Dans chaque commune de France, le club
règne. Entre le massacre et la menace, tous les intermédiaires se rencontrent.
Arras, Avignon, Arles, Marseille.. Les régiments de volontaires qui se
déplacent à travers la France prêtent main-forte aux Jacobins locaux. Ilse se
chargent, dans les villes qu’il traverse, d’achever la révolution sur place.
Plus sûrs de l’impunité, sans liens locaux, leurs meurtres et exactions sont
encore plus terribles
Dans chaque commune de France, le club
règne
Tel est à peu près le type du
gouvernement qui surgit, après le 10 août, dans chaque commune de France : le
club règne ; mais, selon les circonstances, la forme et les procédés de sa
dictature sont différents. – Tantôt il opère directement par la bande exécutive
qu’il conduit ou par la populace ameutée qu’il lance ; tantôt il opère
indirectement par l’assemblée électorale qu’il a fait élire ou par la
municipalité qui est sa complice. Si les
administrations sont jacobines, il gouverne à travers elles ; si elles sont
passives, il gouverne à côté d’elles ; si elles sont réfractaires, il les
épure ou les casse , et, pour les dompter, il va non seulement
jusqu’aux coups, mais jusqu’au meurtre
et jusqu’au massacre . Entre le massacre et la menace, tous les
intermédiaires se rencontrent, et le sceau révolutionnaire s’imprime
partout avec des inégalités de relief.
En beaucoup d’endroits, la menace suffit. Dans les contrées où le
tempérament est froid et où la résistance est nulle, il est inutile d’employer
les voies de fait. À quoi bon tuer, par exemple, dans une ville comme Arras, où, le jour du serment civique,
le président du département, très prudent millionnaire, parade dans les rues,
bras dessus, bras dessous, avec la mère Duchesne qui vend des galettes dans une
cave ; où, le jour des élections, les bourgeois qui votent nomment, par
poltronnerie, les candidats du club, sous prétexte qu’il faut envoyer à Paris «
les gueux et les scélérats » pour en purger la ville ? Ce
serait peine perdue que de frapper sur des gens qui rampent si bien . La faction se contente de les marquer comme
des chiens galeux, de les parquer, de les tenir en laisse, de les vexer . Elle affiche à la porte des corps de garde
la liste des habitants qui sont parents d’un émigré ; elle fait des visites
domiciliaires ; elle dresse à son gré une liste de suspects, et il se trouve
que sur cette liste elle a inscrit tous les riches. Elle les insulte et les
désarme ; elle les interne dans la ville ; elle leur défend d’en sortir, même à
pied ; elle leur ordonne de se présenter chaque jour devant son comité de
sûreté publique ; elle les condamne à payer dans les vingt-quatre heures toutes
leurs contributions de l’année ; elle décachette leurs lettres ; elle
confisque, rase et vend dans les cimetières leurs tombeaux de famille. Tout
cela est de règle, comme aussi la persécution religieuse, l’irruption dans les
sanctuaires privés où se dit la messe, les coups de crosse et de poing
prodigués à l’officiant, l’obligation pour les parents orthodoxes de faire
baptiser leurs enfants par le curé schismatique, l’expulsion des religieuses,
la poursuite, l’emprisonnement, la déportation des prêtres insermentés…
Avignon a pour maîtres
les bandits de la Glacière. Arles
subit le joug de ses mariniers et de ses portefaix. Marseille appartient à « une bande de scélérats, vomis des maisons
de débauche, qui ne reconnaissent ni lois ni magistrats et dominent la ville
par la terreur ». – Rien d’étonnant si
de tels hommes, investis d’un tel pouvoir, en usent conformément à leur nature,
et si l’interrègne, qui est leur règne,
étend sur la France un cercle de dévastations, de vols et d’assassinats…
Les volontaires se chargent d’achever la
Révolution sur place
Ordinairement la bande sédentaire des clubistes a pour auxiliaire une bande ambulante de la même espèce ; je veux parler
des volontaires ; plus redoutables et plus malfaisants, car ils marchent en
corps et sont armés . Comme leurs
confrères civils, nombre d’entre eux sont des va-nu-pieds de la ville et de la
campagne ; la plupart, ne sachant comment subsister, ont été alléchés par la
solde de 15 sous par jour ; c’est le manque d’ouvrage et de pain qui les a
faits soldats . D’ailleurs, chaque
commune ayant été chargée de fournir son contingent, « on a ramassé dans les
villes ce qu’on a trouvé, les mauvais sujets au coin des rues, les gens sans
aveu, et, dans les campagnes, tous les malheureux, tous les vagabonds : on a
presque tout fait marcher par le sort ou par argent, » et probablement les
administrations, « par ce moyen, ont entendu purger la France ». Aux malheureux « achetés par les communes
» ajoutez les gens du même acabit que les riches ont payés pour remplacer leurs
fils…
Arrivés à la frontière, il s’en
trouve « un tiers incapable de service ». Mais,
avant d’arriver sur la frontière, ils travaillent sur leur chemin en vrais
« pirates ». — Plus valides de corps et plus honnêtes de cœur, les autres, sous
la discipline du danger continu, deviendront au bout d’un an de bons soldats.
Mais, en attendant, le dégât qu’ils font n’est pas moindre ; car s’ils sont
moins voleurs, ils sont plus fanatiques. Rien de si délicat que l’institution
militaire : par cela seul qu’il a la force, l’homme est toujours tenté d’abuser
de la force ; pour qu’un corps franc reste inoffensif au milieu de la
population civile, il faut qu’il soit retenu par les freins les plus forts, et
tous les freins, intérieurs ou extérieurs, manquent aux volontaires de
1792 .
Artisans, paysans, petits bourgeois, jeunes gens enthousiastes et enflammés
par la doctrine régnante, ils sont encore plus jacobins que patriotes. Le dogme
de la souveraineté du peuple, comme un vin fumeux, a enivré leur cerveau novice
; ils se sont persuadés « que l’honneur
d’être destinés à combattre les ennemis de la république les autorise à tout
exiger et à tout oser ». Le moindre
d’entre eux se croit au-dessus des lois, « comme jadis un Condé », et devient un roi au petit pied, institué
par lui-même, un autocrate justicier et redresseur de torts, appui des
patriotes et fléau des aristocrates, qui dispose des biens et des vies et, sans
formalités ni délais, se charge, dans
les villes qu’il traverse, d’achever la révolution sur place. – Ce ne sont
pas ses officiers qui l’en empêcheront. « Créateur de ses chefs, il n’en fait
pas plus de cas qu’on n’en fait ordinairement de sa créature ; » loin d’être
obéis, ils ne sont pas même considérés, « et cela vient de ce qu’il a choisi
dans ses analogies, sans égard aux talents militaires ni à la supériorité de la
région morale ». Par un effet naturel
de l’élection les grades ont été conférés aux braillards et aux démagogues. «
Les intrigants, les grands parleurs et surtout les grands buveurs l’ont emporté
sur les gens capables . »…
On voit les volontaires se
comporter en France comme en un pays conquis.
– C’est pourquoi, dès le mois de mars 1792, et plus tôt encore , on voit
les volontaires se comporter en France comme en un pays conquis. Tantôt ils
opèrent des visites domiciliaires et cassent tout chez le particulier visité ;
tantôt ils font rebaptiser des enfants par le curé conformiste et tirent sur le
père orthodoxe. Ici, de leur propre chef, ils font des arrestations ; là-bas,
ils se joignent aux séditieux qui retiennent des bateaux de grains. Ailleurs,
ils contraignent la municipalité à taxer le pain ; plus loin, ils brûlent ou
saccagent des châteaux, et, si le maire leur représente que le château
appartient maintenant, non à un émigré, mais à la nation, ils lui répondent «
par des poussées » en le menaçant de lui couper le cou . – Aux approches du 10 août, le, fantôme
d’autorité, qui parfois leur imposait encore, s’évanouit tout à fait, et « il
ne leur en coûte rien de massacrer » qui leur déplaît . Exaspérés par les périls qu’ils vont courir
à la frontière, ils commencent la guerre dès l’intérieur ; par provision et précaution, ils expédient en passant les aristocrates
probables, et contre les officiers, les nobles, les prêtres qu’ils rencontrent
sur leur route, ils font pis que leurs alliés du club. Car, d’une part, étant
de passage, ils sont encore plus sûrs de l’impunité que les meurtriers
sédentaires ; huit jours après, perdus dans l’armée, on n’ira pas les
rechercher au camp ; ils peuvent tuer
avec sécurité complète. Et d’autre part, étrangers, nouveaux venus,
incapables de faire, comme les gens du pays, acception des personnes, sur un
nom, un costume, une qualification, un bruit de café, une apparence, si
inoffensif et vénérable que soit l’homme, ils
le tuent, non parce qu’ils le connaissent, mais parce qu’ils ne le connaissent
pas.
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