Le paquet Monstre :
5000 pages pour plus de libéralisation, moins de sécurité, moins d’égalité
La
commission européenne a livré dernièrement son 4ème paquet ( le Winter Package !) de
recommandations et directives intitulé « une énergie propre pour tous les
européens ». Ces textes ont vocation à devenir – après vote du
parlement européen, puis du conseil, des
règlements d’application immédiate dans tous les secteurs concernés ou des
directives à transposer en droit français avant mise en œuvre.
L’Europe
de l’Energie (après celle de la métallurgie et du charbon !) s’est mise en
route au début des années 1990. Le premier paquet concerna la libéralisation du
marché de l’énergie ; le deuxième paquet (2003 ) a organisé un accès
régulé des tiers au marché et la libéralisation pour tous les particuliers. Le
troisième paquet (2009) a imposé l’indépendance des GRT (réseaux de transport)
et un réseau européen de gestionnaires
de réseaux de transport, l’ENTSOs. Le
quatrième paquet affiche des ambitions
de réduction des émissions de CO2, d’énergie renouvelable et d’efficacité
énergétiques (traduisez un consommer
moins).
Des
ambitions nobles mais dans la pratique, ouverture des marchés et libre
circulation de l’énergie se sont concrétisées par des transformations
brutales de nos entreprises et sont loin d’avoir tenu des promesses
faisandées dès le départ. : l’accès des
tiers au réseau, séparation d’EDF en deux, ouverture des marchés … Au final des entreprises fragilisées, et des consommateurs qui voient leurs factures
augmenter. Des ENR certes en progression, mais à quel prix ?
Ce paquet énergie,
c’est 5000 pages porteuses
d’éléments à forts impacts pour l’avenir des salariés, des entreprises, des
clients, qui vont encore plus dans le sens de la libéralisation du marché de
l’énergie et de la dérèglementation, au point
de mettre en péril l’accès égal de tous à l’énergie, et d’ailleurs l’accès à l’énergie tout court. Or parmi les rapporteurs des textes au parlement
européen, il n’y a aucun parlementaire français, et selon la pratique européenne, Il ne faut pas compter sur des marges de
manœuvre possibles lors de la déclinaison !!! au parlement français –
il sera alors trop tard. Et le calendrier politique en France ne facilite pas
l’implication des hommes politiques français- à l’exception notable des
Sénateurs de l »’Ancien Monde » ( c’est-à-dire pas des beni oui oui
du libéralisme d’En Marche) qui à travers un rapport sénatorial très fourni ont
publié une très sévère et inquiète mise en garde : cf. Rapport n°435 de la
Commission des Affaires économiques, 22 février 2017, L. Poniatowski, J. Bizet
et M. Delebarre)
Les points problématiques : décarbonation, tarifs
régulés, stabilité du réseau, égalité tarifaire, perte de contrôle du réseau à
l’échelle nationale
Un objectif de - 40%
d’émission de C02 en 2030 par la
commission… mais une impasse majeure dans les textes sur la contribution du
nucléaire en tant qu’énergie décarbonée, alors que celui-ci reste un atout
majeur pour la décarbonation de l’énergie. Sans nucléaire, l’objectif de rester
à moins de 2° d’augmentation de la température sera enfoncé.
La suppression des
tarifs régulés, tel que les tarifs réglementés de vente (TRV) de l’électricité
Les
textes demandent un arrêt immédiat des
tarifs particulier réglementés de l’électricité et du gaz. Outre les pertes de
part de marché attendues pour les entreprises et l’impact sur les emplois
commerciaux du segment particulier, la mesure est sans justification dès lors que
ces tarifs sont contestables par les fournisseurs alternatifs. Leur suppression
expose le consommateur d’autant plus que d’autre mesures rendent obligatoires de
proposer au consommateur une tarification
dynamique (indexée sur le prix marché) et qu’une autre prévoit le déplafonnement total des prix de gros de
l’électricité et l’interdiction d’un prix plancher…
Une
tarification dynamique qu’es aco ?
une étude de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) montre qu’un pic
extrême aboutirait à multiplier par 1000
la valeur du prix horaire, soit en une
heure l’équivalent d’une semaine ou un mois de consommation. C’est lorsque vous
aurez vraiment besoin de chauffage que vous le paierez très très cher !!!!
Les Mécanismes de
capacité remis en cause et les contrat long terme non confortés… Vers le black
out !
Les
mécanismes de capacité (ils sont indispensables pour assurer la sécurité d’approvisionnement électrique aux périodes de
pointe de consommation), dans un contexte durablement marqué par l’essor de la
production d’électricité intermittente
devraient se trouver confortés. Pourtant il n’en est rien :
conditionnés à la réalisation d’une étude à l’échelle européenne, révisés
annuellement et qui plus est sans cadre de réciprocité entre états membres,
comment pourraient-ils conforter les investissements et mener une
politique de long terme ?
De
manière assez étrange, les mécanismes de
capacité allemands reposant sur des centrales à charbon se trouvent confortés
tandis que ceux d’EDF seraient invalidés. Comme quoi le lobbying européen est
important et certains le pratiquent mieux que d‘autres.
Droit des
« communautés d’énergies renouvelables » de produire, consommer, stocker
et vendre de l’énergie… mais aucune étude sur la stabilité du réseau et la fin
de l’égalité tarifaire
Avec
le développement des ENR et leurs intégrations
le droit des « communautés d’énergies renouvelables » de
produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie est affirmé (ainsi que
le droit à l’autoconsommation d’ENR
individuelle et collective et à la vente des surplus d’électricité). L’encadrement de ces nouveaux modèles
énergétiques plus décentralisés est absolument nécessaire pour préserver la
solidarité entre les territoires et la péréquation tarifaire. Aucune des
conséquences possibles et gravissimes sur l’optimisation des réseaux et la
sécurité même de l’approvisionnement ne sont envisagées, non plus que sur la
robustesse du mode de financement des réseaux. Fort légitimement, le Sénat
s’est intéressé aux effets néfastes attendus sur l’égalité entre les territoires et la péréquation et a publié un rapport
très critique sur la quatrième paquet.
un transfert de
souveraineté des États vers l’Europe en matière de sécurité d’approvisionnement par la création
de centres opérationnels régionaux, les fameux « ROC » (regional operational
centers). Véritables entités supranationales, ceux-ci accapareraient les
pouvoirs dévolus au gestionnaire de réseau de transport, notamment RTE, avec
une perte de maîtrise de nos conditions d’approvisionnement.
Réactions syndicales et sénatoriales
Plusieurs
syndicats, dont CFE-CGC énergie, FO énergie, CGT énergie se sont montrés très
critiques et inquiets vis-à-vis du Paquet Monstre de la Commission européenne.
Parmi leurs principales recommandations :le traitement de la question de
fond en matière climatique de la contribution
de l’énergie nucléaire en tant qu’énergie décarbonée ainsi que la mise en
place d’une tarification forte du carbone
à l’échelle européenne et donc la réforme déterminée du système d’échange
des quotas (ETS) ; l’’opposition à la suppression
des tarifs régulés de l’électricité ainsi que celle de faire obligation aux
fournisseurs de proposer une offre de
tarification dynamique ; l’’encadrement des nouveaux modèles énergétiques plus décentralisés pour préserver la solidarité entre les
territoires (et la péréquation tarifaire), l’optimisation des réseaux ainsi que
la robustesse de leur mode de financement ;,un cadre sûr pour les contrats longs termes et les mécanismes
de capacité pérennes en tant que levier de l’investissement et la sécurité
d’approvisionnement électrique.
Quelques commentaires du rapport sénatorial (Rapport n°435 de la Commission des Affaires économiques)
« Le dogme
selon lequel le marché pur serait gage d’harmonie absolue pour tous les
consommateurs, les producteurs et les territoires inspire largement les textes.
Le passage de compétences en principe partagées entre l’état et l’UE à une
compétence européenne quasi exclusive se fait sentir sur un certain nombre de
points. L’utilisation excessive des normes et règlements au détriment d’une
ambition politique est évidente. »
« On
regrettera cependant qu’un tel volume (5000 pages), en partie justifié par la
technicité des sujets abordés, rende malgré tout difficile son appropriation
par les citoyens. J’ajoute que cela fait déjà presque trois mois que les textes
ont été présentés et que de nombreux volets ne sont pour autant toujours pas
traduits en français !
L’électricité est
un bien de première nécessité, ce que la Commission européenne semble oublier… »
« En matière
de compétence européenne sur l’énergie, nous sommes passés d’une compétence partagée
à une compétence imposée ! »
« Toute
évaluation de la politique européenne, et en particulier, un bilan indépendant
de la Commission des étapes précédentes de la politique de libéralisation de
l’énergie s’avère impossible à obtenir : « Mon intention était que la
Commission européenne nous fournisse un rapport avec des chiffres sur longue
période, couvrant l’ensemble de l’Europe, pour comparer les objectifs initiaux
et les résultats de la construction du marché intérieur de l’électricité. »
(Amendement de M. F. Montaugé considéré comme impossible à réaliser)
Paquet Hiver Energie,
ou comment une fois de plus la Commission Européenne se rend détestable !
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