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mercredi 16 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_71_ Les Jacobins en province- répliques de septembre

Dans chaque commune de France, le club règne. Entre le massacre et la menace, tous les intermédiaires se rencontrent. Arras, Avignon, Arles, Marseille.. Les régiments de volontaires qui se déplacent à travers la France prêtent main-forte aux Jacobins locaux. Ilse se chargent, dans les villes qu’il traverse, d’achever la révolution sur place. Plus sûrs de l’impunité, sans liens locaux, leurs meurtres et exactions sont encore plus terribles

Dans chaque commune de France, le club règne

Tel est à peu près le type du gouvernement qui surgit, après le 10 août, dans chaque commune de France : le club règne ; mais, selon les circonstances, la forme et les procédés de sa dictature sont différents. – Tantôt il opère directement par la bande exécutive qu’il conduit ou par la populace ameutée qu’il lance ; tantôt il opère indirectement par l’assemblée électorale qu’il a fait élire ou par la municipalité qui est sa complice. Si les administrations sont jacobines, il gouverne à travers elles ; si elles sont passives, il gouverne à côté d’elles ; si elles sont réfractaires, il les épure   ou les casse  , et, pour les dompter, il va non seulement jusqu’aux coups, mais jusqu’au meurtre   et jusqu’au massacre  . Entre le massacre et la menace, tous les intermédiaires se rencontrent, et le sceau révolutionnaire s’imprime partout avec des inégalités de relief.
En beaucoup d’endroits, la menace suffit. Dans les contrées où le tempérament est froid et où la résistance est nulle, il est inutile d’employer les voies de fait. À quoi bon tuer, par exemple, dans une ville comme Arras, où, le jour du serment civique, le président du département, très prudent millionnaire, parade dans les rues, bras dessus, bras dessous, avec la mère Duchesne qui vend des galettes dans une cave ; où, le jour des élections, les bourgeois qui votent nomment, par poltronnerie, les candidats du club, sous prétexte qu’il faut envoyer à Paris « les gueux et les scélérats » pour en purger la ville   ? Ce serait peine perdue que de frapper sur des gens qui rampent si bien  . La faction se contente de les marquer comme des chiens galeux, de les parquer, de les tenir en laisse, de les vexer  . Elle affiche à la porte des corps de garde la liste des habitants qui sont parents d’un émigré ; elle fait des visites domiciliaires ; elle dresse à son gré une liste de suspects, et il se trouve que sur cette liste elle a inscrit tous les riches. Elle les insulte et les désarme ; elle les interne dans la ville ; elle leur défend d’en sortir, même à pied ; elle leur ordonne de se présenter chaque jour devant son comité de sûreté publique ; elle les condamne à payer dans les vingt-quatre heures toutes leurs contributions de l’année ; elle décachette leurs lettres ; elle confisque, rase et vend dans les cimetières leurs tombeaux de famille. Tout cela est de règle, comme aussi la persécution religieuse, l’irruption dans les sanctuaires privés où se dit la messe, les coups de crosse et de poing prodigués à l’officiant, l’obligation pour les parents orthodoxes de faire baptiser leurs enfants par le curé schismatique, l’expulsion des religieuses, la poursuite, l’emprisonnement, la déportation des prêtres insermentés…
Avignon a pour maîtres les bandits de la Glacière. Arles subit le joug de ses mariniers et de ses portefaix. Marseille appartient à « une bande de scélérats, vomis des maisons de débauche, qui ne reconnaissent ni lois ni magistrats et dominent la ville par la terreur   ». – Rien d’étonnant si de tels hommes, investis d’un tel pouvoir, en usent conformément à leur nature, et si l’interrègne, qui est leur règne, étend sur la France un cercle de dévastations, de vols et d’assassinats…

Les volontaires se chargent d’achever la Révolution sur place

Ordinairement la bande sédentaire des clubistes a pour auxiliaire une bande ambulante de la même espèce ; je veux parler des volontaires ; plus redoutables et plus malfaisants, car ils marchent en corps et sont armés  . Comme leurs confrères civils, nombre d’entre eux sont des va-nu-pieds de la ville et de la campagne ; la plupart, ne sachant comment subsister, ont été alléchés par la solde de 15 sous par jour ; c’est le manque d’ouvrage et de pain qui les a faits soldats  . D’ailleurs, chaque commune ayant été chargée de fournir son contingent, « on a ramassé dans les villes ce qu’on a trouvé, les mauvais sujets au coin des rues, les gens sans aveu, et, dans les campagnes, tous les malheureux, tous les vagabonds : on a presque tout fait marcher par le sort ou par argent, » et probablement les administrations, « par ce moyen, ont entendu purger la France   ». Aux malheureux « achetés par les communes » ajoutez les gens du même acabit que les riches ont payés pour remplacer leurs fils…
Arrivés à la frontière, il s’en trouve « un tiers incapable de service   ». Mais, avant d’arriver sur la frontière, ils travaillent sur leur chemin en vrais « pirates ». — Plus valides de corps et plus honnêtes de cœur, les autres, sous la discipline du danger continu, deviendront au bout d’un an de bons soldats. Mais, en attendant, le dégât qu’ils font n’est pas moindre ; car s’ils sont moins voleurs, ils sont plus fanatiques. Rien de si délicat que l’institution militaire : par cela seul qu’il a la force, l’homme est toujours tenté d’abuser de la force ; pour qu’un corps franc reste inoffensif au milieu de la population civile, il faut qu’il soit retenu par les freins les plus forts, et tous les freins, intérieurs ou extérieurs, manquent aux volontaires de 1792  .
Artisans, paysans, petits bourgeois, jeunes gens enthousiastes et enflammés par la doctrine régnante, ils sont encore plus jacobins que patriotes. Le dogme de la souveraineté du peuple, comme un vin fumeux, a enivré leur cerveau novice ; ils se sont persuadés « que l’honneur d’être destinés à combattre les ennemis de la république les autorise à tout exiger et à tout oser   ». Le moindre d’entre eux se croit au-dessus des lois, « comme jadis un Condé   », et devient un roi au petit pied, institué par lui-même, un autocrate justicier et redresseur de torts, appui des patriotes et fléau des aristocrates, qui dispose des biens et des vies et, sans formalités ni délais, se charge, dans les villes qu’il traverse, d’achever la révolution sur place. – Ce ne sont pas ses officiers qui l’en empêcheront. « Créateur de ses chefs, il n’en fait pas plus de cas qu’on n’en fait ordinairement de sa créature ; » loin d’être obéis, ils ne sont pas même considérés, « et cela vient de ce qu’il a choisi dans ses analogies, sans égard aux talents militaires ni à la supériorité de la région morale   ». Par un effet naturel de l’élection les grades ont été conférés aux braillards et aux démagogues. « Les intrigants, les grands parleurs et surtout les grands buveurs l’ont emporté sur les gens capables  . »…

On voit les volontaires se comporter en France comme en un pays conquis.


– C’est pourquoi, dès le mois de mars 1792, et plus tôt encore  , on voit les volontaires se comporter en France comme en un pays conquis. Tantôt ils opèrent des visites domiciliaires et cassent tout chez le particulier visité ; tantôt ils font rebaptiser des enfants par le curé conformiste et tirent sur le père orthodoxe. Ici, de leur propre chef, ils font des arrestations ; là-bas, ils se joignent aux séditieux qui retiennent des bateaux de grains. Ailleurs, ils contraignent la municipalité à taxer le pain ; plus loin, ils brûlent ou saccagent des châteaux, et, si le maire leur représente que le château appartient maintenant, non à un émigré, mais à la nation, ils lui répondent « par des poussées » en le menaçant de lui couper le cou  . – Aux approches du 10 août, le, fantôme d’autorité, qui parfois leur imposait encore, s’évanouit tout à fait, et « il ne leur en coûte rien de massacrer » qui leur déplaît  . Exaspérés par les périls qu’ils vont courir à la frontière, ils commencent la guerre dès l’intérieur ; par provision et précaution, ils expédient en passant les aristocrates probables, et contre les officiers, les nobles, les prêtres qu’ils rencontrent sur leur route, ils font pis que leurs alliés du club. Car, d’une part, étant de passage, ils sont encore plus sûrs de l’impunité que les meurtriers sédentaires ; huit jours après, perdus dans l’armée, on n’ira pas les rechercher au camp ; ils peuvent tuer avec sécurité complète. Et d’autre part, étrangers, nouveaux venus, incapables de faire, comme les gens du pays, acception des personnes, sur un nom, un costume, une qualification, un bruit de café, une apparence, si inoffensif et vénérable que soit l’homme, ils le tuent, non parce qu’ils le connaissent, mais parce qu’ils ne le connaissent pas.

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