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mercredi 22 janvier 2020

Petits problèmes avec l’éolien - 13 l'éolien offshore_Les pêcheurs sacrifiés. Paroles de pêcheurs



Marjolaine Meynier Millefert, (LREM), rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables et la transition énergétique présidée par le député Julien Aubert (2019):
« Quand on a 80 % des gens qui vous disent que le développement des ENR électriques en France soutient la décarbonation et finalement la transition écologique en France, je pense que ce n’est pas bon non plus parce que le jour où les gens vont vraiment comprendre que cette transition énergétique ne sert pas la transition écologique vous aurez une réaction de rejet de ces politiques en disant vous nous avez menti en fait. »
Commission Aubert : Audition, ouverte à la presse, de MM. Olivier Becquet, Julien Trehorel et Sylvain Gallais, artisans pêcheurs, de M. Philippe Gendreau, entrepreneur en conserverie, et de Maître Morvan Le Berre, avocat
Saint Brieuc : des dizaines d’année d’une gestion modèle de la pêche fichus en l’air, la pêche sacrifiée !
« M. Olivier Becquet, artisan pêcheur. Je suis gérant de la coopérative des pêcheurs du Tréport. Ce parc éolien a été mis en place en plein milieu de la baie de Saint-Brieuc où 290 bateaux travaillent. Cela représente 236 licences de coquilles Saint-Jacques. La baie de Saint-Brieuc est la plus grande baie de France où se reproduisent naturellement les coquilles Saint-Jacques. Nous avons également énormément d’activités autour du bulot, des araignées et du homard.
Lorsque ce parc a été installé à cet endroit-là, ils n’ont pas pensé aux conflits d’usage. C’est de l’éolien posé. Aujourd’hui, on n’a pas de place. On ne peut pas aller ailleurs car la baie de Saint-Brieuc est entièrement exploitée, que ce soit au filet, au chalut ou au casier. Si demain ce parc éolien devait se faire en baie de Saint-Brieuc, où vais-je aller avec mon matériel ? Soit nous allons gêner nos collègues de pêche et on va assister à un appauvrissement rapide des ressources, soit nous allons remettre en question la préservation de notre ressource mise en place depuis 1960 en réévaluant les tailles de capture. Nous savons pertinemment que lors de la phase de travaux tous ces efforts vont disparaître en raison de la mortalité des juvéniles.
On se dit que tout ce travail que nous faisons depuis des années, tout ce chiffre d’affaires qu’on remet à l’eau pour pouvoir mieux l’exploiter l’année suivante va nous être enlevé comme cela, d’un claquement de doigts. On aura l’interdiction de travailler dans la zone du parc éolien – la pêche est interdite dans tous les parcs dans le monde – et la courantologie ne nous permettrait pas d’y naviguer. De plus, les crustacés fuiront la zone, avec le forage les coquillages mourront et le juvénile met plusieurs années à se mettre en place. On voit notre gestion « partir en fumée ». On voit une entreprise s’installer et nous dire : « allez, poussez-vous de là, c’est à mon tour ». Or, nous sommes là depuis bien longtemps et personne, hormis un marin, ne connaît aussi bien les fonds marins que nous.
Aujourd’hui, les études d’impact qui sont faites dans la baie de Saint-Brieuc sont complètement à côté de la plaque. Par exemple, les filets à araignées sont immergés sur une longueur de 1,5 kilomètre pendant environ trois semaines avant d’être relevés. Ces études d’impacts prennent en considération des bouts de filets de 500 mètres relevés tous les trois jours. Donc comment pouvons-nous vraiment faire un état des stocks sur les fonds marins ? C’est impossible. On retrouve des études erronées également pour les bulots. Nous ne pourrons donc pas obtenir de compensations car les études sont basées « sur du vent » et sur quelque chose qui a été mal fait.
Nous vous demandons de nous entendre et de prendre en considération notre connaissance du milieu marin, afin que nous puissions pérenniser notre métier. Un emploi en mer, ce sont quatre emplois à terre. Économiquement, pour notre petite ville, ce projet va nous coûter très cher, aussi bien dans la restauration que dans la pêche. »
Noirmoutier : la pêche doit laisser la place à l’industrie éolienne ; 80% d’opposants, projet accepté !
Sylvain Gallais, artisan pêcheur. « Je suis patron pêcheur au port de L’Herbaudière sur l’île de Noirmoutier. Dans la zone où j’exerce mon activité, il est prévu deux projets éoliens plantés de 80 machines pour le projet de Saint-Nazaire et 62 machines pour le projet de Noirmoutier-Yeu. Chaque éolienne devrait mesurer la hauteur de la Tour Montparnasse. Je pratique la pêche artisanale côtière durable : elle se pratique uniquement dans les 20 milles de la côte avec de petits bateaux. Je représente les pêcheurs de Noirmoutier-Yeu c’est-à-dire environ 100 bateaux et 200 marins pêcheurs.
Selon la direction interrégionale de la mer (DIRM) Nord Atlantique Manche Ouest, un emploi en mer génère trois emplois à terre. Menacer la pêche côtière dans notre région, c’est menacer environ 80 emplois locaux existants et permanents. La pêche, sur nos îles, c’est un métier qui se transmet de père en fils depuis des générations. Il n’y a pas une famille de la région qui n’ait pas de pêcheurs : c’est l’histoire de nos îles, son patrimoine, notre Notre-Dame à nous. Ce sont les ports de pêche, les petites maisons de pêcheurs, les produits frais de la pêche consommés sur place qui font venir les touristes, qui risquent de partir avec nous si ces projets voient le jour. Aujourd’hui nos zones de pêche diminuent toujours un peu plus, laissant place à l’industrialisation de la mer. Nous sommes aussi de plus en plus à partager un même espace de pêche. Nos zones de pêche se réduisent comme peau de chagrin avec la taille de nos bateaux et les quotas. Il n’est pas possible de les remplacer par des zones plus au large ou ailleurs.
Nous avons exprimé notre opposition au projet dans une motion adressée en janvier 2018 à Nicolas Hulot, au député et sénateur de Vendée ainsi qu’à tous les élus locaux. 152 travailleurs de la mer l’ont signée dont – à une exception près – tous les patrons pêcheurs de Noirmoutier. La population nous a suivis lors de l’enquête publique sur le projet Noirmoutier-Yeu. Elle a recueilli 80 % d’avis défavorables. Pourtant, jusqu’à maintenant, nous ne sommes pas entendus.
Saint-Gille Croix de Vie : 30% de baisse des prises ! Nous ne sommes pas entendus !
Philippe Gendreau. « Je suis le dirigeant de la société Gendreau, qui est un groupe familial. C’est un groupe de 600 salariés. Nous sommes intervenants sur la conserverie Gendreau depuis 1903 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, à une vingtaine de milles du projet éolien. Nous avons également deux sites de production à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et un site à Boulogne-sur-Mer repris récemment. Nous sommes des vieux acteurs de la conserve de poisson, depuis 1903, depuis quatre générations, et nous employons à la conserverie Gendreau 300 salariés dont 150 travaillent uniquement la sardine. Saint-Gilles-Croix-de-Vie est l’un des tout premiers ports sardiniers français : 3 000 tonnes sont pêchées par an. C’est aussi un port sardinier qui a été inscrit en tant que site remarquable du goût pour la sardine en 1998 et qui est depuis 2018 inscrit au Patrimoine culturel immatériel de la France. La sardine, est un véritable emblème de la ville de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
La pêche à la sardine se pratique par des chalutiers pélagiques de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Nous sommes directement impactés par ce projet de centrale éolienne car il intervient au milieu de la zone de pêche. Ce projet va également entraîner de graves perturbations au niveau de l’écosystème marin en raison des travaux. Les marins pêcheurs de Saint-Gilles estiment qu’à peu près 30 % des apports viennent de cette zone de 100 kilomètres carrés. Pour nous cela représente la menace de perdre 30 % d’approvisionnement et une baisse de notre activité de transformation qui impacterait nos 150 salariés qui travaillent directement de la sardine. C’est un projet mortifère pour la conserverie et pour les pêcheurs de Saint-Gilles que je représente à double titre : d’une part, en tant que client et, d’autre part, en tant qu’armateur.
M. le président Julien Aubert. Vos arguments semblent rationnels. Toutefois les projets se font. Comment l’expliquez-vous ? S’agit-il un problème d’organisation administrative ? Parlez-vous aux gens qui ne sont pas les décideurs ? S’agit-il d’une volonté politique transpartisane que vous n’arrivez pas à l’infléchir ? Est-ce que pour vous il y a un lobby qui serait plus puissant que le vôtre ? Pensez-vous que certains de vos arguments auraient été invalidés par la justice ou par l’administration ? Quelle est votre explication ?
M. Julien Trehorel. Vous venez d’évoquer tous les problèmes que nous rencontrons au quotidien. Nous ne sommes pas entendus. Également, les consortiums continuent à imposer leur présence et achètent la faveur des gens. Les deux tiers de la population des Côtes-d’Armor sont défavorables à l’enquête publique.
M. Philippe Gendreau. Les chiffres sont à peu près les mêmes chez nous et un peu plus fort sur Noirmoutier : 76 % des avis émis lors de l’enquête publique ont été négatifs et contre le projet. C’est une question qui ne concerne pas exclusivement les marins pêcheurs et les filières qui en découlent. Elle concerne tous les habitants et pas seulement les professionnels.
Depuis le début, il y a une volonté très forte de l’État de combler son retard sur l’éolien marin. Le lobby de l’éolien pousse aussi très fort et c’est vrai que les professionnels n’ont pas été écoutés et entendus : 76 % d’avis défavorables émis par la population lors de l’enquête publique n’ont pas empêché le préfet d’émettre un avis favorable. Tout est fait pour que les choses se fassent et pour minimiser les avis contraires. On nous écrit que le poisson va disparaître pendant les travaux mais qu’il reviendra après. Les avis divergents sont négligés parce qu’effectivement cela ne va pas dans le sens du vent et on déroule le tapis parce qu’il y a du retard. Donc on nous dit « taisez-vous les gars, on ne veut pas vous entendre, il faut y aller ! ». Il y a un déni d’écoute et de démocratie qui aura des conséquences très négatives.
M. Emmanuel Maquet. Il y a un mois, nous recevions ici Jean-Louis Bal le président du Syndicat des énergies renouvelables, qui nous déclarait que le projet du Tréport est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Je crois que c’est bien l’illustration de l’aberration de ce projet. Je l’ai vécu de l’intérieur puisque j’étais à l’époque élu local au département et dans ma commune de Mers-les-Bains située face au parc. Ce projet se situe dans le périmètre du parc naturel marin situé entre les estuaires de la plaine de Picardie et de la côte d’Opale. Il s’agit d’une zone extrêmement riche en termes de biodiversité et un plan de gestion ambitieux – auquel Olivier Becquet a participé – a été mis en place pour la sauvegarder. Puis, on a nous a retiré le droit de veto pour le confier à l’Agence française pour la biodiversité (AFB) qui a validé ce parc alors que nous avions émis un avis défavorable. Cela a généré une crise de gouvernance puisque nous avons tous démissionné du parc marin à cette occasion-là.
C’est à la fois une zone riche en biodiversité dont l’État s’est contrefichu et une zone de pêche. Le parc a également un impact sur l’économie touristique puisque c’est la porte d’entrée de la baie de Somme, l’une des plus belles baies du monde, labellisée grand site de France. Ce rouleau compresseur de l’État écrase toutes les labellisations que l’État lui-même avait réussi à mettre en place et sur lesquelles on s’était mis d’accord.
Les marins pêcheurs du Tréport et de la zone de Dieppe sont extrêmement responsables et avaient proposé un autre site, la pointe d’Ailly, qui est une zone où il y a peu de pêche. Les deux ministres d’État en charge de ces sujets-là n’ont pas voulu nous entendre. Tout le monde s’accorde pour dire que c’est un mauvais projet, mais on continue. Ne nous étonnons donc pas d’avoir des citoyens en colère sur nos giratoires quand on procède de cette façon-là dans la gouvernance publique.
M. Olivier Becquet. Nous nous exprimons pour le collectif des artisans pêcheurs et non pour le collectif PULSE. On trouve aberrant que des consortiums se rendent dans les écoles, pour voir les enfants, sur le temps des cours, pour faire la promotion de l’éolien. Une élève nous a rapporté que les questions étaient interdites et qu’il s’agissait d’un monologue.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. De quel niveau de classe s’agissait-il ?
M. Olivier Becquet. C’est une élève de 15 ans, donc au collège. Mais dans l’Éducation nationale, on ne fait pas de cours sur la pêche. La pêche, c’est aussi une activité et là, on distribue des petites éoliennes aux enfants.Sur la façon de procéder des consortiums, on constate que plusieurs milliers d’euros sont distribués à l’école de voile du Tréport qui dispose d’un stand dédié aux éoliennes. C’est un peu fort de café ! Ces gens-là ont des moyens colossaux pour faire leur promotion qu’ils nous font peut-être payer avec la facture de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Philippe Gendreau. Le consortium EMYN, qui est actif sur le projet de Noirmoutier, a financé le Vendée Globe en 2016 pour une somme de 500 000 euros. La force des lobbies nous a conduits à être censurés par le journal Ouest-France. Avant une manifestation qui avait lieu en 2018 à Noirrmoutier et qui a réuni 500 personnes, nous avions souhaité faire paraître une annonce dans ce journal. C’était une lettre ouverte adressée au Président de la République et aux ministres du Gouvernement. Trois heures avant le bouclage, nous avons été censurés au motif que le texte de notre annonce était contraire aux intérêts du journal. EMYN-Engie est en effet un annonceur important pour Ouest-France, qui n’a pas souhaité faire paraître un texte allant à l’encontre de leurs intérêts.
Nous sommes revenus en pleurant…
Julien Aubert : Êtes-vous allés voir d’autres parcs éoliens en mer dans d’autres pays et quelles conclusions en avez-vous tirées ?
M. Olivier Becquet. Nous avons organisé un voyage dans un parc éolien en activité bénéficiant de conditions similaires aux nôtres, avec une courantologie et des fonds marins comparables. En mars 2017, nous avons ainsi visité le parc de Thannet sur proposition de l’Institut maritime de prévention (IMP) et nous étions une dizaine de pêcheurs. Nous sommes revenus en pleurant : le port de pêche s’est vidé, il n’y a plus que du fileyeur, nous n’avons vu aucun bateau de pêche en activité. À Thannet, il y a seize marins pêcheurs qui travaillent sur cinq vedettes. Ces cinq bateaux consomment deux tonnes de gazole par jour et cela fait marcher leur petite coopérative, mais il n’y a plus de filière, plus de criée, plus de jeunes qui entrent dans ce métier. Il ne reste qu’un chalutier qui pêche à la côte des petits naissains de moules, qui sont revendus pour les bouchots. Les éoliennes qui ont été plantées dans un fond accidenté avec une granulométrie variée ont créé une dépression sur la zone de Thannet. Avec une telle turbidité, les espèces ne se reproduisent plus. Les fonds sont devenus plats….
Quand on installe une éolienne, on ne voit de l’extérieur qu’un mât qui sort de l’eau. Pour chaque éolienne, c’est quatre forages pour installer des pieux, c’est 38 tonnes de béton par pieu et ce sont des embranchements pour laisser passer les câbles électriques qui vont raccorder la centrale à la terre. L’impact sur l’écosystème est considérable et c’est pourquoi le CNPN a émis un avis défavorable…La prolifération de ces installations, c’est aussi la production de béton sur les fonds marins. Il s’agit d’impacts cumulés.
Emmanuel Maquet. Concernant l’impact sur la biodiversité, je vous conseille de reprendre le rapport qui avait été présenté devant le parc naturel marin des estuaires de la plaine picarde et la côte d’Opale concernant le projet du Tréport et qui avait motivé notre vote négatif sur l’acceptabilité. Nous avions étudié pendant plus d’un an, avec tous les techniciens et les scientifiques du parc, les conséquences de ce projet. C’est une mine d’informations qui vous démontrera que le projet n’est pas acceptable.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Et malgré tous ces avis négatifs, le projet est allé à terme ?
M. Emmanuel Maquet. Il y a eu un tour de passe-passe des services de l’État : il y a une dizaine d’années, on nous a vendu le parc en évoquant le fait que nous aurions un droit de veto quant aux installations qui figureraient dans le périmètre du parc et qui seraient incompatibles avec le plan de gestion que nous avions eu tant de mal à mettre en place. Puis, au moment où l’ordre du jour appelait à nous prononcer sur le projet du parc des éoliennes en mer, l’Agence française de la biodiversité a repris le droit de veto. Donc au lieu d’émettre un avis conforme, nous avons émis un avis simple et l’AFB a émis un avis conforme favorable au parc. Vous imaginez bien la colère qui s’en est suivie ! Cela a conduit à la démission collective….

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