas subir sa fin de vie, être libre d’en décider.

Le fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement sur ces sujets en retrait sur les demandes des citoyens pose problème,, et ceci étant lié, comme l’a relevé récemment Michel Onfray dans Marianne, pose aussi le problème de la présence dans ces comités de représentants des autorités religieuses.

En 2014, en France, on trouve encore légitime, éthique, de laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie. Décidément, le XXIème siècle ne sera pas théocratique, ou restera barbare…

Un débat (combat) important va avoir lieu, pour lequel se mobilise depuis longtemps l’AMDD (http://www.admd.net)

dimanche 30 novembre 2014

La chimie française balayée ?


Le gaz de schiste américain menace 10.000 emplois en France
L’augmentation du prix du gaz en Europe menace l’industrie chimique. L’industrie chimique consomme en France 10,4% du gaz importé, soit environ 10 Milliards de m3 le gaz, et, en valeur, 2 milliards d’euros.   Depuis deux ans, le prix du gaz a augmenté entre 5 à 7 euros le MegaWatt heures, avec un pic de 17 euros en décembre 2013. Cette augmentation  est principalement due aux tensions sur le marché international, avec l’abandon du nucléaire au Japon pour cause de Fukushima et en Allemagne, pour cause de démagogie et de bêtise. La situation ne va pas s’améliorer  avec la politique de sanctions envers la Russie (bien que celle-ci ne fournisse à la France que 14 % de son gaz, contre 38% pour la Norvège).  Pendant ce temps, aux USA, grâce aux gaz de schiste, le prix du gaz naturel a été divisé par quatre ! L’industrie chimique américaine bénéficie d’un prix du gaz trois fois inférieur aux industries européennes !
 
Conséquence : la chimie, ça gaze aux USA, et ça dégage sérieusement en France. Toute la filière éthylène  (éthers de glycols, solvants, peintures, éthanolamines, cosmétiques, tensioactifs, textiles (rayonne), colorants, insecticides, polyéthylènes, polyvinyles) est gravement menacée. Grâce aux prix bas du gaz aux USA, l’écart de compétitivité est de deux. Pour la filière chlore/ soude, l’écart est également de deux, et pour la filière ammoniac, il est de trois. (rapport Carbone 4 pour l’UIC). Autre méthode de chiffrage mentionnée dans le même rapport : pour le Polyéthylène, les USA bénéficient d’un avantage de 800 millions d’euros par ans, pour le PVC, de 450 millions d’euros par ans, pour l’ammoniac, de 160 millions d’euros par ans…

Donc, les industries chimiques investissent aux USA et vont désinvestir en Europe, et la situation change rapidement : « « Dans la production d'ammoniac, par exemple, où le gaz représente 70 % des coûts, les Etats-Unis devraient produire 5 à 7 millions de tonnes supplémentaires à l'horizon 2017-2018, alors qu'ils étaient importateurs nets de 7 millions de tonnes en 2012 » Au total, 117 milliards de dollars d'investissements ont été annoncés aux US, selon l'American Chemistry Council, qui menacent de nombreuses usines en France et en Europe. Ainsi, pour le Polyéthylène, le rapport de Carbone 4 précise : «  le différentiel de coût de production PolyEthylène est très supérieur au coût du transport transatlantique. La production excédentaire US attendue à horizon 2016 - 2017 peut s’écouler en Asie ou en Europe suivant la demande. Dans le second cas l’impact sur la chimie de base européenne et française sera massif ». Ou encore ceci, qui présage un tsunami dans l’industrie chimique française : « Le différentiel de coût qui est durable, combiné avec des surcapacité US, rend les installations de production des grands intermédiaires chimique en France parmi les moins compétitives au monde.

Rappelons que la France reste tout de même une grande puissance chimique : la chimie française  se situe au deuxième rang en Europe et au 6e rang mondial, a réalisé un chiffre d'affaires de 82,4 milliards d'euros en 2013 et emploie 158.000 salariés. L’industrie chimique est en France le troisième grand pôle industriel après l’automobile et la métallurgie ; et le bas prix du gaz américain, la relocalisation de l’industrie chimique aux USA  menace à très court terme 10.000 emplois en France.

 

Que peut-on faire ? Il serait tout d’abord justifié que l’industrie chimique se voit reconnaître le statut d’industrie gazo-intensive, et d’autant plus que le gaz, notamment dans la filière éthylène, est loin d’être seulement un combustible, mais la matière première même des fabrications ; l’industrie chimique ne brûle pas le gaz, elle le transforme.

Les industries situées dans le sud de la France sont défavorisées dans l’accès aux gazoduc, ce qui se traduit par un surcoût d’accès au gaz d’environ 20%.  Un meilleur accès au réseau Nord Sud doit être garanti et la CRE ( Commission de régulation de l’énergie) a déjà agi en ce sens. Cela ne suffira pas, et l’UIC (Union des Industries Chimiques) demande la création de nouvelles infrastructures notamment sur le réseau Gascogne Midi, ainsi qu’un meilleur accès au Gaz Naturel Liquéfié - la signature d’un accord récent entre EDF et le fournisseur de gaz de schiste américain Chenière va dans ce sens.

L’UIC demande encore le développement de la production de gaz  issu des anciennes mines de charbon du Nord et de l’Est et un effort rapide pour la production de gaz  renouvelable (biofermentation de la biomasse, méthanation du dioxyde de carbone).

Le message du rapport de Carbone 4 me parait un peu brouillé par l’appel à la recherche et à l’exploitation de gaz de schiste en France, alors qu’on ne sait pas combien il y en a, ni si on peut l’exploiter dans des conditions compatibles avec la géographie française- ce qui est sûr, c’est que, même s’il devait y en avoir en quantités intéressantes, on ne pourrait l’exploiter selon les méthodes et dans les conditions américaines très favorables. Nous n’avons plus de réserves indiennes à polluer sans limites.

En tout état de cause, cela ne suffira pas, et il faudra prévoir des mesures protectionnistes basées par exemple sur le coût réel pour l’environnement  des exploitations de gaz de schiste.

Chimie et transition énergétique : les chimistes ont des choses à dire
Par ailleurs, l’Union des Industries Chimiques et la Société Française de Chimie  souhaitent s’impliquer durablement et activement dans la transition énergétique – un congrès aura lieu à Lille sur le thème Chimie et transition énergétique en juin 2015. Il serait assez bienvenu que les autorités gouvernementales s’y intéressent et s’intéressent à ce que les chimistes ont  dire sur le sujet, notamment sur la conversion et le stockage de l’énergie, sur les matériaux photovoltaïques ( lumière et énergie) , sur l’exploitation de la biomasse et la nouvelle chimie du carbone à créer, sur les matériaux à inventer pour les énergies renouvelables, sur les applications de la chimie bio-inspirée pur l’énergie. La transition énergétique ne pourra se faire sans de vraies ruptures technologiques, sans une action importante de recherche et de développement qui impliquera au premier plan de nombreux aspects de la chimie.

Des choix sont faits, sans que soient pris en compte, connus, relayés, les avis pourtant clairs des experts. Par exemple ; il est clair que l’Allemagne a choisi le d’abandonner la lutte contre le réchauffement climatique en refusant le nucléaire. Dans les pays comme l’Allemagne, le Danemark, les pays –Bas, qui ont massivement investi dans les éoliennes, les émissions de CO2 par kilowatt.heures sont six à neuf fois plus importantes que la France ! Six à neuf fois plus importantes  !

Le SPD vient d’ailleurs de l’avouer : « On ne peut pas arrêter le charbon et le nucléaire en même temps ; et Hannelore Kraft, la présidente SPD de Rhénanie du Nord annonce voir « les centrales à charbon fonctionner encore pendant des décennies » (y compris d’ailleurs les centrales à lignite). Sigmar Gabriel, le vice-chancelier et président du SD, a rétorqué aux Verts qui le contestaient : « qu’ils devaient tirer un trait sur les illusions de la politique énergétique allemande ». Entre la lutte contre le réchauffement climatique, et la réduction d’ici à 2020 de quarante pour cent des émissions de CO2 et l’intérêt immédiat de l’’industrie allemande, les Allemands ont choisi. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas gagnée, et elle n’ira pas sans une forte pénalisation des énergies carbonées.  
 

samedi 29 novembre 2014

Abeilles brésiliennes contre abeilles tueuses, OGM et prolifération


La lecture réserve toujours de l’inattendu. C’est dans le volume consacré au Brésil de l‘excellente collection des dictionnaires amoureux (Dictionnaire amoureux du Brésil,  Gilles Lapouge, Plon)  que j’ai découvert le  drame des abeilles brésiliennes. En 1956, donc, le Brésil a acheté des abeilles africaines (mellifera scutellara) en Tanzanie qu’il souhaitait croiser avec l’abeille brésilienne d’origine européenne (mellifera ligustica ou mellifera iberiensis). Un centre expérimental de Sao Paulo se charge de l’opération. Cinquante-six reines africaines lui sont confiées ; au cours d’une manipulation, vingt-six s’échappent. Résultat : le Brésil, puis tous les pays d’Amérique du Sud, puis le Mexique, puis l’Amérique du Nord se trouvent confrontées à l’irrésistible invasion des « abeilles tueuses ».

Mellifera scutellara, plutôt débonnaire en Tanzanie, n’a pas un venin plus dangereux que celui des abeilles, mais leur transplantation a changé leur caractère ; elles chassent en meutes, et quand elles ont repéré une proie, c’est tout l’essaim qui conduit l’assaut : 1,00 piqures d’abeilles tuent aisément un homme de 70 kg. Depuis cinquante ans, près de deux milles personnes ont été victimes des abeilles africaines. De plus l’abeille tueuse, lorsqu’elle s’introduit dans une roche brésilienne, y prend le pouvoir :  les larves métissées naissent un jour avant les larves des abeilles brésiliennes. Résultat : «  hier, les apiculteurs brésiliennes s’occupaient d’abeilles dociles, joyeuses et laborieuses. A leur place, ils ont maille à partir avec des individus patibulaires que le moindre désagrément exalte, et qui tuent pour une contrariété ».

L’abeille européenne, comme son nom l’indique, n’était elle-même pas originaire du Brésil, mais y était arrivée en 1839, amenée par un missionnaire, le Père Carneiro, à partir de sept colonies qui ont quasiment éradiquées les abeilles indigènes. Celles-ci ont une production de miel moins abondantes, exigent davantage de soin, déposent leur miel dans des petits pots en cire, et non dans des cellules. Plus lentes que les abeilles européennes, elles se font voler les délicieux nectars par les abeilles européennes plus rapides. Mais elles sont les seules à polliniser certaines fleurs tropicales (orchidées, maracuja- fruit de la passion)… et sont dépourvues de dards.

Le Brésil essaie aujourd’hui de redévelopper des colonies d’abeilles indigènes.  C’est l’un des nombreux récits de catastrophes provoquées par l’homme, par l’introduction volontaire, intéressée, pour un gain en l’occurrence hypothétique et une catastrophe certaine, d’espèces invasives. Parmi les exemples plus dramatiques, rappelons les 12 couples de lapins introduits  en 1859 en Australie par  Thomas Austin, pour satisfaire son goût d’une chasse anglaise traditionnelle. 50 ans plus tard, on en compte 600 millions qui ont colonisé 60% du territoire. La construction d’un gigantesque mur n‘empêcha pas la prolifération dans toute l’Australie ; et les Autraliens ne trouvèrent pas mieux que de disséminer la myxomatose pour tenter de contrôler cette population proliférante...  Dans son excellente chronique scientifique du Monde, Pierre Barthélémy rappelair récemment l’introduction accidentelle de serpents Boiga irregularis dans l’île de Guam… et comment les Américains, pour protéger leurs GI , en sont réduits à parachutes des souris mortes intoxiquées au paracétamol pour tenter de s’en débarrasser. Et le problème encore plus commun et souvent  plus grave des plantes invasives mériterait un volume complet de chroniques.

OGM contre proliférations

Je voudrais terminer par un constat parfaitement provocateur. Avec le génie génétique, avec les OGM, l’homme sait créer des espèces qu’il peut contrôler. Si le développement, inévitable, souhaitable, bénéfique des OGM (au moins de certains) se poursuit, il sera l’occasion certes d’autres erreurs, d’autres drames ; mais en même temps que l’occasion, le génie génétique fournit aussi, à condition d’être bien utilisé, le remède. L’utilisation d’OGM devrait entraîner beaucoup moins de problèmes de proliférations nuisibles que les techniques et pratiques du passé ; le génie génétique nous a aussi donné ce pouvoir sur la nature.
 

vendredi 14 novembre 2014

Politique du médicament : bon anniversaire au CEPS !


C’était beaucoup plus mal avant !
Peu de gens connaissent le CEPS, et pourtant il joue un rôle essentiel dans notre système de santé. Le CEPS, c’est le Comité Economique des Produits de Santé, et c’est lui qui a la responsabilité de fixer le prix des médicaments, des dispositifs médicaux et de toutes les prestations prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Le CESP existe depuis vingt ans, et à l’occasion de son rapport annuel, propose un bilan de son action.
Qu’existait-il avant le CEPS ? Eh  bien, c’était tout simplement la préhistoire, et un état qu’aujourd’hui même le tiers monde ne nous envierait pas ! Les prix étaient fixés par une Direction dépendant du Ministère de la Santé, et le ministre de la Santé, ou des affaires sociales, dépendait, lui, de ses électeurs. Par transitivité, le prix du médicament dépendait de l’électeur du  ministre, et souvent, de la construction d’une usine dans la bonne circonscription. Au gré des changements ministériels et des différentes interventions, on a ainsi vu des projets d’implantation d’usine faire le tour de France, de la Normandie à la Loire-Atlantique, aux Vosges pour arriver en Corrèze. Pour faire bonne mesure, on frappait par surprise les firmes pharmaceutiques d’une « contribution exceptionnelle » arbitraire, lorsque les comptes de la Sécu dérivaient un peu trop.
Vingt ans seulement ! Le CEPS est né de la révolte d’un certain nombre d’acteurs du système de santé et de hauts fonctionnaires pour sortir d’un système injuste, arbitraire, inefficace, qui conduisait la Sécu à la ruine et l’industrie pharmaceutique à sa disparition – parmi lesquels son premier directeur, Jean Marmot, issu de la Cour des Comptes. Le rapport lui rend un hommage mérité en ces termes : « Jean Marmot, premier président du CEPS, à l’époque Comité économique du médicament, a jeté les bases de son fonctionnement institutionnel et de la relation conventionnelle avec l’industrie pharmaceutique. Ce dispositif original, qui porte incontestablement sa marque est d’abord né de la conviction que les méthodes de tarification des médicaments précédemment pratiquées faisaient courir des risques importants, en termes de sécurité juridique et politique. Il fallait une évolution radicale, et le Comité en a été l’instrument : il est devenu une instance de concertation interinstitutionnelle, où l’on décide réellement des prix des produits de santé, sur la base d’un pouvoir réglementaire autonome…loin de considérer le Comité comme une simple « machine à tarifer » et procurer des économies pour l’assurance maladie, Jean Marmot avait d’emblée pressenti qu’il pouvait, grâce à la politique conventionnelle, être considéré comme un vecteur d’une régulation plus large du secteur des produits de santé ». Jean Marmot est également l’auteur d’un rapport important sur la politique du médicament.

Le fonctionnement du CEPS
Comment le CEPS définit-il son rôle ? « Lieu d’échange et de découverte entre administrations et entreprises, le Comité a permis de prendre et tenir des engagements réciproques durables. Du côté de l’Etat, il s’agissait, et il s’agit encore de donner aux entreprises un interlocuteur unique, disposant de la capacité de décider, décidant de manière suffisamment prévisible – c'est-à-dire s’appuyant sur une doctrine et des critères clairs, la stabilité du Comité, de son fonctionnement et des règles qu’il applique est certainement un élément constitutif important- sans être évidemment le seul - d’un environnement administratif favorable aux industries de santé en France et répondant à l’évolution des besoins des patients mais également des établissements de santé. »
Concrètement, le CEPS conclut avec l’industrie pharmaceutique des accords par produits, souvent du type prix-volume, mais aussi sur le respect des posologies de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) ou le coût de traitement journalier moyen. Dans un accord prix volume, le prix est fixé en fonction du nombre de patients attendus; si le nombre de prescriptions est supérieur, le prix est revu à la baisse. Les engagements de type prix/volume représentent 75% des remises dues, soit 546M€ pour 2013. Elle sont concentrées sur un petit nombre de médicaments, fortement innovants et de firmes  :  Novartis avec le Lucentis (dégénerescence maculaire) et le Glivec (leucémie) ; Abbvie avec Humira (polyarthrite rhumatoïde) ; Pfizer (Ambrel, polyarthrite rhumatoïde) ; Astra Zeneca ( symbicort, asthme), BMS (Avastin, cancer, Yervoy, mélanome). Ces remises reflètent la difficulté à prévoir le succès et le juste prix d’un médicament très innovant (ASMR  amélioration du service médical rendu- supérieure à III) et la nécessité d’ajuster en fonction des résultats cliniques.
Il existe aussi une régulation financière collective liée au respect global par l’industrie pharmaceutique de l’objectif de croissance des ventes des médicaments remboursables. Elle comporte une part assise sur le chiffre d’affaires total de l’entreprise (10% du dépassement au-delà d’un seuil prévu dans la convention) et des remises quantitatives fonction de la place de l’entreprise dans les segments de marché par pathologie. Le Chiffre 2013 de consommation de médicament est de 24,7 milliards d’euros, et il est en baisse depuis deux ans (il n’ y a plus de remises pour clauses collectives).
Les pratiques du CEPS
Le CEPS revendique « une doctrine et des critères clairs, et offrant certaines garanties de visibilité sur un voire deux exercices annuels ». Voyons quelques exemples de la doctrine du CEPS :
Fixation du prix des médicaments innovants : depuis très longtemps, il était en effet tacitement admis, dans la plupart des pays, qu’un médicament apportant un progrès notable pouvait prétendre à un avantage de prix par rapport au médicament de comparaison, comme le code de la Sécurité sociale l’autorise en France. Dans certaines classes, en particulier les anticancéreux, dans lesquelles les innovations se sont succédées à un rythme assez soutenu, ce mécanisme a pu aboutir à des prix correspondant à des coûts de traitement considérables : jusqu’à environ 50 000 € par an et par patient pour certains produits. Le comité considère qu’à ces niveaux de prix l’accès au marché français constitue un avantage suffisant pour les innovateurs.
Pour les médicaments d’ASMR IV (forte amélioration du service médical rendu), la discussion du prix tient compte des caractéristiques de la population traitée. Par exemple, lorsque le médicament a la même population cible que son comparateur, le comité estime volontiers qu’un bénéfice suffisant de l'innovation pour l'entreprise consistera dans l'accroissement de ses parts de marché, sans qu'il y ait lieu d'y ajouter un avantage de prix. Il peut en aller différemment lorsque l'ASMR résulte d'un avantage spécifique pour une population plus restreinte.
Fixation du prix des génériques : la décote des génériques par rapport au prix du princeps, a été portée en 2012 de 55% à 60% pour les brevets échus à compter de janvier 2012. Lorsque du fait de la faible taille du marché concerné, du coût de production du générique ou du faible niveau de prix du princeps lié à son ancienneté, la mise sur le marché d’un générique ne peut se faire avec une décote de 60% par rapport au prix fabricant HT du princeps, le comité peut accepter d’appliquer une moindre décote.
Dans les classes pharmaco-thérapeutiques homogènes disposant d’une substitution générique importante, le coût de traitement des génériques d’un côté et celui des princeps de l’autre, est aligné vers les prix les plus bas. Le prix princept baisse donc lors de ‘introduction d’un générique
Politique de mee too : Le CEPS, contrairement parfois à la Commission de transparence (qui évalue le service médical rendu) ne  considère pas  des molécules différentes comme des mee-too, mais comme des médicaments différents, même s’ils ont des mécanismes d’action très voisins. Ils sont le fruit de recherches indépendantes et les risques courus à cette occasion par les entreprises sont analogues. « Il ne s'agit donc pas de "me-too" mais de concurrents arrivés sur le marché à des dates diverses. Le comité considère qu'il n'y aurait que des inconvénients à limiter a priori le nombre et la diversité de ces concurrents, tant pour des raisons de coûts (les nouveaux apportent, conformément au code de la sécurité sociale, une économie dans le coût de traitement) que pour des raisons médicales (même sans ASMR, une nouvelle molécule peut constituer un meilleur choix pour une partie des patients). Egalement parce que limiter l'accès au marché au premier ou au petit nombre de premiers arrivés, si tous les systèmes de santé en faisaient autant, ferait peser un risque insupportable de tout ou rien sur la recherche des entreprises. »
Alors, le CEPS a-t-il une doctrine sûre et fiable ?  Il a en fait mieux que cela, une démarche rationnelle et scientifiquement bien informée, médicale et économique au service des patients de façon à leur permettre l’accès aux médicaments au prix le plus juste possible, en tenant le cap entre les stratégies sophistiquées des entreprises et les pressions du gouvernement pour faire baisser les dépenses de santé : « Le Comité a assuré et assure toujours l’accès de tous les malades qui en relèvent, aux produits de santé nouveaux et innovants. Contrairement à d’autres Etats qui sont conduits à limiter cet accès, d’une manière souvent opaque, la France peut, de ce point de vue afficher des résultats remarquables, par exemple dans les domaines de l’oncologie ou des maladies rares. À ce jour, aucune innovation confirmée ne manque à l'arsenal thérapeutique des médecins traitants, et le nombre de médicaments orphelins disponibles y est l'un des plus élevés d'Europe ».
Le prix des médicaments
Le rapport du CEPS s’est enrichi d’une comparaison internationale du prix des médicaments, exercice qui n’a rien de facile en raison de systèmes très dissemblables (pour la méthodologie, cf annexe 8du rapport). Pour les prix des médicaments brevetés (coût d’un panier représentatif de médicaments), l’étude la plus complète est canadienne et donne : Canada 1 (référence), France 0.76, Italie 0.80, Allemagne : 1.11, Suède 0.90, Suisse : 1.01, Royaume-Uni : 0.80, USA : 2.02. La France a donc les prix le moins chers du panel, ce qui est remarquable comparé par exemple au Royaume Uni, où un système national  de santé (NHS) en pleine déliquescence restreint, voire interdit, l’accès à certains médicaments innovants d’une façon qui nous paraitrait insupportable- et que les Britanniques supportent de moins en moins.
Pour les médicaments génériques, l’étude la plus homogène avec la même méthodologie (panier type) est suisse et donne les résultats suivants : Suisse 100 (référence), France 81, Autriche 65, Danemark 38, Allemagne 47, Royaume-Uni 40, Pays-Bas 32. A noter qu’une étude par unité standard (médicament par médicament, sans tenir compte du volume de consommation) donne des résultats assez différents, selon lesquels la France est dans la moyenne basse européenne (enquête Gemme 2010 : France : 0.18, Port : 0.27, Belg. : 0.27, Allemagne : 0.24, Italie : 0.20, Royaume-Uni : 0.20, Espagne 0.18, Finlande : 0.18, Pologne : 0.11)
Donc, contrairement peut-être à l’opinion admise, les médicaments sous brevet sont peu chers en France, les génériques sont plus chers, mais pas à l’unité, essentiellement en raison de la structure volume prix : plus de consommation de génériques moins chers au Royaume-Uni et en Allemagne, par rapport à la France, ou, autrement dit, les génériques les plus consommés en France sont plus chers. Il y a peut-être là une piste d’amélioration, il semble qu’une politique généreuse de prix pour inciter les compagnies à mettre des génériques sur le marché ait été, justement,  un peu trop  généreuse, ; ce qui, par parenthèse, peut aussi décourager l’innovation.
En perspective sur vingt ans, le rapport du CEPS fait remarquer que le marché pharmaceutique a radicalement changé de physionomie. « Les brevets des blockbusters des années 90 sont pour leur grande majorité tombés dans le domaine public. Copiés, ils ont largement alimenté le développement du marché des médicaments génériques. L’innovation se concentre sur des domaines thérapeutiques plus ciblés : les médicaments orphelins, les médicaments de « niche » en oncologie, les thérapies ciblées constituent les secteurs d’innovation principaux. Sans être négligées, les grandes pathologies chroniques ne voient pas poindre d’innovations radicales. Le domaine de la virologie, après le traitement du SIDA, paraît être, avec les nouveaux antiviraux indiqués dans l’hépatite C, un secteur d’innovation majeure. »
Quelques questions cependant :

Il ne faut évidemment attendre de critiques fortes du rapport qu’un organisme fait sur lui-même. Encore une fois, le rôle du CEPS dans la santé publique française est de première importance, bien qu’assez ignoré, et un Parlement qui ferait sérieusement son travail l’examinerait et le discuterait de près avant de fixer l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) à pile ou face et de pleurer chaque année sur sa dérive. Il me semble que le  CEPS, sur les vingt ans, a plutôt bien fait le job, et qu’hommage doit être rendu à ceux qui l’ont fondé et présidé (Jean Marmot, Jean-François Bénard, Noël Renaudin, Gilles Johanet, Dominique Giorgi…, et à ceux qui y ont plutôt bien travaillé, pris entre l’enclume des industries et le marteau des pouvoirs publics.

La baisse de dépense des médicaments en 2012 et 2013 traduit-elle l’efficacité de la régulation, ou un début de renonciation à des soins pour cause de crise ? Le CEPS par définition ne s’occupe des produits déremboursés, il serait quand même intéressant d’avoir des études sur l’incidence économique et en matière de soin des déremboursements.

En lien avec cette question, une étude d’IMS Health France démontre que 60% des patients ne suivent pas complètement leurs traitements (87% des asthmatiques, 64% des insuffisants cardiaques, 63% des diabétiques,  60% des hypertendus). Ce manque d’observance a des conséquences graves pour les patients et pour l’économie de la santé : une hypertension mal soignée peut conduire à un AVC (coût direct 4 milliards d’euros par an), un diabète mal régulé entraine un recours plus rapide à l’insuline, assez couteux) et un risque accru de cécité ou d’amputation. Une meilleure observance des traitements conduirait à une consommation accrue de médicaments, mais à l’évitement de nombre de drames et finalement à une économie. Le CEPS doit donc intégrer, même si ce n’est pas sa mission première, la question de l‘observance des traitements. S’agit-il d’un problème de remboursement, de pédagogie, de médicaments possédant encore trop d’effets secondaires ?

Comment le CEPS traitera-t-il le cas, qui risque de se reproduire, du Sofosbuvir, ce médicament miracle contre l’Hépatite C de Gilead (le coût de traitement d’environ 60.000 euros, le nombre de malades de l’hépatite C est d’environ 200.000 en France ? (NB : Même à ce coût, il est nettement  moins cher qu’une greffe de foie pour les plus malades et médicalement , en terme de service médical rendu, incomparable). Mais pour l’instant, la politique semble être de le réserver aux plus atteints, alors qu’il est bénéfique pour les patients même à des stades plus précoces. Nous ne sommes pas loin ici de que le CEPS a jusqu’à présent évité, la restriction économique des soins et le droit, non pas à la santé, mais à être soigné pour tous.

Peut-on encore avoir une politique des prix des médicaments par nation dans l’espace européen ? Le système français est plus satisfaisant que beaucoup d’autres, comment le préserver ?

lundi 10 novembre 2014

L’ambassadeur Long Ma


Il s’appelle Long Ma, ou « esprit du cheval dragon - longma jingshen (龙马精神)». Il mesure 13 m de long et 12m de haut – 16 m. avec ses ailes déployées. Son poids est de 45 tonnes. La créature est contrôlée par des équipements et un système électronique avancés. Long Ma  peut marcher aussi capable galoper, se cabrer, se coucher. De la fumée sort de ses naseaux, et parfois même du feu, respire, crie, tire la langue. Une quinzaine de manipulateurs, suspendus sur ces flancs ou sur son dos, le fait mouvoir.
Long Ma est la dernière création de la compagnie nantaise La Machine, avec le soutien technique de la société chinoise Gehua. La Machine est une compagnie de théâtre de rue née en 1999 et dirigée par François Delaroziere et qui est surtout renommée pour  ses constructions et ses spectacles de marionnettes géantes spectaculaires, inventives, poétiques. Basée à Nantes, connue mondialement, elle a été choisie suite à un voyage en France du Président Chinois Xi Jinping sur proposition de Jean-Marc Ayrault, pour imaginer ue commémoration originale du cinquantenaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République Populaire de Chine. Long Ma a été acquis par un mécène chinois, transporté à Pékin en  Antonov, et s’est donné en représentation aux Pékinois, devant le stade olympique en nid d’oiseau, en présence de Laurent Fabius et de son homologue chinois Wang Yi.
Il y a une vraie volonté et une action dynamique, coordonnée, intelligente de la part du Ministre des Affaires étrangères de mener une diplomatie culturelle, artistique, technique, scientifique (objet d’un rapport récent sur lequel je reviendrai. Long Ma est un ambassadeur de poids  d’un certain savoir-faire français. Il était accompagné d’un buste de Prosper Gicquel (1835–1886), officier naval français qui commença par combattre les Chinois lors de la guerre de l’opium, puis devint le directeur européen du projet de l'Arsenal de Fuzhou, dont l’objectif était de créer une flotte chinoise moderne de bateaux de guerre et de transport, et d'éduquer les techniciens chinois aux techniques européennes. Les Chinois en ont profité pour faire savoir qu’ils seraient éventuellement intéressé par du matériel militaire français… sauf que, depuis 1989, un embargo européen interdit les ventes d’armes à la Chine.
Ainsi, la France assure une partie prépondérante des dépenses militaires, des interventions, des sacrifices de la politique militaire européenne, mais ne peut rentabiliser ses efforts en exportant des matériels militaires en Chine. Encore un effort pour une vraie diplomatie indépendante ?
 

Le Positivisme et la théorie cellulaire


Dans le numéro de juillet-août 2014 de La Recherche, Laurent Loison a publié un article d’histoire des sciences (Un Français contre la théorie cellulaire)  qui raconte l'opposition de Charles Robin, co-fondateur en 1848 avec Claude Bernard, de la Société de Biologie et positiviste déclaré  à la théorie cellulaire  de Schwann. Même si Laurent Loison, dans un article de toute façon intéressant, ne verse pas  dans la dépréciation facile, rebattue et injuste du Positivisme, il m’a semblé utile de préciser le point suivant dans une lettre qui a été publiée par la revue dans son numéro d’octobre.

Charles Robin était philosophiquement disciple de Littré, donc un positiviste « incomplet », aux yeux des positivistes orthodoxes de la rue Monsieur le Prince. Ceux-ci ne se sont pas privés de lui infliger une correction fraternelle (ce sont les meilleures !), justement sur le thème de la théorie cellulaire, en soulignant que  Robin tirait ses idées du Cours de Philosophie Positive de 1835 où Comte considérait en effet que l’explication scientifique en biologie devait s’arrêter au tissu, la cellule lui apparaissant en gros comme une notion métaphysique, voire comme un artefact microscopique. Seulement, faisaient-ils remarquer, Comte, en 1851, dans le Système de Politique Positive  (t. I, Introduction fondamentale, 3ème chap., p. 648-649), revenait sur sa condamnation de la théorie cellulaire  en ces termes :  « La grave lacune que signalait à cet égard mon traité philosophique  a été depuis, comblée suffisamment, surtout d'après les démonstrations comparatives de M. Schwann. Cette doctrine est maintenant la mieux élaborée de toutes celles que comportait l'essor isolé de la biologie, et la mieux adaptée à sa culture encyclopédique ».

Contrairement à l’idée répandue, le positivisme est un système complètement ouvert qui a pour vocation d’intégrer les connaissances lorsqu’elles sont devenues «positives», c’est-à-dire « certaines, précises, relatives, organisatrices ». Comte considérait que ce n‘était pas encore le cas pour la théorie cellulaire en 1835, mais plus en 1851.

Les positivistes en tant que groupe ne se sont pas plus opposés à la théorie cellulaire qu’à la théorie atomique - il y  eut des positivistes dans les deux camps. Et les littréens auraient gagné à ne pas ignorer le Système de Politique Positive !
 
 

Ipergay : Que fait le Comité National d’Ethique ?


L’essai Ipergay (Intervention préventive de l’exposition aux risques avec et pour les gays) vise à tester l’efficacité d’un traitement antiviral par le Truvada en préventif. L’essai qui a démarré il y a deux ans s’adresse à des hommes homosexuels ayant un comportement à risques. La personne doit prendre des comprimés avant et après un rapport sexuel à risques. L’essai a démarré il y a deux ans sur quatre cent personnes. Il comporta un bras placebo. Fin octobre 2014, des résultats partiels ont montré une réduction des contaminations de plus de 80%. L’étude a été arrêtée en tant que telle en ce que concerne le placebo.

Je pense résumer ici honnêtement la position des autorités françaises, de l’agence du médicament (ANSM), du Pr Delfraissy, directeur de l’ANRS (Agence Nationale de Recherche contre le Sida)  et de l’association Aides qui a soutenu l’étude: 1%) Il y a 200 fois plus de nouvelles contaminations par le VIH chez les gays que chez les hétérosexuels, et un nombre non négligeables d’homosexuels ont soit occasionnellement soit très souvent des rapports non protégés. 2) lorsque qu’une personne a pris le risque d’un rapport non protégé, il faut dans son intérêt et dans celui de la société lui proposer un traitement 3) L’efficacité de ce traitement doit être évaluée selon les règles habituelles.

Pour autant, cela me semble poser un certain nombre de problèmes graves :

1) lorsqu’une personne a eu un rapport non protégé, estimé à risque, il  est de bonne pratique médicale et humaine de lui proposer ou qu’elle-même demande, suite à une estimation du bénéfice risques un traitement antiviral. L’efficacité de tels traitements préventifs du sida, mais après risque de contamination est connue, validée, mesurée - elle se pose aussi pour le personnel médical lors de contaminations accidentelles.

Mais c’est une toute autre chose que d’encourager à des rapports non  protégés en proposant de prendre un anti-viral avant. La question de savoir si cette étude devait être faite se pose réellement.

2) En ce qui concerne les partenaires des  personnes participant à l’étude et prenant un traitement, les instigateurs du traitement ne peuvent-ils pas être considérés comme coupables d’encouragement à  une mise en danger de la vie d’autrui ?

3) En ce qui concerne les personnes participant  à l’étude dans le bras placebo, les instigateurs de l’étude ne peuvent-ils pas être considérés comme coupables de mise en danger directe de la vie d’autrui ?

4)  l’existence même de l’étude et, plus encore, la publication des résultats, constitue un risque considérable de brouillage de la seule prévention efficace, le préservatif. Le coordinateur de l’essai Ipergay, le Pr Molina a eu la prudence d’affirmer «  Nous n’avons pas encore de réponses sur l’acceptabilité de ce régime. Car il faut non seulement prendre le médicament, mais le prendre au bon moment. Ces modalités ne sont pas simples et ont nécessité beaucoup d’explications auprès des participants » (Le Monde, 29 oct 14). Ce qui signifie en passant que la réduction des contaminations de 80% est surévaluée, car obtenue dans un contexte très contraint, non représentatif de la réalité.

5) On voit bien l‘intérêt de certaines firmes pharmaceutiques à  proposer le remplacement de l’utilisation du préservatif par un traitement antiviral dit préventif (et on prend bien soin de confondre ici  deux choses, préventif du sida une fois un risque pris, et préventif comme l’est le préservatif). Mais on comprend plus mal, beaucoup plus mal, l’intérêt des « patients » et de la société, puisque le traitement préventif antiviral n’est pas dénué d’effets secondaires, impose des contraintes plus fortes que le préservatif, et possède une efficacité moindre.

Si l’association Aides a soutenu l’étude et a aidé à sa mise en place, d’autres représentants de la communauté homosexuelle sont nettement plus critiques. Stéphane Minouflet, membre de l’Association de suivi et d’information des gays sur la prévention  a estimé « La science n’est pas une roulette russe et les gays ne sont pas de la chair à canon…Et il faut penser au-delà de cet essai. Il est évident que si le Truvada est concluant, les gens ne prendront jamais la capote et le médicament. Ce sera l’un ou l’autre, ce qui représente un risque de contamination supplémentaire [pour les infections sexuellement transmissibles ». D’autre part, le médicament n’est pas dénué d’effets secondaires : atteintes rénales, baisse de la densité osseuse, nausées, vomissements, diarrhées, problèmes neuropsychologiques, problèmes de sommeil, perte de plus de 5% du poids corporel… »

Face à la gravité de ces questions, on demeure confondu que cette étude ait été réalisée sans avis du Conseil Consultatif National d’Ethique, sans réflexion éthique et sur ses implications, simplement par accord entre une association homosexuelle et le directeur de l’ ANRS, qui devrait quand même répondre à certaines question .Au surplus, la lutte contre le Sida et le Sida lui-même ne concernent pas que les homosexuels, même si ce sont les plus touchés. Et au-delà du Sida, il y a la recrudescence des infections sexuellement transmissibles, des stérilités pour les femmes, avec certaines souches qui commencent à devenir résistantes à la plupart des antibiotiques…
 

vendredi 7 novembre 2014

Par ici la Monnaie


Donc ce que les innocents identifiaient comme un sapin de Noel  assez moche était en réalité un plug anal, dressé au centre de la place Vendôme, un "enculeur" comme l’a traduit le toujours vert et excellent Delfeil de Ton,  qui s’est visiblement acharné à respecter la loi Toubon. Comme le relève le même, l’artiste  a été étrangement  reconnu par un inconnu (vous le reconnaîtriez, vous,Mc Carthy ?, bizarrement agressé au cri de « vous n’êtes pas français) et l’œuvre en question a été curieusement démontée, sans avoir été abimée.  Certes, l’ agression est toujours à déconseiller , si toutefois véritable agression il y a eu,  mais personnellement je suis toujours un peu étonné de l’attitude de ces provocateurs qui viennent pleurer chez maman Police lorsque leurs provocations suscitent réaction. Bref, tout cela , plug anal compris, ne sent pas très bon

Cela sent même fortement le margoulin et la Triplice de la bêtise, de la vulgarité et du fric. Ce magnifique endroit historique qu’était la Monnaie, à Paris, n’a rien trouvé de mieux, pour inaugurer sa « rénovation » que d’accueillir une exposition de cet artiste, où des plugs anals en chocolat sont produits en série. Si le cœur vous en dit ? Maintenant, pour une véritable sensation esthétique, allez plutôt déguster les  œuvres des chocolatiers de génie qui abondent dans le quartier, les historiques Debauve et Gallais, les Pierre Marcolini, Patrick Roger, Pierre Leroux, et pardon pour tous ceux que je n’ai pas cité : ce sont eux les véritables artistes.

Quant à la rénovation, parlons-en, la superbe et vénérable maison se trouve enturbannée d’une très voyante enseigne lumineuse, dont un hôtel de passe ne voudrait pas. On nous apprend qu’un restaurant de luxe, et c’est peut dire, va s’y installer, ainsi que de nombreux commerces. C’est bien le commerce ! mais les métiers qui ont donné leur âme, leur valeur, leur beauté à la Monnaie, le frappe de médailles, la ciselure, la fonderie, l’orfèvrerie, c’était pas mal non plus.  Naguère, quatre cents ouvriers travaillaient à la Monnaie, pour des médailles et statuettes inspirées par les plus grands artistes contemporains. Combien sont-ils maintenant, relégués dans un bloc métallique végétalisé !Et le très arrogant directeur de se vanter d’avoir donné « un coup de jeune «  à la Monnaie !

Au moins a-t-on échappé à la très impérialiste Cour des Comptes, qui monopolise à Paris un patrimoine immobilier incroyable et guignait la Monnaie. Mais il faudra tout de même grandement remercier, à l’occasion, M. Valery Giscard d’Estaing pour avoir sauvé l’Hôtel de la Marine de pareils outrages. Pour cela, toutes les constitutions européennes lui seront pardonnées !

lundi 20 octobre 2014

Les médicaments et le monopole pharmaceutique


De l’affaire des poisons au monopole pharmaceutique

C’est suite à la fameuse affaire des Poisons, qui dépasse le fait divers pour devenir une affaire d’Etat,  (1672 - les services d’empoisonneuses comme la « Brinvilliers »et la « Voisin” »auraient été utilisé par des membres de la Cour), que l’administration royale en 1682 publie la Déclaration des poisons qui impose des mesures qui concernent la préparation, la vente et la possession des substances vénéneuses. Depuis 1682 au moins, la profession de pharmacien n’est pas tout à fait comme une autre !

Le médicament n’est pas un produit de consommation – la nécessaire sécurité

Cette considération inactuelle retrouve néanmoins quelque actualité avec les projets de dérèglementation de la pharmacie d’officine, ainsi qu’avec le développement inquiétant du trafic de médicaments contrefaits, sur lequel Interpol ne cesse d’alerter  (Cf notamment Le Monde, 22 mai 14). C’est une plaie bien connue des pays en développement : dans certains pays africains, jusqu'à 50 % des médicaments en circulation sont des faux. On trouve ainsi dans les étals de rue quantité d'antalgiques, d'antipaludéens ou d'antibiotiques contrefaits.

Cependant l’Europe et les Etats-Unis sont loin d‘être à l’abri, en particulier avec le développement des pharmacies illégales ou fausses en ligne. Ainsi, en mai 2014, Interpol a mené  l’opération Pangée : dans 110 pays, douaniers et policiers ont saisi pour près de 30 millions de dollars de faux médicaments, arrêtés 239 suspects et fait fermer plus de 10 000 sites illicites. Parmi les médicaments saisis : des antibiotiques, des antalgiques, des hormones thyroïdiennes, des anxiolytiques ou encore des insulines. Les faussaires savent d’ailleurs, en bons ultra-libéraux, s’adapter à la demande ; ainsi, en 2010, sont apparus massivement de faux vaccins contre la grippe H1N1. Parmi les affaires récentes qui, en Europe, ont frappé l’opinion publique : en 2013, de fausses pilules amaigrissantes achetées en ligne ont entraîné la mort de 62 personnes, notamment au Royaume-Uni ou en Pologne.

Dans une interview au Monde, la française Aline Plançon, qui dirige la division d’Interpol consacrée à la criminalité pharmaceutique donne une raison simple de l’explosion de ce trafic : « On estime que 1 000 euros investis dans les faux médicaments peuvent rapporter entre 200 000 et 450 000 euros, contre 40 000 à 100 000 euros pour les contrefaçons de logiciels, 43 000 euros pour les cigarettes de contrebande et 20 000 euros pour le commerce de l'héroïne. Cet appât du gain est d'autant plus tentant que ce type de crime est très peu sanctionné et que le démantèlement d'un réseau suppose la coopération des différents pays impliqués. Les trafiquants écopent au mieux de quelques années de prison».  Un trafic ignoble, donc à réprimer plus efficacement et plus sévèrement !

Evidemment, il y a les suspects habituels, et, au premier plan,  les faux médicaments contre les problèmes d’érection : 360.000 cachets saisis par les douanes de Roissy en 2006, 49.790 boîtes de médicaments contrefaisant la marque Viagra® saisies à l'aéroport de Roissy en 2007,
400.000 cachets contrefaisant les marques Viagra et Cialis saisis au Havre en 2008. Mais le plus inquiétant est que ce trafic de faux médicament s’infiltre aussi dans les circuits pharmaceutiques officiels principalement dans certains pays d’Europe (Angleterre, ex-pays de l’Est et aux USA et concerne aussi des médicaments élaborés et vitaux. Ainsi, en avril 2014, le laboratoire suisse Roche a révélé que des contrefaçons de son Herceptin – un traitement contre le cancer du sein – avaient été découvertes au Royaume-Uni, en Finlande et en Allemagne. Certains flacons ne contenaient pas d'ingrédient actif et d'autres une forme diluée. En 2012, Roche avait déjà été visé par des faussaires qui avaient contrefait son anti-cancéreux Avastin et réussi à introduire les fioles dans le circuit de distribution officiel aux Etats-Unis et en Europe. Parmi les cas de médicaments introduits dans le marché licite, l’agence du médicament signale :  Herceptin 150 mg (trastuzumab) : présence d’un médicament anticancéreux  contrefait sur une partie du territoire européen (Allemagne, Royaume Uni et Finlande) (11/04/2014) ; Pegasys®  180 µg/0,5 ml solution injectable en seringue pré remplie (peginterféron alfa-2a) : Information relative à un cas de falsification d'une spécialité pharmaceutique intervenue sur le territoire allemand (13/11/2013) ; Glivec 400 mg , comprimé pelliculé - Novartis Pharma : produit saisi et identifié par les douanes maltaises ; Sérétide 250 Evohaler (antiasthmatique) identifié au Royaume-Uni en 2009 ; Plavix®  (antiagrégant plaquettaire) identifié au Royaume-Uni en 2007, l'analyse des produits contrefaisants a révélé un sous-dosage en principe actif, voire une absence de principe actif ; Casodex®  (traitement du cancer de la prostate) identifié au Royaume-Uni en 2007 ; Zyprexa®  (neuroleptique) identifié au Royaume-Uni en 2007 ; Spiropent®  (antiasthmatique) identifié en République Tchèque en 2006 ; Lipitor® (médicament hypocholestérolémiant) identifié au Royaume-Uni en 2005 et 2007 ; Reductil®  (médicament anorexigène) identifié au Royaume-Uni en 2004 ; Cialis®  (traitement du dysfonctionnement érectile) identifié au Royaume-Uni et aux Pays-Bas en 2004

Sur le continent nord américain, la Food and Drug Administration a signalé 7 trafics majeurs de produits contrefaits ont été relevés portant à la fois sur des produits classiques de nature chimique et sur des produits innovants de biotechnologie : Neupogen®  (filgrastim) ; Proscrit® (epoétine alpha) avec une concentration en principe actif 20 fois inférieure aux données de l'AMM ; Serotim®  (somatropine, hormone de croissance biosynthétique) ; Combivir®  (mélange lamivudine, zidovudine) remplacé par du ziagen® (abacavir) ; Zyprexa®  (olanzapine) dont le principe actif avait été substitué par de l'aspirine ;Lipitor®  (atorvastatine, hypocholestérolémiant).

Vous avez aimé la dérèglementation dans la finance, vous adorerez la dérèglementation dans la santé

Donc, dans les circuits licites de vente de médicament déréglementés, on trouve des anticancéreux – et parmi les plus chers- , des antiagrégants plaquettaires, des médicaments contre l’asthme, contre le cholestérol,  sans principe actif, et du viagra plus proche des brouets de sorcière que d’un médicament.

Rappelons qu’un médicament n’est jamais anodin : l’aspirine peut entraîner des hémorragies mortelles, des perforations intestinales, etc. A plus de 6 g par jour, la paracétamol entraîne de graves attentes hépatiques et est mortel- au-delà. En France, où il est vendu en pharmacie, il est responsable d’environ 6 morts par surdosage par an; en Grande-Bretagne, où il est en libre accès, c’est 200 à 300 morts par ans..

Non, le médicament n’est pas un produit de consommation, et n’est jamais un produit anodin. C’est pourquoi il doit continuer à  être délivré en pharmacie. L’accès aux médicaments doit être garanti sur tout le territoire : on sait à quoi, à quels déserts médicaux, selon l’expression maintenant usitée, a abouti la liberté d’installation des médecins et l’auto-régulation du nombre de médecin par le malthusianisme à courte-vue de l’Ordre des Médecins- Veut-on vraiment la liberté d’installation des pharmaciens, et la libre possibilité pour des investisseurs d’investir uniquement dans les pharmacies les plus rentables ?

Quant aux pharmaciens et à l’industrie pharmaceutique,  il est de leur devoir d’assurer une disponibilité rapide et sans défaut des médicaments, ce qu’ils réussissaient naguère grâce à un système de répartition efficace ; les multiples pénuries de médicaments qui se sont produites ces dernières années témoignent d’une dérive inquiétante, qui ne peuvent que les desservir, et auxquelles il faut mettre un terme. Oui au monopole pharmaceutique, mais avec les devoirs et responsabilités qui vont avec !

La régulation est ici indispensable- autrement dit, si vous avez aimé la dérèglementation dans la finance, vous adorerez la dérèglementation dans la santé.