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mercredi 9 août 2017

Taine _ La Révolution- l’anarchie spontanée_29_ Anarchie et famine

Comment l'anarchie mène à la Terreur, et à une concentration jacobine qui reprendra en plus féroce la concentration jacobine. La lutte communes contre communes pour garder le blé. A méditer par les partisans de l'autonomie des communes ( ou en termes positivistes, il n'y pas plus de société sans gouvernement que de gouvernement sans société)


Pour tout homme impartial, la Terreur date du 14 juillet. »

Désormais il est clair qu’il n’y a plus de sécurité pour personne : ni la nouvelle milice, ni les nouvelles autorités ne suffisent à faire respecter la loi. « On n’osait pas, dit Bailly, résister au peuple qui, huit jours auparavant, avait pris la Bastille. » — En vain, après les deux derniers meurtres, Bailly et La Fayette indignés menacent de se retirer ; on les oblige à demeurer ; leur protection, telle quelle, est la seule qui reste, et, si la garde nationale n’empêche pas tous les meurtres, du moins elle en empêche quelques-uns. On vit ainsi, comme on peut, sous l’attente continuelle de nouveaux coups de main populaires. » Pour tout homme impartial, écrit Malouet, la Terreur date du 14 juillet. »
4— Le 17, avant de partir pour Paris, le roi communie et fait ses dispositions en prévision d’un assassinat. — Le lendemain des deux meurtres, M. de Crosne, M. Doumerc, M. Sureau, les membres les plus zélés et les plus précieux du comité des subsistances, tous les préposés aux achats et aux magasins se cachent ou s’enfuient…
On glorifie l’insurrection ; pas un assassin n’est recherché ; c’est contre la conspiration des ministres que l’Assemblée institue une enquête. On décerne les récompenses aux vainqueurs de la Bastille ; on déclare qu’ils ont sauvé la France. On célèbre le peuple, son grand sens, sa magnanimité, sa justice. On adore le nouveau souverain ; on lui répète en public officiellement, dans les journaux, à l’Assemblée, qu’il a toutes les vertus, tous les droits, tous les pouvoirs. S’il a versé le sang, c’est par mégarde, sur provocation, et toujours avec un instinct infaillible. D’ailleurs, dit un député, « ce sang était-il si pur » ? — La plupart aiment mieux en croire la théorie de leurs livres que l’expérience de leurs yeux ; ils persévèrent dans l’idylle qu’ils se sont forgée. À tout le moins, leur rêve, exclu du présent, se réfugie dans l’avenir : demain, quand la Constitution sera faite, le peuple, devenu heureux, redeviendra sage ; résignons-nous à l’orage qui conduit à un si beau port

Anarchie en Province, anarchie à Paris empêchant de prendre des mesures contre la famine. Communes contre communes

Si mauvais que soit un gouvernement, il y a quelque chose de pire, c’est la suppression du gouvernement. Car c’est grâce à lui que les volontés humaines font un concert, au lieu d’un pêle-mêle. Il sert dans une société à peu près comme le cerveau dans une créature vivante. Incapable, inconsidéré, dépensier, absorbant, souvent il abuse de sa place, et surmène ou fourvoie le corps qu’il devrait ménager et guider. Mais, à tout prendre, quoi qu’il fasse, il fait encore plus de bien que de mal ; car c’est par lui que le corps se tient debout, marche et coordonne ses pas. Sans lui, point d’action réfléchie, agencée, et qui soit utile à l’animal entier. En lui seul sont les vues d’ensemble, la connaissance des membres et de leur jeu, la notion du dehors, l’information exacte et complète, la prévoyance à longue portée, bref la raison supérieure qui conçoit l’intérêt commun et combine les moyens appropriés. S’il défaille et n’est plus obéi, s’il est froissé et faussé du dehors par une pression brutale, la raison cesse de conduire les affaires publiques, et l’organisation sociale rétrograde de plusieurs degrés. Par la dissolution de la société et par l’isolement des individus, chaque homme est retombé dans sa faiblesse originelle, et tout pouvoir appartient aux rassemblements temporaires qui, dans la poussière humaine, se soulèvent comme des tourbillons. – Ce pouvoir que les hommes les plus compétents ont peine à bien appliquer, on devine comment des bandes improvisées vont l’exercer….
— Tel est le gouvernement effectif auquel la France est livrée, et, après dix-huit mois d’expérience, le plus compétent, le plus judicieux, le plus profond observateur de la Révolution ne trouvera rien à lui comparer que l’invasion de l’Empire Romain au quatrième siècle  . « Les Huns, les Hérules, les Vandales et les Goths ne viendront ni du Nord ni de la mer Noire : ils sont au milieu de nous. » (Gouverneur Morris, lettre du 31 juillet 1789. « Ce pays est actuellement aussi près de l’anarchie qu’une société peut en approcher sans se dissoudre. »)..
Le commandant de la Bourgogne est prisonnier à Dijon, avec une garde à sa porte et défense de parler à personne sans permission et témoins  . Celui de Caen est assiégé dans le vieux Palais et capitule. Celui de Bordeaux livre Château-Trompette avec les équipements et les fusils. Celui de Metz, qui se maintient, subit les insultes et les ordres de la populace. Celui de Bretagne erre « en vagabond » dans sa province, pendant qu’à Rennes ses gens, ses meubles et sa vaisselle sont gardés en otage ; sitôt qu’il met le pied en Normandie, il est investi et l’on place une sentinelle à sa porte. – L’intendant de Besançon est en fuite ; celui de Rouen voit sa maison saccagée de fond en comble et se sauve parmi les cris d’une bande qui demande sa tête. – À Rennes, le doyen du parlement est arrêté, maltraité, gardé à vue dans sa chambre, puis renvoyé de la ville, quoique malade, et sous escorte. – À Strasbourg « trente-six maisons de magistrats sont marquées pour le pillage   »…

Il y a un maire à Paris, Bailly ; mais « dès le premier jour, et le plus aisément du monde   », son conseil municipal, c’est-à-dire « l’assemblée des représenants de la commune, s’est accoutumé à administrer tout seul et à l’oublier le plus parfaitement ». Il y a un pouvoir central, le conseil municipal présidé par le maire ; mais, « en ce temps-là, l’autorité est partout, excepté où l’autorité prépondérante doit être ; les districts l’ont déléguée et en même temps retenue » ; chacun d’eux agit comme s’il était seul et souverain. — Il y a des pouvoirs secondaires, les comités de district, chacun avec son président, son greffier, son bureau, ses commissaires ; mais les attroupements de la rue marchent sans attendre leur ordre, et le peuple, qui crie sous leurs fenêtres, leur impose ses volontés…
« Qu’on imagine, écrit Loustalot lui-même, un homme dont chaque pied, chaque main, chaque membre aurait une intelligence et une volonté, dont une jambe voudrait marcher tandis que l’autre voudrait se reposer, dont le gosier se fermerait quand l’estomac demanderait des aliments, dont la bouche chanterait quand les yeux seraient appesantis par le sommeil, et l’on aura une image frappante de l’état de la capitale. » Il y a « soixante républiques   » dans Paris ; car chaque district est un pouvoir indépendant, isolé, qui ne reçoit aucun ordre sans le contrôler, et qui est toujours en désaccord, souvent en conflit, avec les autorités du centre ou avec les autres districts. Il reçoit les dénonciations, commande les visites domiciliaires, députe à l’Assemblée nationale, prend des arrêtés, placarde ses affiches, non seulement dans son quartier, mais dans toute la ville, et parfois même étend sa juridiction au delà de Paris. Tout est de son ressort, et notamment ce qui ne devrait pas en être. — Le 18 juillet, celui des Petits-Augustins   « arrête à lui tout seul qu’il sera établi des juges de paix » sous le nom de tribuns, procède sur-le-champ à l’élection des siens, et nomme l’acteur Molé. Le 30, celui de l’Oratoire annule l’amnistie accordée dans l’Hôtel de Ville par les représentants de la commune, et charge deux de ses membres d’aller à trente lieues de là prendre M. de Besenval. Le 19 août, celui de Nazareth donne des commissions pour saisir et conduire à Paris les armes déposées dans plusieurs places fortes. Dès le commencement, tous, en leur nom privé, envoient à l’Arsenal et « se font délivrer à volonté des cartouches et de la poudre ». D’autres s’arrogent le droit de surveiller l’Hôtel de Ville ou de gourmander l’Assemblée nationale. L’Oratoire arrête que les représentants de la commune seront invités à délibérer publiquement. Saint-Nicolas-des-Champs délibère sur le veto et fait prier l’Assemblée de suspendre son vote. – C’est un spectacle étrange que celui de tous ces pouvoirs qui se contredisent et se détruisent l’un par l’autre. Aujourd’hui l’Hôtel de Ville s’approprie cinq voitures de drap expédiées par le gouvernement, et le district Saint-Gervais s’oppose à la décision de l’Hôtel de Ville. Demain Versailles intercepte des grains destinés à Paris, et Paris menace, si on ne les lui restitue, de marcher sur Versailles. J’omets les incidents ridicules…
déjà les enfants, imitateurs empressés des actions qui ont la vogue, le singent en miniature, et, dans le mois qui suit le meurtre de Bertier et de Foullon, on rapporte à Bailly que des gamins paradent dans la rue avec deux têtes de chat au bout d’une pique  .


Le pain est toujours rare, et aux portes des boulangers la queue ne diminue pas. En vain Bailly et son comité d’approvisionnement passent les nuits ; ils sont toujours dans les transes. — Pendant deux mois, chaque matin, il n’y a de farines que pour un jour ou deux ; quelquefois, le soir, on n’en a pas pour le lendemain  . La vie de la capitale dépend d’un convoi qui est à dix, quinze, vingt lieues, et qui peut-être n’arrivera pas : l’un, de vingt voitures, est pillé, le 18 juillet, sur la route de Rouen ; un autre, le 4 août, aux environs de Louviers. Sans le régiment suisse de Salis qui, depuis le 14 juillet jusqu’à la fin de septembre, marche nuit et jour pour faire escorte, aucun bateau de grains n’arriverait de Rouen à Paris  . – Il y a danger de mort pour les commissaires chargés de faire les achats ou de surveiller les expéditions. Ceux qu’on envoie à Provins sont saisis, et il faut, pour les délivrer, mettre en marche une colonne de quatre cents hommes avec du canon. Celui qu’on dépêche à Rouen apprend qu’il sera pendu, s’il ose entrer ; à Mantes, un attroupement entoure son cabriolet ; aux yeux du peuple, quiconque vient enlever des grains est une peste publique ; il se sauve à grand’peine par une porte de derrière, et revient à pied à Paris. – Dès le commencement, selon une règle universelle, la crainte de manquer accroît la disette ; chacun se pourvoit pour plusieurs jours ; une fois, dans le galetas d’une vieille femme, on trouva seize pains de quatre livres..

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