Le système jacobin contrôle les
départements ; Ils se sont attribué le monopole du patriotisme. refus de la Constitution, « comme si vous
étiez revêtus d’une dictature nécessaire au salut de la cité, comme si vous
étiez, au nom du salut public, revêtus de tous les pouvoirs »./ Douze cent
oligarchies obéissant au club parisien.
A l’Assemblée, refus de la Constitution, du veto du roi, sabotage incessant des ministres
non jacobins, rôle trouble des ministres jacobins. Leur renvoi ; vers la
démocraties des Piques et les émeutes ; le pouvoir insurrectionnel : à
côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force ; car elle agit, et il
n’y a qu’elle qui agisse.
Agir imperturbablement dans
toutes les occasions, comme si vous étiez revêtus d’une dictature nécessaire au
salut de la cité,
Ainsi s’opère la conquête jacobine : déjà
au mois d’avril 1792, par des violences presque égales à celles qu’on vient de
décrire, elle s’étale sur plus de vingt départements, et, par des violences
moindres, sur les soixante autres .
— Partout la composition des partis est
la même. D’un côté sont les déclassés de tout état, « les dissipateurs qui,
ayant consumé leur patrimoine, ne peuvent souffrir ceux qui en ont un, les
hommes de néant à qui le désordre ouvre la porte de la richesse et des emplois
publics, les envieux, les ingrats qu’un jour de révolution acquitte envers
leurs bienfaiteurs, les têtes ardentes, les novateurs enthousiastes qui prêchent
la raison le poignard à la main, les indigents, la plèbe brute et misérable,
qui, avec une idée principale d’anarchie, un exemple d’impunité, le silence des
lois et du fer, est excitée à tout oser. » De l’autre côté sont les gens
paisibles, sédentaires, occupés de leurs affaires privées, bourgeois ou
demi-bourgeois d’esprit et de cœur, « affaiblis par l’habitude de la sécurité
ou des jouissances, étonnés d’un bouleversement imprévu et cherchant à se
reconnaître, divisés par la diversité de leurs intérêts ; n’opposant que le
tact et la prudence à une audace continue et au mépris des moyens légitimes, ne
sachant ni se décider ni rester inactifs, calculant péniblement leurs
sacrifices à l’instant où l’ennemi va leur arracher la possibilité d’en faire désormais,
en un mot combattant avec la mollesse et l’égoïsme contre les passions dans
leur état d’indépendance, contre la pauvreté féroce et l’immoralité hardie ». — Partout
l’issue du conflit est la même. Dans chaque ville ou canton, le peloton
agressif des fanatiques sans scrupule, des aventuriers résolus et des vagabonds
avides, impose sa domination à la majorité moutonnière, qui, accoutumée à la
régularité d’une civilisation ancienne, n’ose troubler l’ordre pour mettre fin
au désordre, ni s’insurger contre l’insurrection. — Partout le principe des Jacobins est le même. « Votre système, leur dit un directoire de
département, est d’agir
imperturbablement dans toutes les occasions, même après une Constitution
acceptée, après que les limites des pouvoirs ont été posées, comme si l’empire
était toujours en insurrection, comme si vous étiez revêtus d’une dictature
nécessaire au salut de la cité, comme si vous étiez, au nom du salut public,
revêtus de tous les pouvoirs. » — Partout
la tactique des Jacobins est la même. Dès
l’abord ils se sont attribué le monopole du patriotisme, et, par la destruction
brutale des autres sociétés, ils sont devenus le seul organe apparent de
l’opinion publique. Aussitôt la voix de leur coterie a semblé la voix du peuple
; leur ascendant s’est établi sur les autorités légales ; ils ont marché en
avant par des empiètements continus et irrésistibles, et l’impunité a consacré
leur usurpation.
l’État jacobin, une confédération de douze
cents oligarchies
Telle est la fondation de l’État jacobin,
une confédération de douze cents oligarchies qui manœuvrent leur clientèle de
prolétaires sur le mot d’ordre expédié de Paris : c’est un État
complet, organisé, actif, avec son gouvernement central, sa force armée, son
journal officiel, sa correspondance régulière, sa politique déclarée, son
autorité établie, ses représentants et agents locaux : ceux-ci administrent en
fait, à côté des administrations annulées ou à travers les administrations
asservies. – Vainement les derniers ministres, bons commis et honnêtes gens,
essayent de remplir leur office : leurs injonctions et remontrances ne sont que
du papier noirci . Désespérés, ils se
démettent en déclarant que, « dans ce renversement de tout ordre,... dans cet
état d’impuissance de la force publique et d’avilissement des autorités
constituées,... il leur est impossible d’entretenir la vie et le mouvement du
vaste corps dont tous les membres sont paralysés ». – Quand un arbre est
déchaussé, il est aisé de l’abattre : à présent que les Jacobins ont tranché
toutes ses racines, il leur suffira d’une poussée au centre pour faire tomber
le tronc…
Le sabotage de la Constitution et du ministère.
Le rôle trouble des ministres jacobins
Auparavant, on a si fort ébranlé l’arbre, qu’il chancelle déjà sur sa base.
– Toute réduite que soit la prérogative du roi, les Jacobins ne cessent de la
lui contester et lui en ôtent jusqu’à l’apparence. Dès la première séance, ils
lui ont refusé les titres de Sire et de Majesté : pour eux, il n’est pas, comme
le veut la Constitution, le représentant héréditaire du peuple français, mais «
un premier fonctionnaire », c’est-à-dire un simple employé, trop heureux de
s’asseoir sur un fauteuil égal auprès du président de l’Assemblée, qu’ils
appellent « le président de la nation
». À leurs yeux, l’Assemblée est l’unique souveraine. « Tandis que les
autres pouvoirs, dit Condorcet, ne peuvent légitimement agir que s’ils sont
spécialement autorisés par une loi expresse, l’Assemblée peut faire tout ce qui ne lui est pas formellement interdit
par la loi », en d’autres termes
interpréter la Constitution, par suite l’altérer, l’abroger, la défaire. En
conséquence, au mépris de la Constitution, elle s’est arrogé l’initiative de la
guerre , et, dans les rares occasions où le roi use de son veto, elle passe
outre ou laisse passer outre. Vainement il a rejeté, conformément à son droit
légal, les décrets qui persécutent les ecclésiastiques insermentés, qui
séquestrent les biens des émigrés, qui établissent un camp sous Paris. Sur la
suggestion des députés jacobins , les
insermentés sont internés, expulsés, emprisonnés par les municipalités et les
directoires ; les terres et les maisons des émigrés et de leurs parents sont
abandonnées sans résistance à la jacquerie ; le camp sous Paris est remplacé
par l’appel des fédérés à Paris. Bref, on élude la sanction du monarque ou l’on
s’en dispense…
Quant à ses ministres, « ils ne sont que des commis du corps législatif
parés de l’attache royale ». En pleine
séance, on les malmène, on les rudoie, on les couvre d’avanies, non seulement
comme des laquais mal famés, mais encore comme des malfaiteurs avérés. On les
interroge à la barre, on leur défend de quitter Paris avant d’avoir rendu leurs
comptes, on visite leurs papiers, on
leur impute à crime les expressions les plus mesurées et les actes les plus
méritoires, on provoque contre eux les dénonciations, on révolte contre eux
leurs subordonnés , on institue contre
eux un comité de surveillance et de calomnie, on leur montre à tout propos
l’échafaud en perspective, on les décrète ou on les menace d’accusation, eux et
leurs agents, sous des prétextes si vagues, avec des arguties si
misérables , par une falsification si
visible des faits et des textes, qu’à deux reprises l’Assemblée, contrainte par
l’évidence, revient sur son jugement précipité et déclare innocents ceux
qu’elle avait condamnés la veille..
Non seulement Roland, Clavière et Servan ne couvrent pas le roi, mais ils
le livrent et, sous leur patronage, il est, avec leur connivence, plus
sacrifié, plus harcelé, plus vilipendé qu’auparavant. Dans l’Assemblée, leurs
partisans le diffament à tour de rôle, et Isnard propose contre lui l’adresse
la plus grossièrement insolente . Devant
son palais, ce sont des cris de mort ; c’est un abbé ou un militaire qu’on roue
de coups et qu’on traîne dans le bassin des Tuileries ; c’est un canonnier de
la garde qui apostrophe la reine comme une poissarde et lui dit : « Que j’aurai
de plaisir à mettre ta tête au bout de ma baïonnette . » – Sous
cette double pression du corps législatif et de la rue, on suppose qu’il est
maté ; on compte sur sa docilité éprouvée, à tout le moins sur son inertie
foncière ; on croit avoir fait de lui ce que Condorcet demandait jadis, une
machine à signatures . En
conséquence, sans l’avertir et comme si le trône était vacant, Servan vient, de
son propre chef, proposer à l’Assemblée le camp sous Paris. De son côté, Roland, en plein conseil, lui lit une
remontrance de pédagogue hautain, scrute ses sentiments, lui enseigne ses
devoirs, le somme de se convertir « à la
religion » nouvelle, de sanctionner le décret contre les ecclésiastiques
insermentés, c’est-à-dire de condamner à la mendicité, à la prison, à la
déportation 70 000 prêtres et religieuses coupables d’orthodoxie, d’autoriser
le camp sous Paris, c’est-à-dire de mettre son trône, sa personne et sa famille
à la discrétion de 20 000 furieux choisis par les clubs et assemblés exprès
pour lui faire violence ; bref, d’abdiquer
à la fois sa conscience et son bon sens. – Chose étrange, cette fois le soliveau royal ne se laisse pas ébranler : non seulement
il refuse, mais il renvoie ses ministres. Tant pis pour lui ; il signera et les
reprendra, coûte que coûte ; puisqu’il s’obstine à rester en travers de la
voie, on lui marchera dessus. – Ce n’est pas qu’il soit dangereux et songe à
sortir de son immobilité légale. Jusqu’au 10 août, par horreur de l’action et
pour ne pas allumer la guerre civile, il rejettera tous les plans qui
pourraient amener une rupture ouverte. Jusqu’au dernier jour, il s’en remettra,
même pour son salut propre et pour la sûreté de sa famille, à la loi
constitutionnelle et à la raison publique. Avant de renvoyer Servan et Roland,
il a voulu donner un gage éclatant de ses intentions pacifiques, il a
sanctionné la dissolution de sa garde, il s’est désarmé, non seulement pour
l’attaque, mais pour la défense : dorénavant, il attend chez lui l’émeute dont
chaque jour on le menace ; il est résigné à tout, sauf à tirer l’épée, et son attitude est celle d’un chrétien dans
un cirque.
Mais la proposition d’un camp sous Paris a
soulevé une protestation de 8 000 gardes nationaux parisiens ; de son camp, La
Fayette dénonce à l’Assemblée les usurpations du parti jacobin ; la faction
voit son règne menacé par le réveil et l’union des amis de l’ordre. Il lui faut
un coup de main : depuis un mois, elle le prépare, et, pour refaire les
journées des 5 et 6 octobre, les matériaux ne lui manquent pas.
La démocratie des Piques ; . À côté des autorités qui parlent,
voilà la véritable force
Seuls convaincus que
l’attroupement dans la rue est souverain au même titre que la nation dans ses
comices, ils sont les seuls qui s’attroupent dans la rue, et ils se trouvent rois, parce que, à force de déraison et
d’outrecuidance, ils ont pu croire à leur royauté.
Tel est le nouveau pouvoir qui,
dans les premiers mois de 1792, surgit à côté des pouvoirs légaux. La Constitution ne l’a pas prévu ; mais il existe, il se montre, on le
voit, on peut compter ses recrues. Le 29 avril, du consentement de l’Assemblée
et contrairement à la loi, les trois bataillons du faubourg Saint-Antoine,
environ 1 500 hommes , défilent dans la
salle sur trois colonnes, dont l’une de
fusiliers et les deux autres d’hommes à piques, « piques de 8 à 10 pieds »,
d’aspect formidable et de toute espèce, « piques à feuilles de laurier,
piques à trèfle, piques à carrelet, piques à broche, piques à cœur, piques à
langue de serpent, piques à fourchon, piques à stylet, piques avec hache
d’armes, piques à ergots, piques à cornes tranchantes, piques à lance hérissées
d’épines de fer ». De l’autre côté de la Seine, les trois bataillons du
faubourg Saint-Marcel sont composés et armés de même. Cela fait un noyau de 3 000 combattants, et il y en a peut-être 3 000
autres pareils dans les autres quartiers de Paris. Ajoutez-y, dans chacun des
soixante bataillons de la garde nationale, les canonniers, presque tous
forgerons, serruriers, maréchaux ferrants et la majorité des gendarmes,
anciens soldats licenciés pour insubordination, qui inclinent naturellement du
côté de l’émeute ; en tout, sans compter l’accompagnement ordinaire des
vagabonds et des simples bandits, environ
9 000 hommes, ignorants, exaltés, mais tous gens d’exécution, bien armés,
formés en corps, prêts à marcher, prompts à frapper. À côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force ; car elle
agit, et il n’y a qu’elle qui agisse. Comme jadis à Rome la garde prétorienne
des Césars, comme jadis à Bagdad la garde turque des califes, elle est
désormais maîtresse de la capitale, et, par la capitale, de l’État.
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