Les jacobins et la liberté d’écrire :
liberté dé diffamer et d’appeler à la violence pour eux, pas de liberté d’opinion
pour leurs adversaires. Une organisation centralisée, combinée pour fabriquer
une opinion artificielle et violente, pour lui donner les apparences d’un vœu
national et spontané, pour conférer à la minorité bruyante les droits de la
majorité muette.
Slogan positiviste : liberté, liberté totale d'exposition de discussion, d'appréciation ( pas d'appeler au meurtre et à la violence!)
Slogan positiviste : liberté, liberté totale d'exposition de discussion, d'appréciation ( pas d'appeler au meurtre et à la violence!)
Les jacobins et la liberté d’écrire
pour eux l’affaire Etienne
Considérons sa façon (Nd du parti jacobin) d’agir en un seul exemple et sur un terrain limité, la liberté
d’écrire. – Au mois de décembre 1790 , un ingénieur, M. Étienne, que Marat
et Fréron, dans leurs gazettes, ont dénoncé et qualifié de mouchard, dépose une
plainte, fait saisir les deux numéros, et, assignant l’imprimeur au tribunal de
police, demande une rétractation publique ou 25 000 francs de dommages et
intérêts. Là-dessus, les deux journalistes s’indignent : selon eux, ils sont
infaillibles et inviolables. « Il
importe essentiellement, écrit Marat, que le dénonciateur ne puisse jamais être
recherché par aucun tribunal, n’étant comptable qu’au public de tout ce qu’il
croit ou prétend faire pour le salut du peuple. » C’est pourquoi M.
Étienne, dit Languedoc, est un traître. « Mons Languedoc, je vous conseille de
vous taire ;... je vous promets de vous
faire pendre si je puis. » — Néanmoins M. Étienne persiste, et un premier
arrêt lui adjuge ses conclusions. Aussitôt Marat et Fréron jettent feu et
flamme. « Maître Thorillon, dit Fréron au commissaire, un châtiment exemplaire
doit vous punir aux yeux du peuple ; il
faut que cet infâme arrêt soit cassé. » — « Citoyens, écrit Marat,
portez-vous en foule à l’Hôtel de Ville : ne souffrez pas un seul soldat dans
la salle d’audience. » – Par une condescendance extrême, le jour du procès on
n’a introduit que deux grenadiers dans la salle ; mais c’est encore trop ; la
foule jacobine s’écrie : « Hors la garde ! Nous sommes souverains ici », et les
deux grenadiers se retirent. Par contre, dit Fréron d’un ton triomphant, on
comptait dans la salle « soixante vainqueurs de la Bastille, l’intrépide
Santerre à leur tête, et qui se proposaient d’intervenir au procès ». – De fait, ils interviennent, et contre le
plaignant d’abord à la porte du tribunal, M. Étienne est assailli, presque
assommé et tellement malmené, qu’il est obligé de se réfugier dans le corps de
garde ; il est couvert de crachats ; on fait « des motions pour lui couper les
oreilles » ; ses amis reçoivent « cent coups de pied » ; il s’enfuit, et la
cause est remise. – A plusieurs reprises, elle est appelée de nouveau, et il
s’agit maintenant de contraindre les juges. Un certain Mandar, auteur d’une
brochure sur la Souveraineté du peuple, se lève au milieu de l’assistance et
déclare à Bailly, maire de Paris, président du tribunal, qu’il doit se récuser
dans cette affaire. Bailly cède, selon l’usage, en dissimulant sa faiblesse
sous un prétexte honorable : « Quoique un juge, dit-il, ne doive être récusé
que par des parties, il suffit qu’un
seul citoyen ait manifesté son vœu pour que je m’y rende, et je quitte le
siège. » Quant aux autres juges, insultés, menacés, ils finissent par plier de
même et, par un sophisme qui peint bien l’époque, ils découvrent dans
l’oppression que subit l’opprimé un moyen légal de colorer leur déni de
justice. M. Étienne leur a signifié qu’il ne pouvait comparaître à l’audience,
non plus que son défenseur, parce qu’ils y courent risque de la vie : sur quoi,
le tribunal déclare qu’Étienne, « faute d’avoir comparu en personne ou par un
défenseur, est non recevable en sa demande, et le condamne aux dépens ». –
Les deux journalistes entonnent aussitôt un chant de victoire, et leurs
articles, répandus dans toute la France, dégagent la jurisprudence enfermée
dans l’arrêt ; désormais, tout Jacobin peut impunément dénoncer, insulter,
calomnier qui bon lui semble ; il est à l’abri des tribunaux et au-dessus des
lois.
Les jacobins et la liberté d’écrire
contre eux : Mallet du Plan
Mettons en regard la liberté
qu’ils accordent à leurs adversaires. – Quinze jours
auparavant, le grand écrivain qui, chaque semaine, dans le premier journal du
temps, traite les questions sans toucher aux personnes, l’homme indépendant,
droit et honorable entre tous, l’éloquent, le judicieux, le courageux défenseur
de la liberté véritable et de l’ordre public, Mallet du Pan, voit arriver dans son cabinet une
députation du Palais-Royal . Ils sont
douze ou quinze, bien vêtus, assez polis, point trop malveillants, mais
convaincus que leur intervention est légitime, et l’on voit par leurs
discours à quel point le dogme politique en vogue a dérangé les cerveaux. «
L’un d’eux, m’adressant la parole, me signifia qu’ils étaient députés des
sociétés patriotiques du Palais-Royal pour m’intimer
de changer de principes et de cesser d’attaquer la Constitution, sans quoi on
exercerait contre moi les dernières violences. – Je ne reconnais,
répondis-je, d’autre autorité que celle de la loi et des tribunaux. La loi
seule est votre maître et le mien : c’est
manquer à la Constitution que d’attenter à la liberté de parler et décrire. –
La Constitution, c’est la volonté générale, reprit le premier porteur de
parole. La loi, c’est l’empire du plus fort. Vous êtes sous l’empire du plus
fort, et vous devez vous y soumettre. Nous
vous exprimons la volonté de la nation, et c’est la loi. » – Il leur
explique qu’il est contre l’ancien régime, mais pour l’autorité royale. – « Oh
! répliquèrent-ils en commun, nous serions bien fâchés d’être sans roi. Nous
aimons le roi, et nous défendrons son autorité. Mais il vous est défendu
d’aller contre l’opinion dominante et contre la liberté décrétée par
l’Assemblée nationale. » – Apparemment, il en sait plus qu’eux sur cet article,
étant né Suisse et ayant vécu vingt ans dans une république : peu importe ; ils
insistent et parlent cinq ou six ensemble, sans entendre les mots dont ils se
servent, tous se contredisant lorsqu’ils arrivent aux détails, mais tous
d’accord pour lui imposer silence. « Vous ne devez pas vous opposer à la
volonté du peuple ; autrement, c’est prêcher la guerre civile, outrager les
décrets et irriter la nation. »
4– Manifestement, pour eux, la nation, c’est eux-mêmes ; à tout le moins,
ils la représentent : de par leur propre investiture, ils sont magistrats,
censeurs, officiers de police, et le journaliste tancé est trop heureux quand
avec lui on s’en tient à des sommations. – Trois jours auparavant, il était
averti qu’un attroupement formé dans son voisinage « menaçait de traiter sa
maison comme celle de M. de Castries », où tout avait été brisé et jeté par les
fenêtres. Une autre fois, à propos du
veto absolu ou suspensif, quatre furieux sont venus lui signifier dans son
domicile, et en lui montrant leurs pistolets, qu’il répondrait sur sa vie
de ce qu’il oserait écrire en faveur de M. Mounier ». – Aussi bien, dès les
premiers jours de la Révolution, « à l’instant où la nation rentrait dans le
droit inestimable de penser et d’écrire librement, la tyrannie des factions
s’est empressée de le ravir aux citoyens, en criant à chaque citoyen qui
voulait rester maître de sa conscience : Tremble, meurs, ou pense comme moi ». Depuis ce moment, pour imposer silence aux
voix qui lui déplaisent, la faction, de son autorité privée , décrète et exécute des perquisitions, des
arrestations, des voies de fait et, à la fin, des assassinats. Au mois de juin
1792, « trois décrets de prise de corps, cent quinze dénonciations, deux
scellés, quatre assauts civiques dans sa propre maison, la confiscation de
toutes ses propriétés en France », voilà la part de Mallet du Pan ; il a passé
quatre ans « sans être assuré en se couchant de se réveiller libre ou vivant le
lendemain ». Si plus tard il échappe à la guillotine ou à la lanterne,
c’est par l’exil, et, le 10 août, un autre journaliste, Suleau, sera massacré
dans la rue…
Telle est la façon dont le parti entend la liberté d’écrire ; par ses
empiètements sur ce terrain, jugez des autres. La loi est nulle à ses yeux
quand elle le gêne ou quand elle couvre ses adversaires ; c’est pourquoi il
n’est aucun excès qu’il ne se permette à lui-même, et aucun droit qu’il ne
refuse à autrui.
Une organisation pour fabriquer l’opinion
publique
« Il faut, avait dit un journal du parti, que le peuple se forme en petits
pelotons. » Un à un, pendant deux ans, les pelotons se sont formés ; il y a
maintenant dans chaque bourgade une oligarchie de clocher, une bande
enrégimentée et gouvernante. Pour que ces bandes éparses fassent une armée, il
ne leur reste plus qu’à trouver un centre de ralliement et un état-major. Ce
centre est formé depuis longtemps : cet état-major est tout prêt ; l’un et l’autre
sont à Paris, dans la Société des Amis de la Constitution.
En effet, il n’y a pas en France de Société plus autorisée ni plus ancienne
; née avant la Révolution, elle date du 30 avril 1789 . – A peine arrivés à Versailles, les députés
de Quimper, d’Hennebon et de Pontivy, qui, dans les Etats de Bretagne, avaient
appris la nécessité de concerter leurs votes, ont loué une salle en commun, et
tout de suite, avec Mounier, secrétaire des Etats du Dauphiné, et plusieurs
députés des autres provinces, ils ont fondé une réunion qui durera. Jusqu’au 6
octobre, elle ne comprend que des représentants ; ensuite, transportée à Paris,
rue Saint-Honoré, dans la bibliothèque du couvent des Jacobins, elle admet
parmi ses membres d’autres hommes considérables ou connus, en première ligne
Condorcet, puis Laharpe, M.-J. Chénier, Chamfort, David, Talma, des écrivains
et des artistes, bientôt plus de mille personnes notables. – Rien de plus
sérieux que son aspect : on y comptera deux cents, trois cents députés, et ses statuts
semblent combinés pour rassembler une véritable élite. On n’y est admis que sur
la présentation de dix membres et après un vote au scrutin. Pour assister aux
séances, il faut une carte d’entrée, et il arrive un jour que l’un des deux
commissaires chargés de vérifier les cartes à la porte est le jeune duc de
Chartres. Il y a un bureau, un président. Les discussions ont la gravité
parlementaire, et, aux termes des statuts, les questions agitées sont celles-là
mêmes que débat l’Assemblée nationale ;
dans une salle basse, à d’autres heures, on instruit les ouvriers, on leur
explique la Constitution. À regarder de loin, nulle Société n’est plus digne de
conduire l’opinion ; de près, c’est autre chose ; mais, dans les départements,
on ne la voit qu’à distance ; et, selon la vieille habitude implantée par la
centralisation, on la prend pour guide parce qu’elle siège dans la capitale. On
lui emprunte ses statuts, son règlement, son esprit ; elle devient la
société-mère, et toutes les autres sont ses filles adoptives. À cet effet, elle
imprime leur liste en tête de son journal, elle publie leurs dénonciations,
elle appuie leurs réclamations : désormais,
dans la bourgade la plus reculée, tout Jacobin se sent autorisé et soutenu, non
seulement par le club local dont il est membre, mais encore par la vaste
association dont les rejets multipliés ont envahi tout le territoire et qui
couvre le moindre de ses adhérents de sa toute-puissante protection. En
échange, chaque club affilié obéit au mot d’ordre qui lui est expédié de Paris,
et du centre aux extrémités, comme des extrémités au centre, une
correspondance continue entretient le concert établi. Cela fait un vaste engin
politique, une machine aux milliers de bras qui opèrent tous à la fois sous une
impulsion unique, et la poignée qui les met en branle est rue Saint-Honoré aux
mains de quelques meneurs.
Nulle machine plus efficace ; on
n’en a jamais vu de mieux combinée pour fabriquer une opinion artificielle et
violente, pour lui donner les apparences d’un vœu national et spontané, pour
conférer à la minorité bruyante les droits de la majorité muette, pour forcer
la main au gouvernement…
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