Marjolaine Meynier Millefert, (LREM), rapporteur de la
Commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables et la
transition énergétique présidée par le député Julien Aubert (2019):
« Quand on a 80 % des gens qui vous disent que le
développement des ENR électriques en France soutient la décarbonation et
finalement la transition écologique en France, je pense que ce n’est pas bon
non plus parce que le jour où les gens vont vraiment comprendre que cette
transition énergétique ne sert pas la transition écologique vous aurez une
réaction de rejet de ces politiques en disant vous nous avez menti en
fait. »
Commission Aubert :
Audition, ouverte à la presse de Jean-Pierre
Pervès, représentant de l’association Sauvons le climat. Extraits
Les objectifs ne seront pas
atteints !
Monsieur le président, Madame la rapporteure, nous cherchons plutôt à
regarder ce qui est en train de se passer, à estimer si nous sommes dans la
bonne voie, sachant qu’en matière climatique, il est urgent de travailler dans
les dix à quinze ans qui viennent, faute de quoi, nous serions en grande
difficulté dans une vingtaine d’années.
Le bilan est pour le moins décevant. Sur les quatre à cinq dernières
années, les émissions de CO2 ont augmenté, les consommations de
combustibles fossiles et la consommation finale d’énergie ont augmenté. On n’est pas du tout en passe d’atteindre
les objectifs de baisse de 10 à 20 % fixés pour 2023. De plus, dans
les deux domaines essentiels que sont le transport et le résidentiel, on
constate également une croissance, alors qu’ils représentent les deux tiers de
nos émissions de gaz carbonique.
La loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) est une
réussite en matière de développement des énergies renouvelables
électriques, dont l’objectif fixé est pratiquement atteint. Les gagnants sont
la biomasse solide, largement nationale, très intéressante, et deux
technologies à forte valeur ajoutée que sont l’éolien et le solaire, en grande
partie importées. Pour le reste, les résultats sont insuffisants, tant pour les
constructions neuves que pour les rénovations et les biocarburants.
Pour progresser, il convient de s’appuyer sur un moyen de jugement. Une
étude de France Stratégie rappelle qu’en 2008, la commission Quinet avait fixé
la valeur tutélaire du carbone de nature à atteindre la neutralité carbone à
108 euros la tonne en 2030, tandis que le gouvernement avait fixé une taxe
carbone à 100 euros la tonne pour le même horizon. La commission Quinet,
estimant qu’il avait considérablement sous-estimé la difficulté de la tâche,
propose aujourd’hui de fixer à 250 euros la tonne d’équivalent CO2,
ajoutant que si l’on ne va pas assez vite, ce prix atteindra 500 euros à
2040 et 800 euros en 2050, ce qui montre l’ampleur de la tâche.
ENR thermiques/ENR
électriques : on finance 8 fois plus ce qui ne sert à rien !
Il est connu qu’un moins gros avantage a été consenti aux EnR thermiques qu’aux EnR électriques, qui
bénéficient de pratiquement huit fois plus de subventions et ont apporté deux
fois moins d’énergie et évité deux fois moins de CO2.
Au niveau européen, on fixe des objectifs ambitieux dans tous les domaines,
mais on n’a pas le sentiment qu’on a fait le point entre ce qui coûte cher d’un
côté ou de l’autre pour déterminer ce sur quoi il faut insister. C’est pourquoi nous disons qu’il ne s’agit
pas d’analyse mais de wishful thinking. En outre, il est surprenant que
l’on ne parle pas du rôle que peut jouer le nucléaire, qui représente 24 %
de l’électricité en Europe.
Pour ce qui est de l’habitat, une enquête de l’agence de l’environnement et
de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sur les travaux de rénovation énergétique
des maisons individuelles (TREMI) est révélatrice. Elle montre que sur cinq millions de rénovations, seuls 5 % ont
été un succès en faisant gagner deux classes énergétiques. Le coût moyen de chaque opération est de
26 000 euros. Pour la moitié des maisons françaises qui
consomment pratiquement cinq fois plus que les bâtiments bas carbone (BBC)
d’aujourd’hui, il faudrait dépenser 390 milliards d’euros. Est-ce possible
pour les particuliers ? Le calcul de la quantité de CO2
économisée fait apparaître une trentaine de millions de tonnes sur
soixante-dix, soit 650 euros la tonne.
Cela confirme que progresser
essentiellement par les économies d’énergie est hors de prix et est aujourd’hui
inaccessible. Il va falloir progresser plus souplement. Remplacer un chauffage
au fioul par une pompe à chaleur coûte seulement 13 000 euros,
contre les 26 000 euros précédemment évoqués, et l’économie de CO2
est presque deux fois plus importante, soit une efficacité quatre fois
supérieure. C’est pourquoi nous disons que la solution n’est pas de réduire la
production d’électricité, comme le propose l’ADEME, mais de faire appel à
l’électricité en substitution, en particulier pour les bâtiments.
Il est indispensable de
substituer une électricité non carbonée au fioul et au gaz, de promouvoir les actions
d’efficacité énergétique les plus rentables, comme l’isolation des plafonds, et
de développer une gestion souple.
À cela s’ajoute une réglementation thermique pour le bâtiment, la RT 2012,
qui va dans le mauvais sens, puisqu’elle avantage le chauffage au gaz, ne
respecte pas les règles européennes et pénalise lourdement les 10 millions
de logements chauffés à l’électricité en multipliant leur consommation annuelle
par le facteur 2,58. Je rappelle que le gouvernement envisage d’appliquer un
malus, ce qui est de nature à créer une nouvelle affaire de gilets jaunes.
Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit d’amplifier l’appel aux énergies
renouvelables thermiques, ce que nous préconisions depuis dix ans mais qui
n’était pas fait. Je note tout de même une singularité. On voit apparaître
relativement peu de progrès d’ici 2023, puis une accélération phénoménale.
Est-ce réaliste ? Je n’y crois pas. Des croissances de 500 % pour
la chaleur fatale et le biogaz sont-elles réalistes ? Je suis loin d’en
être sûr en termes de ressources. Je regrette que le peu de progression
envisagé des pompes à chaleur et du solaire thermique, qui sont réellement
sources de progrès en matière de carbone.
La voiture électrique : un
espoir ?
Nous sommes favorables au développement du transport électrique,
particulièrement adapté à France, en remplacement du fioul par une électricité
décarbonée.
J’ai entendu le patron de Peugeot regretter d’avoir été très peu consulté.
L’engagement en faveur du tout électrique pour 2040 pèse très lourd, parce que
nous avons de grandes entreprises exportatrices, parce que 80 % du monde
n’aura pas d’électricité décarbonée et parce que les voitures thermiques vont
rester nombreuses pour beaucoup plus que vingt ans. Il faudrait réfléchir au
devenir de nos industriels.
Nous constatons aujourd’hui l’échec des biocarburants. Quant à l’hydrogène,
ce n’est sûrement pas pour les dix ans quoi viennent, mais peut-être pour plus
tard.
Dans un rapport publié en mars dernier, l’office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST) estimait l’investissement
total pour dix millions de voitures électrifiées entre 41 et 168 milliards
d’euros, incluant les batteries et l’hydrogène des piles à combustible. Un tel
écart révèle le niveau d’incertitude. En supposant qu’en 2040, la moitié du
parc soit électrifiée et que l’autre moitié reste à électrifier,
l’investissement est de l’ordre de 30 à 50 milliards d’euros pour un gain
de CO2 d’environ 40 millions de tonnes. Le coût de la tonne de
CO2 économisée ressort alors plutôt de 100 à 200 euros, soit un
peu moins qu’indiqué par la commission Quinet. De ce côté, il y a donc un gain
à espérer.
L’échec couteux des ENR
électriques
Concernant l’électricité, je fais ressortir un point qu’on ne souligne pas
souvent. En Allemagne, la puissance
électrique a connu une croissance formidable, passant de 115 à 206 GW,
alors que la puissance pilotable est restée au même niveau. Ce n’est pas un
investissement, mais en grande partie un surinvestissement. Quand on parle
de compétitivité, on ne tient pas compte du fait que c’est un
surinvestissement. Selon le CGDD, le service allemand de l’économie, de
l’évaluation et de l’intégration du développement durable, le prix de l’électricité
a augmenté de 70 % pour les familles et de 50 % pour l’industrie, en
2019. Un GW d’électricité nucléaire produit 6,2 fois plus qu’un GW d’éolien ou
de solaire. En Allemagne, les émissions
de CO2 sont quasi stables depuis huit ans. On sent donc qu’il y
a un vrai problème. Voulons-nous aller dans la même direction ?
En France, les coûts de
l’électricité pour la famille croissent clairement, de 24 % ou 28 %
en euros constants, suivant le type de contrat, depuis une douzaine d’années,
essentiellement à cause de la « contribution » au service public de
l’électricité (CSPE). Je note cette grande singularité que la CSPE, qui
était censée financer l’énergie renouvelable, est devenue un
« impôt » pur versé directement au budget de l’État, soumis, de plus,
à la TVA. La CSPE avec sa TVA représente la moitié du coût de production de
l’électricité en France.
Selon des documents publiés par la commission de régulation de l’énergie
(CRE) en 2017, en dix ans, le prix
d’achat de l’éolien par EDF a augmenté régulièrement. L’électricité
photovoltaïque reste cinq fois plus chère que le prix de marché. La
biomasse et le biogaz sont eux-mêmes deux trois fois plus chers que le prix du
marché. Les coûts restent très élevés, même si l’on attend de voir apparaître
des appels d’offres plus favorables, sans tenir compte des externalités,
c’est-à-dire du fait que c’est une énergie non contrôlable….
Quand on dit que les éoliennes vont progresser en
permanence, il existe une loi de la physique, la limite de Betz pour les
éoliennes. Il y a six ans, le facteur de
charge moyen était de 23 % par an et il est aujourd’hui de 23 % par an.
C’est le même rendement
Alors qu’il propose un gros effort pour l’énergie renouvelable, le
Gouvernement demande de consentir un effort encore plus important pour le
renouvelable électrique, avec une croissance très forte : doublement pour
l’éolien pendant dix ans, doublement pour le solaire pendant cinq ans, puis
quadruplement pendant cinq ans. Est-ce bien raisonnable ? Comme les Allemands, notre volume total
d’EnR va presque doubler, tandis que notre puissance contrôlable diminuera
régulièrement jusqu’à une vingtaine de GW à l’horizon 2035. Donc, nous nous
fragilisons.
Pour le comprendre, j’ai repris un transparent présenté par François-Marie
Bréon, montrant le caractère aléatoire de la production de l’éolien et du
solaire, sans lien avec la consommation. La variabilité est très grande. J’ai
multiplié les productions éoliennes et solaires par le ratio des puissances,
pour montrer ce que cela donnera en 2028 si l’on fait ce qui est prévu. Il y a
des moments où l’on aura besoin d’une
puissance pilotable quasiment identique à celle d’aujourd’hui, ce qui signifie que les EnR ne jouent pas
leur rôle de remplacement. En revanche, on aura par moments de fortes
singularités, avec des variations de puissance considérables qu’il faudra gérer
avec d’énormes machines thermiques. L’été, c’est encore plus flagrant. Avec 40
GW d’énergie solaire, il y aurait des jours où cela pourrait suffire à la
production totale. Six heures plus tôt, j’aurai eu la pleine puissance
pilotable, que je devrai arrêter, avec une évolution de l’ordre de six à huit
centrales à l’heure en régime de fonctionnement. En tant qu’ingénieur, tout
cela ne me paraît pas très bien pensé, sachant qu’on n’aura pas de stockage à
cet horizon-là. Donc, cela ne fonctionnera pas.
Est-ce qu’on va pouvoir compter sur les voisins, comme l’ont dit le
Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la transition
écologique ? On dit toujours qu’il y a du vent et du soleil partout. Ce
n’est pas vrai. Un transparent montre la réalité, en Allemagne, Angleterre et
Espagne, nos trois grands voisins. En hiver comme en été, nous avons du vent à
peu près tous en même temps. Il n’y a pas de foisonnement. On va
surdimensionner les réseaux pour relativement peu d’échanges. On parle toujours
de puissance transférée mais l’important, c’est l’énergie transférée. Du côté
du solaire, il y a une heure à une heure et demie d’écart entre les pays, de
sorte que, là non plus, il n’y aura pas de foisonnement.
Pour conclure, j’ai demandé à un de mes collègues, Henri Prévot, de
comparer une solution extrême dans laquelle on ne ferait plus d’éolien et de
solaire, avec une solution où on fait exactement ce qui est prévu dans la PPE
pour aller à 85 GW d’éolien et de solaire. On constate qu’on économise très peu
de CO2, mais on le sait depuis longtemps, et que le coût du CO2
économisé est de l’ordre de 700 à 1 000 euros la tonne ! Même en
se trompant d’un facteur 2, cela reste monstrueux. Pourquoi retenir une telle
solution alors que nous avons des réacteurs qui peuvent fonctionner beaucoup
plus longtemps et que nous avons dix ans pour décider du futur ?
Dans le même temps, on va voir s’écrouler la puissance garantie, qui passera
de 87 à 75 MW, alors qu’on nous annonce moins de GW d’origine nucléaire en
Europe et 35 GW de moins issus du charbon et du lignite. L’Europe est en train
de se fragiliser, l’Allemagne va devenir importatrice. Est-il raisonnable de
continuer à compter sur eux ? La valeur de l’action pour le climat est
très importante. Je suggère qu’on travaille dans cette direction.
Mes deux derniers transparents font état de recommandations. Pour nous, les
bons paramètres sont : le coût de
la tonne de CO2 évitée sur vingt ans ; le développement des
usages de l’électricité – je ne vois pas l’intérêt de la réduire – ;
des EnR électriques qui accompagnent le développement et non se substituent à
des énergies déjà décarbonées ; privilégier les EnR thermiques. On en a
certainement peu parlé dans votre commission d’enquête, mais la réglementation thermique appliquée aux
bâtiments est totalement inadéquate. Elle doit être reprise et mise en
conformité avec la réglementation européenne qui n’est pas respectée.
Il y a actuellement en Europe un double marché, dont l’un est protégé et
l’autre assume toutes les responsabilités. Cela ne peut pas continuer, on va
vers une catastrophe. De plus, il est
insensé d’augmenter de 6 % le prix de l’électricité pour que des marchands
puissent faire plus de bénéfice.
Les transports et les bâtiments sont des secteurs critiques. La France est forte de son mix électrique,
c’est une folie de vouloir le détruire. La baisse du nucléaire contrainte par
la loi est un contresens climatique. Il est regrettable que de nombreuses
instances compétentes, l’OPECST, les académies, l’institut Montaigne, soient
moins sollicitées que les grandes ONG qui sont relativement totalisantes et
très internationales.
Par exemple, M. Marignac estime vertueux d’économiser l’électricité et
d’en consommer moins. Moi, je dis que si un KWh d’électricité me permet de
fournir trois ou quatre kilowattheures, dont deux ou trois renouvelables
récupérées dans l’atmosphère, j’ai fait plus d’électricité mais j’ai
globalement économisé de l’énergie, donc j’ai été vertueux. Une pompe à chaleur
a un rendement de trois à quatre, ce qui signifie une réduction d’un facteur de
trois ou quatre la consommation d’électricité.
Bâtiment et transport remplacer
le carbone par l’électrique, donc nous aurons besoin de nucléaire
supplémentaire
Les bâtiments et les transports
sont des domaines difficiles. Treize ans après le Grenelle de l’environnement, on
constate une constance politique puisque, dans ces deux secteurs, on continue à consommer plus. Cela ne va
franchement pas ! On ne tient pas le bon raisonnement. Faut-il continuer
ainsi ? Je ne vois d’autre solution aujourd’hui que de remplacer
rapidement du carboné par du non carboné. Le non carboné, ce sont des renouvelables
thermiques et le nucléaire que nous avons aujourd’hui. C‘est pourquoi je ne
suis pas du tout sur le même mode de présentation.
J’ai insisté sur la RT 2012 et j’insiste sur la RE 2020, car
c’est vital. Je dis qu’on ne respecte pas les règles européennes. La performance énergétique d’un bâtiment,
c’est l’énergie finale consommée et non l’énergie primaire avec le facteur
2,58. Mettez-vous à la place d’un propriétaire de logement électrique voisin
d’une famille identique qui est chauffée au gaz, à qui l’on dit que la maison
au gaz est performante et que la maison électrique ne l’est pas, alors qu’elle
consomme exactement la même quantité d’énergie ! C’est incompréhensible.
On trompe les citoyens. Quand on nous dit qu’on va imposer un malus à la
vente pour des maisons mal classées et que les dix millions de logements
chauffés à l’électricité vont être défavorisés, on est face à un vrai problème.
Il va falloir modifier radicalement la RT 2012. Il y a une tricherie de la
part du ministère du Développement durable et de l’ADEME à dire que l’énergie
primaire, c’est la performance énergétique du bâtiment. Ce n’est pas du tout ce
que dit l’Europe .
Quand on voit
l’âge du parc immobilier français, quand on sait que la RT 2012 vise un
objectif de consommation de 80 kWh par mètre carré et par an, alors que la moyenne actuelle
est 240, il est évident qu’on ne l’obtiendra jamais, sauf à tout détruire au
profit de constructions neuves. On est très loin du compte !
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