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mardi 15 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_60_ l’action des Jacobins à Paris

Le système jacobin contrôle les départements ; Ils se sont attribué le monopole du patriotisme.  refus de la Constitution, « comme si vous étiez revêtus d’une dictature nécessaire au salut de la cité, comme si vous étiez, au nom du salut public, revêtus de tous les pouvoirs »./ Douze cent oligarchies obéissant au club parisien.  A l’Assemblée, refus de la Constitution,  du veto du roi, sabotage incessant des ministres non jacobins, rôle trouble des ministres jacobins. Leur renvoi ; vers la démocraties des Piques et les émeutes ; le pouvoir insurrectionnel : à côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force ; car elle agit, et il n’y a qu’elle qui agisse.  


Agir imperturbablement dans toutes les occasions, comme si vous étiez revêtus d’une dictature nécessaire au salut de la cité,

Ainsi s’opère la conquête jacobine : déjà au mois d’avril 1792, par des violences presque égales à celles qu’on vient de décrire, elle s’étale sur plus de vingt départements, et, par des violences moindres, sur les soixante autres  . — Partout la composition des partis est la même. D’un côté sont les déclassés de tout état, « les dissipateurs qui, ayant consumé leur patrimoine, ne peuvent souffrir ceux qui en ont un, les hommes de néant à qui le désordre ouvre la porte de la richesse et des emplois publics, les envieux, les ingrats qu’un jour de révolution acquitte envers leurs bienfaiteurs, les têtes ardentes, les novateurs enthousiastes qui prêchent la raison le poignard à la main, les indigents, la plèbe brute et misérable, qui, avec une idée principale d’anarchie, un exemple d’impunité, le silence des lois et du fer, est excitée à tout oser. » De l’autre côté sont les gens paisibles, sédentaires, occupés de leurs affaires privées, bourgeois ou demi-bourgeois d’esprit et de cœur, « affaiblis par l’habitude de la sécurité ou des jouissances, étonnés d’un bouleversement imprévu et cherchant à se reconnaître, divisés par la diversité de leurs intérêts ; n’opposant que le tact et la prudence à une audace continue et au mépris des moyens légitimes, ne sachant ni se décider ni rester inactifs, calculant péniblement leurs sacrifices à l’instant où l’ennemi va leur arracher la possibilité d’en faire désormais, en un mot combattant avec la mollesse et l’égoïsme contre les passions dans leur état d’indépendance, contre la pauvreté féroce et l’immoralité hardie   ». — Partout l’issue du conflit est la même. Dans chaque ville ou canton, le peloton agressif des fanatiques sans scrupule, des aventuriers résolus et des vagabonds avides, impose sa domination à la majorité moutonnière, qui, accoutumée à la régularité d’une civilisation ancienne, n’ose troubler l’ordre pour mettre fin au désordre, ni s’insurger contre l’insurrection. — Partout le principe des Jacobins est le même. « Votre système, leur dit un directoire de département, est d’agir imperturbablement dans toutes les occasions, même après une Constitution acceptée, après que les limites des pouvoirs ont été posées, comme si l’empire était toujours en insurrection, comme si vous étiez revêtus d’une dictature nécessaire au salut de la cité, comme si vous étiez, au nom du salut public, revêtus de tous les pouvoirs. » — Partout la tactique des Jacobins est la même. Dès l’abord ils se sont attribué le monopole du patriotisme, et, par la destruction brutale des autres sociétés, ils sont devenus le seul organe apparent de l’opinion publique. Aussitôt la voix de leur coterie a semblé la voix du peuple ; leur ascendant s’est établi sur les autorités légales ; ils ont marché en avant par des empiètements continus et irrésistibles, et l’impunité a consacré leur usurpation.

l’État jacobin, une confédération de douze cents oligarchies

Telle est la fondation de l’État jacobin, une confédération de douze cents oligarchies qui manœuvrent leur clientèle de prolétaires sur le mot d’ordre expédié de Paris : c’est un État complet, organisé, actif, avec son gouvernement central, sa force armée, son journal officiel, sa correspondance régulière, sa politique déclarée, son autorité établie, ses représentants et agents locaux : ceux-ci administrent en fait, à côté des administrations annulées ou à travers les administrations asservies. – Vainement les derniers ministres, bons commis et honnêtes gens, essayent de remplir leur office : leurs injonctions et remontrances ne sont que du papier noirci  . Désespérés, ils se démettent en déclarant que, « dans ce renversement de tout ordre,... dans cet état d’impuissance de la force publique et d’avilissement des autorités constituées,... il leur est impossible d’entretenir la vie et le mouvement du vaste corps dont tous les membres sont paralysés ». – Quand un arbre est déchaussé, il est aisé de l’abattre : à présent que les Jacobins ont tranché toutes ses racines, il leur suffira d’une poussée au centre pour faire tomber le tronc…

Le sabotage de la Constitution et du ministère. Le rôle trouble des ministres jacobins

Auparavant, on a si fort ébranlé l’arbre, qu’il chancelle déjà sur sa base. – Toute réduite que soit la prérogative du roi, les Jacobins ne cessent de la lui contester et lui en ôtent jusqu’à l’apparence. Dès la première séance, ils lui ont refusé les titres de Sire et de Majesté : pour eux, il n’est pas, comme le veut la Constitution, le représentant héréditaire du peuple français, mais « un premier fonctionnaire », c’est-à-dire un simple employé, trop heureux de s’asseoir sur un fauteuil égal auprès du président de l’Assemblée, qu’ils appellent « le président de la nation   ». À leurs yeux, l’Assemblée est l’unique souveraine. « Tandis que les autres pouvoirs, dit Condorcet, ne peuvent légitimement agir que s’ils sont spécialement autorisés par une loi expresse, l’Assemblée peut faire tout ce qui ne lui est pas formellement interdit par la loi   », en d’autres termes interpréter la Constitution, par suite l’altérer, l’abroger, la défaire. En conséquence, au mépris de la Constitution, elle s’est arrogé l’initiative de la guerre , et, dans les rares occasions où le roi use de son veto, elle passe outre ou laisse passer outre. Vainement il a rejeté, conformément à son droit légal, les décrets qui persécutent les ecclésiastiques insermentés, qui séquestrent les biens des émigrés, qui établissent un camp sous Paris. Sur la suggestion des députés jacobins  , les insermentés sont internés, expulsés, emprisonnés par les municipalités et les directoires ; les terres et les maisons des émigrés et de leurs parents sont abandonnées sans résistance à la jacquerie ; le camp sous Paris est remplacé par l’appel des fédérés à Paris. Bref, on élude la sanction du monarque ou l’on s’en dispense…
Quant à ses ministres, « ils ne sont que des commis du corps législatif parés de l’attache royale   ». En pleine séance, on les malmène, on les rudoie, on les couvre d’avanies, non seulement comme des laquais mal famés, mais encore comme des malfaiteurs avérés. On les interroge à la barre, on leur défend de quitter Paris avant d’avoir rendu leurs comptes, on visite leurs papiers, on leur impute à crime les expressions les plus mesurées et les actes les plus méritoires, on provoque contre eux les dénonciations, on révolte contre eux leurs subordonnés  , on institue contre eux un comité de surveillance et de calomnie, on leur montre à tout propos l’échafaud en perspective, on les décrète ou on les menace d’accusation, eux et leurs agents, sous des prétextes si vagues, avec des arguties si misérables  , par une falsification si visible des faits et des textes, qu’à deux reprises l’Assemblée, contrainte par l’évidence, revient sur son jugement précipité et déclare innocents ceux qu’elle avait condamnés la veille..

Non seulement Roland, Clavière et Servan ne couvrent pas le roi, mais ils le livrent et, sous leur patronage, il est, avec leur connivence, plus sacrifié, plus harcelé, plus vilipendé qu’auparavant. Dans l’Assemblée, leurs partisans le diffament à tour de rôle, et Isnard propose contre lui l’adresse la plus grossièrement insolente  . Devant son palais, ce sont des cris de mort ; c’est un abbé ou un militaire qu’on roue de coups et qu’on traîne dans le bassin des Tuileries ; c’est un canonnier de la garde qui apostrophe la reine comme une poissarde et lui dit : « Que j’aurai de plaisir à mettre ta tête au bout de ma baïonnette  . » – Sous cette double pression du corps législatif et de la rue, on suppose qu’il est maté ; on compte sur sa docilité éprouvée, à tout le moins sur son inertie foncière ; on croit avoir fait de lui ce que Condorcet demandait jadis, une machine à signatures  . En conséquence, sans l’avertir et comme si le trône était vacant, Servan vient, de son propre chef, proposer à l’Assemblée le camp sous Paris. De son côté, Roland, en plein conseil, lui lit une remontrance de pédagogue hautain, scrute ses sentiments, lui enseigne ses devoirs, le somme de se convertir « à la religion » nouvelle, de sanctionner le décret contre les ecclésiastiques insermentés, c’est-à-dire de condamner à la mendicité, à la prison, à la déportation 70 000 prêtres et religieuses coupables d’orthodoxie, d’autoriser le camp sous Paris, c’est-à-dire de mettre son trône, sa personne et sa famille à la discrétion de 20 000 furieux choisis par les clubs et assemblés exprès pour lui faire violence   ; bref, d’abdiquer à la fois sa conscience et son bon sens. – Chose étrange, cette fois le soliveau royal ne se laisse pas ébranler : non seulement il refuse, mais il renvoie ses ministres. Tant pis pour lui ; il signera et les reprendra, coûte que coûte ; puisqu’il s’obstine à rester en travers de la voie, on lui marchera dessus. – Ce n’est pas qu’il soit dangereux et songe à sortir de son immobilité légale. Jusqu’au 10 août, par horreur de l’action et pour ne pas allumer la guerre civile, il rejettera tous les plans qui pourraient amener une rupture ouverte. Jusqu’au dernier jour, il s’en remettra, même pour son salut propre et pour la sûreté de sa famille, à la loi constitutionnelle et à la raison publique. Avant de renvoyer Servan et Roland, il a voulu donner un gage éclatant de ses intentions pacifiques, il a sanctionné la dissolution de sa garde, il s’est désarmé, non seulement pour l’attaque, mais pour la défense : dorénavant, il attend chez lui l’émeute dont chaque jour on le menace ; il est résigné à tout, sauf à tirer l’épée, et son attitude est celle d’un chrétien dans un cirque.
Mais la proposition d’un camp sous Paris a soulevé une protestation de 8 000 gardes nationaux parisiens ; de son camp, La Fayette dénonce à l’Assemblée les usurpations du parti jacobin ; la faction voit son règne menacé par le réveil et l’union des amis de l’ordre. Il lui faut un coup de main : depuis un mois, elle le prépare, et, pour refaire les journées des 5 et 6 octobre, les matériaux ne lui manquent pas.

La démocratie des Piques ; . À côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force

Seuls convaincus que l’attroupement dans la rue est souverain au même titre que la nation dans ses comices, ils sont les seuls qui s’attroupent dans la rue, et ils se trouvent rois, parce que, à force de déraison et d’outrecuidance, ils ont pu croire à leur royauté.

Tel est le nouveau pouvoir qui, dans les premiers mois de 1792, surgit à côté des pouvoirs légaux. La Constitution ne l’a pas prévu ; mais il existe, il se montre, on le voit, on peut compter ses recrues. Le 29 avril, du consentement de l’Assemblée et contrairement à la loi, les trois bataillons du faubourg Saint-Antoine, environ 1 500 hommes  , défilent dans la salle sur trois colonnes, dont l’une de fusiliers et les deux autres d’hommes à piques, « piques de 8 à 10 pieds », d’aspect formidable et de toute espèce, « piques à feuilles de laurier, piques à trèfle, piques à carrelet, piques à broche, piques à cœur, piques à langue de serpent, piques à fourchon, piques à stylet, piques avec hache d’armes, piques à ergots, piques à cornes tranchantes, piques à lance hérissées d’épines de fer ». De l’autre côté de la Seine, les trois bataillons du faubourg Saint-Marcel sont composés et armés de même. Cela fait un noyau de 3 000 combattants, et il y en a peut-être 3 000 autres pareils dans les autres quartiers de Paris. Ajoutez-y, dans chacun des soixante bataillons de la garde nationale, les canonniers, presque tous forgerons, serruriers, maréchaux ferrants et la majorité des gendarmes, anciens soldats licenciés pour insubordination, qui inclinent naturellement du côté de l’émeute ; en tout, sans compter l’accompagnement ordinaire des vagabonds et des simples bandits, environ 9 000 hommes, ignorants, exaltés, mais tous gens d’exécution, bien armés, formés en corps, prêts à marcher, prompts à frapper. À côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force ; car elle agit, et il n’y a qu’elle qui agisse. Comme jadis à Rome la garde prétorienne des Césars, comme jadis à Bagdad la garde turque des califes, elle est désormais maîtresse de la capitale, et, par la capitale, de l’État.

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