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samedi 8 juin 2019

A Michel Serre- à propos de l’incendie de Notre Dame


Dernière interview de Michel Serre dans Le Monde, rediffusée dans Le Monde du 4 juin 2019 :

Philosopher, c’est passer partout. Extraits concernant l’incendie de Notre Dame.

« Que révèle, selon vous, l’émotion collective qui a traversé la France lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris ? Comment penser cet événement ?

J’ai résidé quarante-sept ans aux Etats-Unis, et j’étais présent sur le sol américain lors des attentats du 11 septembre 2001. Un attentat n’est pas un accident, et l’incendie de Notre-Dame n’est pas comparable au 11-Septembre : il n’y a aucun mort à déplorer. Mais intéressons-nous au retentissement ainsi qu’à la symbolique de ces événements. Les tours jumelles de New York symbolisaient la puissance temporelle américaine, basée sur l’armée et le dollar. Cette attaque fut un coup porté au narcissisme des Etats-Unis et à leur domination planétaire. Avec l’incendie de Notre-Dame, au contraire, nous avons pris soudain conscience d’une puissance spirituelle qui a duré des millénaires. Dans un cas, nous fûmes mis en face d’une puissance temporelle qui, comme tous les pouvoirs de cette nature, s’écroulera à court terme ; de l’autre, nous étions placés devant une puissance spirituelle qui résiste à l’effondrement du pouvoir temporel. C’est cette énigme qui me frappe et m’interroge.

Pourtant, philosophes, historiens et sociologues ne cessent d’analyser la sécularisation, la sortie du religieux ou la déchristianisation de l’Occident…

Du point de vue des historiens, ce pouvoir spirituel est fondé sur des histoires, des contes et des fables, l’existence des fondateurs des religions n’étant pas toujours attestée. Ce n’est rien, disent-ils souvent. Mais plus ils disent que ce n’est rien, plus je réponds : comment se fait-il que cela dure depuis des millénaires ? Or nous sentons le temps à travers des puissances qui disparaissent, comme des strates, des couches feuilletées. Cette extraordinaire durée, qui n’a rien à voir avec l’épée ni avec le dollar, est bien la plus profonde. Le christianisme, le judaïsme, le confucianisme ou le bouddhisme perdurent malgré tout : laïcisation de la société, érosion des fidèles, montée de l’individualisme et de l’économisme, etc. Il s’agit d’une réalité transhistorique. Je voudrais donc insister sur la pérennité de notre souvenir à travers des choses qui ne sont pas documentées. Car c’est cela le spirituel, ce « 0 » qui engendre une histoire très longue, comme des peintures, des sculptures, des monuments. On a dit qu’avec Notre-Dame, c’était le cœur de Paris qui avait été touché. Mais pourquoi le cœur de Paris, ce n’est pas l’Arc de triomphe ou l’obélisque de la Concorde ? Parce que les guerres, les conquêtes et les gouvernants passent, mais le spirituel demeure. C’est pourquoi cet incendie a réveillé en moi une profondeur historique et existentielle inouïe. C’est comme si une bombe qui avait explosé depuis des millénaires produisait encore ses effets aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle l’événement a fédéré les gens qui avaient une religion et ceux qui n’en avaient pas.

Avait-on oublié les racines chrétiennes de l’Europe ?

Ceux qui se disputent à ce propos se battent inutilement. Rien n’est jamais sorti d’un débat. Je suis historien des sciences. Et les inventions, croyez-moi, c’est tout autre chose qu’un débat ! »

Sans que le nom Auguste Comte, ni le mot positivisme ne soient prononcés, c’est l’une des analyses les plus positivistes qui soient. Sans le réduire à une doctrine, qui mériterait d’ailleurs un anorgiamento,  Michel Serre n’hésitait pas à faire l’éloge de Comte et rappelait par exemple que Le Contrat Naturel s’inscrivait dans la filiation de la Terre considérée comme Grand fétiche et donc des derniers écrits de Comte, ceux concernant la Religion de l’Humanité ceux que personne ne lit, disait-il avec son humour caractéristique ( sauf lui, apparemment, tiens et moi) (cf l’entretien avec Raphaël Enthoven, Michel Serres parle de la "nature" et de la guerre au Monde (ARTE)31 Mars 2014)

L’un des tweet les plus drôles saluant sa mort : il avait su se rendre illisible aux universitaires !

Merci Monsieur. L’immortalité subjective vous sera douce.

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