Portrait du Jacobin comme possédé :
le dogme de la régénération des français. La pouvoir jacobin se coule dans le
lit de la monarchie centralisatrice et du despotisme de l’Ancien Régime. L’idéologie
jacobine du Contrat Social : l’aliénation totale de chaque individu, avec
tous ses droits, à la communauté ; Les biens appartiennent à l’Etat :
confiscations généralisées, préemption, réquisition ; Les personnes
appartiennent à l’Etat : levée en masse, service civil, les Français comme corvéables de
l’État. Les interventions dans la vie privée : l’Etat pédagogues,
philanthropes, théologiens, moralistes.
NB :
J’ai
pas mal cité Comte comme inspirateur de Taine, mais sur tous ces sujets voir
les critiques de Proudhon, par exemple : « De là cet aphorisme du
parti jacobin, que les doctrinaires et les absolutistes ne désavoueraient assurément
pas : La révolution sociale est le but ; la révolution politique (c’est-à-dire
le déplacement de l’autorité) est le moyen. Ce qui veut dire : Donnez-nous
droit de vie et de mort sur vos personnes et sur vos biens, et nous vous ferons
libres !.... Il y a plus de six mille ans que les rois et les prêtres nous
répètent cela ! »
Portrait du Jacobin comme possédé :
le dogme de la régénération des français
Telle est la Constitution de fait que les Jacobins substituent à leur
Constitution d’apparat. Dans l’arsenal
de la monarchie qu’ils ont détruite, ils sont allés chercher les institutions
les plus despotiques, centralisation des pouvoirs, conseil du roi, lieutenants
de police, tribunaux d’exception, intendants et subdélégués ; ils ont déterré
l’antique loi romaine de lèse-majesté, et refourbi les vieux glaives
émoussés par la civilisation, afin de les porter à toutes les gorges :
maintenant, ils les manœuvrent à toute volée à travers les libertés, les biens,
les vies et les consciences. Cela s’appelle « le gouvernement révolution¬naire
». Selon les déclarations officielles, il doit durer jusqu’à la paix ; dans la pensée des vrais Jacobins, il doit
durer jusqu’à ce que tous les Français soient « régénérés » suivant la formule…
Rien de plus
dangereux qu’une idée générale dans des cerveaux étroits et vides : comme ils
sont vides, elle n’y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle ; comme ils
sont étroits, elle ne tarde pas à les occuper tout entiers. Dès lors ils ne
s’appartiennent plus, ils sont maîtrisés
par elle ; elle agit en eux, et par eux ; au sens propre du mot, l’homme est
possédé. Quelque chose qui n’est pas lui, un parasite monstrueux, une
pensée étrangère et disproportionnée vit en lui, s’y développe et y engendre
les volontés malfaisantes dont elle est grosse. Il ne prévoyait pas qu’il les
aurait, il ne savait pas ce que contient son dogme, quelles conséquences
venimeuses et meurtrières vont en sortir. Elles en sortent fatalement, tour à
tour et sous la pression des circonstances, d’abord les conséquences
anarchiques, maintenant les conséquences despotiques. Arrivé au pouvoir, le
Jacobin apporte avec lui son idée fixe ; dans le gouvernement comme dans l’opposition,
cette idée est féconde, et la toute-puissante formule allonge dans un nouveau
domaine la file pullulante de ses anneaux multipliés…
Le Contrat Social Jacobin : l’aliénation
totale de chaque individu, avec tous ses droits, à la communauté
Suivons ce
déroulement intérieur, et remontons, avec le Jacobin, aux principes, au pacte
primordial, à l’institution de la société. Il n’y a qu’une société juste, celle
qui est fondée sur « le contrat social » ; et « les clauses de ce contrat, bien
entendues, se réduisent toutes à une seule, l’aliénation totale de chaque
individu, avec tous ses droits, à la communauté,... chacun se donnant tout
entier, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les
biens qu’il possède font partie ».
Nulle exception ni réserve. Rien de ce qu’il était ou avait auparavant ne lui
appartient plus en propre ; ce que désormais il est ou il a, ne lui est dévolu
que par délégation. Ses biens et sa personne sont maintenant une portion de la
chose publique ; s’il les possède, c’est de seconde main ; s’il en jouit, c’est
par octroi. Il en est le dépositaire, le concessionnaire, l’administrateur,
rien de plus . En d’autres termes, il
n’est à leur endroit qu’un gérant, c’est-à-dire un fonctionnaire semblable aux
autres, nommé à titre précaire et toujours révocable par l’État qui l’a commis.
« Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres,
le pacte social donne au corps social un pouvoir absolu sur tous les siens. »
Souverain omnipotent, propriétaire universel, l’État exerce à discrétion ses
droits illimités sur les personnes et sur les choses ; en conséquence, nous,
ses représentants, nous mettons la main sur les choses et sur les personnes ;
elles sont à nous, puisqu’elles sont à lui.
Les biens appartiennent à l’Etat :
confiscations généralisées, préemption, réquisition
Nous avons confisqué les biens du clergé, environ
4 milliards ; nous confisquons les biens des émigrés, environ 3 milliards ; nous confisquons les biens des guillotinés et des déportés : il y a là des centaines de
millions ; on les comptera plus tard, puisque la liste reste ouverte et va
s’allongeant tous les jours. Nous séquestrons les biens des suspects, ce qui
nous en donne l’usufruit : encore des centaines de millions ; après la guerre
et le bannissement des suspects, nous saisirons la propriété avec l’usufruit :
encore des milliards de capital . En
attendant, nous prenons les biens des hôpitaux
et autres établissements de bienfaisance, environ 800 millions ; nous
prenons les biens des fabriques, des fondations, des instituts d’éducation, des
sociétés littéraires ou scientifiques : autre tas de millions . Nous reprenons
les domaines engagés ou aliénés par l’État depuis trois siècles et davantage
: il y en a pour 2 milliards . Nous prenons les biens des communes jusqu’à
concurrence de leurs dettes. Nous avons déjà reçu par héritage l’ancien
domaine de la couronne et le domaine plus récent de la liste civile. De cette
façon, plus des trois cinquièmes du sol
arrivent entre nos mains, et ces trois cinquièmes sont de beaucoup les mieux
garnis ; car ils comprennent presque toutes les grandes et belles bâtisses,
châteaux, abbayes, palais, hôtels, maisons de maîtres, et presque tout le
mobilier de luxe ou d’agrément, royal, épiscopal, seigneurial et bourgeois,
meubles de prix, vaisselle, bibliothèques, tableaux, objets d’art accumulés
depuis des siècles. — Notez encore la saisie du numéraire et de toutes les
matières d’or et d’argent ; dans les seuls mois de novembre et décembre 1793,
cette rafle met dans nos coffres trois ou quatre cents millions , non pas d’assignats, mais d’espèces
sonnantes. Bref, quelle que soit la
forme du capital fixe, nous en prenons tout ce que nous pouvons, probablement
plus des trois quarts. —
Reste la portion
qui n’est point fixe et périt par l’usage, à savoir les objets de consommation,
les fruits du sol, les approvisionnements de toute espèce, tous les produits de
l’art et du travail humain, qui contribuent à l’entretien de la vie. Par « le droit de préemption » et par le
droit de « réquisition », « la république devient propriétaire momentanée de
tout ce que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont produit et apporté
sur le sol de France » : toutes les
denrées et toutes les marchandises sont à nous avant d’être à leur détenteur ;
nous enlevons chez lui ce qui nous convient ; nous le payons avec du papier qui
ne vaut rien ; souvent nous ne le payons pas du tout. Pour plus de commodité,
nous saisissons les choses directement et à l’endroit où elles sont, les grains
chez le cultivateur, les fourrages chez l’herbager, les bestiaux chez
l’éleveur, le vin chez le vigneron, les peaux chez le boucher, les cuirs chez
le tanneur, les savons, les suifs, les sucres, les eaux-de-vie, les toiles, les
draps et le reste chez le fabricant, l’entrepositaire et le marchand. Nous
arrêtons les voitures et les chevaux dans la rue ; nous entrons chez
l’entrepreneur de messageries ou de roulage, et nous vidons ses écuries. Nous
emportons les batteries de cuisine pour avoir du cuivre…
Les personnes appartiennent à l’Etat :
tous les Français sont des corvéables de l’État
En vertu du même droit, nous
disposons des personnes comme des choses. Nous décrétons la levée en masse et, ce
qui est plus étrange, nous l’effectuons, au moins sur plusieurs points du
territoire et pendant les premiers mois : en Vendée et dans les départements du
Nord et de l’Est, c’est bien toute la population mâle et valide, tous les
hommes jusqu’à cinquante ans, que nous poussons par troupeaux contre
l’ennemi . Nous enrôlons ensuite une génération entière, tous les jeunes gens
de dix-huit à vingt-cinq ans, presque un million d’hommes ; dix ans de fers pour quiconque manque à
l’appel ; il est qualifié de déserteur, ses biens sont confisqués, ses parents
sont punis avec lui ; plus tard, il sera assimilé aux émigrés, condamné à mort,
ses père, mère, ascendants seront traités en suspects, partant incarcérés et
leurs biens séquestrés. – Pour armer, habiller, chausser, équiper nos recrues,
il nous faut des ouvriers : nous convoquons au chef-lieu les armuriers, les
forgerons, les serruriers, tous les tailleurs, tous les cordonniers du
district, « maîtres, apprentis et garçons
» ; nous mettons en prison ceux qui ne viennent pas ; nous installons
les autres, par escouades, dans les maisons publiques, et nous leur distribuons
la tâche ; il leur est interdit de rien fournir aux particuliers ; désormais les cordonniers de France ne
fabriqueront plus que pour nous, et chacun d’eux, sous peine d’amende, nous
livrera tant de paires de souliers par décade. – Mais le service civil n’est pas moins important
que le service militaire, et il est aussi urgent d’approvisionner le peuple que
de le défendre. C’est pourquoi nous mettons « en réquisition tous ceux qui
contribuent à la manipulation, au transport et au débit des denrées et
marchandises de première nécessité »,
notamment des combustibles et des subsistances, bûcherons, charretiers,
flotteurs, meuniers, moissonneurs, batteurs en grange, botteleurs, faucheurs,
laboureurs, « gens de campagne » de toute espèce et de tout degré. Ils sont nos
manœuvres ; nous les faisons marcher et travailler sous peine de prison et
d’amende. Plus de paresseux, surtout quand il s’agit de la récolte ; nous
menons aux champs la population entière d’une commune ou d’un canton, y compris
« les oisifs et les oisives » ; bon gré mal gré, ils moissonneront sous nos
yeux, en bande, chez autrui comme chez eux, et rentreront indistinctement les
gerbes dans le grenier public…
Nous nommons ou nous maintenons
les gens, même malgré eux, aux magistratures, aux
commandements, aux emplois de tout genre ; ils ont beau s’excuser ou se
dérober, ils resteront ou deviendront généraux, juges, maires, agents
nationaux, conseillers municipaux, commissaires de bienfaisance ou
d’administration , à leur corps
défendant. Tant pis pour eux, si la charge est onéreuse ou dangereuse, s’ils
n’ont pas le loisir nécessaire, s’ils ne se sentent pas les aptitudes requises,
si le grade ou la fonction leur semble un acheminement vers la prison ou la
guillotine ; quand ils allégueront que l’emploi est une corvée, nous leur répondons qu’ils sont les
corvéables de l’État. – Telle est
désormais la condition de tous les Français et aussi de toutes les Françaises.
Nous forçons les mères à mener leurs filles aux séances des sociétés
populaires. Nous obligeons les femmes à parader et à défiler en groupes dans
les fêtes républicaines ; nous allons prendre dans leurs maisons les plus
belles pour les habiller en déesses antiques et pour les promener sur un char
en public ; parfois même, nous en désignons de riches pour épouser des
patriotes : il n’y a pas de raison pour
que le mariage, qui est le plus important des services, ne soit pas, comme les
autres, mis en réquisition.
— Aussi bien, nous entrons dans les
familles, nous enlevons l’enfant, nous le soumettons à l’éducation civique. Nous sommes pédagogues, philanthropes,
théologiens, moralistes. Nous imposons de force notre religion et notre culte,
notre morale et nos mœurs. Nous
régentons la vie privée et le for intérieur ; nous commandons aux pensées,
nous scrutons et punissons les inclinations secrètes, nous taxons, emprisonnons
et guillotinons, non seulement les malveillants, mais encore « les
indifférents, les modérés, les égoïstes
». Nous dictons à l’individu, par delà ses actes visibles, ses idées et
ses sentiments intimes ; nous lui prescrivons ses affections comme ses
croyances, et nous refaisons, d’après un type préconçu, son intelligence, sa
conscience et son cœur…
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