La fin de la Gironde, l’épuration finale
de la Convention, cent quarante députés éliminés sur 180 Girondins. Mort de Pétion,
Barbaroux, Condorcet, M. et Mme Roland, Clavière. Le centralisme démocratique
défini par Sait-Just et Couthon : théorie du gouvernement extraordinaire :
c’est de la centralité que doivent partir toutes les impulsions. Les trois
pôles du gouvernement montagnard : Comité de Salut Public, Comité de
Sûreté générale, Tribunal révolutionnaire.
N.B. : les
bons livres sur la Révolution, tels les Contes et Récit de mon enfance
faisaient pleurer sur le sort de Pétion, Buzot, Barbaroux, le couple Roland..En
a-t-on encore envie après avoir lu Taine ?( relire les épisodes précédents !)
La fin de la Gironde : cent quarante
députés éliminés sur 180
Ce n’est pas pour
épargner à Paris les chefs de l’insurrection ou du parti, députés, généraux ou
ministres ; au contraire, il importe
d’achever l’assujettissement de la Convention, d’étouffer les murmures du
côté droit, d’imposer silence à Ducos, à Boyer-Fonfrède, à Vernier, à Couhey,
qui parlent et protestent encore . C’est
pourquoi, chaque semaine, des décrets d’arrestation ou de mort lancés du haut
de la Montagne, frappent dans la majorité, comme des coups de fusil tirés sur
une foule. Décrets d’arrestation, le 15
juin, contre Duchâtel, le 17 contre Barbaroux, le 23 contre Brissot, le 8
juillet contre Devérité et Condorcet, le 14 contre Lauze-Deperret et Fauchet,
le 30 contre Duprat jeune, Vallée et Mainvielle, le 2 août contre Rouyer,
Brunel et Carra ; Carra, Lauze-Deperret et Fauchet, présents aux séances, sont
empoignés sur place ; c’est un avertissement sensible et physique : il n’en est
point de plus efficace pour mater les insoumis. – Décrets d’accusation, le 18
juillet, contre Coustard, le 28 juillet contre Gensonné, La Source, Vergniaud,
Mollevaut, Gardien, Grangeneuve, Fauchet, Boilleau, Valazé, Cussy, Meillan ; et
chacun sait que le tribunal devant lequel ils doivent comparaître est la salle
d’attente de la guillotine. – Décrets de condamnation, le 12 juillet, contre
Birotteau, le 28 juillet contre Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salle,
Louvet, Bergoeing, Pétion, Guadet, Chasset, Chambon, Lidon, Valady, Defermon,
Kervelegan, Larivière, Rabaut-Saint-Étienne et Lesage ; déclarés traîtres et mis
hors la loi, on les mènera sans jugement à l’échafaud.
– Enfin, le 3 octobre, un grand coup de filet
saisit sur leurs bancs, dans l’Assemblée même, tous ceux qui paraissent
encore capables de quelque indépendance : au préalable, le rapporteur du Comité
de sûreté générale, Amar, a fait fermer les portes de la salle ; puis,
après un factum déclamatoire et calomnieux qui dure deux heures, il lit deux
listes de proscription : quarante-cinq députés plus ou moins marquants de la
Gironde seront traduits sur-le-champ au Tribunal révolutionnaire ;
soixante-treize autres, qui ont signé des protestations secrètes contre le 31
mai et le 2 juin, seront enfermés dans des maisons d’arrêt. Nulle discussion ;
la majorité n’ose pas même opiner. Quelques-uns des proscrits essayent de
se disculper ; mais on refuse de les entendre. Seuls les Montagnards ont la
parole, et ils ne s’en servent que pour ajouter aux listes, chacun selon ses
inimitiés personnelles : Levasseur y fait adjoindre Viger ; Du Roy y fait
adjoindre Richou. Sur l’appel de leurs
noms, tous les malheureux présents viennent docilement « se parquer dans
l’enceinte de la barre, comme des agneaux destinés à la boucherie » ; et
là, on les divise en deux troupes, d’un côté les soixante-treize, de l’autre
côté les dix ou douze qui, avec les Girondins déjà gardés sous les verrous,
fourniront le nombre sacramentel et populaire, les vingt-deux traîtres dont le supplice est un besoin pour
l’imagination jacobine ; à gauche, la fournée de la prison ; à droite, la
fournée de l’échafaud.
Pour quiconque
serait tenté de les imiter ou de les défendre, la façon dont on les traite est
une leçon suffisante…
Mort de Roland, Mme Roland, Barbaroux,
Pétion, Condorcet, Clavière, Rébecqui…
« Braves b... qui
composez le tribunal, écrit Hébert, ne vous amusez donc pas à la moutarde. Faut-il donc tant de cérémonies pour
raccourcir des scélérats que le peuple a déjà jugés ? » Surtout, on se
garde bien de leur donner la parole ; la logique de Guadet, l’éloquence de
Vergniaud pourraient tout déranger au dernier moment ; c’est pourquoi un décret subit permet au tribunal de clore
les débats, quand les jurés se trouveront suffisamment éclairés. Ceux-ci le
sont dès la septième audience, et l’arrêt de mort tombe à l’improviste sur les
accusés, qui n’ont pu se défendre. L’un
d’eux, Valazé, se poignarde, séance tenante, et le lendemain, en trente-huit
minutes, le couperet national abat les vingt têtes qui restent. – Plus
expéditive encore est la procédure contre les accusés qui se sont dérobés au
jugement : Gorsas, saisi à Paris le 8 octobre, y est guillotiné le même jour ;
Birotteau, saisi à Bordeaux le 24 octobre, monte à l’échafaud dans les
vingt-quatre heures. Les autres, traqués
comme des loups, errent en nomades, sous des déguisements, de cachette en
cachette, et la plupart, arrêtés tour à tour, n’ont que le choix entre divers
genres de mort. Chambon est tué
en se défendant ; Lidon, après
s’être défendu, se fait sauter la cervelle ; Condorcet s’empoisonne dans le corps de garde de Bourg-la-Reine ; Roland se perce de son épée sur une
grande route ; Clavière se poignarde
dans sa prison ; on trouve Rébecqui
noyé dans le port de Marseille, Pétion
et Buzot demi-mangés par les loups dans une lande de Saint-Émilion ; Valady est exécuté à Périgueux, Dechézeau à Rochefort, Grangeneuve, Guadet, Salle et Barbaroux à Bordeaux, Coustard, Cussy, Rabaut-Saint-Étienne, Bernard, Masuyer
et Lebrun à Paris. Ceux-là mêmes qui ont donné leur démission depuis le mois de
janvier 1793, Kersaint et Manuel, payent de leur vie le crime d’avoir siégé au
côté droit, et, bien entendu, Mme Roland,
qui passe pour le chef du parti, est guillotinée l’une des premières .
– Des cent quatre-vingts Girondins qui
conduisaient la Convention, cent quarante ont péri, ou sont en prison, ou
ont fui sous un arrêt de mort. Après un tel retranchement et un pareil exemple,
le demeurant des députés ne peut manquer d’être docile ; ni dans les pouvoirs locaux, ni dans le
pouvoir central, la Montagne ne rencontrera de résistance ; son despotisme est
établi dans la pratique : il ne lui
reste plus qu’à le proclamer dans la loi…
Le centralisme démocratique : c’est
de la centralité que doivent partir toutes les impulsions
Cela s’entend, et
de reste . Le régime dont Saint-Just apporte le projet est celui par lequel une
oligarchie d’envahisseurs s’installe et se maintient dans une nation subjuguée.
Par ce régime, en Grèce, 10 000 Spartiates, après l’invasion dorienne, ont maîtrisé
300 000 Ilotes et Périœques. Par ce régime, en Angleterre, 60 000 Normands,
après la bataille d’Hastings, ont maîtrisé deux millions de Saxons. Par ce
régime, en Irlande, après la bataille de la Boyne, 200 000 Anglais protestants
ont maîtrisé un million d’Irlandais catholiques. Par ce régime, les 300 000
Jacobins de France pourront maîtriser les six ou sept millions de Girondins,
Feuillants, royalistes ou indifférents…
Il est très
simple, et consiste à maintenir la population sujette dans l’extrême faiblesse
et dans l’extrême terreur. À cet effet, on la désarme , on la tient en
surveillance, on lui interdit toute action commune, on lui montre la hache
toujours levée et la prison toujours ouverte, on la ruine et on la décime. —
Depuis six mois, toutes ces rigueurs sont décrétées et pratiquées, désarmement
des suspects, taxes sur les riches, maximum contre les commerçants,
réquisitions sur les propriétaires, arrestations en masse, jugements
expéditifs, arrêts de mort arbitraires, supplices étalés et multipliés.
Depuis six mois,
tous les instruments d’exécution sont fabriqués et opèrent, Comité de Salut public, Comité de Sûreté
générale, proconsuls ambulants munis de pouvoirs illimités, comités locaux
autorisés à taxer et emprisonner qui bon leur semble, armée révolutionnaire,
tribunal révolutionnaire. Mais, faute d’accord interne et d’impulsion
centrale, la machine ne fonctionne qu’à demi, et son action n’est ni assez
directe, ni assez universelle, ni assez forte. — « Vous êtes trop loin de tous
les attentats, dit Saint-Just ; il faut
que le glaive de la loi se promène partout avec rapidité, et que votre bras
soit partout présent pour arrêter le crime... Les ministres avouent qu’ils ne
trouvent qu’inertie et insouciance au delà de leurs premiers et de leurs
seconds subordonnés. » — « Chez tous les agents du gouvernement, ajoute
Billaud-Varennes , l’apathie est
égale... « Dans le gouvernement
ordinaire, dit enfin Couthon , au
peuple appartient le droit d’élire ; vous ne pouvez l’en priver. Dans le gouvernement extraordinaire, c’est
de la centralité que doivent partir toutes les impulsions, c’est de la
Convention que doivent venir les élections... Vous nuiriez au peuple en lui
confiant le droit d’élire les fonctionnaires publics, parce que vous
l’exposeriez à nommer des hommes qui le trahiraient. » — En conséquence, les
maximes constitutionnelles de 1789 font place aux maximes contraires ; au lieu de soumettre le gouvernement au
peuple, on soumet le peuple au gouvernement. Sous des noms révolutionnaires, la hiérarchie de l’ancien régime est
rétablie, et désormais les pouvoirs, bien plus redoutables que ceux de l’ancien
régime, cessent d’être délégués de bas en haut, pour être délégués de haut en
bas.
Le pouvoir Montagnard : Comité de Salut
Public, Comité de Sûreté générale, Tribunal révolutionnaire
Au sommet, un
comité de douze membres, semblable à l’ancien Conseil du Roi, exerce la royauté
collective. De nom, l’autorité est également répartie entre les douze ; de
fait, elle se concentre en quelques mains. Plusieurs n’ont qu’un office
subalterne, entre autres Barère,
harangueur ou rédacteur toujours prêt, secrétaire ou porte-parole officiel ;
d’autres, hommes spéciaux, Jeanbon-Saint-André,
Lindet, surtout Prieur de la Côte-d’Or et Carnot,
se cantonnent chacun dans son département spécial, marine, guerre,
approvisionnements, avec un blanc-seing, en échange duquel ils livrent leur
signature aux meneurs politiques. Ceux-ci, qu’on appelle « les hommes d’État »,
Robespierre, Couthon, Saint-Just,
Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, sont les vrais souverains et donnent la
direction d’ensemble. À la vérité, leur mandat doit être renouvelé chaque mois
; mais il ne peut manquer de l’être : en l’état où est la Convention, son vote,
acquis d’avance, est une formalité presque vaine. Plus soumise que le Parlement
de Louis XIV, elle adopte sans discussion les décrets que le Comité de Salut public lui apporte tout faits ; elle n’est
qu’une chambre d’enregistrement, moins que cela : car elle a renoncé au droit
de composer elle-même ses propres comités intérieurs ; elle a chargé de ce soin
le Comité de Salut public, et vote en bloc les listes de noms qu’il lui
fournit . Naturellement, il n’y a mis
que ses fidèles ou ses créatures ; ainsi tout le pouvoir législatif et
parlementaire lui appartient…
– Ainsi, du second
pouvoir de l’État ( les ministres), le comité s’est fait une escouade de
domestiques, et du premier ( la Convention), un auditoire de claqueurs.
Pour les maintenir
dans le devoir, il a deux mains. – L’une, la droite, qui saisit les gens au
collet et à l’improviste, est le Comité
de Sûreté générale, composé des montagnards outrés, Panis, Le Bas, Geoffroy, Amar, David, Vadier, Lebon, Ruhl, La Vicomterie, tous
présentés, c’est-à-dire nommés par lui, ses affidés et ses subalternes. Ils
sont ses lieutenants de police, et viennent, une fois par semaine, travailler
avec lui, comme jadis les Sartine, les Lenoir avec le contrôleur général.
Subitement empoigné, l’homme que le conciliabule a jugé suspect, quel qu’il
soit, représentant, ministre, général, se trouve, le lendemain matin, sous les
verrous d’une des dix nouvelles bastilles. – Là, l’autre main le prend à la
gorge : c’est le Tribunal
révolutionnaire, tribunal
d’exception, semblable aux commissions extraordinaires de l’ancien régime,
mais bien plus terrible. Assisté de ses policiers, le Comité de Salut public a
choisi lui-même les seize juges, les soixante jurés , et il les a choisis parmi les plus servilement,
ou les plus brutalement, ou les plus furieusement fanatiques : Fouquier-Tinville,
Hermann, Dumas, Payan, Coffinhal, Fleuriot-Lescot, au-dessous d’eux, des
prêtres apostats, des nobles renégats, des artistes ratés, des rapins affolés,
des manœuvres qui savent à peine écrire, menuisiers, cordonniers, charpentiers,
tailleurs, coiffeurs, anciens laquais, un idiot comme Ganney, un sourd comme
Leroy-Dix-Août : leurs noms et leurs qualités en disent assez ; ce sont des
meurtriers patentés et soldés ; aux jurés eux-mêmes, on alloue dix-huit francs
par jour, pour qu’ils aient plus de cœur à leur besogne. Cette besogne consiste
à condamner sans preuves, sans plaidoiries, presque sans interrogatoire, à la
hâte, par fournées, tout ce que le Comité de Salut public leur expédie, même
les Montagnards les plus avérés : Danton, l’inventeur du tribunal, s’en
apercevra tout à l’heure.
— Par ces deux
engins de gouvernement, le Comité de
Salut public tient chaque tête sous son couperet, et chaque tête, pour ne pas
tomber, se courbe , en province comme à
Paris.
C’est que, dans la province comme à Paris, par la
mutilation de la hiérarchie locale et par l’introduction d’autorités nouvelles,
sa volonté omnipotente est devenue partout et à chaque instant présente
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