Noir, c’est noir ?
Disons tout de suite que le livre de Patrick Artus, économiste chez Natixis, qui a fait l’objet d’une table ronde aux rendez-vous de l’Histoire de Blois coprésentée par Jean-Marc Vittori, se présente, malgré son titre, comme un plaidoyer et un espoir pour l’Euro.
Sauf que, au fur et à mesure de
la conférence, le sentiment qui
s’instaurait est qu’au contraire, l’euro est une voie sans espoir et qu’il faut
en sortir le plus rapidement possible …
Compte rendu et
commentaires :
L’impossible coordination
« Des pays qui n’ont pas
la même monnaie n’ont pas besoin d’une forte coordination. Les politiques des
salaires et politiques fiscales différentes sont corrigées par des dévaluations
proportionnelles des monnaies. Des pays
qui ont la même monnaie ont au contraire besoin de se coordonner puisque en
cas de déficit d’un pays, tous les autres en subissent les effets.
Entre les pays de la zone euro,
tout ce qui crée de l’hétérogénéité est mauvais. Sans avoir les mêmes règles
fiscales et sociales, il y a un réel problème de dumping. Mais comment
harmoniser les marchés du travail ? On a pris des pays qui ont des salaires 4
fois plus bas que nous… on n’aurait pas du. Et le tir va être difficile à
corriger c’est certain…
C’est pourquoi les progrès institutionnels
doivent concerner la zone euro si on veut que ça marche. Une union économique
et monétaire a beaucoup d’inconvénients : même taux d’intérêts, impossibilité
de dévaluer… ce qui aboutit à une perte
considérable des libertés des politiques économiques. Elle a en revanche un
avantage économique : grand marché intérieur avec des grandes entreprises plus
concurrentielles (car économies d’échelles) dans le reste du monde. »
Commentaire : Ben oui, Il y a qu’à. Sauf que quand l’Allemagne l’a
proposé (de manière tellement utopique avec un espèce de gouvernement franco
allemand que l’on peut douter de son sérieux), la France n’en a pas voulu ..
Et maintenant, la France revient sur le sujet, mais l’Allemagne n’est plus
d’humeur à… Ni aucun autre pays d’ailleurs, surtout ceux qui craignent un
condominium franco-allemand
L’impossible convergence, la spécialisation contrainte
Mais dans quelle mesure le
marché unique a-t-il vraiment stimulé les échanges intérieurs ? Les études
d’économistes montrent qu’en fait c’est
surtout l’Allemagne et l’Angleterre qui ont profité du marché unique (la France
assez peu). Dans le domaine des énergies renouvelables nous avons été
incapables de créer une grande entreprise européenne, et ce sont les chinois
qui l’ont fait.
La disparition du risque de change permet une
spécialisation des pays de la zone (chacun fabrique ce dans quoi il est le
mieux placé). Cette disparition facilite aussi la circulation des capitaux et
permet d’investir avec de l’épargne accumulée dans un autre pays. Mais ça c’est
en théorie. Dans les faits les choses se sont un peu moins bien passées…
au début la spécialisation a
l’air de fonctionner. Electronique : région Rhône Alpe/Autriche, agriculture :
Espagne, France... Il serait inefficace aujourd’hui de se remettre à fabriquer
de tout partout (quoi qu’en disent les catalans). De même l’épargne a beaucoup
circulé : les excédents de l’Allemagne et des Pays Bas servaient à prêter de
l’argent à la Grèce, l’Espagne… entre 99 et 2008 : l’Allemagne a prêté 3000
Milliards d’euros aux pays du Sud.
Mais à la fin des années 2000 émergent les
conséquences du 1er déficit de réflexion : si des pays se spécialisent à
l’excès, leurs structures économiques deviennent très différentes. Cela
entraîne une divergence des niveaux de revenus entre les différents pays…
prévisible et inévitable ! Il était assez naïf de croire que du moment qu’on a
la même monnaie on a la même économie… c’est
une terrible erreur d’analyse de ne pas avoir réfléchit à l’hétérogénéité
engendrée par la spécialisation des nations membres.
Patrick Artus, de mémoire, a
même été plus sévère ; l’idée vendue par les promoteurs de l’euro que
celui-ci entrainerait une convergence des économies n’était qu’une escroquerie,
démentie par les théories économiques les plus solides. Une même monnaie pour
des économies hétérogènes entraine au contraire une divergence et une
spécialisation des économies. Donc ce qui était prévisible, avec l’Euro,
l’Allemagne renforce son industrialisation, l’Espagne et l’Italie se
désindustrialisent et se spécialisent… dans quoi : le tourisme et les
primeurs et fruits à bas coût… Et la France dans quoi ? le tourisme, la
viticulture, la gastronomie, quelques services publics, un peu d’agriculture.-(cf
Houellebecq)
Ce n’est pas ce qui a été
annoncé aux peuples européens, et ce
n’est pas ce qu’ils veulent. Donc, dès qu’on leur donne la parole, ils ont
dit, disent, et diront logiquement non. (Auguste Comte : si les peuples ne
savent pas ce qu’il leur faut, ils savent parfaitement ce qu’ils veulent, et
nul ne doit le vouloir pour eux- avis aux technocrates européens !)
Pour remédier à l’hétérogénéité
engendrée par la spécialisation des économies, il faut à l’intérieur d’une
union monétaire une dose de fédéralisme, qui permet de transférer des fonds
depuis les zones les plus riches vers les zones les plus pauvres, de façon
automatique. Sous-entendu sans que les plus riches aient à donner leur accord à
chaque fois puisque visiblement, la solidarité entre états n’est pas durable…
C’est exactement ce qu’on
observe aux Etats-Unis où les transferts entre Etats sont énormes. Là-bas, si un état perd un euro, le système fédéral
lui rapporte 60 cents (en Europe, pour un euro perdu c’est un cent seulement…)
ils sont en fait bien plus solidaires que nous. Il faut que la contribution des pays riches soit structurelle et que
les zones riches transfèrent automatiquement des fonds vers les régions
pauvres. Sinon, les pauvres le seront de plus en plus et les riches idem.
Aux Etats Unis, malgré l’énorme budget fédéral, les disparités demeurent
énormes. C’est la limite de la spécialisation.
Les politiques misaient tous
sur le Bell out : si un des pays a un problème de dette, les autres pays de la
zone viendront le renflouer… ce qui ne fut pas le cas, ou un temps seulement.
De plus, si l’inflation a été uniforme dans toute la zone, du fait de
l’hétérogénéité des économies, le niveau de vie se met à varier d’un pays à
l’autre. Ce qui apparaît donc ici clairement comme frein à la prospérité de la
zone euro, c’est l’égoïsme des nations
les plus riches qui veulent pouvoir bénéficier des avantages du marché unique
sans en subir les inconvénients. Ce manque de solidarité s’observe d’ailleurs
au sein même des pays, l’actualité en Espagne en témoigne.
La grande crise pour l’Europe
fut celle de 2011 à 2014, quand l’Allemagne a cessé de prêter au pays du Sud.
De façon brutale, le déficit extérieur de ces pays n’a plus été financé, ce qui
les a obligé à le réduire en contractant les dépenses intérieures. L’austérité
est en fait une conséquence de l’arrêt brutal du financement Allemand.
L’Europe a bien tenté quelques réactions
défensives : création du Mécanisme Européen de Stabilité = fond qui peut prêter
aux pays en difficultés pour éviter ce genre de crise + Politique économique
ultra-expansionniste, avec des taux d’intérêts à zéro. Mais si on a développé
ces mécanismes défensifs, on n’a pas réglé l’origine des crises en Europe.
Commentaires : pas
vraiment besoin. L’Espagne et la
Catalogne, qui provoque des sueurs froides chez nos eurocrates, ont bon dos, mais que je sache, l’Allemagne
n’est pas non plus très partante. Pour que l’Euro fonctionne, il faudrait que
l’Allemagne, continument, accepte de transférer aux autres pays européens
plusieurs fois (2,3 ?) l’équivalent de l’effort consenti pour l’intégration
de l’Allemagne de l’Est. Y-a-qu’à croire ! Et à prier pour que la
Catalogne ne donne pas des idées à l’Ecosse, à la Padanie, à la Flandre, à la
Bavière….
Et pourtant, M. Artus s’est
montré assez méprisant vis-à-vis des partisans de la sortie de l’euro, sauf qu’il
ne se donne pas la peine de leur opposer des arguments sérieux, répétant par
exemple que la dette est en euro et non en monnaie, nationale, ce qui a été
contesté ; que « l’euro
n’éclatera pas car les pays européens se sont imbriqués réciproquement par
leurs dettes » ( tout en reconnaissant que la plus grande partie des
dettes se compense- l’Espagne prête à l’Allemagne !, et que les dettes
nettes ne représentent qu’une infime partie de la dette totale) et que la
solution une monnaie commune et une monnaie nationale est baroque et
extrêmement compliquée ( toute en reconnaissant que la Chine fonctionne , et
pas trop mal , sur un mécanisme analogue..)
Au terme de cette conférence
qui se voulait optimiste sur l’euro !!, la conclusion semble s’imposer : noir, c’est noir, et l’euro
c’est fichu. C’est parfaitement prévisible, il éclatera tout comme a éclaté le
franc de l’Union latine, et tout
économiste sensé devrait se préoccuper de penser l’après euro, pour au moins
garder une organisation européenne…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.