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lundi 14 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_59_ l’action des Jacobins en province (la Provence)

Une des forces de Taine, c’est le nombre et l’intérêt  des témoignages et des illustrations concrètes. Expédition militaire des jacobins marseillais contre Arles, Vols, pillages et dragonnades ; Répressions politiques et villes rançonnées.  Le cas d’Avignon : les Jacobins s’appuient sur la pègre. La Terreur et les massacres
NB Qui n’a pas lu dans les « bons livres «  sur la Révolution la mort émouvante de Barbaroux, le girondin marseillais, plus tard décrété d’accusation, pourchassé par les Jacobins et qui finit par se suicider ?  Après lecture de Taine et des exploits de la commune de Marseille, on finit, comme de Maistre, par se demander si les montagnards n‘ont pas été les instruments d’une justice immanente…

Expédition militaire des jacobins marseillais contre Arles

À présent que les commissaires sont partis, que l’autorité du roi est un fantôme, que le dernier régiment fidèle a été désarmé, que le directoire, refondu et terrifié, obéit comme un domestique, et que l’Assemblée législative laisse partout opprimer les constitutionnels par les Jacobins, on peut impunément recommencer contre des constitutionnels une expédition jacobine, et, le 23 mars 1792, l’armée marseillaise, 4 500 hommes, se met en marche avec 19 pièces de canon.
En vain les commissaires des départements voisins, envoyés par le ministre, leur représentent que maintenant Arles s’est soumise, qu’elle a déposé ses armes, qu’elle est occupée par une garnison de ligne ; les Marseillais exigent que cette garnison soit retirée. – En vain la garnison se retire ; Rébecqui et ses acolytes répliquent que « rien ne les détournera de leur entreprise, qu’ils ne peuvent s’en rapporter qu’à eux-mêmes des précautions qu’ils ont à prendre pour la sûreté des départements méridionaux ». – En vain le ministre renouvelle ses injonctions et ses contre-ordres ; le directoire, par un mensonge flagrant, répond qu’il ne sait rien et refuse au gouvernement son concours. – En vain M. de Wittgenstein, commandant général du Midi, s’offre au directoire pour repousser les envahisseurs ; le directoire le requiert de « ne pas entrer avec ses troupes sur le territoire du département   ».
Cependant, le 29 mars, les Marseillais ont fait brèche à coups de canon dans Arles sans défense ; ses fortifications sont démolies ; une taxe de 1 400 000 livres est levée sur les propriétaires. Au mépris du décret de l’Assemblée nationale, les Monnaidiers, les hommes du port, toute la basse plèbe a repris ses armes et tyrannise la population désarmée. Quoique « le commissaire du roi et la majeure partie des juges soient en fuite, on instruit par jurés des procédures contre les absents », et les jurés sont des Monnaidiers  , Les vainqueurs emprisonnent, frappent et tuent à discrétion. Quantité de particuliers paisibles sont meurtris de coups, traînés en prison, plusieurs blessés mortellement ; un vieux militaire de quatre-vingts ans, retiré depuis trois mois à sa campagne, meurt après vingt jours de cachot, d’un coup de crosse dans l’estomac ; des femmes sont fouettées ; « tous les citoyens qui ont intérêt à l’exécution des lois », près de cinq mille familles, ont émigré ; leurs maisons de ville et de campagne sont pillées, et, dans les bourgades environnantes, sur toute la route qui conduit d’Arles à Marseille, les gens de sac et de corde, qui font le noyau de l’armée marseillaise, se démènent et se gorgent comme en un pays conquis..

Répression politique, Pillage, vols, et dragonnades jacobines

Par exemple, sur le bruit faux que l’ordre a été troublé à Château-Renard, Bertin et Rébecqui y ont envoyé un détachement, et la municipalité en écharpe, suivie de la garde nationale avec drapeaux et musique, vient à sa rencontre pour lui faire honneur. Sans dire gare, les Marseillais fondent sur le cortège, abattent les drapeaux, désarment la garde nationale, arrachent aux officiers leurs épaulettes, traînent à terre le maire par son écharpe, poursuivent, sabre en main, les conseillers, mettent en arrestation le maire et le procureur-syndic, et, pendant la nuit, saccagent quatre maisons, le tout sous la conduite de trois Jacobins du lieu décrétés d’accusation pour crimes ou délits récents : désormais à Château-Renard, on y regardera à deux fois avant de décréter des patriotes  . – A Vélaux, « la maison de campagne du ci-devant seigneur est saccagée, tout est emporté jusqu’aux tuiles et carreaux ; » une troupe de 200 hommes « parcourt le village, exige des contributions, fait souscrire aux plus aisés des citoyens des obligations pour des sommes considérables ». Le chef marseillais, Camoïn, l’un des nouveaux administrateurs du département, fait sa main sur tout ce qui est bon à prendre, et, quelques jours après, on trouvera 30 000 francs dans sa valise. –
 Par un entraînement naturel, ces exemples sont suivis, et l’ébranlement se propage : dans chaque bourg ou petite ville, le club en profite pour assouvir son ambition, son avidité et ses rancunes. Celui d’Apt a fait appel à ses voisins, et 1 500 gardes nationaux de Gordes, Saint-Saturnin, Goult et Lacoste, avec un millier de femmes et d’enfants munis de bâtons et de fourches, arrivent un matin devant la ville. On leur demande en vertu de quel ordre ils viennent ainsi : ils répondent que « l’ordre leur a été donné par leur patriotisme ». « Les fanatiques » ou partisans des prêtres insermentés « ont occasionné leur voyage » : en conséquence, « ils veulent n’être logés qu’aux dépens des fanatiques ». En trois jours d’occupation, ce sera pour ceux-ci et pour la ville une dépense de 20 000 livres  . Pour commencer, ils brisent tout dans l’église des Récollets et en murent les portes ; puis ils expulsent de la ville les insermentés et désarment tous leurs partisans. Pendant les trois jours, le club d’Apt, qui est la seule autorité, reste en séance….  .

Le cas d’Avignon : les Jacobins s’appuient sur la pègre

Il n’y a pas en France un nid de brigands pareil : non qu’une misère plus grande ait produit là une jacquerie plus sauvage ; au contraire, avant la Révolution, le Comtat était un pays de cocagne : le pape n’y levait point d’impôts ; les taxes, très légères, se dépensaient sur place ; « pour 1 sol ou 2, on y avait pain, vin et viande   ». – Mais, sous l’administration indulgente et corrompue des légats italiens, la contrée était devenue « l’asile assuré de tous les mauvais sujets de la France, de l’Italie et de Gênes : moyennant une faible rétribution qu’ils donnaient aux agents du pape, ils en obtenaient protection et impunité ». Les contrebandiers et les receleurs de contrebande y affluaient, pour percer le cercle des douanes françaises. « Il s’y formait des troupes de voleurs et d’assassins que la sévérité des parlements d’Aix et de Grenoble ne pouvait pas extirper entièrement. Les oisifs, les libertins, les joueurs de profession   », les sigisbés entretenus, les intrigants, les parasites, les aventuriers, y coudoyaient les hommes marqués sur l’épaule, les vétérans du vice et du crime, « les échappés des galères de Toulon et de Marseille ». La férocité s’y dissimulait dans la débauche, comme un serpent dans sa vase, et il ne fallait qu’une occasion pour changer en coupe-gorge le mauvais lieu.
Dans cet égout, les meneurs jacobins, Tournal, Rovère, les deux Duprat, les deux Mainvielle, Lécuyer, ont aisément pêché des recrues. De leur bande, ils ont fait une armée qui, pour consigne, a la licence, et pour solde le pillage, toute pareille à celle de Tilly et de Wallenstein, « vraie Sodome errante et dont l’ancienne eût eu horreur ». Sur 3 000 hommes, on n’y compte que 200 Avignonnais ; le reste se compose de déserteurs français, contrebandiers, repris de justice, étrangers sans aveu, maraudeurs et malfaiteurs, qui, flairant une proie, sont accourus de très loin et même de Paris   ; avec eux marchent leurs femelles, plus immondes encore et plus sanguinaires. Pour bien marquer que chez eux le meurtre et le vol sont à l’ordre du jour, ils ont massacré comme traître leur premier général Patrix, coupable d’avoir relâché un prisonnier, et ils ont élu à sa place un ancien écumeur de grandes routes, condamné à mort par le tribunal de Valence, évadé la veille du supplice, Jourdan surnommé Coupe-tête, parce que, le 6 octobre, à Versailles, il a, dit-on, coupé les têtes de deux gardes du roi  . – Sous un tel commandant, la troupe grossit jusqu’à former un corps de 5 à 6 000 hommes, qui arrête les passants et les enrôle de force : on les appelle des Mandrins ; mais le mot est dur pour Mandrin, car ils font la guerre, non seulement comme lui aux personnes et aux propriétés publiques, mais encore aux biens, à la pudeur et à la vie des particuliers. Un seul détachement, en une seule fois, extorque à Cavaillon 25 000 livres, à Baumes 12 000, à Aubignan 15 000, à Piolenc 4 800, et taxe Caumont à 2 000 livres par semaine. À Sarrians, dont le maire leur offrait les clés, ils ont pillé les maisons de fond en comble, emmené trente-trois chariots chargés de butin, mis le feu, violé et tué avec des raffinements de Hurons : une dame de quatre-vingts ans, paralytique, a été fusillée à bout portant, et abandonnée dans son sang au milieu des flammes ; un enfant de cinq ans a été tranché en deux, sa mère décapitée, sa sœur mutilée ; on a coupé les oreilles du curé, on les lui a attachées sur le front en guise de cocarde, puis on l’a égorgé en même temps qu’un porc, on a arraché les deux cœurs et on a dansé dessus  . Ensuite, pendant cinquante jours, autour de Carpentras vainement assiégé, les instincts de cruauté gratuite qui se développeront plus tard chez les chauffeurs, les goûts d’anthropophagie qui reparaissent quelquefois chez les forçats, les sensualités perverties et surexcitées qu’on rencontre chez les maniaques, se sont donné franc jeu.
A l’aspect du monstre qu’elle a nourri, Avignon s’effraye et pousse des cris d’alarme   ; mais la bête, qui sent sa force, se retourne contre ses anciens fauteurs, montre les dents et exige sa pâture quotidienne. Ruinée ou non, il faut qu’Avignon fournisse sa quote-part.

Tuer tout, pour qu’il ne reste pas de témoins

Le 21 août 1791, Jourdan, avec son ramassis de coquins, s’empare du Palais ; la municipalité est chassée, le maire se sauve déguisé, le secrétaire Tissot est sabré, quatre officiers municipaux et quarante autres personnes sont jetés en prison, nombre de maisons de fugitifs et de prêtres sont pillées et fournissent aux bandits leur premier acompte  . – Alors commence la grande opération fiscale qui va remplir leurs poches. Cinq hommes de paille, choisis par Duprat et consorts, composent, avec Lécuyer comme secrétaire, une municipalité provisoire qui taxe la ville à 300 000 livres et, supprimant les couvents, met en vente la dépouille des églises. Les cloches sont descendues, et, toute la journée, on entend les coups de marteau des ouvriers qui les brisent. Une cassette pleine d’argenterie, de diamants et de croix d’or, est enlevée au directeur du mont-de-piété, qui l’avait en dépôt, et transportée à la commune : le bruit se répand que tous les effets précieux mis en gage par les pauvres gens viennent d’être volés par la municipalité, et que les brigands « en ont déjà fait partir dix-huit malles ». Là-dessus, les femmes exaspérées par la nudité des églises, les ouvriers sans pain et sans travail, tout le petit peuple devient furieux, s’assemble de lui-même dans l’église des Cordeliers, fait comparaître Lécuyer, l’arrache de la chaire et le massacre  .
Cette fois le parti des brigands semble perdu ; car toute la ville, populace et bourgeoisie, est contre eux, et, dans la campagne, les paysans qu’ils ont rançonnés les fusillent quand ils les rencontrent. — Mais, par la terreur, on peut suppléer au nombre, et, avec les 350 sicaires qui leur sont restés, les jacobins extrêmes entreprennent de dompter une cité de 30 000 âmes. Mainvielle aîné, traînant deux canons, arrive avec une patrouille, tire à l’aventure dans l’église demi-évacuée et tue deux hommes. Duprat ramasse une trentaine des bourgeois qu’il a emprisonnés le 31 août et, en outre, une quarantaine d’artisans des confréries catholiques, portefaix, boulangers, tonneliers, manœuvres, deux paysans, un mendiant, des femmes saisies au hasard et sur des dénonciations vagues, l’une d’elles « parce qu’elle a mal parlé de Mme Mainvielle ». Jourdan fournit les bourreaux ; l’apothicaire Mende, beau-frère de Duprat, les gorge de liqueurs fortes ; un commis du gazetier Tournal leur dit de « tuer tout, pour qu’il ne reste pas de témoins ». Alors, sur l’ordre réitéré de Mainvielle, Tournai, Duprat, Jourdan, avec des complications de lubricité inénarrables  , le massacre se développe, le 16 octobre et les jours suivants, pendant soixante-six heures, sur deux prêtres, trois enfants, un vieillard de quatre-vingts ans, treize femmes dont deux enceintes, en tout soixante et une personnes égorgées, assommées, puis précipitées les unes sur les autres dans le trou de la Glacière, une mère sur le corps de son enfant, un fils sur le corps de son père, le tout achevé d’en haut à coups de pierres, puis recouverts de chaux vive à cause de l’odeur  . Cependant une centaine d’autres, tués dans les rues, sont lancés dans le canal de la Sorgues ; cinq cents familles se sauvent. Les bandits licenciés rentrent en foule, et les assassins en chef, intronisés par le meurtre, instituent, au profit de leur bande refaite, un brigandage légal dont personne ne se défend plus  .

Ce sont là les amis des Jacobins d’Arles et de Marseille ; voilà les hommes honorables que M. d’Antonelle est venu haranguer dans la cathédrale d’Avignon   ;

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